Patrocle

Chapitre 17 : convocation et prédication

2057 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/11/2022 20:01

« Ce n’est pas ta faute, répéta Dates alors que Patrocle faisait les cent pas. »

Le Grec s’arrêta à la porte donnant sur les jardins pour contempler la terrasse garnie d’arbres fleuris. La vue était splendide et les senteurs apaisantes, mais Patrocle détourna le regard, les joues rouges de colère.

« Ramsès est un roi en quête d’une gloire qu’il ne souhaite partager avec personne. D’autant que certains conseillers ne cessent de siffler des phrases empoisonnées dans son oreille. »

Simisée qui était assise sur un divan se laissa aller en arrière et s’appuya sur ses avant-bras.

« Je ne l’ai jamais apprécié, dit-elle gravement. Que comptes-tu faire ? Quitter son service ? »

— Ridicule ! dit Dates irrité. Nous avons tout ce qu’il est possible de souhaiter. Regarde autour de toi, Simisée. De la soie, de beaux divans, de superbes jardins… combien de rois grecs peuvent-ils se vanter de posséder un tel palais ? Nos esclaves obéissent à nos moindres désirs et nous avons plus d’argent que nous ne pourrions en dépenser en deux vies. Tu crois que je tournerais sciemment le dos à tout cela ?

— De toute façon, nous n’avions plus rien à faire ici, lui fit remarquer Simisée. Les guerres sont quasiment terminées. Je ne vois pas ce que le pharaon aurait pu nous demander d’autre. Nous avons gagné ses batailles en Nubie, en Phrygie, en Asie et dans d’autres contrées dont je suis bien incapable de prononcer le nom.

— Tu crois que nous devons partir ? demande Patrocle d’une voix douce.

— Je crois qu’il est temps pour nous de partir. Confirme la jeune femme.

— Que comptes-tu faire, Patrocle ? Intervint Dates.

— Que veux-tu que je fasse ? répondit-il en souriant. Je livrerai les batailles du pharaon tant qu’il aura besoin de moi.

Le Spartiate laissa fuser une série de jurons.

« Il faudrait que tu sois stupide pour le croire, et je sais que ce n’est pas le cas. Si tu venais à quitter Ramsès, toutes les cités grecques d’Asie, sinon les Hittites chercheraient à louer tes services. Tu te retrouverais vite à la tête d’une autre armée et, comme il n’existe plus qu’un seul véritable ennemi dans la région, tu devrais affronter Ramsès lui-même. Non, Patrocle ; le jour où tu ne seras plus d’aucune utilité pour le pharaon, c’est Sequen qu’il enverra pour te signifier ton congé. L’assassin royal et son poignard.

— Alors Sequen aura intérêt à être très fort, rétorqua Patrocle.

— Il l’est.

— Cette conversation me déprime, bougonna Patrocle en se levant.

— Notre bien-aimé souverain t’a-t-il invité à la parade triomphale ? Intervint Simissée.

— Non, mais il sait que je n’apprécie guère ces cérémonies.

— Peut-être, concéda le Spartiate, qui était tout sauf convaincu. Alors, où la prochaine guerre aura-t-elle lieu ?

— Je ne sais pas. Quelles sont les dernières offres en date ?

— Le roi de Crète aurait besoin de tes services pour contrer les attaques auxquelles se livrent les pirates Mycéniens, exposa Dates.

— Je ne suis pas un marin, trancha le général.

— Les Olynthiens engagent de nombreux mercenaires. Ils voudraient que tu mènes leurs troupes en Gérénie. Continua Simisée

— La Gérénie. Voilà qui est tentant. Quoi d’autre ?

— Le roi de Sparte, Tyndare, est prêt à t’employer, tout comme Cotys de Thrace. L’offre de ce dernier est intéressante : deux talents d’or.

— Et le roi de Thessalie… Pélée ?

— Aucune nouvelle de sa part.

Patrocle s’assit et garda un instant le silence.

« Je n’ai pas envie de retourner en Grèce », fit-il enfin.

