Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 9 : Un toit où rêver

2846 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 04:33

Ah, Stan, si seulement tu savais à quel point tu me saoules...

Seul dans ma salle de cours, attendant l'arrivée de mes élèves, je résistais tant bien que mal à l'envie de sortir fumer une cigarette. Depuis que Gallagher avait touché à mes Salem, j'avais trouvé une motivation toute nouvelle pour m'arrêter. 

Je faisais les cent pas autour des tables, de plus en plus énervé, essayant de penser à autre chose qu'au tabac. Stan, tiens ! 

Mais qu'est-ce qu'il me veut, hein ?

Son obstination m'exaspérait et me laissait perplexe. Il n'avait aucun besoin de moi et Springwood non plus, alors pourquoi s'acharnait-il sur moi ? Me cachait-il quelque chose ? Cela avait-il un rapport avec ce que Krueger m'avait infligé l'autre nuit ?

Et, par-dessus tout, pourquoi étais-je aussi perturbé par ce qu'il m'avait déballé devant l'ascenseur ?

Je finis par m'asseoir sur une table au hasard, grimaçant sous la douleur encore mordante de mes côtes et l'inconfort total du corset dont on m'avait affublé à l'hôpital. Quand mon reflet avait croisé mon regard, ce matin dans la salle de bains, mon apparence m'avait pratiquement dégoûté. Mon dos était dans un état pitoyable, un vrai cratère de chair ravagée. Une brûlure au second degré ? J'avais du mal à y croire. J'avais perdu des cheveux à l'arrière du crâne et, sans pouvoir constater les dégâts dans le miroir, je savais que le résultat avait de quoi effrayer.

Lorsque les médecins m'avaient demandé ce qui m'était arrivé, j'avais préféré leur répondre que je ne m'en souvenais plus. J'avais passé un peu plus de temps que prévu à l'hôpital, histoire de passer quelques examens supplémentaires, mais cela m'avait évité les explications embarrassantes qui auraient très bien pu m'envoyer au département psychiatrique. En revanche, voir la police débarquer à l'hosto pour m'interroger au sujet d'un éventuel agresseur m'avait conduit au bord de la panique. Dans d'autres circonstances, apprendre que les flics enquêtaient sur Freddy sans le savoir m'aurait sans doute fait rire. J'avais été très tenté de leur dire que la responsable était en fait une certaine Kanra Dawn Gallagher, mais ça n'aurait fait que m'apporter un peu plus de problèmes. Au final, je leur avais simplement dit que, si une petite perquisition les tentait, j'étais chez moi tous les soirs de la semaine, plus le week-end.

C'était une voisine qui avait appelé les secours, m'entendant hurler. Elle était même venue à l'hôpital s'enquérir de mon état. Oui, j'allais mieux. Non, mon pronostic vital n'était pas engagé. Non, je ne savais pas comment c'était arrivé. Ah, désolé de vous avoir fait peur. Merci quand même. Au revoir.

Bon. Freddy avait donc tout simplement tenté de me faire peur en me faisant croire que Kanra s'était fait passer pour ma fille au téléphone. Affaire classée.

Et l'apparition surprise de Gallagher avant ton cauchemar ?

C'était pendant mon cauchemar, objectai-je. Encore un tour de Freddy.

Je descendis du bureau, allai ouvrir les stores et éteignis la lumière. Les paroles de Stanley White se collaient dans les replis de mon cerveau comme des sangsues. Il ne m'avait pas appris grand-chose : je savais que mes élèves m'aimaient bien avant tous ces événements. Quant aux cours, j'avais toujours fait de mon mieux pour les intéresser à ce que je voulais leur apprendre. On avait toujours beaucoup ri. Je savais parfaitement que mes méthodes faisaient ricaner certains de mes collègues et s'arracher les cheveux les plus stricts d'entre eux, mais peu importait, je m'éclatais, mes élèves aussi, et les notes étaient excellentes. On ne change pas une équipe qui gagne.

Or cette année, j'en avais conscience à présent, j'allais les décevoir. White avait raison sur toute la ligne. J'avais laissé Krueger me détruire et faire de moi une personne que je n'aimais pas. Pire encore, je n'avais plus la moindre empathie pour les autres.

Je m'appuyai au tableau noir, détaillant du regard les planches anatomiques qui me faisaient face, au fond de la salle. Et alors ? Te voilà bien avancé. Tu n'as qu'à démissionner.

Ce qui m'amenait à la question que White m'avait posée : pourquoi étais-je resté à Springwood, surtout si Freddy n'agissait nulle part ailleurs ? Sûrement pas pour le tuer. Pour qu'il me tue ? C'était possible, mais jusqu'à notre dernière rencontre, jamais je ne m'étais laissé faire. Mes cernes en étaient la preuve. M'empêchais-je de dormir seulement pour me faire croire que je pouvais encore m'en sortir ?

