Ce qu'on appelle Tempête

Chapitre 2 : Sauvés !

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:38

Kuramochi avait été, comme d'habitude, extraordinaire. Même si ça restait une source d'émerveillement, ils avaient certainement dû finir par s'y habituer, sinon, commenttout cela aurait-il pu arriver ?

Kuramochi était le héros qu'il rêvait d'être, l'homme qu'il espérait croiser un jour dans son miroir, le professeur qui lui aurait donné l'envie d'aller jusqu'au bout de ses études, le grand frère qui aurait été à ses côtés et n'aurait jamais laissé les choses se terminer de cette façon entre son père et lui, l'ami incroyable que le voyage en Antarctique lui avait offert.

Inuzuka mit la tête dans ses mains et ses larmes coulèrent encore une fois.

 

oOoOo

 

Les chiens aboyaient frénétiquement. Riki sautait partout et léchait les joues, les mains, les lunettes, tout ce qui passait à sa portée. Jiro et Taro étaient partout, encombrants et affectueux, collés aux jambes de Kuramochi, manquant le faire trébucher à chaque pas.

Utsumi était tellement soulagé que son sourire lui faisait mal, étiré sur son visage ébisé par le climat austère de l'Antarctique.

- Voilà, voilà, Himuro-san, encouragea-t-il en redressant le bras de l'homme blessé sur son épaule. "On y est presque. Encore quelques pas et vous serez au chaud dans la cabine du motoneige."

Le visage crispé de douleur de l'agent du gouvernement était encore maculé par les larmes de reconnaissance qu'il avait versées en étreignant les chiens enfin revenus.

- ça va aller, Himuro. Nous sommes sauvés, maintenant, ajouta Kuramochi qui le soutenait de l'autre côté, la voix râpée par leur séjour dans la carcasse de baleine.

Il avait remis sa parka bleue et la fourrure beige de la capuche se collait à son bonnet, soulevée par le vent de la plaine.

- Oy ! cria Samejima derrière eux. Revenez m'aider ! Ce gamin est bien plus lourd qu'il n'en a l'air !

Inuzuka rit faiblement, accroché au mécanicien.

- Est-ce que le docteur n'a pas conseillé de l'exercice, surtout à ceux qui sont plus âgés ? balbutia-t-il.

- Tchh ! Les enfants de nos jours n'ont plus de respect pour qui que ce soit. Je fais assez d'exercice en courant derrière ces satanés pingouins, si tu veux savoir se plaignit Samejima. Il fourragea dans les cheveux du garçon avec affection. "Rentrons à la maison, okay ?

- Okay, répéta Inuzuka, épuisé, mais plus heureux qu'il ne l'avait jamais été dans sa vie.

Utsumi boucla la ceinture du blessé et l'enveloppa d'une couverture supplémentaire.

- Nous serons vite à la station, promit-il.

Himuro ne réussissait plus qu'à hocher la tête, c'est donc ce qu'il fit avant de refermer les yeux.

- Il va s'en sortir, j'en suis sûr.

- Hum, approuva Kuramochi, les mains sur les crânes de Jiro et Taro qui se pressaient contre lui.

Il n'avait pas vraiment la force d'ajouter autre chose. La fatigue et les privations des derniers jours se mêlaient à la gratitude inscrite sur ses traits. Il frottait machinalement le coin habituel derrière les oreilles des deux frères. Le message enveloppé de plastique s'agitait toujours dans leurs épaisses fourrures noires.

Utsumi s'accroupit et caressa les truffes des chiens, brossant la neige sur leurs museaux.

- Bien joué, les gars. Vraiment, de tout notre cœur, merci.

Sa voix s'enrouait. Il se releva, effaça d'un geste vif l'émotion qui lui montait aux yeux.

- Repose-toi un peu, dit-il en donnant une légère tape à Kuramochi en passant devant lui. "Je vais aller aider Samejima."

Les deux autres s'étaient de nouveau affalés dans la neige et rigolaient comme s'ils étaient ivres. La tête penchée de côté, les oreilles attentives, Riki les observa un instant, puis décida qu'ils allaient bien. La langue pendante, l'air de rire comme à son habitude, il se retourna et appela son maître pour lui faire remarquer la scène.

Kuramochi répondit d'un signe du bras.

Utsumi sourit.

Les chiens adoraient leur meneur. Certes, Inuzuka et tous les autres avaient gagné leur affection aussi, mais Kuramochi restait spécial à leurs yeux.

Et Kuramochi le leur rendait bien. Il était comme toujours attentif aux besoins de chacun, prêt à donner un coup de main, à résoudre une dispute, à écouter quelqu'un parler, mais son dévouement à l'égard des chiens dépassait le domaine de la camaraderie. Il marchait coude à coude avec eux, prêt à leur confier sa vie.

Ils avaient prouvé aujourd'hui qu'ils étaient à la hauteur de la foi qu'il plaçait en eux.

Utsumi lâcha une exclamation quand Riki le déséquilibra en passant en trombe.

- Riki est le leader de la meute, mais son chef est sans conteste Kuramochi, philosopha Samejima toujours affalé dans la neige. Il attrapa Inuzuka par son blouson et le secoua avec sa brusquerie fraternelle. "Allez, debout, gamin. Ton lit t'attend à la station ! Il te reste encore du chemin à faire avant d'être comme le patron, hein ?"

