Une annonce de paternité

Chapitre 3 : Chapitre III

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:18

Chapitre III

 

 

 

 

 

 

Sakura se réveilla le lendemain matin avec une étrange sensation d'allégresse. Elle avait trouvé son candidat ! Son projet hasardeux prenait donc tournure, malgré tout. Certes, la jeune femme ne disposait encore d'aucun renseignement sur Sasuke Uchiwa, mais son instinct lui disait qu'elle ne découvrirait rien de fondamentalement négatif à son sujet. Alors pourquoi ne pas mettre d'ores et déjà en oeuvre la seconde phase de son plan ?

Il fallait bien que quelqu'un prenne son cabinet en main pendant son congé maternité. Et Ino Yamanaka avec qui elle avait partagé un appartement pendant ses années d'études était la personne tout indiquée. Son amie s'était d'ailleurs portée volontaire à plusieurs reprises pour collaborer avec elle. Cette fois, le moment était venu de la prendre au mot !

Le visage d'Ino s'éclaira d'un large sourire lorsque Sakura se présenta à l'improviste chez elle.

- Sakura ! Quelle bonne idée d'être venue ! Entre vite.

Ls jeune femme déposa un baiser amical sur la joue de son ancienne camarade d'université. Tant de souvenirs la liaient à Ino ! Celle-ci lui entoura les épaules et l'entraîna dans le hall avant d'inspecter d'un regard admiratif son tailleur commandé chez un couturier parisien.

- Quelle élégance, Saku ! On reconnaît en toi la jeune avocate brillante et prospère. Je suis presque jalouse, tu sais, avec ma tenue banale de mère de famille dévouée !

- C'est précisément pour cette raison que je suis là. Finie la vie de femme d'intérieur, ma chère. Je viens te proposer de t'associer avec moi... Tu es toujours d'accord, au moins ? s'enquit-elle, vaguement inquiète.

- Moi ? Et comment ! C'est tout simplement merveilleux, Saku ! Je meurs d'envie de me remettre enfin à la tâche ! Viens vite, je vais te préparer un thé pour fêter la nouvelle.

Sakura traversa à sa suite la vaste maison ou Sai et Ino vivaient depuis leur mariage. D'un oeil soudain plus attentif, elle nota les jouets épars sur la moquette, le biberon oublié sur la table basse. Tout dans cet intérieur portait la marque des enfants. Dans un an ou deux, si tout se passait bien, le même joyeux désordre régnerait dans son propre appartement !

- Ou sont donc passés tes enfants, Ino ? s'enquit-elle, étonnée par l'inhabituel silence.

D'un mouvement de tête énergique, son amie rejeta en arrière sa courte chevelure blonde.

- Tu as manqué Luna de justesse. Elle est partie à l'école à l'instant. Et le bébé est sur la terrasse. Il dort, par miracle. Alors profitons vite de ce répit pour discuter ! s'exclama-t-elle en la précédant dans la cuisine. Les plages de calme ne sont jamais très longues dans cette maison.

Sakura ne put s'empêcher d'observer son amie à la dérobée pendant qu'elle disposait les tasses sur un plateau. Rien dans la silhouette d'Ino ne trahissait qu'elle avait mis au monde deux enfants. Elle était toujours aussi mince, aussi alerte et gracile qu'au temps ou elle travaillait activement pour se faire un nom au barreau. Ino avait revendu son cabinet lorsqu'elle s'était mariée mais avec  l'idée bien arrêtée de se remettre au travail dès que possible. Et il était grand temps qu'elle cesse un peu de pouponner pour consacrer son inépuisable énergie à des tâches plus lucratives ! estima Sakura. Ino était trop extravertie et entreprenante pour se satisfaire longtemps d'une vie de femme au foyer.

Elles sortirent au soleil sur la terrasse et Sakura se laissa choir dans un fauteuil à bascule face au paysage. La ville apparaissait au loin, derrière le moutonnement des collines.

- Alors, Saku, qu'est-ce qui t'a décidée à faire appel à moi ? s'enquit Ino, pleine de curiosité. Un surcroît de travail ?

- En partie... Mais la vrai raison est ailleurs. J'ai eu énormément de réponses à mon annonce. Et je crois que je viens de trouver un père pour mon enfant, Ino...

