Patrocle

Chapitre 38 : Les Murmures de la Bataille

7067 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/02/2024 12:39

« C’est le plus grand ramassis de bon à rien que j’ai eu à entrainer », s’écria Halirrhotios alors que Autoclos et lui pénétraient dans l’andron où Patrocle les attendait.

Les cinq divans étaient disposés en cercle autour d’une estrade couverte d’une mosaïque représentant la déesse Artémis transformant en cerf le chasseur Actéon. Halirrhotios s’assit.

— Ils sont nombreux, mais si peu talentueux, commenta-t-il. Ôtant son casque, il le posa par terre et s’allongea sur le côté.

Un serviteur emplit deux coupes de vin, qu’il tendit aux officiers.

— Il faudrait des mois, renchérit Autoclos. Et encore…

Patrocle se força à sourire.

« Vous leur en demandez trop, dit-il à ses subalternes. Ce n’est que le premier jour. Pour ma part, je suis satisfait des progrès qu’ils ont effectués. Les archers ont l’air prometteurs et j’ai été favorablement impressionné par l’officier responsable de leur entraînement… Stéllios ? C’est un très bon élément. Et les choses iront mieux demain.

— Il le faudra bien, répondit Autoclos. Nos éclaireurs rapportent que Cotys se rapproche de Mycènes.

— Autoclos ! déclara Patrocle, tu auras la charge de la défense de la cité. Les adolescents et les vétérans les plus âgés seront sous tes ordres. Je veux que toutes les artères soient barricadées, à l’exception de la rue du Départ et de l’avenue de Demeter.

— Mais elles mènent toutes deux au hall des Lions, protesta l’officier. Les cavaliers Thraces n’auront qu’à les emprunter pour se retrouver au cœur de la cité.

— Et c’est exactement là que je les veux, lui expliqua Patrocle. Qu’ils viennent, et ils périront par centaines.

Les préparatifs se poursuivirent jusque tard dans la nuit. La lune était déjà haute dans le ciel mais, malgré la fatigue qu’il ressentait, le général se savait incapable de dormir.

Des doutes l’assaillaient.

Il revit les esclaves qui se heurtaient les uns aux autres en essayant d’obéir aux ordres lancés par leurs officiers. Trois hommes s’étaient blessés au cours de l’après-midi. Le premier s’était empalé sur son épée après avoir trébuché ; partant du mauvais côté, le deuxième était entré en collision avec un de ses compagnons et s’était cassé la jambe en tombant ; enfin, le troisième avait reçu une flèche perdue dans l’épaule. Voilà qui n’annonçait rien de bon pour la nouvelle armée de Mycènes.

Concentre-toi sur ce dont tu disposes.

Les paroles de Chiron s’imposèrent dans son esprit, et Patrocle repensa aux leçons de son mentor.

Si tu es moins fort que ton ennemi, sois continuellement sur tes gardes, la plus petite faute serait de la dernière conséquence pour toi. Tâche de te mettre à l’abri, et évite autant que tu peux d’en venir aux mains avec lui ; la prudence et la fermeté d’un petit nombre de gens peuvent venir à bout de lasser et de dompter même une nombreuse armée. Ainsi tu es à la fois capable de te protéger et de remporter une victoire complète.

Le lendemain, à l'aube sur Mycènes, Patrocle s'arma de son équipement de Myrmidon. Son regard scrutait le xipho, une arme tranchante qui l'avait accompagné lors du siège de Thèbes. La lame, façonnée en une forme de feuille, offrait la possibilité d'une utilisation en mouvement, au-dessus du bouclier. Sa garde, discrète mais efficace, permettait de parer les attaques d'une épée similaire. Il la fit tournoyer habilement avant de la ranger à sa ceinture.

Ensuite, il leva son bouclier, où l'image d'une fourmi était soigneusement dessinée. Cette idée ingénieuse provenait d'Achille, conceptualisée après les premiers entraînements de Patrocle avec les troupes. L'image de la fourmi symbolisait la cohésion et la discipline des guerriers Myrmidons sur le champ de bataille.

Il fit quelques pas, ressentant le poids familier de son équipement de guerre. Les bruits de la ville en préparation pour la bataille résonnaient autour de lui. Les esclaves et les volontaires se hâtaient pour rejoindre leurs positions, leurs visages empreints d'une tension mêlée de détermination.

Autoclos s'approcha, ajustant son casque, et Halirrhotios le suivit, l'air grave.

— Patrocle, nous sommes prêts, annonça Autoclos.

Patrocle hocha la tête.

— Que les dieux nous soient favorables. Rappelez-vous, la clé est la discipline. Restons unis, et nous surmonterons cette épreuve.

Les trois officiers se dirigèrent vers le point stratégique, prêts à diriger les troupes. La tension dans l'air était palpable, mais Patrocle se sentait résolu. Les enseignements de Chiron et les leçons acquises au fil des batailles résonnaient en lui.

La porte nord de la cité s'ouvrit, révélant la plaine où Cotys et ses cavaliers thraces approchaient. La poussière soulevée par leurs montures se dessinait à l'horizon.

Les archers étaient en position, les guerriers au sol formaient une ligne disciplinée, et Autoclos attendait, prêt à attirer les cavaliers ennemis dans le piège soigneusement préparé.

