Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 11 : La Belle et le Rêveur

2363 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:50

Springwood, 2 octobre 2013

 

"Et BAM !" s'écria Sophie, un grand sourire espiègle aux lèvres tandis qu'elle me faisait littéralement sauter la cervelle.

Je lâchai la manette de la Playstation, faussement dépité, et lui lançai un regard menaçant. Elle éclata simplement de rire en me donnant une grande tape sur l'arrière du crâne.

"Eh, doucement ! lui lançai-je.

- Ne t'en fais pas ! Un jour, peut-être, tu sauras me vaincre !

- C'est ça, rigole. Mais enfin, comment tu fais ? demandai-je, sincèrement impressionné.

- Simple question d'entraînement. Mais pour un débutant, tu ne te débrouilles pas si mal."

Elle croisa ses jambes nues, les cuisses seulement recouvertes d'une jupe noire qui tranchait avec la pâleur de sa peau, et prépara une nouvelle partie.

En cette fin d'après-midi, Sophie Gallagher m'apparaissait sous un jour nouveau. Au lycée, elle semblait aussi timide que moi, mais une fois chez elle, face à sa console et à sa télévision, elle rayonnait d'assurance. Visiblement, elle aimait montrer ce qu'elle savait faire.

"Tu joues souvent avec Kanra ? m'intéressai-je soudain tandis que je ramassais ma manette, tombée sur la moquette.

- De temps en temps, soupira Sophie en se passant la main dans les cheveux.

- Et... qu'est-ce que ça donne ? poursuivis-je.

- Elle se lasse vite", dit-elle en haussant les épaules.

Je hochai la tête, ne sachant que dire.

"Elle est presque tout le temps dehors, ajouta-t-elle. Elle m'a dit qu'elle détestait être enfermée. Je ne sais pas trop ce qu'elle fait.

- On m'a raconté qu'elle proposait aux personnes qui avaient une dent contre quelqu'un de le tabasser en échange d'une trentaine de dollars, c'est vrai ?

- Oui, souffla-t-elle en tournant son visage vers le mien, c'est vrai. C'est pour ça qu'hier, Harry n'était pas là. Elle s'est arrêtée juste à temps pour lui éviter l'hôpital et lui a dit que, s'il parlait, elle le tuerait. Si tout ce qu'elle m'a dit est vrai, je peux t'assurer qu'il ne parlera pas.

- Tu as peur d'elle ?

- Pas toujours, dit-elle en lançant le jeu.

- Comment ça, "pas toujours" ? insistai-je.

- L'autre jour, je suis allée faire un tour avec elle, commença Sophie après quelques secondes de silence. On a croisé, dans une rue plutôt tranquille, un homme en voiture qui roulait au ralenti le long du trottoir, en train de suivre un enfant en lui disant : "Monte, je te dépose chez toi ! Allez, monte !" Kanra lui a cassé la figure, enfin... "pété la gueule" conviendrait sans doute mieux. Elle a ouvert la portière conducteur et a traîné le type sur l'asphalte. Il s'est pris une telle rafale de coups que je me demande comment il a pu se relever ensuite, juste avant que Kanra ne l'assomme. Le gamin s'est enfui en courant avant qu'elle n'ait terminé... Je n'ai pas su quoi faire, sur le coup."

Je restai interdit, la bouche à demi ouverte, avant de lâcher :

"Kanra a vraiment défendu un enfant ?

- On dirait bien. Ou alors, elle voulait se défouler et c'est tombé sur lui. Elle est souvent violente.

- Elle t'a déjà frappée ?

- Jamais, m'assura-t-elle, plantant ses yeux dans les miens. Je ne pense pas qu'elle puisse le faire.

- Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

- Elle me l'a juré. Et je crois que c'est une personne de confiance. Elle tiendra parole."

Je restai silencieux un moment. Nos deux personnages restaient immobiles à l'écran, nous attendant avec patience. Je m'enfonçai dans le canapé, la tête penchée en arrière, contemplant les poutres qui traversaient le plafond de la maison Gallagher.

