Patrocle

Chapitre 23 : Politique et morale

2267 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/09/2023 11:18

Resplendissant dans sa robe blanche décorée de guirlandes en feuilles d’olivier, le devint Calchas arpentait l’aire des jeux, observant la course et la lutte, le pugilat et le lancer de javelot. Il avait toujours apprécié les jeux, vivant dans l’espoir bien futile qu’un jour de tels sports remplaceraient le besoin de violence et la guerre.

Il se rappela qu’il avait lui-même participé à ces jeux autrefois, et gagné le bâton d’argent. Il avait assommé le champion Ionien au bout d’une heure d’un furieux pugilat. Malheureusement, il se souvenait toujours de cet instant avec fierté, ce qui, il le savait, montrait à quel point il était encore loin d’avoir achevé sa quête de plénitude spirituelle.

Tandis que la foule réclamait du sang, le devin se surprit à contempler le gigantesque Colisée, une vraie merveille d’architecture : ses colonnes arboraient des statues d’anciens héros et de dieux, ses fauteuils étaient faits de marbre précieux et ornés d’épais coussins de velours vert.

Des serviteurs se déplaçaient inlassablement à travers la foule, portant des plateaux de rafraîchissements, de sucreries, de tartes, de gâteaux et autres gourmandises. Les gradins des nobles étaient ombragés par des draperies de soie, du même vert atroce, tandis que les nobles eux-mêmes étaient assis sur de splendides coussins rouges et se faisaient éventer par des esclaves. Calchas regarda Agamemnon assis à sa droite et remarqua qu’il ne prêtait aucune attention au roi Créon qui essayait de converser avec lui. Pelée pour sa part suivait des yeux le pugilat qui se déroulait sur le sabre doré de l’arène. Calchas enviait le souverain de Thessalie, quel père ne reverrait pas d’avoir un fils victorieux comme Achille, car c’était lui qui affrontait un imposant Thébain aux muscles gigantesques. Tout le monde avait parié contre Achille, car Daksos était réputé pour sa sauvagerie et son endurance. Achille avait beau être vif et rapide, tout le monde avait pensé qu’il avait enfin trouvé un adversaire à sa taille.

C’était mal connaître Achille.

Ce dernier n’avait fait qu’éviter les coups de Daksos, se baissant et déviant les attaques avec des feintes et des coups sur les côtés. Le Thebain était certes plus grand et plus imposant, mais Achille avait un excellent jeu de jambes, et jouait dessus avec aisance pour prolonger le combat. Ce n’est qu’après avoir compris que son adversaire commençait à fatiguer que le jeune prince sourit comme un loup.

Car c’était le bon moment ! Achille passa la garde de son adversaire et lui asséna une combinaison de coups en plein visage : trois directs du gauche, suivis d’un crochet du droit qui explosa au menton du Thébain. Ce dernier perdit l’équilibre et essaya tant bien que mal de se rattraper au vide – mais il s’écroula, face contre sable.

Un son pareil au grondement du tonnerre retentit dans l’arène bondée. Achille prit une grande inspiration et lança un puissant cri strident en se tapant la poitrine puis recula pour recevoir les vivat.

Derrière lui, deux Thébains se précipitèrent pour s’agenouiller auprès de leur champion. Des brancardiers suivirent et l’homme fut évacué de l’arène, encore inconscient. Pour la première fois Agamemnon fit un léger sourire et opina du chef.

— Bravo Pélée, que j’ai-je un fils aussi habille pour me rendre fier.

— Mon fils est un grand guerrier, certes. Mais sa fougue lui attire souvent les ennuis, comme quoi nul n’est parfait en ce bas monde.

Calchas choisit ce moment pour intervenir.

— J’ai entendu dire que vous l’avez fiancé à la fille de Lycomède, sir.

Le roi de Thessalie détestait profondément cet homme, mais il masqua ses sentiments le temps de lui répondre : 

— Oui et non, Achille a passé un pacte avec le vieux roi. Et il tiendra parole en épousant la princesse dans deux printemps.

Créon de Corinthe remarqua aussitôt la gêne du souverain, et comprit aussitôt que Calchas voulait humilier Pelée d’avantage.

— Comme vous l’avez dit, nul n’est parfait en ce bas monde, même un être à moitié divin, heureusement que nous vils mortels y réfléchirons a deux avant d’enseigner cela a nos enfants.