La bataille imminente pesait sur les épaules de Patrocle, mais il savait que c'était là qu'il devait se tenir. Mycènes était prête à résister, et lui, en tant que général, était prêt à conduire ses troupes avec l'honneur et la détermination d'un Myrmidon.

Les premiers rayons du soleil perçaient à l'horizon, éclairant la cité qui allait être mise à l'épreuve. La bataille commençait.

Assis sur son destrier, le roi Cotys observait l’armée mycénienne en face de lui. À ses côtés se trouvait Ulysse d’Ithaque, portant une simple armure de cuir, mais aucun casque. Ses armes étaient un simple glaive et un grand arc accroché sur son dos. Ulysse scrutait l'horizon, son regard soucieux, comme s'il cherchait quelque chose ou quelqu'un. Le thrace renifla, et Ulysse le regarda enfin.

— Regarde-les, lança-t-il en faisant un geste de la main. Moins nombreux que nous, mais tout aussi stupides que leur roi.

— Sauf que ce n’est pas quelqu’un de stupide que nous avons devant nous, répliqua Ulysse d’une voix sombre. Aussi, je te demande la plus extrême prudence.

— Aussi intelligent soit-il, répliqua Cotys froidement. Nous sommes deux fois plus nombreux que lui.

Après ces paroles, il remonta ses lignes au galop, appelant prêtres et généraux. Les soldats levèrent leurs lances à la verticale sur son passage, mais leurs yeux ne quittaient pas l’ennemi, distant de quelque huit cents pas.

Le roi des Thraces tira brusquement sur les rênes et se tourna vers le sud. La ligne de bataille adverse se présentait telle qu’il l’avait imaginée : les Mycéniens, au casque de bronze et à la cape noire, tenaient la position basse entre deux collines, tandis que les esclaves, séparés en deux groupes, les flanquaient de chaque côté. Archers et lanceurs de javelots avaient été disposés en retrait de la phalange centrale.

— Combien sont-ils ? voulut-il savoir.

Un officier à cheval s’approcha de lui.

— Cinq mille Mycéniens, sire, et environ autant d’esclaves. Le nombre d’archers est plus difficile à estimer. Un millier, peut-être.

Cotys n’avait pas besoin de considérer ses troupes pour les recenser. Forte de six mille hommes reconnaissables à leur armure noire, la Garde se tenait juste en dessous de lui, sur vingt rangs de trois cents boucliers. On appelait ces soldats les Hérauts de l’Olympe, car leurs cris de guerre roulaient comme le tonnerre et leurs épées étaient plus meurtrières que les éclairs de Zeus.

Sur la gauche, ils étaient soutenus par l’armée régulière, comprenant dix mille Thraces surentraînés dont le casque et la cuirasse de fer poli brillaient comme de l’argent.

Le flanc droit était défendu par cinq mille mercenaires venus de Thessalie et d’Illyrie. Leurs capes affichaient de multiples couleurs, et même si leur discipline laissait à désirer, ils montraient une soif de sang et de batailles qui ne pouvait que ravir le roi. Derrière eux se trouvait la cavalerie, qui réunissait sept mille hommes supplémentaires, pour la plupart des Épirotes. Vingt-huit mille soldats aguerris contre cinq mille Mycéniens et une bande d’esclaves et de vieillards équipés à la hâte.

— Sa tactique est tellement évidente que c’en est risible, commenta dédaigneusement Cotys. Il nous invite à attaquer son centre. C’est pour cette raison que les Mycéniens ont choisi la position la plus vulnérable.

— Mais si nous les repoussons, les esclaves s’enfuiront et la victoire sera à nous, seigneur, intervint l’un de ses subalternes. Il nous faut nous concentrer sur les Mycéniens.

Cette fois Ulysse intervint vivement.

— Les attaquer de front revient à jeter de l’eau contre un mur. Ce sont de bons soldats qui ne craquent presque jamais. Non. C’est exactement ce que souhaite Patrocle, une charge massive contre laquelle ses soldats pourront résister pied à pied et miner notre moral. Et quand l’on se retrouve à la tête d’une armée découragée, la supériorité numérique ne veut plus dire grand-chose.

— Que pense-t-il, sire ? demanda un des officiers nerveusement.

— Je l’ignore, et je m’en moque. Ordonnez aux Illyriens de contourner l’ennemi et d’aller frapper Mycènes. Voyons comment ils réagiront en comprenant que leur résistance est futile. Faites ensuite avancer l’armée régulière et les mercenaires tout droit, comme si nous avions l’intention d’attaquer les Mycéniens. À cinquante pas, sonnez la charge. Que les mercenaires bifurquent vers la droite, et deux régiments de l’armée régulière vers la gauche. Prenez les collines et dispersez les esclaves. Cela fait, nos soldats poursuivront leur mouvement tournant pour prendre les Mycéniens à revers, tandis que les mercenaires les attaqueront depuis le sommet de la colline. À ce moment, j’ordonnerai à la Garde d’avancer, et nous les tiendrons comme dans une nasse. Mais rappelez-vous que je veux Patrocle vivant.

— Oui, sire.

Le roi se tourna vers Ulysse.