J'avais beaucoup hésité à accepter l'invitation de Sophie, de peur de croiser sa soeur. La soirée s'était assez bien passée jusque-là. Espérant ne pas paraître intrusif à ma camarade, je lui posai une nouvelle question :

"Et tes parents ? Vivre avec une personne aussi dangereuse, ça ne leur fait rien ?

- Kanra sait faire bonne impression, crois-moi, dit-elle en se passant une mèche rebelle derrière l'oreille. A part le prof de bio, elle sait y faire avec les adultes. Elle me donne souvent l'impression d'être plus âgée, c'est comme si elle avait... Je sais pas, trente ans au lieu de dix-sept.

- Elle est manipulatrice ?

- Tu ne sais pas à quel point. Ce que je ne comprends pas, c'est sa différence de comportement avec monsieur Yellowspring. C'est comme si les masques tombaient. Au fait, j'ai l'impression qu'il est de meilleure humeur, en ce moment, ça fait plaisir ! sourit-elle, presque soulagée d'avoir changé de sujet. J'ai l'impression de retrouver mon ancien prof."

Je lui rendis son sourire. Effectivement, Oliver Yellowspring semblait en meilleure forme depuis quelque temps.

Nous ne nous étions plus parlé depuis notre dernière conversation, devant l'ascenseur. Il ne servirait manifestement à rien de tenter de le convaincre par le dialogue : cet homme était affreusement borné. Et de toute façon, je n'osais plus lui adresser la parole. Si mon plan B ne fonctionnait pas, je devrais me débrouiller tout seul.

J'espérais sincèrement ne pas être allé trop loin. C'était quitte ou double, je le savais. Restait à espérer que Yellowspring avait jeté mon petit mot à la poubelle ; s'il se rendait compte que l'écriture n'était pas celle de Kanra, il comprendrait sans problème que je m'étais fait passer pour elle. J'en avais honte, mais aucune autre solution ne s'était offerte à moi.

"Dis, Soph... Tu crois qu'elle aime Rooney ?

- J'en sais rien, rit-elle, mais ça me paraît un peu rapide, cette histoire ! Quoique... Quand Rooney a eu son accident, Kanra a été la première à se ruer sur son téléphone pour l'appeler. Alors... Bah peut-être.

- Et... dormir avec une fille homosexuelle dans ta chambre, ça ne te gêne pas ? osai-je demander. Je veux dire, vu que vous n'êtes pas vraiment soeurs...

- Elle ne dort presque jamais ici. Elle attend que mes parents soient couchés et elle sort par la fenêtre. Je ne sais pas où elle va. Elle revient le lendemain matin vers cinq heures et reprend tranquillement sa journée comme si de rien n'était. Et puis elle est bisexuelle, si tu veux tout savoir. Bon, on la fait, cette partie ?"

Je hochai la tête et m'apprêtai à recevoir une nouvelle raclée, un peu gêné. D'autant plus qu'il m'était de plus en plus difficile de garder la tête froide en sa présence, je dois bien l'admettre. Sophie Gallagher était une personne attirante.

J'éprouvai quelques difficultés à me concentrer sur le combat qui se déroulait sous mes yeux. Mortal Kombat. Lorsque j'avais vu la jaquette, je m'étais imaginé que le jeu appartenait à l'autre Gallagher. Comme quoi...

Il m'était étrange d'assister à ces mises à mort virtuelles après avoir vu tant de personnes mourir sous les griffes de Freddy. Je connaissais désormais suffisamment bien la mort pour savoir que la vision que j'en avais ce soir-là en était horriblement faussée, je n'aurais su exactement dire en quoi.

"Est-ce que tu restes pour le dîner ?

- Je n'en sais rien, répondis-je distraitement, peut-être... Si ça ne dérange personne.

- Oh, ma mère t'aime bien. C'est elle qui a proposé. Mon père est d'accord, et Kahn sera sans doute encore dehors.