— Il suffit Calchas, déclare Agamemnon d’une voix puissante. N’oublie pas que tu parles à un roi, et un ami de surcroit.

— Je ne me sens pas offensé, dit Pelée en souriant à moitié. Le divin Calchas possède le mérite de dire ce qu’il a en tête, comme le font certains vils mortels, à la différence que lui réfléchit à deux avant de le faire.

— Pardonnez-moi si mes paroles étaient déplacées, dit Calchas aussi amusé que jamais.

Comment ne serait-il pas, puisqu’Agamemnon lui-même lui avait donné comme instruction de remettre parfois Pélée a sa place sans trop l’humilier. La victoire d’Achille avait agacé son souverain qui avait misé gros sur le champion Thébain.

C’est à ce moment que Créon choisit d’intervenir pour détendre l’atmosphère.

— On vient de m’informer que Diomède d’Argos avait perdu son combat.

Cette fois, le roi de Mycènes le regarda enfin. A son expression il devina sa surprise, tout comme l’était celle de Calchas et Pélée.

— Le puissant fils de Tydée ? Celui qui était destiné à affronter Achille en final ? s’écria Calchas ahuri.

— Ta prophétie était inexacte ! fit remarquer Agamemnon en le regardant avec des yeux terribles.

— De quelle prophétie ? s’enquit Pelée.

— De rien, assura Agamemnon en se tournant vers Créon. Qui est celui qui a battu Diomède ?

— Le prince Patrocle de Locride.

— Ah oui ! J’ai entendu parler de lui, l’Hoplite Sanglant de Qadesh, à ce qu’on dit c’était le dernier élève de Chiron.

— Il a remporté les courses et même les épreuves de lancer de javelots. Dit Créon en haussant les épaules. Un bon athlète je l’avoue, j’aurais dû parier sur lui contre le prince Diomède mais il a surpris tout le monde en gagnant le combat.

— Alors il perdra contre Achille, renchérit Calchas.

— Un constat ou une autre prophétie ? demande Créon en regardant le devin dans les yeux.

Ce dernier garda le silence, s’il y a une chose qu’il avait apprise au court de vie, c’est de ne jamais promettre une chose dont il n’était pas sûr. Agamemnon pour sa part se leva pour prendre congé, mais regarda le devin d’un air menaçant .

— Je vais me retirer, nous nous reverrons dans trois jours pour la finale. En espérant qu’Achille puisse nous donner un spectacle inoubliable.  

*

— J’ai bien cru qu’il allait t’avoir, Mon garçon. S’écria Dates en riant.

— Il s’en est fallu de peu, rétorqua Patrocle en crachant du sang. (Son visage était tuméfié et plusieurs de ses dents étaient sur le point de se déchausser.) En tout cas, il était costaud, je ne peux pas lui enlever ça.

Les deux hommes avaient quitté la deuxième arène qui se trouvait à l’autre bout de la ville, ils empruntèrent le tunnel et débouchèrent dans les premiers bains. À cette distance, le bruit de l’arène était étouffé. Une dizaine d’athlètes se détendaient dans trois bassins chauffés, en marbre. Simisée était aussi sur place, mais personne n’osait regarder le corps dénudé de l’amazone, car le dernier à avoir osé avait perdu toutes ses dents. Patrocle s’assit devant le premier. Des pétales de rose flottaient à la surface de l’eau et leur parfum emplissait la salle.

Patrocle retira sa tunique et se laissa glisser dans l’eau chaude. Cela soulagea ses muscles instantanément. Il nagea quelques minutes avant de sortir. Dates vint le rejoindre.

— Va t’allonger quelque part, je vais te masser un peu, ça fera partir la douleur, lui dit-il.

Patrocle se dirigea vers une table de massage et s’allongea sur le ventre. Dates se versa de l’huile sur les mains et, de façon experte, se mit à travailler les muscles en haut du dos de Patrocle.

Simisée vint s’asseoir à côté d’eux, tout en essuyant ses cheveux noirs avec une grande serviette qu’elle passa enfin autour de ses épaules.

— As-tu regardé le combat d’hier ? demanda-t-elle à Patrocle.

— Oui.

— Le Thessalien, Achille, est redoutable. Rapide. Un menton solide. Sans compter une main droite qui s’abat avec la force d’un marteau. Ça n’a pas dû durer plus de vingt secondes. Je n’ai jamais rien vu de tel, Patrocle. L’Athénien n’a pas eu le temps de voir ce qui lui arrivait.