Oliver, tu vas chercher ça un peu loin.

Etais-je resté par masochisme ? Pour me punir moi-même d'avoir provoqué la mort de Mary et de Daniel ? Pour compenser la souffrance psychologique par la souffrance façon Freddy ?

Tu t'improvises psy, maintenant ? Allez, arrête ton cirque. Tu sais très bien pourquoi tu es resté : parce que si tu pars, Krueger aura gagné. Tu ne veux pas partir parce que ce serait une insulte à la mémoire de ta famille. Tu leur as fait une promesse et tu ne l'as pas tenue. Et il n'y a qu'une manière de rattraper ça : continuer. 

Tuer Krueger ? C'est ça ?

Eh oui.

Mes dialogues intérieurs me fatiguaient encore plus que ceux que je partageais occasionnellement avec mon entourage.

On ne peut pas. Même les exorcistes ont essayé, si tu veux savoir.

Parce que tu crois à ces conneries ? Ecoute, si tu ne peux pas le tuer, tu peux peut-être le neutraliser, l'empêcher d'agir. Tu dois pouvoir le faire, ça. Souviens-toi : il t'a lancé un défi. Profites-en pour lui montrer qu'on ne massacre pas impunément ta famille. Tu as un nouvel atout dans ta manche : Stanley White. Je suis sûr qu'il peut t'aider autant que tu peux l'aider.

Mais enfin, protestai-je, l'aider en quoi ? Il se débrouille très bien tout seul.

Peut-être, mais il a peur. Tu devrais peut-être en tenir compte, non ? Arrête de lui dire qu'il ne risque rien, tu n'en sais rien. Tu veux peut-être avoir une autre mort sur la conscience ? Tu sais combien de jeunes se sont tués pour échapper à Freddy ?

Ça, c'était l'argument béton. L'épidémie de suicides des années quatre-vingt dix avait suffisamment marqué Springwood pour que je m'en souvienne moi-même très bien. Je n'avais pas encore pris la mesure de l'influence de Krueger, à l'époque, mais par la suite, en fouillant un peu dans les archives de la bibliothèque et sur Internet, j'étais parvenu à assembler toutes les pièces du puzzle. Aujourd'hui, cela n'arrivait plus, la peur ayant disparu chez les adolescents. Hors de question que cette horreur recommence, surtout par ma faute.

Mes réflexions furent interrompues par la sonnerie. Il était temps de retourner au boulot.

Les élèves entrèrent dans la salle en silence, m'observant avec une inquiétude incompréhensible. Kanra Gallagher, seule, se contenta de me lancer un regard amusé avant de s'asseoir à sa place, les pieds toujours croisés sur son bureau. Stanley, lui, ne m'accorda pas un seul coup d'oeil.

"Que vous est-il arrivé, monsieur ? me demanda Rooney Earl avant de s'asseoir.

- Rien de grave, ne vous en faites pas, soupirai-je en sortant mes cours.

- Vous avez été absent longtemps, ajouta Gabe Trigger. Vous allez bien ?"

Ainsi, mes élèves s'étaient inquiétés pour moi. Pour eux, rien n'avait changé. J'étais toujours Oliver Yellowspring, le seul prof à les avoir traités d'égal à égal jusqu'à cette dernière rentrée... et parfois autorisés à faire de même avec moi, en dehors des cours.

"Mais oui, mais oui... Merci quand même", soufflai-je.

Puis, pris d'une inspiration subite, je lançai un truc stupide à mon auditoire :

"Navré pour le retard pris dans le programme, je vais tâcher de rattraper mes bêtises. J'aurais dû me douter que faire du skate tracté par une Chevrolet sur Main Street était une mauvaise idée."

Un silence d'une demi-seconde précéda l'éclat de rire général qui retentit dans la grande salle, le temps que la scène s'impose à la fertile imagination de mes élèves.

Bon. Peut-être allais-je réussir à passer une bonne journée, tout compte fait.

***

Ce fut une excellente journée. Je n'avais peut-être jamais autant ri. J'avais même fini par annuler la retenue de Stanley White - "Désolé, je me suis un peu emporté, tu peux rentrer chez toi" - qui m'avait remercié avec un peu d'hésitation, semblant avoir du mal à me suivre. C'était une chose que je concevais parfaitement : je me montrais incroyablement lunatique depuis que nous nous connaissions.

Stanley White était une personne particulière. Lorsqu'il ne faisait pas preuve d'une timidité maladive, il était d'un franc-parler proche du culot, mais savait viser juste. Il paraissait bien connaître le genre humain, ce jeune espion des rêves. Il m'emmerdait, le White, mais force était de reconnaître que je l'aimais bien. Notre petit secret y était sans nul doute pour beaucoup, or je crois sincèrement que je l'appréciais bien avant d'apprendre qu'il avait eu affaire à Freddy. Sinon, il n'aurait certainement pas réussi à me faire sourire dès le premier jour.