- Comme tu veux", soufflai-je, pas mécontent de retarder de quelques heures le moment où je devrais rentrer chez moi.

Sophie remporta la victoire une nouvelle fois et je lâchai un gémissement de lassitude. Cela devenait fatiguant.

"Tu veux qu'on arrête ?

- Oui, si tu veux bien.

- Mauvais joueur !" me railla-t-elle en éjectant le CD.

Je lui tirai la langue comme un gamin et décidai de me lever, réveillant mes muscles assoupis en m'étirant de tout mon long. J'étais presque assez grand pour atteindre le plafond et, sans ses talons hauts, Sophie mesurait bien une tête et demi de moins que moi. J'adorais la taquiner à ce sujet ; cela compensait le fait qu'elle me battait à plates coutures aux jeux vidéo !

"Et si on allait prendre l'air ? me suggéra-t-elle.

- Comme tu voudras. On ne risque pas de croiser ta soeur ?

- Elle te fait peur à ce point ?"

Je répondis par un haussement de sourcils.

"T'inquiète, me dit-elle, elle n'est pas si terrible que ça.

- Je ne suis pas tout à fait de cet avis.

- Ce n'est pas parce qu'on a la tête d'un monstre qu'on est un monstre.

- Je sens qu'elle serait ravie d'entendre ça !

- Peu importe, tu vois ce que je veux dire. Kahn a fait peur a tout le monde, le jour de la rentrée, à cause de ses cicatrices. Maintenant, ça va mieux.

- Tu parles ! Je parie que tout le monde s'attend à ce que quelqu'un la paie pour lui éclater la tronche !"

Elle haussa négligemment les épaules.

"Si elle nous croise dans la rue, surtout ne t'inquiète pas, elle ne te touchera pas. Elle adore se défouler, mais tant qu'il n'y a pas de raison valable à ce qu'elle le fasse, elle ne passe pas à l'acte. Tant que tu ne la provoques pas, tu ne risques rien.

- Est-ce que tu sais si quelqu'un lui a demandé de terroriser le prof de bio ?

- Je ne pense pas que ce soit le cas. Et je ne vois pas qui aurait pu faire ça."

Je me mordis les lèvres. Moi, j'avais une hypothèse très inquiétante en tête et elle se résumait en un seul mot : Krueger. Quant à savoir pour quelle raison Kanra se serait alliée à lui, et surtout pourquoi Freddy voudrait faire souffrir Oliver Yellowspring par l'intermédiaire de Kanra alors qu'il y parvenait très bien dans son sommeil...

A moins qu'il n'eût peur de lui. Si mon prof avait encore du potentiel...

"Eh Stan, t'es avec moi ? m'interpella Sophie en claquant des doigts sous mon nez.

- Aucun problème, soupirai-je. Je réfléchissais."

Peut-être n'y avait-il aucun lien entre eux. Si tel était le cas, j'avais sans doute pris trop de risques avec Yellowspring. Il en savait peut-être plus que moi et j'avais tout misé sur le contraire.

Pourtant, je l'avais vue en rêve. J'en étais persuadé. Je l'avais bel et bien croisée dans la chaufferie un peu plus d'un mois auparavant. Elle galopait entre les chaudières, seulement vêtue d'un jean et munie d'un couteau à viande. Elle était passée devant moi à toute vitesse avant de disparaître, le visage mangé d'une ancienne brûlure et troué d'un oeil aveugle, ses épais muscles ondulant sous sa peau nue trempée d'hémoglobine. Et si mon prof la craignait, c'est qu'il y avait une raison à cela. Peut-être fallait-il que je lui en parle.

Mes réflexions furent interrompues par les doigts de Sophie effleurant les miens. Réprimant un sursaut, je la dévisageai avec surprise pour voir ses pommettes rougir avec violence.

"On devrait y aller", murmura-t-elle.

J'écarquillai légèrement les yeux tandis qu'un sourire étirait durement mes lèvres craquelées. Un sourire sans doute stupide, mais je ne pouvais pas faire grand-chose d'autre.

Je l'aimais bien.

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