— Moi aussi, je sais commander une armée, et j’ai fait des guerres depuis quarante ans, et ce n’est pas un gamin qui va venir me surprendre avec des tours de passe-passe, allons Ulysse ! Cesse de faire cette tête. Bientôt, tu auras ta part des trésors d’Agamemnon, et nous dînerons ce soir dans le hall des Lions, toi et moi.

Les tambours thraces se mirent à battre la cadence, et la musique rythmée s’éleva au-dessus du champ de bataille tel le pouls d’un monstre de légende. Patrocle perçut clairement la terreur des esclaves qui l’entouraient, il les vit s’essuyer le front ou s’humecter les lèvres.

« Vous êtes des braves, leur dit-il d’une voix assurée, et je suis fier de me trouver ici avec vous. » Les plus proches eurent un sourire nerveux. « Ne vous laissez pas influencer par ce bruit. Songez qu'il est émis par des baguettes de bois frappant de la peau tendue, et que les adversaires que nous nous préparons à affronter sont des hommes tels que nous. Ils n’ont rien de spécial, et ils finiront bien par mourir un jour, comme nous tous. »

L’ennemi se mit en marche. L’armée régulière et les mercenaires imbriquèrent leurs boucliers et avancèrent vers le centre mycénien en suivant la cadence des tambours.

Cinq régiments approchaient, soit quelque quinze mille hommes. Un nuage de poussière s’éleva sur la gauche et il vit que la cavalerie thrace s’élançait pour les contourner.

— Stellios ! appela Patrocle, et un jeune archer leva aussitôt la main. Déploie tes hommes, au cas où les thraces reviendraient nous attaquer par l’arrière.

L’homme salua et Patrocle reporta son attention sur l’infanterie. Jusque-là, tout se déroulait exactement comme il l’avait prévu : la cavalerie effectuait un large mouvement tournant pour attaquer la cité, si tout se passait bien tandis que l’infanterie avait pour tâche de nettoyer le terrain.

Soudain, les Thraces se séparèrent en deux groupes qui s’élancèrent à l’assaut des collines. Leurs cris de guerre résonnèrent tel un mur de son et le bruit de leurs pas noya celui des tambours.

Cotys observait la bataille depuis le premier rang de la Garde. Écœuré, il avait vu les esclaves adverses se mettre en formation – qui lâchant son bouclier, qui heurtant son camarade – et l’excitation qu’il ressentait habituellement était aujourd’hui absente. Les combats lui procuraient généralement une joie sauvage, mais celui-ci promettait d’être d’un ennui mortel. Les esclaves allaient sans doute s’enfuir avant même que son armée régulière ne puisse porter le premier coup.

Et ensuite, l’affrontement tournerait au carnage…

S’intéressant aux mycéniens à cape noire, il les vit passer d’une position offensive, large de deux cent cinquante boucliers, à une autre plus défensive, large de cinq cents. Leurs lances levées tombèrent à l’horizontale avec un ensemble parfait et Cotys ne put qu’apprécier leur discipline. Ça, c’étaient des guerriers ! C’était comme s’il combattait des spartiates, et ces mycéniens faisaient honneur à leurs réputations.

Les Thraces se mirent à courir en se scindant en deux groupes. Le Roi Cotys sourit et plissa les paupières pour mieux apprécier la terreur des esclaves au travers de la poussière. Flèches et javelots s’élevèrent au-dessus des mycéniens, tuant plusieurs dizaines de thraces.

Mais, désormais lancée, la charge était irrésistible.

L’excitation du combat revint et les mains de Cotys se mirent à trembler. À gauche, les esclaves craquaient avant même de se retrouver au combat.

Mais… non, ils ne craquaient pas !

Ils changeaient de formation !

Le roi ne put en croire ses yeux. Les esclaves ennemis venaient de souder leurs boucliers à la manière de la phalange Spartiate, et maintenant ils avançaient au pas. Dans leur précipitation, les Thraces s’étaient élancés pêle-mêle, assurés qu’ils étaient de balayer les pitoyables adversaires qui leur étaient proposés. Tout souci de formation avait été oublié pour laisser la place à une horde assoiffée de sang.

Inquiet, Cotys se tourna vers la droite. Là aussi, les esclaves avançaient en ordre impeccable, à la rencontre de l’ennemi.

C’est de la démence, songea-t-il. Mais les prémices de la peur commencèrent à se faire jour en lui.

Quelque chose n’allait pas.

Comment de simples esclaves pourraient-ils résister à un assaut frontal ? 

Ulysse de son côté, fit avancer son destrier et plissa les yeux pour voir le lieu de l’affrontementde plus près.

Les premiers Thraces arrivèrent au contact… pour se faire massacrer avec une aisance déconcertante par des ennemis dont les boucliers joints se dressaient telle une muraille infranchissable.

Ulysse observa les hoplites mycéniens. Ils restaient rigoureusement immobiles, sans faire le moindre geste pour soutenir les esclaves qui se battaient sur leurs flancs.

L’élan de la charge s’était brisé et de nombreux cadavres de thraces jonchaient déjà le champ de bataille. Les esclaves poursuivirent leur progression, frappant avec une régularité de métronome, l’épée ruisselante de sang. Leurs adversaires tentèrent de se reformer, mais ils ne leur en laissèrent pas le temps.

