Chat noir
REDEMPTION
Une plaque commémorative avait été accrochée à l'entrée du domaine Uchiwa désormais condamnée.
Les villageois s'étaient rassemblés dans la grande place pour une minute de silence, fleurs de lys en main.
De grandes purges avaient ensuite été conduites par les services secrets dans le village : les maisons avaient été fouillées de fond en comble et on opéra même à quelques arrestations.
Kiku Hojo avait été interpellée dans les jours qui suivirent le massacre du clan Uchiwa. Des shinobis masqués s'étaient introduits dans le petit atelier de poterie et avait poussé sans ménagement la suspecte dehors. Ses parents avaient beau protester mais la jeune fille devait être interrogée par décret du hokage.
Elle s'était un peu débattue et était parvenue à les rassurer au passage:
« Juste quelques détails à régler, je serais de retour dans une ou deux heures. »
Bien entendu, personne ne la croyait complice de la destruction historique d'une lignée de shinobis mais elle avait néanmoins vu le doute dans le regard des voisins alertés.
Elle avait aussi été la première à se trouver sur les lieux du carnage et son calme avait éveillé les soupçons. Si elle n'était pas coupable d'avoir perpétré les meurtres aux côtés de son ancien coéquipier, elle aurait aussi bien pu avoir été mise dans la confidence. Et dans ce cas là, ne pas avoir cherché à alerter les autorités était passible d'une peine pour très haute trahison.
« Faites entrer la suspecte. »
On poussa Kiku dans une pièce exiguë et mal éclairée puis on la fit asseoir en face d'un shinobi à l'allure imposante.
Il la jugea de haut en bas : à première vue une jeune fille comme les autres, si ce n'est particulièrement pulpeuse pour son âge. Grande et solide, le regard doux et la mine suave.
L'air aussi inoffensif qu' Itachi Uchiwa...
Selon les informations prodiguées par l'unité de renseignements, une fille sans histoire qui avait renoncé, après avoir seulement obtenu le grade de genin, à poursuivre sa carrière de kunoichi. Elle avait connu la Troisième Grande Guerre Shinobi mais n'était alors qu'une enfant et ne devait en garder qu'un vague souvenir. Ils avaient néanmoins eu vent de récentes activités séditieuses, rien de très grave, des discours sans queue ni tête par-ci, par-là.
Toutefois, aucun détail ne devait être omis.
« Vous le connaissiez bien, n'est-ce pas ? » Commença-t-il.
Des rumeurs circulaient depuis quelques jours sur une liaison entre Itachi Uchiwa et Kiku Hojo. Si le jeune garçon avait été promis à la pauvre Orino Uchiwa, il aurait eu une idylle avec son ancienne collègue.
La jeune fille cligna plusieurs des yeux et le dévisagea, le regard halluciné.
« Bah pas tant que ça, non... » Marmonna-t-elle mollement.
Le shinobi ricana dans l'obscurité avant de reprendre :
« Quand aviez-vous vu pour la dernière fois Itachi Uchiwa ? »
Elle fit mine de réfléchir. Il tiqua : elle essayait de gagner du temps.
« Répondez ! »
La jeune fille se laissa retomber sur le dossier de sa chaise, en signe de résignation :
« Avant ou après la tuerie ? » Lâcha-t-elle avec un triste sourire.
Kilu Hojo ne prenait plus la peine depuis quelques mois déjà à entretenir des liens cordiaux avec son ancien coéquipier.
« On a tous les deux changé : chacun était préoccupé par ses propres affaires. »
La mort de Shisui Uchiwa y était certainement pour quelque chose: celui-ci était nettement plus affable que son jeune cousin.
Elle le croisait de temps à autre avec sa fiancée au marché mais n'avait jamais vraiment eu l'occasion de lui parler.
Oui, elle savait à peu près ce qui se disait sur les dissensions au sein du clan Uchiwa. Elle avait aussi assisté à une ou deux altercations avec les villageois mais ne s'était jamais véritablement posé de questions.
« Les Uchiwa ont toujours en quelque sorte été les mal aimés du village, ça ne sortait pas de l'ordinaire. »
Elle n'en saurait pas plus.
Et puis la nuit du drame alors qu'elle rejoignait une taverne du coin, elle avait par hasard fait un détour près du domaine des Uchiwa :
« J'ai décidé d'y entrer parce que j'ai cru qu'il y avait le feu. »
« Qu'est-ce qui vous a fait croire cela ? »
« J'en sais rien, ça sentait bizarre... »
Kiku Hojo n'avait rien perdu de ses aptitudes sensorielles. Elle poursuivait même, d'après son ancien mentor, son entraînement toute seule.