Cette dernière ouvrit de grands yeux.

- Juste ciel ! Tu as donc bel et bien mis ton projet à exécution ! J'étais prête à parier que tu perdrais courage à la vue du premier candidat de la liste !

- J'avoue que cela a failli être le cas, en effet, admit-elle en souriant. Mais la dernière entrevue a été tout à fait concluante, en définitive !

Ino était la seule à qui elle ait fait part de ses intentions, la seule capable de comprendre plutôt que de juger. Et pourtant même elle semblait avoir de la peine à croire qu'elle irait jusqu'au bout !

- Eh bien... Le moins que l'on puisse dire, c'est que tu as de la suite dans les idées, commenta son amie d'un ton incrédule. Raconte-moi tout, maintenant ! Je veux un portrait détaillé de l'heureux élu.

Un sourire penaud se dessina sur les lèvres de Sakura.

- Tu vas hurler, Ino, mais je ne sais strictement rien de lui, sinon qu'il s'appelle Sasuke Uchiwa et qu'il est président du conseil d'administration d'une quelconque entreprise répondant au nom de "" Etablissement Uchiwa et Cie "".

- Comment ça ? C'est tout ! Je croyais que tu avais exigé un curriculmum vitae complet et un certificat médical.

- Sasuke s'est contenté d'envoyer une carte de visite. C'est osé, n'est-ce pas ? J'ai hésité longtemps avant de le contacter... Mais je ne regrette rien. Dès que je l'ai vu, j'ai su que ce serait lui et pas un autre.

- Sakura ! Je suis stupéfaite que tu agisses avec tant légèreté ! Tu ne peux pas te lancer ainsi avec quelqu'un dont tu ne connais même pas les antécédents.

La jeune femme porta tranquillement sa tasse de thé à ses lèvres.

- Rassure-toi, ma chère. J'ai déjà contacté Shino.

Ino poussa un soupir de soulagement.

- Parfait. Shino Aburame, notre grand détective ! C'est l'homme de la situation, en effet. En l'espace de deux jours, il pourra même te préciser la couleur de sa première barboteuse... Quoi qu'il en soit, ce n'est pas l'essentiel du problème. Trouver un père fiable est facilement réalisable, après tout ! Mais as-tu songé au travail que cela représentera pour toi de te trouver seule avec un enfant en bas âge ? C'est presque un emploi à plein temps, tu sais. Moi, j'ai Sai pour m'aider, mais toi, tu n'auras personne. As-tu bien mesuré à quel point ce sera harassant ?

Sakura ne répondit pas tout de suite. Combien de fois n'avait-elle pas médité sur les heurs et malheurs de la mère célibataire ? Elle se rendait parfaitement compte des difficultés. Mais son entourage avait adopté une attitude tout aussi négative le jour ou Sakura avait décidé de voler de ses propres ailes dès la fin de ses études. Personne qui ne lui ait conseillé d'entrer comme avocate stagiaire dans un cabinet déjà constitué. Et néanmoins, la jeune femme avait réussi ! Toute seule. Sans l'aide de quiconque. Alors pourquoi pas cette fois-ci ?

Sakura se leva lentement pour avancer jusqu'au bord de la terrasse.

- Devrais-je me priver du bonheur d'être mère pour la simple raison que je refuse de me marier ? s'enquit-elle d'une voix tendue.

Ino qui l'avait suivie posa une main sur son épaule.

- Etre enceinte est l'expérience la plus belle qu'une femme puisse vivre, Saku. Mais mettre une annonce pour faire cet enfant me paraît... comment dire ? Un peu froid... A ce propos, qu'est devenu ton ami, comment s'appelait-il déjà ? Kiro ou Kori, ou je ne sais pas qui ?

- Kiba ?

- Voilà, Kiba ! Vous vous entendiez plutôt bien, toi et lui. Et il a l'avantage de ne pas être un parfait inconnu. Pourquoi ne pas le demander à un être qui t'est proche ?

Sakura réfléchit un instant, le regard perdu par la fenêtre. Encore aujourd'hui, sa relation avec Kiba demeurait un mystère à ses yeux. Il était beau, séduisant, ouvert et cultivé, et elle aurait été bien en peine de lui trouver un quelconque défaut ! Et pourtant aucune intimité véritable n'était née entre eux. L'ennui s'était installé insidieusement, jusqu'à ce que leurs sentiments s'étiolent d'eux-mêmes, sans qu'il y ait eu de rupture à proprement parler... Sakura se tourna vers Ino en souriant.