Cotys regarda ses hommes se faire exterminer et une grande confusion l’envahit soudain.

— Espèce de sombre idiot ! lui cria Ulysse. Ne vois-tu pas ce qui est en train de se produire ?

— Laisse-moi tranquille ! hurla-t-il.

— Patrocle t’a berné comme un débutant. Ceux que tu prenais pour des esclaves sont en fait les mycéniens. Ses hommes ont échangé leurs capes et leurs casques. Tu viens d’attaquer en formation dispersée les meilleurs soldats de Grèce.

— Que puis-je faire ?

— Il reste encore une chance. Lance la Garde contre le centre adverse.

— En quoi cela nous aidera-t-il ?

— Les mycéniens n’auront d’autre choix que de stopper leur attaque et cela nous laissera le temps de nous réorganiser. Fais-le maintenant, ou tout est perdu !

Reprenant conscience de ses actes, Cotys dégaina son épée.

« En avant ! » cria-t-il.

Et six mille soldats d’élite au regard dur, l’orgueil de la Thrace, tirèrent leur épée et se mirent en marche vers les esclaves entourant Patrocle.

Pendant ce temps à Mycènes, la reine Clytemnestre observait depuis le toit d’un bâtiment la cavalerie Thrace pénétrer dans la cité. De la position où elle se trouvait, la rue du Départ lui était révélée dans son intégralité. À gauche se dressait l’agora, aux issues bloquées par des étals renversés. Et, loin à droite, elle apercevait la plaine et le nuage de poussière annonçant l’arrivée de l’ennemi. Elle portait un chiton bleu qui lui arrivait aux cuisses, chaussée de sandales de cuir qui lui entouraient les chevilles. Ses cheveux de feu retenus par une fine lanière, elle ressemblait à une amazone avec son grand arc. Bien qu’elle n'ait pas prévenu Patrocle de son initiative, elle avait entraîné les servantes au maniement de l’arc et avait même rassemblé toutes les femmes ou jeunes filles qui savaient manier cette arme.

D’un signe de la main, elle appela sa servante personnelle. Zosime était une jeune cadméenne né a son service. Elle porta sa corne de bouc incurvée à sa bouche et souffla dedans avec force. Le son résonna dans toute la cité. Clytemnestre fit rapidement le tour des toits ; les femmes dissimulées signalèrent brièvement leur présence en levant le bras.

Clytemnestre s’agenouilla devant le petit rempart. Patrocle devait en ce moment combattre en première ligne, et elle fera tout pour protéger ses arrières, quitte à donner sa propre vie, ses enfants étaient en sécurité, elle pouvait donc tuer du Thraces sans s’inquiéter pour eux. Mais une autre peur déchirer son dos, son amour donnait sa vie pour elle et sa cité, et l’idée de le perdre lui était insupportable. Était-elle condamnée à perdre les hommes qu’elle rencontrait ? Tantale, Agamemnon et maintenant Patrocle ? La perte des deux premiers ne l’avait pas tant affligé, mais Patrocle c’était différent, il était l’amant, le complice, l’ami, l’égal, et un homme bon contrairement de ses deux anciens maris, elle priait la douce Héra de toute ses forces de ne pas lui prendre celui-ci, pas cet homme, pas après tant de déceptions et de trahison.

Secouant la tête comme pour chasser ces pensées, elle récapitula une nouvelle fois la tactique prévue, en se demandant si elle présentait des failles que les Thraces pourraient éventuellement exploiter. Elle avait fait bloquer toutes les artères, à l’exception de l’avenue de Demeter et de la rue du Départ, qui lui était parallèle. Toutes deux menaient à la place du marché, mais les multiples ruelles permettant de quitter cette dernière avaient elles aussi été condamnées à l’aide de meubles pris dans les plus proches habitations. Clytemnestre fit un rapide tour d’horizon des chefs d’unité qu’Autoclos avait sélectionnés. Le manque de compétence de certains l’inquiétait, d’autres lui faisaient franchement peur, mais elle n’avait pas eu le choix. Les meilleurs éléments avaient suivi Patrocle, et il ne servait à rien de se ronger les sangs en pensant à ceux qui restaient pour défendre la cité.

L’ennemi approchait rapidement et Clytemnestre distingua les premiers reflets du soleil sur les casques et les fers de lances. Plusieurs milliers de cavaliers arrivaient au galop et la reine fut soudain prise d’un doute affreux. Pourraient-ils stopper une telle horde ?

« Oh Athéna, prête-moi la force nécessaire, pria-t-elle avant de se tourner vers Zosime. Baisse-toi, petite, et tiens-toi prête. »

Les cavaliers thraces s'approchaient, soulevant un nuage de poussière qui obscurcissait le paysage. Clytemnestre sentait le poids des responsabilités peser sur ses épaules alors que la tension montait. Elle jeta un dernier regard à Zosime, cherchant à masquer son inquiétude derrière une expression déterminée.

Les défenses mises en place semblaient solides, mais l'ampleur de l'armée ennemie était intimidante. La rue du Départ était l'artère principale par laquelle les Thraces allaient probablement attaquer. Clytemnestre espérait que les pièges et les barricades seraient suffisants pour ralentir leur progression.

