Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 12 : De la rouille dans les muscles

2190 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 03:55

Springwood, 11 octobre 2013

 

Mes cuisses me brûlaient.

Je me penchai, pris d'un étourdissement, le corps tout entier en surchauffe, pulsant sous la torture que j'étais en train de lui infliger. J'empestais la sueur. Mes poumons expulsaient douloureusement l'air par ma bouche à demi ouverte. L'inspiration sifflante qui m'écartelait les côtes était encore pire.

J'essayai de marcher un peu, ignorant la nausée qui me serrait la gorge. Le sport intensif, ce n'était peut-être pas pour moi. Pas après presque quatre mois passés à stocker la graisse, avachi sur mon sofa.

C'est bon, Oliver ? Tu t'es suffisamment démoli ? grognai-je intérieurement.

Je dus me résoudre à m'allonger sur le sol froid de la salle de sport, m'assurant que j'y étais toujours seul. La violente lumière des néons me sauta au visage et je fermai les yeux, laissant mes vieux muscles se décontracter.

J'eus toutes les peines du monde à me relever, cinq minutes plus tard, pour me traîner jusqu'à la cible, à l'autre bout du gymnase, et en déloger la machette que j'y avais lancée avant de la ranger dans mon sac de toile avec mes affaires de rechange. Je n'avais pas trop mal visé, mais je pouvais faire bien mieux. M'exercer au lancer de couteaux en tous genres n'avait pas grande utilité, mais j'adorais ça. C'était un sacré défouloir, et j'avais besoin de me défouler.

Je finis par m'asseoir sur l'un des bancs qui longeaient les murs de la vaste et lumineuse salle, totalement épuisé. J'avais fait pas mal de progrès depuis le début de la semaine, il fallait bien le reconnaître. 

Dès que j'avais pu enlever ce foutu corset, je m'étais précipité au gymnase, dans l'espoir de ne pas avoir trop perdu la main, et tant pis si mon poumon se déchirait ou s'il m'arrivait je ne sais quoi. J'avais remarqué, du temps où je protégeais de mon mieux mes proches des envies meurtrières de Freddy, que plus je m'entraînais au combat à l'état d'éveil, meilleur j'étais dans les rêves. Sans doute était-ce une question de confiance, comme me le disait Mary.

Etait-ce parce que j'avais perdu confiance en mon don que Krueger était parvenu à nous atteindre, tous les trois ? Question intéressante, mais je détestais y penser.

Je m'étendis sur la large planche de bois qui me servait de siège avec un grognement, sentant un immense mal de crâne me saisir. Aucun doute, j'avais trop tiré sur la corde.

J'entrouvris les paupières sur les fenêtres qui donnaient sur la rue. Le soleil se couchait déjà sur Springwood, la pluie arrivant avec la nuit. Quelques gouttes frappaient déjà les vitres et le toit dans une série de "ploc" sonores. C'était presque reposant. Ma respiration saccadée reprenait progressivement son rythme habituel. Malgré tout, j'avais envie de continuer l'entraînement jusqu'à me trouver incapable de me tenir sur mes deux jambes. Sentir mes muscles se tordre sous l'effort m'avait étrangement manqué.

Je tentai d'essuyer le plus gros de la sueur qui me collait au visage à l'aide de mon t-shirt déjà trempé. Mieux valait que je rentre chez moi. Je pourrais toujours revenir plus tard, après le dîner. J'aurais alors tout le loisir de m'adonner à de nouvelles séries de pompes, à d'autres tours de salle, et de poursuivre la destruction de cibles en bois à l'arme blanche. Bon programme.

Me relever entama quelque peu mon bel enthousiasme. Mes articulations avaient souffert.

Je filai dans les douches, vérifiant que j'étais toujours seul. Visiblement, la séance d'entraînement de l'équipe de basket était bel et bien remise à une date ultérieure.

Me flanquer la tête sous l'eau me détendit un peu plus, même si, le temps que je ne me rince les cheveux, elle était déjà trop chaude. Je ne m'en formalisai pas et changeai tout simplement de robinet.

"Aïïïïe !"

Ma stupeur me fit glisser sur le carrelage trempé et je dus me retenir au mur. L'eau était tout simplement bouillante.

"Merde ! Foutu chauffe-eau, tu peux pas te calmer un peu ?"

J'attendis quelques minutes avant de revenir au premier robinet. L'eau avait retrouvé sa tiédeur habituelle. Je la laissai couler sur ma peau, paresseusement adossé au mur, et revins à mon occupation favorite : me retourner les méninges.

Pour commencer, où était passée Gallagher ? Elle s'était mise à sécher tous mes cours depuis lundi. Cela ne me dérangeait pas, loin de là, mais... Oh que si, ça me dérangeait. Elle manigançait quelque chose, planquée Dieu seul savait où, avant de rejoindre sa classe pour le cours suivant. Lorsque nous nous croisions, elle se contentait de me gratifier d'un regard moqueur. Comme Stanley, elle avait cessé de m'adresser la parole.

Ses yeux parlaient pour elle.

T'en fais pas, Stan, on va les coincer... Putain, ça recommence ! fulminai-je à part moi lorsque l'eau dépassa allègrement les quarante degrés, me forçant de nouveau à attendre que la chaudière cesse de vouloir m'ébouillan...

"Nom de..."

