Chat noir

Chapitre 9 : Deuil

2721 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 04:56

Kiku s'était réveillée aux cris des oiseaux jacasseurs, avait baillé longuement et était retombée sous ses couvertures. Elle avait les bras encore tout engourdis pour avoir brandit la veille un grand panneau devant la résidence du hokage qui exhortait à mettre fin aux hostilités avec le pays de la foudre.

Elle finit par se lever, frissonna en ouvrant ses volets sur une brume glacée transpercée par des rayons de soleil furtifs et suivit l'odeur des brioches sucrées dans les rues de Konoha. Elle s'était ensuite aperçue que les villageois avaient interrompu leurs activités pour suivre de plus près le défilé des agents de police. Elle avait lu la tragédie sur leurs visages décomposés.

Elle remonta la grande allée à leur suite jusqu'à la falaise Naka. Un périmètre de sécurité avait été installé aux bords de la rivière. On lui défendit comme aux autres civils de s'approcher.

Les shinobis du clan Uchiwa faisaient rempart autour du corps repêché.

Kiku avait levé les yeux vers les colosses en pierre qui s'affrontaient depuis une éternité, un peu plus loin, du côté de la vallée de la fin, lorsque les agents de police s'étaient écarté pour couvrir le corps.

Elle avait alors jeté un regard furtif à la dépouille.

Elle laissa ses bras douloureux retomber le long de son corps. Shisui gisait sous le linceul blanc.

 

Il avait salué hier matin son initiative.

« Ça vaut la peine d'essayer, Kiku, lui avait-il dit en souriant, je suis d'avis que le troisième du nom devrait reconsidérer sa politique étrangère. »

Alors qu'elle doutait du poids de son action (c'était après tout sa parole contre celle du conseil des aînés), Shisui l'avait convaincu. Elle avait alors rassemblé autour d'elle une poignée de villageois qui partageait son point de vue.

« Enterrons la hache de guerre une bonne fois pour toute ! »

« Assez d'une trêve incertaine : nous réclamons une paix durable ! »

Autant de slogans scandés sous le dôme rouge. Quelques shinobis du clan Uchiwa avaient été chargés de patrouiller autour du rassemblement et le considéraient, les bras croisés, avec mépris. Shisui qui avait rejoint le département de police après l'examen chûnin, était aussi de la partie. Kiku en avait profité pour se glisser jusqu'à lui, encouragée par les exhortations de ses camarades, et déposer un baiser symbolique sur sa joue.

Elle avait ensuite tourné les talons en traînant son gros panneau derrière elle et s'était mise à fredonner un vieil hymne à l'amour très vite repris en chœur par les protestataires :

 

«... et l'aube se lèvera sur des lèvres vermeilles,

Mais songes que,

Les voleurs disparaîtront avec la lune. »

 

 

On souleva le corps. Les villageois cédèrent le passage à la procession. Un silence de mort régnait sur la falaise. Des visages anxieux se tournèrent vers elle lorsque le cortège disparut. On savait qu'elle avait été une camarade du défunt et on cherchait une explication dans ses yeux hagards.

Les derniers locaux se recueillirent au bord de la falaise avant de descendre à leur tour au village dans un murmure consterné.

Kiku sentit des larmes brûlantes rouler sur ses joues. La falaise disparut un instant derrière un voile épais qui se dissipa lorsqu'elle se frotta les yeux avant de se reconstituer à nouveau.

« Shisui.... »

Le cri rauque d'un corbeau perché sur une branche la tira de sa torpeur. Elle dévala à l'aveuglette la pente abrupte, pressa le pas avant de finir par courir.

Les façades des maisonnées se succédaient à toute vitesse, un chien aboya sur son passage. Elle ralentit en apercevant l'entrée du domaine Uchiwa : pas de gardes chûnins, les membres du clan avaient peut-être été appelés pour préparer les obsèques.

Elle longea les allées caillouteuses jusque chez Itachi et s'arrêta en l'apercevant à l'entrée du pavillon.

Il n'était pas seul.

Orino crispa ses doigts sur son torse et enfouit son visage en pleurs dans son cou. Mikoto Uchiwa se tenait à l'encadrement de la porte, l'air accablé, et ne répondait plus aux questions de Sasuke qui lui tenait la main.

Kiku recula.