« Que les dieux guident nos flèches et fortifient nos défenses », murmura-t-elle pour elle-même, cherchant un réconfort dans ces paroles.

Les premières notes du tumulte de la bataille parvinrent à ses oreilles, les clameurs lointaines de l'affrontement. Elle prit une profonde inspiration, sentant le regard de Zosime sur elle. La petite fille se tenait prête, comprenant l'importance de ce moment.

Clytemnestre resserra sa prise sur son arc, se préparant mentalement à l'assaut imminent. Elle se tourna vers les soldats qui attendaient ses ordres, consciente que chaque décision qu'elle prendrait aurait des conséquences sur le sort de la cité. La guerre était là, et elle devait être à la hauteur de son rôle de reine pour protéger les siens.

Les hommes de Cotys ne cessaient d’approcher, leur cape flottant au vent. La plupart d’entre eux étaient des épirotes armés d’épées ou de lances et qui ne portaient qu’une armure minimale, comptant sur la rapidité de leur monture et sur le petit bouclier qu’ils maintenaient ficelé à l’avant-bras gauche pour se protéger. Clytemnestre attendit que les premiers atteignent le bout de la rue du Départ.

« Maintenant », murmura-t-elle en voyant la longue colonne étirée sous ses yeux.

Clytemnestre observa le carnage qui se déroulait sous ses yeux sans la moindre passion. Son regard imperturbable scrutait la scène, chaque détail du champ de bataille réfléchissant l'intensité de la guerre. Les cris des mourants résonnaient au-dessus de la cité, mais la reine se maintenait stoïque, concentrée sur la défense de son peuple.

La colonne thrace, initialement étirée dans toute sa splendeur, se réduisit rapidement sous le déluge de flèches. Les chevaux s'effondrèrent par centaines, précipitant leurs cavaliers au sol dans une cacophonie de désarroi. Les capes blanches se teintèrent de rouge dans une danse macabre, et Clytemnestre, imperturbable, détourna son regard de cette tragédie pour se tourner vers l'agora.

Les Thraces qui avaient réussi à atteindre la place furent accueillis par une grêle de projectiles, une défense coordonnée orchestrée par les mycéniennes postées sur les toits. Les esclaves en armes escaladèrent vaillamment les barricades, se jetant avec fureur sur les cavaliers démoralisés. Les rues de Mycènes se transformèrent en un champ de bataille chaotique, chaque recoin résonnant des bruits de la lutte acharnée.

Les soldats de Cotys tentèrent désespérément d'échapper à la nasse mortelle qui s'était refermée sur eux. L'unique issue se trouvait à l'autre extrémité de la rue, désormais jonchée de cadavres. L'hécatombe se poursuivit, laissant derrière elle un tableau de destruction, de bravoure et de sacrifice. Clytemnestre demeurait là, au cœur de la tempête, gardienne imperturbable de la cité sous l'assaut thrace.

Elle encochait flèche sur flèche, abattant quiconque avait le malheur de croiser son champ de vision. Son adresse mortelle était une force implacable contre l'envahisseur thrace. D'un geste assuré, elle tira ensuite en direction des fuyards, les autres femmes l'imitant dans cette danse mortelle.

Le combat semblait s'étirer dans le temps, chaque seconde pesant comme une éternité. Clytemnestre, immergée dans le chaos de la bataille, jeta un regard rapide pour chercher sa servante. Son cœur se serra d'angoisse lorsqu'elle la trouva étendue sur le sol, une flèche cruelle en plein œil. La brutalité de la guerre se révélait sans pitié, même pour ceux qui luttaient avec elle.

 

*

Malgré la tuerie qui se poursuivait autour de lui, Patrocle se sentait détaché du combat immédiat, seule l’intéressait l’évolution globale de la bataille. Les thraces venaient d’essuyer un terrible revers et leurs mercenaires, abattus par centaines, étaient tout près de paniquer. Certains avaient d’ailleurs commencé à fuir. L’armée régulière continuait de se battre pied à pied malgré les pertes terribles qu’elle avait subies, même si les soldats mycéniens déguisés en esclaves la repoussaient lentement mais sûrement.

La bataille pouvait basculer à tout moment en faveur d’un camp ou de l’autre. Le général se tourna vers la droite, où Halirrhotios conduisait l’assaut. Les hoplites avaient constitué une ligne large de deux cents boucliers, qui forçait l’ennemi à reculer vers le centre. Sur la gauche, la progression d’Autoclos avait été stoppée et les cadavres jonchaient déjà le champ de bataille par milliers.

La poussière empêchait de distinguer clairement ce que faisait la Garde d’Elite de Cotys, jusqu’alors conservée en réserve. Patrocle cligna des yeux à plusieurs reprises et plissa les paupières.

Cotys avait décidé de lancer ses soldats d’élite.

Patrocle sentit un frisson de crainte remonter le long de son échine. La Garde du roi thrace était constituée des meilleurs combattants de son royaume. Et l’on ne comptait plus les affrontements qu’elle avait remportés. La phalange avançait en ordre serré, sur vingt rangs ou plus. Et sa vitesse était telle qu’une ligne statique n’aurait aucune chance de la stopper.