Dates opina du chef, sans faire d’autre commentaire. Il savait que son ami pensait de nouveau à Chiron. Le vieil homme était mort l’hiver dernier et sa ferme allait au plus mal. Patrocle regarda le vide un moment puis poussa un soupire.

— C’était un grand homme, commenta Simisée.

— Comment fais-tu pour toujours savoir ce que je pense, Simisée ?

— Je le sais c’est tout, dit-elle en regardant les arbres du jardin.

Dates secoua la tête. Cette femme avait beau être une guerrière d’exception, mais dire ce qu’elle ressentait n’était pas son fort. Venant de la propriété, une esclave les rejoignit en courant. Elle s’inclina devant Patrocle puis se tourna vers Dates.

« Un messager vient d’arriver, monsieur, lui apprit-elle. Il souhaite voir le général.

— D’où vient-il ?

— C’est un Grec, monsieur. »

S’inclinant de nouveau, elle attendit la décision de son maître.

« Veille à ce qu’on lui serve du vin, lui dit Dates. Je vais lui parler. »

Patrocle resta dehors avec Simisée jusqu’au retour de son ami.

« Eh bien ? De quoi s’agit-il ? demanda-t-il en le voyant revenir.

— La reine Philomèle de Locride te convoque, dit Dates d’une voix sombre. Elle veut que tu rentres à la cité au plus vite.

Patrocle se leva brusquement et regarda son ami avec surprise.

— Ma mère ? Pourquoi ?

— Corinthe organise des jeux, toutes les cités vont envoyer leurs champions. Philomèle veut que tu représentes la Locride étant donné que tu es… très connu maintenant.

Patrocle éclata de rire et regarda son ami durement.

— Tu peux lui dire d’aller brûler au Tartare, je ne lui dois rien.

Simisée intervint.

— Je pense que tu dois accepter et régler tes comptes avec ta mère une bonne fois pour toute. Et qui sait ? Peut-être que les rois de Grèce vont te proposer quelque chose de mieux.

— Simisée à raison, tu n’es plus un prince exilé mais un puissant seigneur de guerre reconnu de tous, et cette renommée tu l’as façonné avec la tes poings. Ecoute ce que te propose Philomèle, et si c’est intéressant, expose tes conditions, si elle rechigne Tyndare et Cotys se feraient une joie de compter le Hoplite Sanglant parmi leurs rangs.

Patrocle ferma les yeux un moment, puis poussa un soupir. Les rouvrant il regarda ses deux amis.

— Organisez notre départ sans avertir personne, nous devons quitter l’Egypte sur la pointe des pieds. Ramsès ordonnera surement notre mort d’ici peu, alors soyez prudents. Dit-il en se dirigeant vers la sortie.

— Mais toi ou tu vas ? s’écria Dates.

— Voir quelqu’un…

*

En quittant sa maison. Patrocle sella son cheval et chevaucha en direction du nord de Memphis. Le cabanon était mal construit ; le bois vert commençait à plier, et de la boue avait été utilisée pour colmater les fissures. La porte d’entrée était branlante et un rideau avait été tendu derrière pour empêcher les courants d’air. Patrocle descendit de cheval, l’attacha à un gros buisson et cogna à la porte. Pas de réponse. Il entra quand même, prudemment.

Une vieille femme était assise à une table en pin et regardait fixement un bol en cuivre rempli d’eau à ras bord. Elle était presque chauve, très squelettique, mais ses yeux demeuraient les même, noirs inhumains.

— Bienvenue à toi, Sanglant, dit-elle en souriant.

Ses dents étaient blanches et régulières, détail atypique pour un visage en ruine.

— Tu es en dessous de l’échelle sociale, fit remarquer Patrocle en regardant les alentours.

— La vie humaine est un sablier, répondit-elle. Je me referai. Sers-toi du vin – il y a de l’eau si tu préfères.

— Le vin sera parfait, dit-il, en remplissant un gobelet en grès à l’aide d’une carafe en pierre qui était face à elle.

— Il y a deux ans, dit-il doucement, tu m’avais mis en garde contre Ramsès. Tu m’avais parlé d’une bataille gagnée mais perdue en même temps. C’était poétique et plutôt dépourvu de sens. Aujourd’hui, cela a un sens...

