Patrocle

Chapitre 18 : Course vers le navire

3731 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/12/2022 12:15

La pluie avait cessé, mais les grondements du tonnerre au loin rompaient par intermittence le calme de la nuit. Dans les hauteurs, parmi le chaos rocheux qui gardait cette route inutilisée menant vers l’escarpement, Patrocle s’accroupit derrière un quartier de roc. Auprès de lui reposait un petit ballot d’affaires personnelles, ainsi qu’un assortiment d’armes. Arc en main, il inspecta la route dans l’obscurité en guettant un signe de Dates et de ses hommes. Depuis la piste en contrebas, on ne pouvait pas le voir – pas même en cherchant avec attention. Patrocle avait demandé à Dates et Simisée de le rejoindre plus loin sur les falaises, mais toujours préparé à une traîtrise, il avait choisi d’attendre ses compagnons depuis cette position avantageuse.

Il songea avec regret aux parchemins sans prix qu’il avait été contraint de laisser derrière lui. Bah, il avait gravé dans sa mémoire la plupart d’entre eux, et un prêtre d’Osiris qu’il connaissait viendrait récupérer dans la demeure ces papyrus, pour les ranger dans son temple à Memphis. En particulier, une des toutes premières transcriptions du monumental Livre des Anciens d’Hammourabi avait suscité l’admiration de Patrocle. Les transcriptions ultérieures pouvaient être fatales, à cause de leurs erreurs et de leurs omissions, il le savait bien. Sans doute aurait-il pu trouver la place d’inclure cet épais volume dans son paquetage. Mais le parchemin fragile, il en était conscient, n’aurait jamais survécu à la course frénétique qui attendait Patrocle pour échapper à la vengeance de Ramsès. Peut-être reviendrait-il en Egypte quand ce dernier serait mort…

Son ouïe fine perçut un bruit de sabots sur la pierre. Des cavaliers arrivaient par la route – mais qui étaient-ils ? Kane banda son arc, puis chercha le long du chemin avec des yeux qui voyaient mieux dans le noir qu’il n’aurait dû être humainement possible.

Huit cavaliers et neuf chevaux – sans doute une monture supplémentaire, sellée à son intention. Ils approchaient subrepticement ; des soldats ouvriraient l’œil, mais seraient plus confiants. Patrocle s’efforça de mieux voir et reconnut Dates sur le cheval de tête. Certain que c’était le groupe qu’il attendait, Patrocle tira une flèche en travers de leur chemin, la fichant dans un tronc d’arbre mort. Cela les fit s’arrêter de façon efficace, quoiqu’abrupte.

« N’ayez crainte ! C’est moi ! » lança Patrocle aux cavaliers surpris. Réunissant son bagage, il dévala la pente par-dessus les éboulis. Des blasphèmes marmonnés l’accueillirent tandis qu’il s’arrêtait pour retirer la flèche du tronc durci où le fer s’était enfoncé avec une force qui percerait la meilleure armure comme de la soie.

« On vous a suivis ? demanda Patrocle en rangeant son arc.

— On ne croit pas… mais faudrait être un fieffé crétin pour l’affirmer avec certitude. Tu étais obligé de nous foutre une telle trouille ? Pour le coup, j’ai cru qu’on était tombés dans une embuscade ! »

Patrocle reconnut un autre grognement furibond. « Simisée ! Alors, tu es encore parmi nous ! Ce n’est sûrement pas le sentiment qui t’a poussé à venir me dire adieu. »

— J’ai envoyé un message aux mercenaires comme tu l’as ordonné, la plupart ont quitté Pi-Ramsès, et moi je me suis dit que je ferais mieux de vous servir de guide, au cas où on devrait commencer à esquiver les patrouilles, expliqua Simisée, en regardant Patrocle ranger son paquetage sur le cheval qu’ils lui avaient fourni.

— Une amazone pour guide. Ça me plaît, s’exclama-il en riant. Il sauta en selle et s’assura que son épée de bataille était commodément placée à sa portée. « Eh bien, à cheval. »

Les neuf cavaliers rebroussèrent chemin. Au carrefour de la piste abandonnée et de la route principale, ils prirent la direction du sud-ouest et de la côte. Un homme chevauchait en tête en éclaireur pour repérer les patrouilles. Le plan de Patrocle était de se forcer un passage jusqu’au navire caché en adoptant une allure aussi rapide que possible – la vitesse plutôt que la discrétion – et de s’en remettre à la chance pour ne pas rencontrer quoi que ce soit qu’une brève escarmouche ne leur permettrait pas de franchir. La route détrempée assourdissait le martèlement des sabots dans leur fuite, sous les cieux d’un minuit lourd d’orages.