Affalé sur mon canapé avec un verre d'eau à la main et un sachet de chips dans l'autre, ce soir-là, je me sentais merveilleusement bien. Le journal télévisé défilait paresseusement à l'écran, le soleil se couchait sur Springwood, il était vingt heures, et je me sentais bien. Peut-être même que je pourrais, de nouveau, apprendre à vivre, me disais-je. Oui, c'était un bon programme.

Tant que Krueger ne s'en mêlait pas.

Mais, pour l'instant, je l'avais oublié. J'aurais tout le temps d'y réfléchir plus tard.

Entendre frapper à la porte me fit hausser les sourcils. La police, peut-être ? Je me levai avec un grognement et allai ouvrir.

"Bonjour, Oliver ! Comment allez-vous ?"

L'apparition me pétrifia sur place. C'était Abigail Bennett, l'infirmière. Elle portait une veste noire, un jean délavé et des chaussures bleues à talon haut qui la faisaient me dépasser de cinq centimètres au moins. Elle était superbe, toujours impeccablement maquillée, les cheveux cascadant souplement sur ses épaules. Je baissai furtivement les yeux sur ma tenue : jean noir, chaussettes grises, t-shirt blanc et large par-dessus mon corset. Check, ça passe.

"Euh... ça va bien, merci, et vous ? lâchai-je avec surprise.

- En pleine forme ! sourit-elle.

- Vous... vous voulez entrer ? Un café, peut-être... ?

- Ce sera parfait, merci !"

Je m'effaçai pour la laisser passer et refermai la porte, un sourcil haussé.

"Que me vaut cette visite inattendue ? m'enquis-je en la rejoignant dans la cuisine.

- Sans vous, l'hôpital est moins animé ! rit-elle en ôtant sa veste.

- Vous ne voulez pas que j'y retourne, non plus ? ironisai-je, étrangement flatté.

- Loin de moi ce souhait ! Je voulais simplement vous revoir."

Je l'invitai à s'asseoir à table, pas très à l'aise. Elle affichait toujours ce sourire éclatant. Je pensai vaguement que nous étions les exacts opposés, tant sur le plan physique que mental. Enfin, presque : nous aimions tous les deux la biologie...

"Eh bien écoutez, merci, ça me fait plaisir, mademoiselle Bennett.

- Abigail, rectifia-t-elle. Ou Abby, comme la gothique dans NCIS !"

Effectivement, ça lui allait plutôt bien. Au cours de mon séjour à l'hosto, j'avais pu constater qu'elle était remarquablement speed.

Je faillis lui dire qu'elle pouvait m'appeler Olly, mais je me retins. Une seule personne m'appelait comme ça, désormais. Et elle n'avait rien à voir avec Bennett. 

Je lui préparai une tasse sur le plan de travail, ne sachant trop quoi lui dire. J'avais bien l'impression d'être en train de me faire draguer. Il faut croire que les cernes, les brûlures et la bedaine façon buveur de bière vous dotent d'un charme ravageur.

Dans le salon, un journaliste annonçait les prévisions météo.

"J'espère que je ne vous dérange pas trop, Oliver, fit Abigail.

- Non, non. Je suis simplement étonné. Il est vingt heures et mon infirmière de quelques jours s'invite chez moi..."

Je me mordis les lèvres. J'avais peut-être été un peu sec, là.

"Je peux comprendre... Au fait, j'ai vu une vieille Pontiac dehors, derrière votre maison. Sa conductrice semble s'être cachée là. Je voulais vous en avertir."

Je me tournai vers elle, en alerte.

"De quoi a-t-elle l'air ?

- Le côté de son visage est brûlé, et...

- Putain, Gallagher !"

Je laissai la cafetière s'occuper de ma petite préparation et me précipitai à la fenêtre sud du salon. Kanra se fendit d'un sourire malsain, une cigarette à la main, me saluant de l'autre, assise sur le capot de sa voiture, juste derrière le muret qui séparait mon jardin du trottoir et de la voie piétonne, au loin.

"Oliver, s'inquiéta Abby, il y a un problème ?

- Merci de m'avoir prévenu, lui lançai-je en me dirigeant vers le téléphone. J'appelle la police.

- Qui est-ce ? demanda-t-elle, se relevant.

- J'aimerais bien le savoir, moi aussi !"

Le temps que la police me réponde, Kanra était déjà remontée en voiture et amorçait une marche arrière sur la rue, m'adressant un dernier salut avant de disparaître derrière les arbres.

Laisser un commentaire ?