Patrocle jura dans sa barbe. Si ses hommes étaient vraiment des guerriers professionnels, il aurait donné le signal d’avancer pour affronter l’ennemi de face. Mais il ne pouvait espérer que des esclaves sans expérience viennent à bout de la Garde de Cotys au corps à corps.

Et pourtant, il n’avait pas le choix. Si sa formation restait statique, elle serait irrémédiablement balayée. Il ne lui restait qu’une seule option.

Attaquer.

Bizarrement, cette prise de conscience chassa son inquiétude, et il sentit enfler en lui une soif de bataille telle qu’il n’en avait jamais ressenti.

« Formation d’attaque ! » ordonna-t-il.

Les esclaves n’avaient appris que deux manœuvres au cours de leur entraînement accéléré, et celle-ci en faisait partie ; ils passèrent rapidement d’une ligne étirée en une unité plus compacte.

« Tambour, à la cadence ! Mesure à trois temps ! »

Derrière les lignes, les dix musiciens donnèrent le rythme.

Patrocle se plaça au troisième rang alors que ses hommes avançaient vers l’ennemi. Ceux du premier rang étaient armés d’épées et de boucliers, tandis que ceux du second maniaient de longues lances à pointe en fer. À proximité de l’adversaire, ces armes étaient abaissées et les hommes du premier rang rengainaient leurs épées pour les tenir tandis que leurs compagnons les plongeaient dans la formation rivale.

Contre une unité indisciplinée, une telle tactique s’avérait souvent décisive. Mais, dans le cas contraire, les ennemis bloqueraient les longues lances à l’aide de leurs boucliers, et l’on en viendrait alors au corps à corps traditionnel. Les deux phalanges se heurteraient de plein fouet, tels deux taureaux furieux s’affrontant à coups de cornes.

« Abaissez les lances ! » s’écria Patrocle.

La manœuvre s’effectua avec une certaine confusion, mais la poussière était suffisamment épaisse pour empêcher les Thraces de constater le peu d’expérience de leurs opposants.

« Tambours ! Mesure à quatre temps ! »

Aussitôt, le rythme s’accéléra, comme s’il devenait plus rageur.

L’ennemi était là.

Les Thraces n’avançaient pas aussi rapidement qu’il l’avait cru. En fait, ils semblaient hésitants et leur ligne s’incurvait ; très étirée sur les côtés, elle prenait manifestement une forme concave au centre. Patrocle se demanda un instant ce qui se passait, puis il comprit.

Les hommes de Cotys avaient peur ! Ils venaient de voir ce qu’ils prenaient pour des esclaves pulvériser l’armée régulière, et ils se retrouvaient maintenant face à ce qu’ils croyaient être les meilleurs soldats au monde. Les Thraces situés au centre du premier rang ralentissaient instinctivement l’allure pour retarder le moment fatidique. En conséquence, la phalange se retrouvait compressée et l’espace dont chacun avait besoin pour combattre disparaissait peu à peu.

« Tambours ! Mesure à cinq temps ! ordonna le général de Mycènes. Préparez les lances ! »

Les Thraces se trouvaient presque à l’arrêt lorsque la collision se produisit. Les lanciers se jetèrent sauvagement en avant et leurs armes transpercèrent la défense adverse.

Comprimés comme ils l’étaient, les soldats de Cotys furent incapables de les dévier à l’aide de leurs boucliers et les longues pointes en fer causèrent des ravages dans leurs rangs.

« Retirez les lances ! »

Les armes furent arrachées avec violence, rouges de sang, pour revenir plus fort encore. La ligne ennemie sembla comme prise d’un spasme et plusieurs Thraces s’effondrèrent, mortellement blessés. Mais ils ne rompirent pas.

Encore et encore, les lances frappèrent, mais la Garde de Cotys se reprit et commença à se défendre. Les esclaves du premier rang dégainèrent leur épée et l’on en vint au corps à corps. La progression des mycéniens cessa aussitôt.

Bien vite, des brèches apparurent dans la première ligne. Patrocle en colmata une à lui seul, tailladant le visage du Thrace qui tentait de la mettre à profit.

« Resserrez les rangs, mes frères ! » s’exclama-t-il.

Sa voix forte eut un effet instantané. Retrouvant leur discipline, les esclaves comblèrent les trous qu’ils avaient laissé se former.

Plus personne n’avançait et les deux unités ennemies se trouvaient désormais tassées l’une contre l’autre.

Patrocle regarda autour de lui. Partout, les esclaves tenaient, et la fierté qu’il éprouvait à l’idée de se trouver à leur tête augmenta encore. Puis la réalité de la situation lui fit l’effet d’une douche froide. Les Thraces étaient encore hésitants, mais ils se rendraient bientôt compte du manque d’expérience de leurs adversaires. Alors, ils recommenceraient à pousser vers l’avant.

« Les six derniers rangs, en formation large ! »

Personne ne bougea et les esclaves se regardèrent sans comprendre. Cette instruction leur était inconnue. Patrocle se retint de jurer.

« Les six derniers rangs, avec moi ! clama-t-il en tendant le doigt sur le côté. Reformez-vous et attaquez par la droite ! »

Les hommes s’élancèrent au pas de course, suivant l’armure dorée de leur général Myrmidon.