- Je crois que, sans le savoir, tu as mis le doigt sur le problème. J'ai fréquenté Kiba pendant plus de deux ans et tu as dû le voir un nombre incalculable de fois. Or, tu ne te souviens même plus de son prénom !

Ino éclata de rire.

- Tout le contraire de l'homme inoubliable, donc ! Et toi tu cherches un père extraordinaire pour avoir un enfant à son image. Enfin... Tu sais que j'ai toujours respecté tes initiatives, Saku. Mais méfie-toi tout de même. Tu as décidé de mettre ton projet à exécution. Et cela enfin d'éviter les contraintes, pour que ce bébé ne soit qu'à toi. D'un autre côté, cependant, tu choisis le candidat qui te trouble et qui t'attire le plus. Tout ce que j'espère, c'est que cette contradiction ne se retournera pas contre toi...

Sakura allait répliquer lorsqu'un gazouillis s'éleva en provenance du landau placé tout près d'elles. Ino se leva aussitôt.

- Fini la tranquillité, Shoji de réveille ! Oh mon Dieu, et voilà que le téléphone sonne en même temps ! Occupe-toi de lui, veux-tu ? Je tâcherai d'abréger la conversation.

Le coeur étreint par une singulière émotion, Sakura se pencha vers l'enfant. Dès qu'il la vit, Shoji agita ses petits bras tandis qu'un sourire ravi éclairait son visage rond. Il parut satisfait lorsqu'elle le prit dans ses bras avec mille précautions. Shoji avait grandi depuis la dernière visite, mais il paraissait si fragile encore !

Elle s'installa avec lui dans le fauteuil à bascule et le berça doucement sans cesser de lui parler à voix basse. Il s'abandonna contre elle, si chaud, si confiant, ses grands yeux bleus braqués sur les siens comme s'il écoutait avec attention. Son odeur si particulière de bébé monta à ses narines, la remplissant d'une sorte de ravissement.

Bientôt, ce serait son propre enfant qu'elle serrerait ainsi contre elle ! Emerveillée par cette perspective, Sakura laissa errer ses pensées sur Sasuke. Sa haute silhouette adossée au chambranle, tel qu'elle l'avait vue pour la première fois... Un frisson la parcourut tout entière.

Sakura releva la tête lorsque la porte-fenêtre s'ouvrit pour livrer passage à Ino.

- Eh bien, vous voilà déjà amis, tous les deux ! s'exclama la jeune femme avec un sourire. Tu feras une bonne mère, Saku. Même si tu vis ta maternité de façon un peu particulière... A propos, comment comptes-tu annoncer la nouvelle à la future grand-mère ?

- Bah... Je lui exposerai les faits tels qu'ils sont. Tu connais Maki, c'est une originale. Pour elle, il n'y a pas de normes qui tiennent. Chacun doit organiser son existence comme il l'entend. Avec une philosophie pareille, ma mère ne devrait pas se montrer choquée outre mesure. Et puis, elle sera ravie d'avoir enfin un petit-fils ou une petite-fille, si tu veux mon avis.

Les yeux d'Ino scintillèrent d'enthousiasme.

- Pas aussi ravie que moi de redevenir une famme active. Et c'est vraiment une aubaine d'entrer dans un cabinet qui tourne si bien. Le mien n'a jamais dépassé le stade des premiers balbutiements, si l'on peut dire. A part être commise d'office pour des cas relevant de la charité pure et simple...

Calant le bébé sur ses genoux, Sakura se frappa le front en consultant sa montre.

- Mon Dieu, Ino, quelle chance que tu abordes ce sujet ! J'ai justement un rendez-vous à onze heures avec une femme qui m'a été envoyée directement par l'assistante sociale du quartier. Je n'y pensais plus du tout.

Ino secoua la tête.

- Ainsi tu continues à plaider pour des gens qui n'ont pas un centime en poche ! Et cela, alors que tu es déjà débordée. C'est de la folie, franchement.