Deux fois, en route, ils furent contraints de quitter la piste pour contourner par une large boucle les avant-postes de l’armée égyptienne qui vérifiaient tous les voyageurs. Puis la cavalcade s’arrêta subitement quand Essen, l’éclaireur, revint vers eux, bride abattue.

Tirant avec sauvagerie sur les rênes de son cheval qui déboulait, il hoqueta : « Il y en a cinq ! Ils m’ont entendue faire demi-tour et sont à mes trousses ! »

Cinq. Ils étaient tombés sur une petite patrouille.

« Continue à fuir, nous allons leur tendre une embuscade », ordonna Patrocle. « Vite… le reste d’entre vous, de ce côté, et mettez-vous à couvert parmi les arbres. Ils vont nous dépasser au galop et ne lèveront pas le nez. Vous, avec des arcs… préparez-vous, nous allons les abattre ».

Il jeta un bref coup d’œil critique sur le terrain, puis aboya : « Toi, là, qui n’as pas d’arc, continue sur la route et intercepte tous ceux qui nous échapperont. Dépêche-toi ! »

Dans un remue-ménage bruyant mais sans confusion excessive, les ordres de Patrocle furent exécutés. À peine s’étaient-ils retirés dans l’ombre des arbres et avaient-ils préparé leurs armes que quatre cavaliers égyptiens jaillirent à la vue.

Espérant que Dates avait choisi ses hommes avec soin, Patrocle tira avec son arc et envoya une flèche se planter dans l’œil du cavalier de tête. Simisée tira ensuite eux flèches en même temps, et deux autres cavaliers furent catapultés de leur selle – chacun avec une paire de hampes de flèches dépassant de son torse. Le quatrième cavalier traversa sans anicroche – sauvé, non pas par la maladresse du tir, mais parce que les archers n’avaient pas eu le temps de se partager les cibles.

Dates arracha son épée au fourreau juste à temps pour la lancer sur le dernier soldat qui tomba aussitôt transpercé a la gorge.

Patrocle baissa son arc. Essen revint prudemment, ayant supposé à la disparition de ses poursuivants que l’escarmouche était terminée. Simisée l’interrogea : « Je t’ai bien entendu ? Il y avait cinq cavaliers ?

— Oui, cinq, j’en suis certain. »

L’amazone fit un commentaire sur les mères des cavaliers.

« Apparemment, ce n’étaient pas les imbéciles pressés que j’espérais. Ils ont dû conserver un homme en arrière-garde, au cas où ils tomberaient sur des effectifs supérieurs à ce qu’ils pouvaient affronter. Puisse Hadès dévorer leurs âmes prudentes ! Si seulement ils avaient pu être téméraires !

— Et maintenant ? voulut savoir Dates.

— Quelle distance encore, jusqu’à la crique ? demanda Patrocle

— Je dirais que nous sommes à peu près à mi-chemin », intervint Simisée, sans enthousiasme.

Patrocle croisa le coup d’œil de l’amazone et haussa-les épaules. « Bah, les dés sont jetés, maintenant. L’autre soldat a dû alerter tout le voisinage, désormais. Ce serait un suicide de quitter la route pour essayer de se glisser à travers les dunes, à présent. Des patrouilles massives vont ratisser la région d’ici une heure… Ils vont nous cerner et converger. Notre meilleure chance est de galoper comme la meute de d’Artémis… Et parier que nous pourrons les battre de vitesse pour atteindre le navire. Allons, en route ! »

Ils s’en furent au galop, laissant les morts observer en silence les cieux tachés d’éclairs.

 

Ils chevauchaient depuis une heure peut-être, sans signe de poursuite. Deux fois encore, ils avaient dû ralentir l’allure pour contourner des positions de l’armée, et Patrocle jura contre le retard que cela entraînait. Simisée observa les points de repère avec attention, et en conclut qu’ils n’avaient plus guère qu’un ou deux kilomètres à faire avant de pouvoir quitter la route principale et de couper par une zone boisée pour parvenir à la crique.