— Gagnée par un général, perdue en même temps par un souverain. Mais sache qu’il y a une autre guerre qui se situe sur un autre plan.

— Un autre plan ? Vous voulez dire que les dieux se font la guerre.

— Trois déesses se querellent comme des filles stupides pour un bout de poupée. L’orgueilleuse Héra, la volage Aphrodite, et la prude Athéna. Chacune veut être reconnue comme la plus belle. Zeus pour les départager choisit un imbécile comme juge, et ce dernier n’a fait qu’empirer les choses.

— Je suppose qu’il n’a pas choisi avec sagesse.

— Aphrodite récompense généralement l’imbécilité des hommes. Et Paris de Troie ne fait pas exception. Mais son acte entrainera une guerre qui se situera sur terre et sur le ciel, et toi mon jeune Patrocle, Tu es pris au centre d’une toile du destin et les araignées se rapprochent.

— Philomèle m’a déjà envoyé un message.

— Alors, cela va commencer.

— Si je combats dans cette guerre, réussirai-je ?

— Cela dépend de ta définition de la réussite.

— Pas d’énigmes, madame, Je vous en supplie.

— C’est vrai. Très bien, laisse-moi t’expliquer ce qu’est une prophétie. Beaucoup de choses dépendent de son interprétation, rien n’est évident. Si tu jetais ton couteau dans la forêt, quelle chance aurais-tu d’atteindre le renard qui a volé mes poules ?

— Aucune.

— Ce n’est pas entièrement vrai. Les lois de la probabilité disent que tu pourrais le tuer. Voilà l’ampleur de ta tâche.

— Pourquoi moi ?

— Voilà une question que j’ai déjà entendue. Mais c’était demandé de bon cœur et je vais donc répondre. Tu n’es rien d’autre qu’un catalyseur. Patrocle tu nom ne sera jamais oublié, mais tu ne seras que Patrocle le compagnon d’arme, l’ami, le mari aimant. Mais rien d’autre.

— Je m’en moque. Mais tu n’as pas répondu à ma question.

— C’est vrai. Pourquoi toi ? Parce que toi seul as une chance, aussi mince soit-elle, d’arriver à changer le cours de l’histoire.

— Et si je refuse ?

— Question inutile – tu ne refuseras pas.

— Comment en es-tu si sûre ?

— L’honneur, Patrocle. Tu es maudit d’honneur.

— Tu ne veux pas plutôt dire béni ?

— Non, pas dans ton cas. L’honneur te tuera.  

— Étrange. Moi qui croyais que j’allais vivre éternellement.

Il se leva pour partir, mais la vieille femme leva ses mains.

— Je peux te donner un conseil : méfie-toi d’aimer la vie. Ta force, c’est que tu n’as pas peur de la mort. Les pouvoirs de la mort sont infinis et ne ressemblent ni à des lames acérées ni à la souffrance.

— Je ne comprends pas.

— L’amour, Sanglant. Méfie-toi de l’amour. Je vois une femme aux cheveux d’or qui pourrait te faire du tort.

— Je ne connais aucune femme aux cheveux d’or.

— Bientôt, mon garçon, grogna la vieille femme.

Comme Patrocle posait le pied dehors, une ombre vacilla sur sa gauche et il se jeta au sol alors que la lame d’une épée sifflait au-dessus de sa tête. Il heurta le sol de l’épaule, fit une roulade pour se mettre à genoux et lança un couteau qui fendit les airs et atteignit son adversaire sous le menton. L’homme blessé tomba à genoux, et retira la lame ; du sang gicla de la blessure et il tomba en avant. Patrocle se retourna, scrutant les arbres, puis il se releva pour inspecter le cadavre. C’était Sequen, le champion de Ramsès.

Il nettoya son couteau et le rengaina. La vieille femme sortit sur le seuil. Ses yeux sombres se posèrent sur le cadavre.

— Tu es un homme dangereux à fréquenter, dit-elle en souriant.

— Tu savais qu’il était là.

— Quitte l’Egypte, Sanglant ! Ramsès n’est plus ton ami, et fais attention où tu mets les pieds.

  

  


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