Ino se pencha prendre Shoji tandis que Sakura se levait. La jeune femme lissa rapidement les plis de sa jupe tout en répliquant avec nonchalance :

- Parfois on peut aider ces gens sans que cela prenne beaucoup de temps... Et puis c'est un de ces cas apparemment sans issue qui ont marqué le véritable début de ma carrière. C'est tout de même grâce à l'affaire Akastuki que j'ai eu mon nom dans tous les journaux !

Ino lui entoura affectueusement les épaules.

- Avoue donc simplement que tu as le coeur sur la main, petite sotte ! Ce n'est pas une honte d'être généreuse, après tout. Pour ma part, je serai nettement moins charitable, je te préviens. Prendre une nurse à domicile coûte une fortune ! Tu ferais d'ailleurs bien d'y penser car tu auras le même problème.

- C'est entendu ! fit Sakura en riant. Je vais devenir âpre au gain pour défendre ma progéniture, comme toute bonne mère qui se respecte ! Mais trêve de bavardage, il faut que je me dépêche ! Quand puis-je espérer te voir dans mon cabinet ?

- Je pourrais venir un ou deux jours par semaine dès maintenant afin de me mettre progressivement dans le bain, qu'en dis-tu ?

- C'est vrai ? Tu es d'accord pour débuter tout de suite ? C'est merveilleux, chère associée ! Je t'appellerai pour que nous fixions une date, alors !

Sur ces mots, Sakura embrassa son amie, câlina une dernière fois le bébé et se dirigea au pas de course vers sa voiture. Son projet commençait vraiment à prendre forme ! songea-t-elle avec exaltation. En route, elle récapitula mentalement les affaires en cours, se demandant lesquelles elle confierait à Ino. Les moins compliquées, tout d'abord, et surtout celles pour lesquelles le plaignant avait de l'argent sur son compte en banque ! De toute évidence, la jeune femme n'avait pas l'intention de travailler seulement pour la gloire. Elle-même avait de leur vocation commune une conception un peu différente...

Et Sasuke, quelle serait son optique ? se surprit-elle à s'interroger. Troublée, Sakura se mordit la lèvre. Il était décidément bien difficile d'éloigner de ses pensées ce M. Uchiwa... Aucune espèce de sentiment pourtant ne devait entrer en ligne de compte dans cet arrangement. C'était la base même du contrat, le principe fondamental de son entreprise ! Bah... De toute façon, il lui fallait d'abord voir Shino avant d'échafauder des projets et se perdre en rêveries. Et en attendant, il convenait de se libérer l'esprit enfin d'êtree entièrement disponible pour sa nouvelle cliente...

Lorsque Sakura pénétra dans son bureau cependant, hors d'haleine d'avoir gravi l'escalier quatre à quatre, elle ne trouva personne dans la salle d'attente, hormis sa secrétaire.

- Si je comprends bien, mon rendez-vous de onze heures a été annulé à la dernière minute, fit-elle en jetant sa mallette sur un fauteuil.

Ayame releva la tête de sa machine à écrire.

- Oh ! Mais pas du tout, Miss Haruno. La jeune femme est arrivée avec une heure d'avance, au contraire. Elle était tellement tendue que je l'ai autorisée à s'asseoir dans votre bureau. Après m'être assurée que tous vos tiroirs étaient fermés à clé, bien entendu.

- Pouvez-vous me passer sa fiche, Ayame ? J'aimerais y jeter un coup d'oeil avant de lui parler.

Une expression de contrariée se dessina sur le visage de son employée.

- Je la lui ai remise et elle l'a emportée avec elle. Mais je doute qu'elle l'ait remplie. Elle n'a même pas voulu me donner son nom.

Sakura leva les yeux au ciel.

- Voilà qui commence bien, marmonna-t-elle en reprenant sa serviette en cuir.

 

 

 

Seule dans le bureau de l'avocate, la jeune femme se tenait très droite sur sa chaise, les yeux obstinément rivés sur la fenêtre. Depuis combien de temps attendait-elle ? Elle n'aurait su le dire. Il y avait bien longtemps déjà qu'elle avait dû vendre la montre en or que son mari lui avait offerte pour son vingt-cinquième anniversaire. Les mains de la jeune femme se crispèrent sur sa jupe. Pour la dixième fois, elle vérifia sa tenue. Elle avait eu une si belle garde-robe, à l'époque ! Son tailleur était encore correct, mais au fil des années, il avait beaucoup perdu de son élégance, constata-t-elle en retournant les poignets élimés d'un geste furtif.