Inuzuka se releva, aidé par Utsumi et tituba entre les deux hommes jusqu'au motoneige.

- Tu as été très courageux. Tu as vraiment fait de ton mieux, le félicita gravement Kuramochi qui était maintenant assiégé par Riki en plus des deux frères. "Garde-moi un peu de ce pudding, d'accord ? C'est le préféré de ma sœur, tu te souviens ?"

- Les retardataires n'ont pas droit à ce genre de privilèges, persifla Himuro sans ouvrir les yeux.

- Ala ! Toujours aussi inflexible, même congelé comme un gobi, s'écria Samejima, la main sur la portière.

Les joues d'Himuro avaient déjà repris quelques couleurs. Ou peut-être était-ce simplement la chaleur de Shiro qui s'était glissé à l'insu de tous dans le motoneige et blotti contre l'agent qui le tenait embrassé.

- Shiro… sourit Kuramochi.

Le chien agita ses oreilles triangulaires immaculées, puis fourra sa truffe sous le bras d'Himuro, ses grands yeux clairement remplis d'une expression qu'on pouvait traduire par "ma place est ici, que ça vous plaise ou non."

- Okay, dit Kuramochi, amusé. "Tu peux rentrer avec le premier groupe, Shiro. Sois un bon garçon, okay ?"

Le chien gémit, puis jappa en agitant la queue.

Inuzuka était toujours stupéfait par l'intelligence des Huskies Sakhalin et leur communication concrète avec leur meneur. Surtout quand lui-même avait l'impression d'être complètement perdu.

- Comment ça, le "premier groupe" ? bredouilla-t-il alors qu'Utsumi le hissait dans le motoneige.

- Le traineau a besoin d'être réparé avant qu'on puisse l'utiliser, et nous ne rentrerons pas tous dans le motoneige. Il faut qu'un groupe parte et qu'on revienne ensuite chercher le deuxième, expliqua Kuramochi calmement. "Je vais rester avec les chiens. Vous, les gars, allez-y en premier."

- Pas possible, patron ! protesta Samejima avec véhémence. Vous avez failli mourir gelé, on ne vous laisse pas ! Je vais rester, moi.

Kuramochi sourit, mais eut un geste de dénégation.

- C'est mieux que je reste. Une nuit de plus ne me tuera pas, reprit-il. Vous avez amené des provisions et des couvertures, je serai très bien. Taro, Jiro, Riki…

Ses yeux se promenèrent sur les chiens qui attendaient tranquillement, leurs prunelles intelligentes fixées sur lui, leurs poils rebroussés par la bise arctique.

- … Kuma, Kuro, Jakku, Aka et… ah, Goro. Hum. Oui, et moi. Nous vous attendrons ici. Les autres devraient pouvoir entrer dans le motoneige avec vous. Allez, partez. Dites à Hoshino-san que nous allons bien.

Utsumi amorça un mouvement de protestation.

- Partez, dépêchez-vous, coupa Kuramochi. Himuro a besoin de soins d'urgence et on ne sait pas quand un blizzard frappera de nouveau. Nous vous attendrons.

On ne désobéissait pas à Kuramochi. Il n'était peut-être officiellement que l'assistant-leader, mais dans le cœur de tous, il était le vrai capitaine.

Utsumi se fit mentalement la réflexion qu'ils étaient peut-être aussi fascinés que les chiens quand on en venait à lui.

Ça ne le troubla pas. Au contraire, il se mit à fredonner à voix basse.

- A bientôt, patron ! hurla Samejima par la portière ouverte, alors que le motoneige s'éloignait.

Himuro serra plus fort son étreinte autour de Shiro qui lui lécha le visage et geignit doucement. Inuzuka eut de la peine à s'empêcher de pleurer, sans comprendre pourquoi la silhouette droite de Kuramochi au milieu des chiens le remplissait d'autant d'émotion.

Bientôt, la colline de la baleine disparut dans l'immensité blanche de l'Antarctique et la seule chose à laquelle le garçon réussit à penser fut l'idée de son lit, des ramens délicieux de Yamazato et de la chaleur bienveillante des couloirs de la station.

Devant la carcasse qui les avait protégés du blizzard, Kuramochi s'assit lourdement dans la neige. Il leva la tête vers le ciel immense, bleu acier et dégagé, et soupira. Puis il s'allongea sur le dos, un bras étendu, l'autre replié contre lui. Jiro et Taro l'imitèrent aussitôt. Riki se pencha au-dessus du visage de son maître, en haletant comme s'il riait.

Kuramochi tendit la main et massa le cou du chien, là où la fourrure débordait de son collier.

- Riki… je t'en dois une… merci…

Le chien aboya comme s'il comprenait, puis se coucha aussi dans la neige, fourrant son museau près de la joue de Kuramochi.

Le jeune homme avala sa salive. La douleur dans son bras s'était dissipée avec l'arrivée des secours, mais elle revenait maintenant.

Et celle lovée dans son torse comme une menace battait sourdement avec le rythme de son cœur.

Encore quelques heures, puis il serait de retour à la maison.

Alors seulement, quand tous, y compris les huskies Sakhalin, seraient en sécurité, il pourrait relâcher sa vigilance et écouter ce que son corps essayait de lui dire.

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