« Formation défensive large ! »

Les esclaves se regroupèrent sur trois rangs de deux cents boucliers chacun. Patrocle tira son épée, souleva son bouclier et les conduisit au combat sur le flanc des Thraces. La cadence des tambours avait disparu et la poussière était désormais étouffante.

Les soldats de Cotys les aperçurent au tout dernier moment. Ils tentèrent de se tourner pour faire face à cette nouvelle menace.

Patrocle savait que ses esclaves ne pourraient transpercer les rangs adverses, mais il espérait que ce second assaut ralentirait l’ennemi en le forçant à combattre sur deux fronts différents.

Une lame siffla en direction de son visage. Il la détourna à l’aide de son bouclier et contre-attaqua, mais son assaut fut bloqué à son tour. Mettant un genou à terre, il frappa sous le bouclier du Thrace, traversant le ptérux pour atteindre le bas-ventre. Dégageant son arme sans perdre une seconde, il se releva pour parer un nouveau coup.

Autour de lui, les esclaves continuaient de pousser. Mais les Thraces les contenaient. Et, inexorablement, la ligne ennemie recommença à avancer.

Patrocle se trouvait au cœur de l'orage, son épée tourbillonnant dans l'air, tranchant les ennemis qui s'opposaient à lui. Malgré le tumulte, il gardait un œil vigilant sur le déroulement de la bataille, ajustant ses ordres en fonction de l'évolution de la situation. Les hommes de Mycènes, motivés par le succès initial, luttaient avec une détermination féroce.

Le fracas des armes et les cris de guerre remplissaient l'air. Halirrhotios, à la tête de sa propre unité, faisait preuve d'une bravoure exceptionnelle, creusant des brèches dans la formation ennemie. La bataille faisait rage, chaque mètre de terrain étant disputé avec acharnement.

Patrocle sentait une rage inexorable pulser dans ses veines. Son cœur battait au rythme des tambours de guerre, et il se mouvait avec une grâce mortelle au sein du carnage. Les Thraces, bien que vaillants, étaient désorientés par la tournure inattendue des événements.

La bataille faisait rage, un ballet sanglant au sein duquel chaque mouvement pouvait faire basculer le destin. Patrocle, guidant ses hommes avec ferveur, était prêt à affronter tous les défis que la guerre pouvait lui réserver. Même au cœur du combat, et alors que son bras droit lui faisait de plus en plus mal, Patrocle sut que l’instant décisif venait d’être atteint.

Il le sentait, comme un coureur peut percevoir la présence d’un rival revenant sur lui dans la dernière ligne droite. Les Thraces se battaient furieusement, mais ils étaient prêts à céder à la panique. Des mois durant, ils avaient enchaîné les victoires, et cette bataille leur avait paru acquise avant même le premier sang versé. Leur attente ne s’était pas réalisée et leur moral s’avérait désormais extrêmement friable.

Patrocle para une attaque et sa riposte trancha la gorge de son adversaire. L’homme tituba en arrière, offrant un bref répit au myrmidon. Celui-ci en profita pour se retourner vers Halirrhotios et constater que ses hommes recommençaient à avancer contre l’armée régulière. Sur la droite, Autoclos poussait ses hommes de l’avant pour rejoindre le centre.

Tout autour du roi, les esclaves tenaient leur place malgré des pertes effroyables, et Patrocle comprit qu’il ne pouvait pas perdre. Ces hommes méritaient la victoire.

Mais le temps de la stratégie était révolu ; seule la force physique et la bravoure de chacun pouvaient encore s’exprimer. Les Thraces combattaient pour la conquête et le pillage, tandis que les mycéniens luttaient pour leur cité et les esclaves pour leur liberté. Maintenant que les deux armées se battaient au corps à corps, en ordre dispersé, une telle différence d’enjeu pouvait se révéler décisive.

Un mouvement au sommet d’une colline attira le regard de Patrocle. La poussière tourbillonnante l’empêcha d’identifier les nouveaux arrivants, puis il distingua la forme dorée d’Achille, qui commandait deux mille cavaliers myrmidon et qui fonçait pour prendre la garde de Cotys a revers. Patrocle vit Achille, tel un cyclone d'acier, déferler sur les Thraces. Les cavaliers myrmidons, menés par le héros légendaire, semblaient une force irrésistible. Les Thraces, déjà ébranlée par la tournure imprévue de la bataille, se retrouva encerclée. Les lances des myrmidons s'abattirent comme la colère de Zeus, et les Thraces, submergés, furent pris au piège entre les murs vivants de l'armée de Patrocle et l'assaut brutal d'Achille.

Le tumulte de la bataille s'intensifia, et le champ de bataille se transforma en un tableau chaotique de violence. Les cris des combattants, le fracas des armes et le hennissement des chevaux se mêlèrent en une symphonie brutale. Patrocle se joignit à l'assaut, son épée se mouvant avec une précision meurtrière.

Les Thraces, pris en tenaille, vacillèrent devant la puissance combinée des forces mycéniennes. Patrocle, animé par la fureur de la bataille, combattait avec une intensité inébranlable. Les esclaves, galvanisés par l'arrivée de la cavalerie, repoussèrent leurs adversaires avec une détermination renouvelée.