Une rumeur de conversation dans la salle d'attente attira son attention. L'avocate était arrivée ! D'une main tremblante, elle sortit son poudrier de son sac à main. Tout à fait présentable, estima-t-elle. Son maquillage avait tenu et dissimulait efficacement ses cernes. Non sans mal, elle se força à sourire. Cela devrait aller. Il était vital qu'elle produise bonne impression si elle voulait avoir gain de cause. D'un mouvement vif, elle porta un bonbon à la menthe à sa bouche et prit une profonde inspiration.

Sur le qui-vive, elle ne put s'empêcher de sursauter lorsque la porte s'ouvrit. L'avocate était encore très jeune ! nota-t-elle avec inquiétude en froissant dans sa main le billet de vingt dollars qu'elle avait préparé. Serait-elle à la hauteur, au moins ?

Sakura détailla sa cliente d'un coup d'oeil rapide. Il n'était pas rare que les gens soient crispés à leur première visite mais la femme qu'elle avait sous les yeux l'était plus que toute autre. Avec un sourire chaleureux, Sakura lui tendit la main. L'inconnue se leva d'un mouvement brusque en marmonnant quelques syllabes inaudibles.

- Bonjour. Je suis Sakura Haruno. Venez donc vous asseoir sur le canapé, ce sera plus confortable.

Sans un mot, la frêle créature traversa la pièce à sa suite et s'installa sur l'extrême bord du coussin. Elle commença par poser son sac à main par terre, se ravisa, le plaça sur la table et finalement le serra sur ses genoux. Devant ces signes d'extrême nervosité, Sakura renonça d'emblée à se servir du carnet se lequel elle avait l'habitude de prendre des notes. Le plus urgent était de la mettre en confiance et de l'amener à parler.

- Et si vous commenciez par me donner votre nom ? suggéra-t-elle gentiment.

La jeune femme se raidit.

- Non... Du moins, tant que je ne serai pas certaine que vous consentirez à m'aider.

- Comme vous voudrez... Expliquez-moi en quoi je puis vous être utile, alors.

- Je veux récupérer mes bébés, fit-elle d'une voix brisée.

Pour la première fois depuis qu'elle était entrée, elle soutint le regard de Sakura. Un tel désespoir transparaissait dans ses yeux de nacre très pâle que la jeune femme sentit son coeur se serrer.

- Combien d'enfants avez-vous, madame ?

- Deux, murmura-t-elle en détournant les yeux.

- Et ou sont-ils ?

- Avec mon mari.

Elle répondait à présent d'un ton neutre, détaché, presque absent. Comme si l'affaire concernait quelqu'un d'autre... Sakura insista patiemment.

- Etes-vous divorcée ?

Sa visiteuse secoua la tête.

- Y a-t-il eu intervention de la justice ? A-t-on accordé le droit de garde à votre mari ?

De nouveau, elle se contenta d'un signe imperceptible de dénégation. Sakura prit une profonde inspiration. Il fallait qu'elle trouve un moyen pour la faire sortir de sa réserve, sinon elle ne parviendrait jamais au moindre résultat. Cela dit, il était peu vraisemblable qu'elle puisse l'aider en quoi que ce soit, mais son interlocutrice semblait tellement seule, tellement perdue, que Sakura n'avait pas le coeur de l'éconduire sans un mot d'explication.

- Depuis combien de temps la séparation a-t-elle été prononcée ? interrogea-t-elle d'une voix chaleureuse.

- Nous ne sommes absolument pas séparés !

L'inconnue avait prononcé ces mots avec indignation, nota Sakura. Parfait. Cette attitude légèrement agressive constituait déjà un progrès par rapport à son excessive passivité de naguère. Sakura se rapprocha de sa cliente dans l'espoir de faciliter la conversation et perçut aussitôt un faible relent d'alcool, efficacement masqué par des effluves de menthe. C'était donc cela... Le langage, les manières, la tenue de la jeune femme indiquaient qu'elle avait évolué longtemps dans un milieu aisé. Pour une autre raison ou pour une autre, elle avait dû commencer à boire et son mari l'avait vraisemblablement rejetée. Schéma classique du naufrage d'un couple... Prise de compassion, Sakura posa un instant la main sur le poignet frêle et tremblant de sa cliente.