Elle allait partir vers l’avant pour prévenir Patrocle qui avait pris un peu d’avance, quand l’homme à chevelure noire donna le signal de la halte. Essen revenait au galop de sa position d’éclaireur, et Patrocle se demanda ce que leur agent avancé avait appris.

Une décharge de foudre éclaira le paysage d’un feu bref et net. En cette fraction de seconde, Patrocle vit la grande tache rouge sombre qui détrempait la tunique d’Essen, tandis que le vent apportait à ses narines sensibles une odeur de sang.

« Aucun blessé ne chevauche aussi bien ! » marmonna Patrocle. Sa main fila en un éclair vers son poignard.

Tandis que ses doigts se refermaient sur la poignée, le cavalier se précipita contre lui. « Crève, sale traître ! » hurla l’homme qui avait revêtu la tunique d’Essen. Son poignard jaillit vers la poitrine de Patrocle.

Serrant les genoux contre les flancs de sa monture, ce dernier conserva son équilibre sous le choc des chevaux. D’un mouvement trop rapide pour que l’œil le suivît, il saisit de la main gauche le bras qui descendait, arrêtant le coup de la lame. L’assaillant hurla quand la poigne inhumaine de Patrocle brisa les os de son poignet comme des branches sèches – mais le cri n’avait pas commencé qu’il s’étrangla dans un gargouillis. L’autre poing de Patrocle plongea sa propre dague dans le ventre de l’homme, qu’il déchira en remontant d’un coup qui l’étripa.

Le cadavre s’écroula lourdement sur la route, et on écarta sa cape de son visage. « Ce n’est pas Essen », observa un des hommes, avec beaucoup de perspicacité.

Le cheval qu’avait monté l’inconnu se mit à hennir, en proie à une douleur féroce. Il roula sur ses genoux, puis s’effondra, comme ivre, sur le corps de son cavalier. Il rua un moment, saisi de spasmes, puis resta immobile. Il avait les yeux vitreux à la lumière des éclairs.

« Son poignard a frappé le cheval en tombant », signala Dates, qui avait été le plus proche de Patrocle.

Celui-ci hocha la tête. « Oui, un poignard empoisonné – très joli. Ils ont dû éliminer Essen, puis ils m’ont renvoyé ce salopard en mission suicide. Par Hécate, ces ordures veulent vraiment ma peau ! »

Il eut un rire amer. « Une consolation, quand même. L’Egypte n’aurait pas tenté ce genre de manœuvre s’ils n’étaient pas aux abois. J’ai idée que les soldats de ce côté n’ont pas encore eu le temps de se préparer pour nous.

— Si c’est de temps qu’ils ont besoin, nous leur en donnons assez en traînant ici, calés sur notre cul, aboya Simisée. Nous avons quelque chose comme un stade à couvrir avant de pouvoir quitter la route. Alors, filons d’ici !

— Exact… Seulement, ça va être tendu, la mit en garde Patrocle. Peut-être serons-nous saufs une fois que nous aurons quitté la route… Mais d’ici là, les amis de ce pauvre idiot nous attendent presque à coup sûr. Il va falloir y aller avec lenteur et prudence, sinon ils nous auront tous comme Essen. Priez Ares que nous arrivions à les franchir avant l’arrivée des renforts.

« Alors, ne paniquez pas, n’allez pas vous flanquer dans un obstacle… Déployez-vous un peu et regardez de près ! Par chance, les arbres s’éclaircissent un peu, si bien qu’ils n’ont plus autant de couvert… Mais ouvrez bien l’œil, guettez la moindre anomalie ! »

Ils poursuivirent leur route lentement, sentant la terreur des créatures qu’on traque les ronger. À chaque instant, ils s’attendaient à entendre le sifflement mortel d’une flèche. Aucun homme n’avait la certitude de pouvoir prendre encore une inspiration avant qu’un archer caché scelle son sort. Les muscles frémissaient d’une douloureuse tension. La peau se couvrait de chair de poule en anticipant la morsure d’un croc de fer. Chaque ombre contenait une douzaine de soldats tapis.

L’embuscade était très bien dissimulée. Patrocle s’y engagea presque sans aucun avertissement. Toutefois, les soldats égyptiens étaient un petit peu trop largement écartés, et trop impatients de frapper. Dans les ténèbres et la confusion, peut-être ne savaient-ils pas avec certitude combien d’hommes se trouvaient avec Patrocle.