La bataille prenait une tournure défavorable pour les Thraces. Les renforts inattendus et l'assaut coordonné des mycéniens et des myrmidons semblaient avoir renversé le cours de la guerre. La déroute de l'armée thrace était imminente.

Soudain, un rugissement perça le vacarme de la bataille. Cotys, le roi thrace, au sommet de son destrier, brandissait son épée avec fureur. Il dirigea un contingent de gardes d'élite vers la ligne myrmidon. Achille, repérant la menace, chargea en direction du roi thrace avec une détermination farouche.

Le roi s’apprêtait à frapper en diagonal, mais Achille se mit aussitôt debout sur son destrier et une fois arrivé a portée, sauta sur Cotys.

Le choc de sa lance transperçant la gorge du roi Thrace fut rapide et brutal. Cotys, figé dans son geste offensif, s'effondra, son attaque avortée par la précision mortelle du héros myrmidon. Le sang du roi macula le sol, marquant la fin de son règne.

Achille, agile comme un félin, atterrit avec grâce après son saut périlleux. Il se releva d'un bond, prêt à affronter de nouveaux défis. Autour de lui, les yeux des combattants, amis et ennemis, s'ouvrirent en grand devant la démonstration de puissance du plus grand des guerriers grecs.

La mort de Cotys marqua un tournant décisif dans la bataille. Les gardes d'élite thraces, privés de leur leader charismatique, hésitèrent un instant, et la confusion s'empara de leurs rangs. Les myrmidons, galvanisés par la victoire apparente d'Achille, intensifièrent leur assaut, repoussant les Thraces désorientés.

Patrocle, observant la scène avec admiration et soulagement, reprit son rôle de commandant. Il ordonna à ses hommes de profiter de la confusion pour presser l'ennemi, de les pousser vers la défaite totale. La bataille, autrefois incertaine, penchait désormais nettement en faveur des forces de Mycènes et de leurs alliés.

Les Thraces, pris entre la pression constante des mycéniens et l'assaut implacable des myrmidons, commencèrent à plier. La déroute s'amorça, transformant le champ de bataille en un tableau chaotique de fuite et de désespoir pour les troupes thraces.

Les derniers Thraces cessèrent de résister. Jetant leurs armes, ils tombèrent à genoux et implorèrent la clémence de leurs adversaires. Les premiers furent abattus sur place, puis Patrocle mit un terme au massacre.

« Assez ! ordonna-t-il. Laissez-les vivre ! »

Un silence irréel s’abattit sur-le-champ de bataille. Au sud, l’armée Thraces, jusque-là invincible, fuyait dans le plus parfait désordre, tandis que ceux qui avaient continué de se battre déposaient les armes un à un.

Patrocle enleva son casque et regarda son ami qui arriva en souriant de toute ses dents. Achille enleva son casque et libera sa chevelure dorée, puis donna une accolade à Patrocle qui éclata de rire.

— Sale brigand ! s’exclama-t-il sans quitter son sourire. Tu as pris ton temps pour venir.

— Je voulais juste me montrer présentable, répliqua Achille en riant de plus belle. Mais je savais que tu tiendrais, un fils de pute comme toi est dur à tuer.

— Oui, je comprends qu’il te faut du temps pour te montrer présentable, dit Patrocle en regardant son ami avec chaleur.

Patrocle jeta un regard circulaire, et Achille devina ce qu’il cherchait.

— Ulysse s’est enfui, dit-il avec gravité.

— Ulysse doit payer pour sa trahison, dit Patrocle froidement.

— Tu ne peux rien contre lui, n’oublie pas qu’il est intouchable ! fit Achille gravement. Il a le soutien de nombreux rois et Cotys n’était que l’un d’eux. En ce moment, Penthésilée et ses Amazones sont en train de piller le royaume de Thrace, et mon père a envoyé une ambassade parlementer avec la reine Otréré.

— Otréré garde la Thrace et un autre traité de paix est signé ? C’est cela ? demanda Patrocle écœuré.

— Le temps pour la Grèce de se relever, dit Achille en secouant la tête. Les guerres d’Agamemnon nous ont épuisés, si nous partons livrer une autre, on sera fichus, c’est sûr.

— J’aimais bien le Achille qui défiait tout le monde, dit Patrocle en soupirant. Tu parles vraiment comme un roi, mon vieux.

— Et moi j’aimais le Patrocle réfléchi qui mesurait ses forces avant de combattre, répliqua ce dernier en le regardant dans les yeux. Mais ne t’y trompe pas, je sais que tôt ou tard une guerre aura lieu, et je serais le premier à rugir jusqu’en Thrace, si tu vois ce que je veux dire.

— Reste à convaincre la reine Clytemnestre, dit Patrocle.

Achille hocha la tête, comprenant la complexité des enjeux à venir. Les deux amis se tenaient là, au cœur d'une victoire coûteuse, mais ils savaient que l'avenir leur réservait d'autres défis. La Grèce, meurtrie par les guerres passées, devait désormais panser ses plaies et reconstruire. Les alliances et les trahisons tissaient une toile complexe, mais Patrocle et Achille partageaient une conviction profonde : la paix était précieuse, mais la liberté l'était tout autant.

 


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