Ce qu'on appelle Tempête

Chapitre 3 : Priorités

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Dernière mise à jour 10/11/2016 02:11

Quand Himuro reprit conscience, le docteur l'informa que le deuxième groupe venait de rentrer sain et sauf. Himuro acquiesça en silence, absolument épuisé par le retour du Mont Botnnuten et ce qu'on ne pouvait pas vraiment qualifier d'opération, cette barbarie pratiquée sur sa jambe. A choisir, il ne savait pas entre les deux ce qui avait été le plus horrible.

Il referma les yeux, simplement content d'entendre japper les chiens à l'extérieur et s'interpeller les voix joyeuses de ses… oui, c'était le mot juste. Ses amis.

C'était arrivé. Il avait changé, lui aussi. L'Antarctique avait cet effet-là sur vous.

Ce n'était pas une si mauvaise chose, après tout…

Il s'enfonça dans le sommeil, les coins des lèvres détendus comme s'il allait sourire.

- Hola, Shiro, tu ne peux pas entrer ici ! Comment t'es-tu échappé ? s'exclama Tani-sensei, bousculé par la grosse masse de poils blancs qui s'était précipité dans l'infirmerie dès la porte entrebâillée.

Il sourit, attendri et décida de faire une entorse à ce qu'on lui avait appris. Après tout, les règles du reste du monde ne s'appliquaient pas en Antarctique où tout était complètement nouveau, inconnu.

Il referma doucement la porte derrière lui.

Himuro, plongé dans la torpeur épaisse des anesthésiants, n'entendit rien. Pour la première fois depuis des années, il ne rêva de rien.

Roulé au bout de l'étroite couchette, Shiro soupira et posa son fin museau contre les bandages qui enveloppait la jambe blessé de l'agent du gouvernement. Il cligna un peu des yeux, puis s'endormit aussi, satisfait d'être juste là, près de l'odeur de l'humain qu'il aimait.

 

oOoOo

 

Inuzuka riait bêtement à cause du rire contagieux des autres qui se moquaient de sa maladresse avec les baguettes. Ses doigts seraient sauvés, mais ils étaient encore énormes, rouges et craquelés, parcourus de frissons de douleur comme d'un courant électrique.

Peu importait. Il était en vie.

En vie.

C'était ce qu'Himuro avait dit aussi, en pleurant sur l'épaule de ses sauveurs, sans se soucier de son image de marque.

En vie.

Rien n'égalait ça.

Rien n'était plus beau que ça.

Ses yeux se brouillèrent et ses lèvres se mirent à trembler.

Quelqu'un lui asséna une claque dans le dos.

- Encore en train de pleurer, gamin ! Faut pas te mettre dans un état pareil pour une paire de baguettes. Je vais t'aider. Tiens, "aah" !

Samejima avait l'air tellement ridicule avec sa bouche ouverte, le bol de riz dans une main et les baguettes chargées de légumes en conserve dans l'autre, qu'Inuzuka éclata de rire à travers les larmes qu'il retenait.

- Je suis désolé, bafouilla-t-il en passant le revers de sa manche sur son visage.

- C'est bon, dit doucement le mécanicien, son regard rempli d'une expression paternelle inhabituelle. "C'est bon…"

- Oui, lâcha faiblement Inuzuka.

Mille et mille fois.

Il ne serait jamais assez reconnaissant d'avoir pu venir en Antarctique, d'avoir rencontré ceux qui avec lui entreraient dans l'histoire comme la Première Expédition Cross-Winter du Japon.

Hoshino lui sourit en entrant dans la salle, l'air de chercher quelqu'un.

- Bonjour, Inuzuka-han. Déjà levé ? Tu aurais pu te reposer davantage.

- Je dois reprendre mon étude de l'aurore boréale, dit le garçon avec timidité.

Le sourire du chef de la colonie s'élargit davantage sous ses lunettes.

- Voilà qui est bien dit, mon garçon. C'est l'esprit de la première Expédition ! Mais j'aimerai quand même que tu prennes le temps de te remettre sur pieds. Tu étais dans un triste état quand vous êtes arrivés, hier soir.

Il fronça les sourcils, presque sans s'en apercevoir.

- Rappelle-toi le deuxième article de la constitution. Je veux que tous les membres qui se sont rendus au Mont Botnnuten soient parfaitement remis avant de reprendre leurs tâches habituelles. C'est aussi valable pour… Il soupira. "Est-ce que quelqu'un a vu Kuramochi-han ? Je l'ai envoyé à l'infirmerie après son rapport, mais le docteur ne l'a pas vu."

Samejima pointa la fenêtre du pouce.

- Si j'étais vous, j'irais faire un tour du côté des chiens. Le patron n'est pas du genre à aller se reposer avant de vérifier qu'ils vont tous bien.

Quelque chose qui ressemblait à de la culpabilité mordit le cœur d'Inuzuka.

La veille, il s'était effondré sur sa couchette, une fois ses mains soignées, et avait complètement oublié les chiens.

Leurs sauveurs.

Comment pouvait-il être aussi ingrat et égoïste ?

Il se redressa d'un coup et la pièce chavira autour de lui.

- Pas si vite, protesta Hoshino qui l'avait rattrapé. "Prends le temps de recouvrer tes forces, ne t'inquiète pas pour les chiens. Nous sommes assez nombreux pour nous en occuper."

Il confia le garçon à Samejima et se hâta vers le chenil.

Evidemment, il était vide, à part la chienne avec ses petits.

Hoshino sortit du bâtiment, mettant une main en visière pour se protéger de l'éclatant soleil polaire.

- Oy ! appela-t-il. Kuramochi-han ! Où êtes-vous ? Oy ! Kuramochi !

Le cuisinier apparut à l'angle, une énorme marmite dans les mains.

- Hoshino-san ! Kuramochi-chan est parti à l'infirmerie. J'apporte de la soupe chaude aux chiens, il a dit qu'ils le méritaient.

Hoshino eut une moue attendrie.

- C'est vrai. Il tapota les papiers qu'il tenait contre sa jambe, puis fit volte-face. "Très bien, très bien. Je n'ai plus qu'à rentrer, donc."

Il croisa les yeux de Riki, fixés sur la porte. Jiro et Taro étaient allongés dans la neige, la tête de l'un sur l'échine de l'autre, mais ils avaient aussi l'œil sur le battant.

- Vous veillez sur lui, vous aussi, n'est-ce pas ? murmura-t-il.

Il essaya de sourire, mais la façon intense dont Riki regardait l'endroit par lequel était parti son maître le mit mal à l'aise, sans qu'il comprenne pourquoi.

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