Quoi qu’il en soit, ils ne réussirent pas à tirer le meilleur parti de leur position sous le couvert et frappèrent prématurément, avant que leur piège puisse se refermer. Le silence tendu de la nuit se déchira subitement quand les flèches des hommes en embuscade plongèrent dans les rangs des mercenaires.

Une flèche ricocha sur le haut de l’épaule de Patrocle, déviée par l’armure qu’il portait. « Dispersez-vous dans les bois ! » rugit-il, trop content que quelqu’un ait présumé de son talent d’archer en tentant un difficile coup à la tête. « Cernez-les et repoussez-moi ces chiens vers la route ! » Patrocle jugeait peu probable que sa poignée d’hommes puisse encercler qui que ce soit, mais les attaquants n’en savaient rien.

Un homme de sa bande était atteint à la cuisse, mais sinon la volée semblait les avoir laissés sains et saufs. Les flèches sifflaient autour d’eux dans le noir, tandis qu’ils cherchaient instinctivement à se mettre à couvert. Patrocle éperonna désespérément sa monture pour quitter la route, beuglant aux autres de le suivre.

Se faufilant rapidement entre les arbres, ils se heurtèrent à la patrouille de cavalerie égyptienne. Patrocle ressentit une vague de soulagement en estimant leurs effectifs à moins d’une dizaine, dont seulement quelques-uns armés d’arcs. Pas étonnant qu’ils soient prudents comme de vieilles filles… Ce n’était que l’avant-garde de la force plus importante qui, Patrocle en était sûr, se dirigeait forcément vers eux. La surprise de le voir effectuer une percée vers la mer après sa fuite, alors qu’on le croyait généralement disparu ou mort – et leurs incertitudes quant à la taille de la bande qui l’accompagnait – jouait contre les égyptiens. À présent, alors que s’élevaient les cris de bataille, les cavaliers galopèrent bride abattue hors de leur position d’embuscade pour affronter l’ennemi au corps à corps.

« Maintenez-les dispersés ! Empêchez-les de lancer une charge ! » cria Patrocle. Il n’osait toujours pas espérer que ce n’était pas encore le gros de la cavalerie qui entrait dans le combat. Il se tendit pour parer le coup du premier soldat à venir à sa rencontre. Avec fureur, ils échangèrent des coups – l’épée du cavalier rebondissant en une danse souple sur le glaive de Patrocle. Puis ce dernier asséna un coup puissant contre le fer de son adversaire, qui força la lame vers le bas, chassa brutalement la garde de côté et trancha le bras qui la tenait. Le cavalier eut à peine le temps de s’apercevoir de sa blessure que, d’un revers, Patrocle le fauchait à travers les côtes. Pivotant sur lui-même, il soutint de peu la charge d’un autre cavalier sur son flanc opposé. L’homme était bon bretteur – l’opinion de Simisée sur la cavalerie égyptienne  se justifiait amplement – et il fallait tous les efforts de Patrocle pour résister à la lame plus légère. Et déjà, un autre cavalier arrivait au galop de l’autre côté, l’obligeant à affronter la mort sur deux côtés à la fois.

Constatant ce nouveau péril, Patrocle saisit vivement la lance de bataille accrochée à sa selle. Au lieu d’attaquer son flanc sans protection, le nouveau venu découvrit trop tard – comme tant d’autres avant lui – que Patrocle était capable de se servir de sa main droite avec presque autant d’habileté que de la gauche. Risquant tout sur un effort, il plongea la lance en un estoc effroyable que ni épée ni bouclier n’aurait pu détourner. L’assaillant fut jeté de son cheval, le torse enfoncé et sanglant.

La diversion momentanée faillit bien être fatale à Patrocle. Déséquilibré par son coup, il eut toutes les peines à dévier un estoc rapide de son autre adversaire. Déportée au dernier moment, la lame passa quand même sous sa garde pour percuter douloureusement son côté.

L’armure tint bon et arrêta le tranchant, mais le choc enfonça dans sa chair les maillons, coupants et meurtrissant. Il poussa un grondement de douleur et força implacablement l’autre à reculer. La garde du soldat céda sous l’effort, et Patrocle le désarma d’un coup de taille à l’épaule. Alors que l’égyptien essayait désespérément de lever son bras armé estropié, il plongea sa lame dans l’abdomen sans protection.

Précipitant sa monture par-dessus les morts, Patrocle récupéra sa lance et se tourna vers la bataille derrière lui.