Pris d'un affreux doute, je sortis des douches en courant, faillis m'étaler dans le couloir et me passai la main sur la figure lorsque je me vis, allongé de tout mon long sur le banc, les yeux fermés, brillant de sueur et commençant à m'agiter dans mon sommeil.

Et merde.

"Eh Krueger, t'en as déjà assez de ce petit jeu ?" lançai-je à la cantonade.

Je jetai un regard à la ronde avant de ressortir la machette de mon sac à dos.

"Ça tombe bien, moi aussi ! Allez, remettons les choses au point !"

Je m'habillai en vitesse, puis, l'arme en main, prêt à me battre, je me dirigeai lentement vers la sortie. Devant moi, à travers les vitres, il n'y avait plus qu'une obscurité totale qui réveilla ma relative claustrophobie. Du coin de l'oeil, je me vis m'agiter en plissant les yeux.

Je sais, mon vieil Oliver, t'aimes pas ça. Moi non plus. T'inquiète pas, je vais arranger ça.

Jamais je n'avais eu à ce point le sentiment de me mentir à moi-même, mais je devais lutter contre ce léger détail qui n'échapperait certainement pas à Freddy. A nouveau, ce corps qui était bel et bien le mien eut une grimace de malaise. Il commença à s'agiter et je crus qu'il allait tomber au pied du banc.

C'est ça. Dès que la situation devient critique, casse-toi la gueule sur le lino, c'est une excellente idée.

Je m'approchai, les sourcils froncés sous l'étrangeté de la situation. Je n'étais vraiment pas beau à voir. L'idée de me tuer moi-même dans mon rêve s'imposa à mon esprit, me statufiant sur mes pieds nus et me faisant baisser mon arme. Bon sang.

C'était assez tentant. De plus en plus tentant. Sauf que j'avais ce paumé casse-couilles de Stanley White à aider.

C'est dingue, mon propre corps me donne non plus des envies de suicide, mais des envies de meurtre.

Il y a une différence ? intervint l'une de mes agaçantes voix intérieures.

Oui, il y a une sacrée différence entre tuer autrui et se tuer soi-même. Ne me demande pas laquelle.

En l'occurrence, c'est toi-même que tu t'apprêtais à tuer.

Je soupirai. Tout ça était complètement insensé.

Intrigué malgré moi, j'exerçai une pression hésitante sur ma jambe luisante à laquelle se collaient quelques poils bruns. Elle se couvrit de chair de poule - et je le sentis. Bizarrement dégoûté, je me décidai finalement à sortir.

Lorsque je poussai la porte du gymnase, je me retrouvai en terrain inconnu. J'étais peut-être encore à Springwood, mais cette rue déserte, plongée dans une pénombre bleuâtre, ne me disait strictement rien. Je cherchai une pancarte, un panneau qui m'informerait sur le lieu où je me trouvais, tout en faisant quelques pas le long du trottoir et laissant mes yeux fatigués s'accoutumer à leur environnement.

Elm Street. J'étais à Elm Street. 

"Très bien, m'écriai-je, j'arrive !"

Comme pour me répondre, l'une des maisons laissa sa porte s'ouvrir et, ainsi, m'inviter à entrer. Me retenant de déglutir bruyamment comme un couillon, évitant de songer à mes vêtements désormais imbibés d'eau qui me collaient de partout, je me dirigeai aussi courageusement que possible vers la baraque qui tombait en ruine. On eût dit que les propriétaires entamaient une rénovation, avec tous les échafaudages qui l'encerclaient. Putain, qui voudrait vivre ici ?

L'intérieur, étonnamment lumineux, me donna la même impression. Quelques pots de colle à papier-peint traînaient sur le carrelage. Ils refont l'extérieur et l'intérieur en même temps ? Les pros du bâtiment m'étonneront toujours.

L'escalier qui menait au premier étage, face à l'entrée, semblait également en pleine réparation. De nouvelles planches étaient déjà bien en place sur les marches, peintes et cirées.

"Quel bordel", lâchai-je.

Je me grattai pensivement le crâne, là où Freddy m'avait brûlé. L'atmosphère des lieux me paraissait presque sécurisante. Le bazar, le travail fait à l'arrache... Tout ça, c'était humain, et bien plus vivant que cette ignoble chaufferie où j'étais pourtant condamné à passer mes nuits un peu trop longues.

Je pénétrai dans la cuisine. Même constat : des pinceaux de chantier éparpillés sur le sol, un pot de peinture acrylique reversé... et un soleil rayonnant dans toute la pièce à travers la fenêtre.

"Il y a quelqu'un ?" demandai-je, perturbé.

Je fis le tour du propriétaire, mi-inquiet, mi-rassuré devant le nouvel aspect de cette petite maison d'Elm Street. Apparemment, j'étais tout à fait seul ici.

Je fus à peine étonné de voir qu'il y avait déjà un lit dans l'une des chambres, qui elle-même était déjà comme "neuve" - ou presque, la peinture murale beige ayant été effectuée, pour ainsi dire, à la truelle. La lumière de l'extérieur filtrait à travers un rideau à demi tiré. En guise de mobilier, seule une commode vernie - et vide, comme je pus le constater en l'ouvrant - sommeillait face au lit.

C'est dans cette pièce que je m'endormis, allongé en étoile sur le matelas, et c'est au gymnase que je me réveillai, vers vingt-trois heures, lorsque je me cassai effectivement la figure.

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