- Si vous voulez que je vous aide, il faudra me faire confiance, madame. Je vous assure que rien de ce que vous direz ne sortira de ces murs.

La jeune femme lui décocha un sourire contraint.

- Je... je vais essayer...

Le regard obstinément fixé sur ses genoux, elle commença à raconter d'une voix brisée :

- Je suis partie l'année dernière, un jour d'été. Mon mari n'était pas rentré de la semaine et la solitude me rendait à moitié folle. Je ne le voyais presque plus, vous comprenez ? Jamais, il n'avait la moindre minute à me consacrer !

- Et vous n'êtes jamais retournée depuis ?

- De temps en temps, au début. Mais ces derniers mois, je... Je n'ai pas pu. Mes enfants, mes tout-petits, cela me déchire d'être loin d'eux ! Mais rien n'est plus comme avant lorsque je vais là-bas. Et lui me surveille constamment, m'interdit de les prendre avec moi, même pour quelques heures. C'est tellement injuste...

Les lèvres serrées, elle baissa la tête et se tut un long moment. Lorsqu'elle releva ses yeux pâle vers Sakura, ses joues ruisselaient de larmes.

- Je veux les ramener chez moi. Je veux être de nouveau leur maman et non plus une étrangère à peine tolérée dans la maison.

Sakura se mordit les lèvres. Toute la misère morale du monde semblait personnifiée dans cette créature frêle et prématurément vieillie. Et ce n'était pas la première fois que Sakura avait cette impression. Encore un couple déchiré, des enfants ballotés d'un parent à l'autre, généralement soumis à un terrible chantage affectif... Et personne n'était vraiment coupable, personne n'était vraiment cruel ou mauvais. C'était simplement ainsi que se terminaient une grande partie des mariages, Sakura était hélas bien placée pour le savoir...

- Pourquoi votre mari ne vous les laisse-t-il pas pour quelques jours ? la pressa-t-elle, bien que la réponse fût aisée à deviner...

Pendant un long moment, la visiteuse demeura silencieuse puis elle murmura d'une voix à peine audible :

- Il... il estime que je ne suis pas capable de m'en occuper...

Ainsi, elle consentait à lui parler franchement. Décidée à jouer cartes sur table, Sakura jeta sans préambule :

- C'est à cause de votre problème de boisson, n'est-ce pas ?

La jeune femme tressaillit comme si Sakura l'avait giflée. Allait-elle nier ou se mettre en colère ? Préparée à une réaction violente, Sakura ne fut pas peu surprise lorsqu'elle acquiesça d'un air las.

- C'est venu à la fin, dans les dernières années de mon mariage. Je me sentais tellement seule lorsqu'il restait dormir en ville. Les enfants tombaient souvent malades, il fallait les soigner, m'en occuper jour et nuit. Jamais, je n'avais de temps pour moi. J'essayais de lui parler, de lui faire comprendre. Mais sans aucun résultat.

Elle leva vers Sakura un regard suppliant, comme un appel à l'aide.

- Au lieu de discuter, il m'envoyait chez des psychiatres. Mais aucun de ces cachets qu'ils me prescrivaient ne m'apportait le moindre soulagement... Tout ce qui comptait pour mon mari, c'était son travail. Il me raprochait mon ingratitude, voyez-vous. Cela lui semblait tellement inconvenant que j'ose me plaindre alors qu'il gagnait tant d'argent. Mais l'argent n'a jamais guéri personne de la solitude, ajouta-t-elle dans un sanglot étouffé. Il a décidé alors que nous aurions un deuxième enfant. C'était le meilleur moyen de me distraire, disait-il. Mais cela n'a servi qu'à aggraver les choses. J'étais à bout...

La jeune femme se prit la tête entre les mains.

- Je n'en pouvais plus, conclut-elle d'une voix étranglée.

- Est-ce pour cette raison que vous êtes partie ? Simplement parce que vous ne supportiez plus ce genre d'existence ?

Elle croisa nerveusement les mains sur ses genoux.

- Pas tout à fait, avoua-t-elle, les yeux baissés. Un jour, je me suis mise en colère contre mon aîné et je l'ai secoué rudement en le cognant contre un mur.