— C’est ce que j’ai vu.

Patrocle poussa un grognement. Les doigts de Dates travaillaient en profondeur les muscles endoloris de son cou.

— Tu l’auras quand même, fiston. Qu’importe qu’il soit plus fort, plus rapide, et même plus beau ?

— Ta confiance m’inspire, dit Patrocle en soupirant.

— Et en meilleure forme, surenchérit Dates. On dit qu’il court un demis stade dans la montagne chaque jour.

Patrocle le foudroya du regard et Dates se crispa, il avait oublié que son ami n’aimait pas le Thessalien, mais ignorait la raison.

— Tes mains sont salement meurtries. Intervint Simisée. Si j’étais toi, ce soir, je les tremperais dans de l’eau froide.

— Il me reste encore trois jours avant la finale. Je serai guéri d’ici là. Comment s’est passée ta course ?

— J’ai fini deuxième – et de ce fait je participerai à la finale. Mais je ne terminerai pas dans les trois premiers. La coureuse Thrace est bien meilleur que moi, comme L’arcadienne et la macédonienne. Je ne pourrai pas égaler leur vitesse en fin de course.

— Tu risques de te surprendre toi-même, dit Patrocle.

— Nous ne sommes pas tous comme toi, fiston, fit observer Dates. J’ai toujours du mal à croire que tu as pu participer à ces Jeux sans t’être entraîné plus longuement, et arriver en plus à la finale. Tu es vraiment une légende. (Il sourit.) Un peu lente – mais une légende quand même, ajouta-t-il.

Patrocle gloussa.

— J’ai failli me faire avoir, vieux hiboux. J’ai cru un instant que tu avais du respect pour moi.

Patrocle s’allongea sur le dos et ferma les yeux.

— As-tu vu les rois ? S’enquit ce dernier sans ouvrir les yeux.

— Nestor, ainsi que le roi Tyndare de Sparte. J’étais assis près du balcon royal pendant que tu t’amusais avec le prince d’Argos. Mais tout ce que j’ai vu c’est le dos de ses gardes. On dit que sa fille est la plus belle femme du monde.

— Comment ça je m’amusais ? C’était un sacré costaud et je sens toujours le poids de ses coups.

Dates gloussa.

— Eh bien, sache que tu es coté à neuf contre un. Tout le monde parie sur Achille, et il y a même une prophétie qui annonce ta défaite. Ajoute Simisée en ignorant le regard furibond de Dates.

— Quelle prophétie ?

Dates poussa un soupire et Simisée ajouta avec désinvolture.

— Quelque chose comme quoi tu perdrais la finale. Enfin, rien de quoi s’inquiéter. Et puis tu pourras lui demander toi-même. Il t’a invité chez lui ce soir.

— Achille m’invite chez lui ? s’écria Patrocle surpris.

— Je te conseille d’y aller, poursuivit l’amazone en se levant pour prendre congé. Tu t’y feras ta propre idée.

— Elle a raison fiston, il est certes arrogant mais ce n’est pas quelqu’un qui frappe dans le dos, il combat toujours ses adversaire de face.

— Oh oui, grogna Patrocle. Je sens que je l’aime déjà.  

Simisée et Dates s’en allèrent pour rejoindre un serviteur qui proposait un pichet d’eau. En les voyant approcher, l’homme remplit deux gobelets. Dates vida le sien et accepta un deuxième verre tandis que Simisée buvait le sien lentement.

— Pourquoi tu lui as parlé de la prophétie ? fit Dates nerveusement.

— Il l’aurait appris de toute façon.

— Que fera-t-il, d’après toi ? S’enquit le spartiate.

Simisée haussa les épaules.

— Tel que je le connais, Il s’en fichera, et fera tout pour gagner.

— Mais il est obligé ! Insista Dates. Calchas est le devin d’Agamemnon et ce dernier aura misé sur Achille.

Simisée secoua la tête tristement.

— Tu le connais Dates. Le prince Diomède aurait dû gagner – et pourtant il a perdu. Patrocle combat toujours le mauvais sort et cela depuis tout petit, et je ne crois pas que la politique le tracasse plus que ça.

— Je te parie vingt pièces d’or que tu te trompes.

— Je ne relèverai pas ce pari, Dates. Parce que, tu vois, j’espère pour nous que tu as raison.

 


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