Que faisait-elle là au juste ? Elle était devenue tellement prétentieuse : le drame s'abattait sur les Uchiwa et elle accourait pour épancher son chagrin avec eux comme si elle faisait partie de la famille. Pour qui se prenait-elle ? Qui avait donc besoin de ses lamentations ?

Elle blêmit en apercevant les shinobis du clan se diriger vers eux et se glissa derrière le mur le plus proche. Mikoto fit entrer Sasuke et Orino avant de refermer la porte avec regret sur son fils aîné. Sasuke tendit des bras désespérés vers son frère mais se résigna à se laisser entraîné à l'intérieur en comprenant que l'heure était grave.

Les ninjas entourèrent Itachi.

« Une requête de la part du conseil du clan à l'ANBU, annonça l'un d'eux en lui présentant une lettre cachetée, nous demandons à ce qu'une enquête soit menée sur la mort de Shisui. »

« Shisui. » Répéta intérieurement Kiku. Itachi acquiesça mollement et reçut la lettre sans résistance.

« Nous nous en remettons aux services secrets en dernier recours, reprit son interlocuteur d'un air mauvais avant d'ajouter : mais si tu essayes de nous cacher quoique ce soit, nous le découvrirons. »

Les yeux d'Itachi virèrent au rouge :

« Qu'insinuez-vous ? »

Kiku se pétrifia lorsqu'il fendit sur eux. La lutte fut de courte durée et les trois hommes de main du clan heurtèrent le sol dans un nuage de poussière.

« Je vous l'ai déjà dit, gronda l'adolescent, je ne sais rien. Sachez à l'avenir que vous vous mesurez à plus grand que vous, poursuivit-il en tirant un kunaï.

La lame alla se ficher contre la façade la plus proche, en plein milieu de l'emblème du clan.

Kiku posa une main sur sa bouche et réprima un hoquet de surprise. Elle n'avait encore jamais vu Itachi perdre son sang-froid. La peinture rouge et blanche s'effrita autour de la lame.

Quelque chose avait été brisé.

Shisui était mort et Itachi était accusé par les siens de l'avoir précipité du haut de la falaise.

Shisui était mort et les litiges naissaient de ses cendres.

Elle se laissa guider dans les rues désertes du domaine par l'ombre du chat des voisins. Le soleil avait totalement disparut derrière les nuages. De l'autre côté des remparts des Uchiwa, la vie avait repris son cours : un vieux couple martelait les dalles de leur canne en claudiquant, les petits-enfants sautillaient autour d'eux tout en évitant soigneusement de s'approcher trop près de la propriété du clan maudit.

Mais Shisui était mort et cette réalité avait un goût salé.

 

Les jours passèrent et à la maison, on ne ménageait plus Kiku parce qu'elle avait recommencé à sourire. Elle pétrissait l'argile avant autant d'ardeur qu'avant et improvisait des calembours aux clients, un pinceau fin coincé entre les dents.

« Elle n'a pas l'air si bouleversée que ça, chuchotaient les visiteurs en sortant de la boutique, ils étaient pourtant amis, non ? »

Un suicide ? poursuivaient-ils en ressassant l'affaire : les yeux arrachés et le corps laminé par une lutte antérieure ? Ridicule, tout le monde savait que le jeune Shisui avait été tué. Et l'assassin courait toujours ici, à Konoha, alors que personne n'ignorait son identité. Itachi Uchiwa était décidément très suspect...

Et Kiku Hojo aussi à bien y réfléchir... pourquoi ne montrait-elle pas plus de tristesse ? En y repensant, on ne l'avait jamais vu se recueillir à l'autel, ni présenter ses condoléances à la famille du défunt.

Elle avait ensuite fait preuve d'un entrain éhonté au centenaire lorsque les Uchiwa n'avaient fait qu'une brève apparition. Portait un kimono aux couleurs vives et narguait les cracheurs de feu :

«Bouh ! J'ai vu plus impressionnant ! »

Itachi, perché sur un toit à proximité, était en mission pour le compte des forces spéciales : on lui avait demandé de redoubler de vigilance vis-à-vis des Uchiwa depuis que le suicide de Shisui avait exacerbé les ressentiments du clan.

Les grands événements comme le centenaire pouvaient être une occasion de semer le trouble.

Kiku subtilisa la flûte en bambou d'un musicien et souffla très fort dedans avant de la lui remettre en riant. Itachi la suivit du regard. Elle se débarrassa de ses geta* et entortilla les hanches en piétinant le sol en rythme.