Trois Egyptiens étaient tombés, dont l’homme blessé au cours de l’embuscade. Trois des cavaliers étaient encore vivants. L’un d’eux était engagé dans un duel sonore contre Dates, qui saignait de deux estafilades sans gravité au bras et à l’épaule opposés. Sous les yeux de Patrocle, Dates élimina l’homme d’un coup d’estoc qui lui plongea dans le cœur. Simisée était occupée avec un autre des cavaliers dans un duel félin, mais prenait lentement l’avantage. L’amazone luttait vaillamment contre le dernier cavalier en un combat indécis que conclut Dates en chargeant par derrière le soldat qui ne l’avait pas vu, et en le transperçant.

Dans une soudaine explosion d’énergie désespérée, le dernier survivant des repoussa Simisée en arrière sur sa selle, puis enfonça sa lame dans l’encolure du cheval de l’amazone. Trompetant de douleur, le cheval s’effondra, jetant Simisée lourdement au sol. Atterrissant à distance du corps du cheval qui battait des jambes, Simisée resta étendue, étourdie par l’impact. Elle tâtonna confusément en quête de son épée. Le soldat se précipita sur elle comme un dément, se pencha de sa selle pour asséner le coup qui allait la décapiter.

Le bras de Patrocle se détendit vers l’avant. Sa lance en sifflant enfonça le casque et le crâne pour planter son tranchant aiguisé comme un rasoir dans le torse de l’homme.

Recouvrant promptement ses esprits, Simisée se remit sur pied en titubant et attrapa la bride du cheval sans cavalier. L’épée à la main, elle sauta sur la selle éclaboussée de sang. « Nous sommes à égalité, à présent ?

— J’ai au moins un coup d’avance sur toi, grommela Patrocle en reprenant son souffle. Nous sommes encore quatre ? C’est mieux que nous ne méritions. Nous pouvons encore y arriver – si nous ne rencontrons plus d’obstacle. Filons d’ici… Simisée, laisse les oreilles de ce salopard tranquilles ! »

L’amazone abandonna à regret son trophée. Avec un martèlement de sabots, les vainqueurs disparurent dans les ténèbres tandis que la pluie commençait à tomber.

Poussant leurs montures exténuées à donner le plein de leurs ressources, ils galopèrent vers la piste qui menait à la crique. Les arbres défilaient de façon monotone dans le crachin, et le brouillard s’épaississait avec l’approche de l’aube. Il semblait impossible qu’ils ne manquassent pas le tournant.

Puis Dates s’écria : « Le voilà ! C’est là, juste devant ! »

Triomphalement, il pointa le doigt vers une sente presque indistincte qui s’éloignait de la route. « Nous sommes tirés d’affaire. » Il éclata de rire. Leur moral s’améliorant avec une issue enfin en vue, les fugitifs se ruèrent vers la piste.  

Avec soulagement, Dates distingua le navire qui attendait à quelques centaines de mètres de la plage.

Les fugitifs trouvèrent une barque. Avec une hâte frénétique, ils s’entassèrent pêle-mêle dans le canot et s’éloignèrent du bord.

À peine l’embarcation avait-elle passé la barre des vagues que la cavalerie égyptienne déboula des dunes sur la plage. Les montures libérées les avaient momentanément égarés, dans la nuit. Avec de puissants efforts, les rameurs mirent le cap sur le navire, les emportant hors de portée de la grêle de flèches et de malédictions qui les suivait depuis la berge. Les torrents de pluie servirent de couverture, et aucune flèche n’atteignit sa cible.

« Adieu, mes bons amis – et grand merci pour votre si courtoise hospitalité ! cria Dates avec un rire de dérision. Je reviendrai un jour vous en rembourser ! Par Ares il y aura de la monnaie à rendre »

Des cris de rage frustrée lui répondirent depuis la plage masquée de brume – en même temps que des éclaboussures maladroites, quand quelques téméraires tentèrent de les poursuivre à la nage. Mais le navire était prêt à appareiller, et les Egyptiens ne pouvaient les retenir.

Patrocle essuya ses longs cheveux noirs l’écume et les embruns. Il sourit à Simisée. « Eh bien, tu as décidé de nous accompagner, finalement. On dirait que le pragmatisme demeure ta religion.

— Les bons offices d’une amazone trouvent emploi en tout royaume », répondit Simisée en haussant les épaules avec philosophie.

  

 


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