Sakura réprima un frisson.

- L'avez-vous blessé ? s'enquit-elle en se forçant à garder un ton neutre.

- Non. Mais cela aurait pu être le cas... Et j'ai eu une réaction de terreur lorsque je me suis rappelé cet épisode le lendemain matin. Je ne pouvais plus avoir confiance en moi ! J'ai pensé que si mon mari l'apprenait, il m'enverrait à l'hôpital comme il avait menacé de le faire à plusieurs reprises. Alors j'ai jeté en hâte quelques affaires dans une valise et j'ai quitté la maison.

Sakura lui tendit la boîte de mouchoirs en papier.

- Désirez-vous entamer une procédure de divorce, madame ?

Une grande tristesse transparut dans le regard de sa cliente. Elle secoua la tête.

- Et votre mari ?

- Je ne sais pas, soupira-t-elle en tordant un mouchoir entre ses doigts.

- Vous envoie-t-il de l'argent ?

- Parfois... mais je travaille également commr serveuse, ajouta-t-elle.

Découragée, Sakura rejeta en arrière ses cheveux roses. Il lui fallait bien s'avouer son impuissance. Sa cliente, hélas, n'avait pas frappé à la bonne porte. C'était d'un thérapeute qu'elle avait besoin, pas d'une avocate. Certes, Sakura avait la possibilité d'entreprendre une démarche auprès des tribunaux afin d'obtenir une garde partagée des enfants. Mais ce serait moralement inadmissible tant que la jeune femme ne serait pas guérie de son alcoolisme.

Mais comment lui conseiller d'entreprendre une démarche auprès d'un psychiatre ? Cela ne servirait qu'à l'offusquer. Le seul point positif était l'attitude du mari. De toute évidence, il n'avait pas cherché à se débarrasser d'elle puisqu'il n'avait pas demandé le divorce. Peut-être était-ce de ce côté-là qu'il fallait chercher une solution.

- Je crois que nous devons procéder par ordre et surtout ne rien brusquer, suggéra-t-elle avec prudence. Pourquoi n'essayeriez-vous pas de contacter votre conjoint pour discuter ensemble de votre problème ? Si vous réussissez à parvenir à un accord sans passer par les tribunaux, ce sera beaucoup moins douloureux pour vos enfants.

Manifestement atterrée, son interlocutrice se leva d'un geste brusque.

- Il ne voudra pas m'écouter de toute façon.

- Il est pourtant vital que vous fassiez au moins une tentative, plaida Sakura.

Sans un mot, la jeune femme lui tendit le billet chiffonné qu'elle serrait entre ses doigts depuis le début de l'entretien. Sakura l'accepta, sachant d'expérience que ses conseils prendraient plus de poids s'ils donnaient lieu à un paiement.

- Si vous désirez un complément d'informations, n'hésitez pas à revenir, proposa-t-elle gentiment.

La jeune femme marmonna un assentiment indistinct tout en se hâtant vers la porte. Un profond découragement s'était emparé d'elle. Cette avocate ne semblait pas vouloir la juger, elle paraissait même prête à l'aider dans la mesure de ses moyens. Mais elle n'avait rien de concret à lui proposer, c'était clair. Personne n'était capable de la conseiller, et elle ne devait compter que sur elle-même. Elle était si lasse, pourtant. Bah... Elle s'arrêterait dans un café en sortant. Un remontant lui ferait du bien.

Demeurée seule, Sakura sentit un poids peser sur ses épaules. Avec des gestes d'automate, elle prit une nouvelle boîte de mouchoirs en papier dans un placard et la plaça sur la table basse. C'était le mariage qui avait brisé cette femme. Une victime de plus à ajouter sur sa liste... Pour elle, cependant, ce serait différent. Son enfant n'aurait peut-être pas de père mais il ne serait pas déchiré dans un conflit conjugal. Il ne risquerait pas de se trouver soudain abandonné par l'un de ses parents, cette forme supérieure de la trahison...

Avec un haussement d'épaules, Sakura chassa son accablement. Avant de mettre son plan à exécution, il lui fallait quelques renseignements supplémentaires sur Sasuke Uchiwa. Et elle n'avait pas l'intention d'attendre une seconde de plus ! Une visite à Shino Aburame s'imposait d'urgence...

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