Shisui avait raison : elle baignait dans un chakra chaud et lumineux. Il pouvait désormais le voir, avec son sharingan, prendre sa source dans ses points vitaux, irriguer son réseau nerveux et jaillir de ses pores pour irradier son corps.

Comment pouvait-elle produire une telle énergie au repos ?

Elle ouvrit son ombrelle aux premières gouttes de pluie et le fit joyeusement tournoyer. Les derniers Uchiwa se retirèrent, bousculés par la pluie. Itachi atterrit au sol et se fraya un passage dans la foule de noceurs. Il tendit le bras lorsqu'elle fut à sa portée.

« Itachi ? » S'étonna-t-elle en se retournant.

Elle avait les joues fardées et les cheveux ornés de perles derrière le halo de lumière qui l'enveloppait. Elle esquissa un grand sourire et joua des coudes pour le rejoindre.

« Qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais que les veillées c'était pas ta tasse de thé ? »

Elle brandit son ombrelle un peu plus haut pour couvrir la tête de son ami.

« T'as laissé tes lanternes allumées. » S'esclaffa-elle en pointant du doigt ses yeux.

Itachi désactiva son sharingan. Ses pupilles se dilatèrent et reprirent leur couleur noire.

« Je ne faisais que passer. » Mentit-il.

Kiku regarda autour d'elle. Orino n'était pas avec lui. Elle reporta son attention sur son ami.

Il avait des airs de Shisui.

« Est-ce que tu saurais pourquoi Shisui a été retrouvé mort ? » Lâcha-t-elle enfin.

La pluie redoubla de force, les danseurs rompirent leur ronde et coururent se réfugier sous les préaux environnants.

« Je ne connais qu'une personne qui puisse se mesurer au genjutsu du « Mirage », reprit-elle sur un ton plus abrupt, et cette personne c'est toi, Itachi. »

Itachi ne broncha pas, la mine impassible. Kiku se pinça les lèvres : elle aura au moins essayer de le faire parler...

« Je sais que tu n'y es pour rien. »

Itachi eut un sourire amer :

« Qu'est-ce que tu en sais ? »

« Rien justement, s'emporta-t-elle, j'ai aussi le droit de savoir ce qui se passe, nous sommes amis, Itachi et si je peux t'être d'une quelconque aide... »

« Crois-moi, ce n'est pas ce que tu souhaites. » L'interrompit-il.

Il lut une surprise affligée dans son regard. Si Kiku avait un point fort, c'était bien son détachement. Il ne lui connaissait pas cet air préoccupé. Il n'avait cependant nullement l'intention de l'éclairer, ce n'était de toute façon pas de son ressort mais de celui des aînés du village.

Il se raidit en apercevant une larme perler au coin de ses yeux.

« Vos histoires d'honneur et de sacrifice n'ont plus aucun sens si vous n'êtes pas en vie, articula-t-elle avec peine, il n'y a pas de postérité dans le monde des shinobis, il n'y a que des morts anonymes et des vivants qui s'en remettent tant bien que mal. »

« On se moque de ce qu'ont pu faire le yondaime et ses prédécesseurs s'ils laissent derrière eux des orphelins livrés à eux-même et des clans qui se déchirent pour leur succession, poursuivit-elle en serrant les dents, c'est parce que l'on est en vit que l'on peut nourrir l'espoir de voir un jour les choses changer. »

« Mourir, c'est fuir. » Acheva-t-elle avec colère.

Itachi crispa la mâchoire et brandit le poing.

L'ombrelle roula par terre. Les passants pointèrent du doigt dans leur direction en se couvrant la bouche avec horreur. La jolie danseuse au kimono pourpre gisait aux pieds du jeune Uchiwa, le nez ensanglanté. Elle se releva mollement et essuya la plaie avec les manches de son costume.

« Tu dois plus de considération à la mémoire de Shisui. » Professa froidement Itachi.

« Ah oui ? » Souffla Kiku en le fixant intensément des yeux.

Itachi guetta sa réaction mais elle renonça à riposter au dernier moment.

« Tu devrais te faire plus discret. Tout le monde est persuadé qu'un autre Uchiwa qui se croit tout permis malmène une innocente. » Se contenta-t-elle de lui faire remarquer avec flegme.

Elle ajouta enfin avant de rejoindre les témoins pour apaiser leur rancœur :

« Je prie pour Shisui. Je prierai dorénavant aussi pour toi. »

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