Ce qu'on appelle Tempête

Chapitre 9 : Face à face

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 16:05

Utsumi fit irruption dans la salle commune au moment où Samejima et Funaki s'y engouffraient. Dehors, les aboiements avaient redoublé, les timbres profonds de Kuma et de ses fils couvrant presque les jappements aigus de Riki.

- Kuramochi ! haleta-t-il. Kuramochi est…

Les autres s'étaient dressés, le visage brusquement pâli. Samejima fit un pas en arrière, se rattrapa au chambranle de la porte.

Utsumi avala sa salive, tentant de reprendre son souffle.

- Kuramochi est réveillé ! lâcha-t-il enfin, son sourire apparaissant finalement et remontant jusqu'à ses yeux, impossible à arrêter.

Personne ne réussit à articuler un mot, puis Samejima enleva son bonnet et le jeta par terre.

- Ça ! Tu ne pouvais pas le dire plus vite ? s'écria-t-il avec sa brusquerie habituelle mais les yeux humides. "On n'a pas idée de nous faire une frayeur pareille !"

A ce moment-là, les hourras éclatèrent, se joignant au concert commencé par les chiens.

 

oOoOo

 

Inuzuka se laissa pousser de côté par le médecin qui enfilait son stéthoscope avec hâte.

- Takeshi-kun. Vous me reconnaissez ? demanda Tani-sensei, sa voix enrouée essayant de reprendre un ton plus professionnel, mais sans y parvenir.

Le jeune homme hocha faiblement la tête. Il remua faiblement, comme s'il essayait de parler.

- Pas si vite, gloussa le docteur qui s'éclairait aussi vite qu'une ampoule sur dynamo. "Vous avez été très malade…" Il rabattit le pull et remit la couverture en place après avoir écouté soigneusement. "Vous respirez mieux… que je suis content ! Ouvrez la bouche, juste un moment. Voilàà… c'est bien, c'est bien. Attention, vos yeux…"

Kuramochi ne bougeait pas, se laissait docilement examiner. Le médecin termina en vérifiant le pouls, puis poussa le garçon vers le lit.

- Tenez, Inuzuka-kun est là. Il a passé tout ce temps à votre chevet. Tout le monde était très inquiet pour vous !

Un sourire effleura le visage de Kuramochi. Sa main gauche remonta sur la couverture épaisse de l'armée, puis s'arrêta. Il ferma les yeux, sa respiration s'accélérant un peu.

- Inu… Inuzu…ka, murmura-t-il.

Le garçon fit un pas en avant et attrapa la main.

- Je suis là, Kuramochi-san !

Le docteur se pencha et toucha la pommette du malade.

- Doucement, Kuramochi-kun. N'en faites pas trop. Il faudra un peu de temps, mais ça ira…

Kuramochi rouvrit les yeux. La fatigue diluait déjà son regard, mais quelque chose brillait tout au fond, comme une perle sous la surface de l'eau.

- Les… chi-ens… articula-t-il.

Tani-sensei sourit largement.

- Oui, répondit-il. Je les entends aussi. Vous leur avez manqué. Vous nous avez manqué à tous.

Les commissures des lèvres du jeune homme se relevèrent encore, puis le sommeil l'enveloppa doucement.

- Kuramochi-san ? appela Inuzuka, la voix tremblante.

- Tout va bien, dit le docteur. Un pas à la fois, même parfois seulement un demi pas, c’est ce qui compte. N’est-ce que ce n'est pas ce qu'il nous a appris ? Il restera éveillé un peu plus longtemps la prochaine fois.

Les genoux d'Inuzuka cédèrent brusquement et il se retrouva sur le sol, le front contre la barre du lit, ses mains toujours crispées sur celle de Kuramochi.

Le docteur lui serra l'épaule, bienveillant.

- Oui, dit-il doucement.

Quelque chose tomba bruyamment derrière eux et ils sursautèrent.

Utsumi était dans l'embrasure et avait lâché l'une des deux gamelles qu'il tenait.

- Kuramochi ? interrogea-t-il d'une voix blanche. "Non, il est…"

Tani-sensei sourit.

- Au contraire. Il s'est enfin réveillé.

 

oOoOo

 

Himuro se tenait debout dans la neige, en face des deux lignes de chiens que le soleil couchant ourlait d'or et de cuivre. La nuit tombait et le froid se faisait plus vif.

L'ombre de ses béquilles traçait un gigantesque V sur le sol de poudre scintillante.

Il regardait l'horizon, l'endroit où se finissait le territoire des hommes et où commençait celui de Dieu, et son haleine se gonflait avec légèreté dans le soir.

Kuramochi était vivant.

Dans la salle de radio, Yokomine retranscrivait en morse le message que lui avait confié le représentant du gouvernement.

La page était un peu chiffonnée et l'écriture pas vraiment lisible, mais le message commençait par ces mots :

 

"Chère Miyuki-chan,

Ton beau-frère, Takeshi Kuramochi, reviendra d'Antarctique."

 

Dehors, Himuro avait porté sa moufle à son visage et cueilli sur sa joue une larme, étonné.

Oui, il avait changé.

Voilà qu'il pleurait de joie parce que son rival de toujours ne s'était pas avoué vaincu.

A ses pieds, Riki dévorait consciencieusement les quartiers de viande que Samejima s'était amusé à décorer de rubans découpés dans un vieux bout de tissu rouge.

Dans l'infirmerie, Hoshino regardait dormir son assistant.

Non, tout n'était pas fini. Il y aurait encore des luttes, des défaites, des lamentations, des moments où il faudrait décider de se relever malgré tout ce qu'il en coûtait, des victoires acquises à trop grand prix, des célébrations et des batailles gagnées.

Tani-sensei ne l'avait pas dit aux autres, et surtout pas à Inuzuka qui dormait aussi, écrasé d'émotion, sur le bureau du docteur.

L'espoir était revenu, mais rien ne garantissait que Kuramochi était sauvé.

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