« … et il y avait des corps étendus un peu partout, je voulais prévenir la police mais y avait plus de police... »
Elle esquissa un sourire las. Son interlocuteur lui fit comprendre que son humour noir était mal venu. Elle haussa les épaules et poursuivit :
« … j'ai cherché des survivants, je suis allée jusque chez Itachi et c'est là que je l'ai vu. »
« Que s'est-il ensuite passé ? »
« Je ne sais plus trop, j'étais un peu secouée sur le coup, vous comprenez... »
« Vous as-t-il fait comprendre qu'il était l'auteur du massacre ? Que vous-as-t-il dit ? »
« Non... enfin, il n'a pas eu besoin de me le préciser : il portait encore l'arme du crime. »
« Il m'a dit qu'il ne me tuerait pas parce qu'il avait besoin d'un témoin. »
Ibiki Morino qui avait assisté à l'interrogatoire surgit de l'ombre à la fin de son récit :
« J'ai une dernière question pour vous mademoiselle Hojo : que ressentez-vous ? »
Kiku Hojo leva des yeux mornes sur lui :
« Ce que je ressens... ? »
Elle fronça les sourcils. Son menton trembla imperceptiblement.
Sa voix se brisa : « Je me déteste. »
Toutes les charges contre Kiku Hojo avaient été levées. Son interrogatoire l'avait aisément disculpé. Non pas parce qu'elle avait fondu en larmes devant ses interrogateurs mais parce qu'Ibiki Morino était arrivé à la conclusion que la petite s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.
Elle se sentait d'ailleurs bien plus coupable qu'elle ne le devrait...
[...]
La vie reprenait son cours à Konoha.
Sans le clan Uchiwa.
Les habitants, rongés par le remord, allaient souvent se recueillir sur la plaque commémorative. On s'accusait les uns les autres de s'être particulièrement montré hostile aux membres du clan.
La mort avait restauré l'honneur des Uchiwa auprès de leurs pairs.
Kiku avait perdu la confiance des siens. Elle avait été contrainte d'arrêter son commerce aux jeux et de rembourser gains et pertes arrachées à l'atelier de poterie.
Elle avait trouvé un repli dans le travail, s'échinait sur la pâte d'argile et répondait sans rechigner aux tâches les plus ingrates.
Parce que tel serait désormais son destin.
Celui pour lequel elle s'était montrée lâche et cruelle.
Et si la sécurité n'avait plus qu'un goût âpre, elle s'en contenterait.
« Kiku, va déposer les vases sur la devanture. »
Elle obtempéra en évitant soigneusement le regard de son père.
Des clientes attendaient à l'entrée de la boutique.
Kiku se débarrassa de sa charge et tendit malgré tout l'oreille.
« Savais-tu qu'il y a un survivant ? »
« C'est incroyable, non ? »
« Le pauvre petit, que va-t-il devenir ? »
Kiku tressaillit.
« Sasuke Uchiwa aimait profondément son frère. »
Les clientes s'interrompirent : la fille du propriétaire s'était précipitée sans crier gare hors de l'atelier.
« Il est vivant ! »
Kiku se hissa sur les toits et traversa dans une course effrénée le village.
Elle atterrit bientôt sur la terrasse du centre hospitalier. Elle inspira profondément pour apaiser sa respiration.
Les draps blancs étendus sur les cordes à linge se balançaient au gré du vent, un oiseau de proie poussa un cri accusateur en déployant ses ailes. Dans les corridors, les médecins ninjas échangeaient avec les infirmiers. Au bout d'un des couloirs immaculés : une chambre de convalescence isolée.
C'était ici qu'on avait mis Sasuke.
Kiku se laissa glisser contre la façade du bâtiment. Les volets cédèrent sans difficulté. Elle s'introduit dans la petite pièce.
Elle tira enfin doucement le rideau bleu suspendu autour du lit.
Sasuke dormait à poings fermés. Elle se pencha, émue, au-dessus de son petit visage tuméfié.
Tendit la main puis se ravisa.
Il ressemblerait malgré tout à son frère et ce sera sa propre image qu'il abhorrera : c'était, du moins, ce qu'affirmaient, désolés, les shinobis du village ; orphelin, rescapé d'une tuerie dont l'horreur ne saurait être décrite, il serait voué à un triste sort...
« Ils ne me laisseront pas m'occuper de toi. » Songea-t-elle douloureusement.
Parce qu'on la soupçonnait toujours de receler des informations sur le drame.
Parce qu'on ne confiait après tout pas à une civile une telle responsabilité.
Parce qu'enfin, on lui avait caché qu'il avait survécu.
Sasuke dormait à poings fermés. Lorsqu'il ouvrit les yeux, Kiku était déjà partie.
On murmurait qu'il avait désormais le regard aussi sinistre que celui de son frère aîné.
Et rouge.