Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 14 : Entre six yeux

1794 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/07/2015 00:18

Je n'avais jamais vu personne dans un tel état d'épuisement, et je ne m'étais certainement pas attendu à ce que la personne en question fût Kanra Gallagher. Elle dégoulinait de sueur, à genoux sur le terrain, la tête renversée, les yeux fermés et la bouche grande ouverte, par laquelle s'échappaient un souffle bruyant et des filets de salive mousseuse.

"Tu devrais te relever, lui conseilla Stanley avec prudence. Si tu t'immobilises comme ça..."

Elle l'interrompit par un bras d'honneur, sans même le regarder, avant de se pencher sur le sol, de respirer un peu, puis de se redresser.

"Qu'est-ce... foutez... ? tenta-t-elle d'articuler en un râle humide.

- J'allais te demander la même chose", répliquai-je, espérant qu'elle n'avait pas décelé ma peur.

Elle fit pivoter son oeil valide dans notre direction et tendit un doigt vers le jeune homme.

"Pourquoi... t'l'as am'né... c'lui-là ?

- Ta soeur s'inquiète pour toi, répondit White avec un peu plus d'assurance que moi. Et Rooney aussi.

- C'est... ça... ouais... le p'tit voyeur des rêves... toi qu'aimes tant l'sang..."

Je dévisageai mon élève sans comprendre pourquoi il s'était subitement raidi. La peur lui écarquillait les paupières et lui faisait serrer les poings l'un contre l'autre. Mon sang ne fit qu'un tour.

"C'est quoi cette histoire, Stanley ? Qu'est-ce qu'elle raconte ?"

Il entrouvrit la bouche, cherchant visiblement ses mots, mais Kanra le devança.

"Olly, ton copain mate... les gens en train de s'faire... buter dans les rêves... Même qu'il aime ça."

Elle s'accroupit et se releva lentement, ses muscles tremblant sous sa peau détruite, et nous sourit presque amicalement, une lueur meurtière perçant ses prunelles.

"Pas vrai, Stan ? Krueger te fascine, hein ? Ose me dire le contraire. Eh, Olly, voilà pourquoi il ne peut pas s'empêcher de mettre les pieds dans la chaufferie. Il veut qu'tu règles ses petits problèmes, tu vois.

- Ne l'écoutez pas, murmura White, c'est n'importe quoi."

Ses yeux baissés me suffirent. Je me campai face à lui, sentant mes jambes fourmiller. L'angoisse me broyait tout entier.

"Stanley, qu'est-ce qu'elle veut dire ? Je ne comprends pas...

- Cherche pas à le faire parler, il saura pas t'expliquer. Mais moi, oui. C'est très simple : il adore regarder Freddy se livrer à la torture. C'est pour ça qu'il ne cherche pas à l'éviter. Il t'a demandé de l'aider à le tuer parce qu'il a peur de devenir comme lui. C'est plus simple de mettre fin aux agissements de Krueger que de... Quel mot tu utilises, déjà ? Ah oui, te "sevrer". M'enfin, c'est pas comme si t'étais déjà foutu, White. Sinon, pourquoi irais-tu assister au spectacle du cirque Krueger toutes les nuits, hein ? Hé, Olly, imagine un peu à quoi il a pu penser quand il t'a vu te faire saigner ! Intéressant, non ?

- Si je veux que Krueger cesse de tuer, c'est que je ne suis pas comme lui, cracha Stan, le regard étréci.

- D'accord, d'accord, si ça t'arrange...

- Que sais-tu à propos de Freddy ?" demandai-je, déterminé, à Gallagher.

Elle se passa la langue sur les lèvres et répondit avec désinvolture :

"Il est mort cramé dans les années soixante-dix. D'autres questions ?

- Qu'est-ce que tu as à voir avec lui ? poursuivis-je.

- Des brûlures.

- Je veux la vérité, dis-je froidement.

- Le reste ne te regarde pas.

- Pourquoi a-t-il été si surpris quand je t'ai mentionnée devant lui ?" insistai-je.

Son expression changea du tout au tout. Soudain, elle irradiait de colère.

"Olly, tu as fait quoi ?"

Soudain, son visage se trouvait dangereusement près du mien. Je luttai de toutes mes forces contre le puissant instinct qui m'intimait de reculer d'un ou deux pas, surpris de l'effet que lui avaient causé mes paroles.

"Olly, mon gars, susurra-t-elle, retrouvant son calme, mon visage se reflétant grossièrement sur la surface irrégulière de sa prunelle laiteuse, tu n'es pas en train de me dire que tu as dit à Freddy que... Qu'est-ce que tu lui as dit, exactement ?"

Je sentis mon coeur frissonner, puis se gonfler d'un espoir grisant. Les rôles étaient-ils vraiment en train de s'inverser ?

"Hmm... ça dépend, qu'as-tu à voir avec lui ?"

Elle me toisa, glaciale, secoua la tête et s'écarta d'un pas.

"Tu es complètement cinglé, me dit-elle avec une pointe de regret. Crois-moi, c'est le genre de choses que tu vas très vite regretter.

- Réponds-moi, insistai-je fermement. Quel rapport y a-t-il entre toi et Krueger ?

- Je te l'ai déjà dit, ça ne te regarde pas."

Elle étira ses bras en grimaçant de douleur.

"Olly, t'as pas idée de la connerie que tu as faite. Pas que ça soit mon problème, bien sûr...

- Réponds.

- Freddy est un vieil ami, ça te va comme ça ?"

J'avais beau m'attendre à ce type de réponse, je sentis la terreur me liquéfier.

"Vraiment ?

- Vraiment.

- Alors pourquoi ça te gêne autant, ce que le prof a raconté à... à ton copain ? lança Stanley en s'avançant.

- Qui t'a dit que ça me gênait, White ?"

Je haussai un sourcil tandis qu'elle cambrait le dos et faisait craquer ses vertèbres.

"Arrête de jouer avec nous, Gallagher. Ta réaction m'en a dit suffisamment.

- Disons qu'il n'était pas tout à fait au courant de ma sortie du coma. Je voulais lui faire la surprise, surprise que tu as gâchée. C'est tout.

- Tu crois vraiment que je vais gober ces conneries ?

- Et toi, tu crois vraiment que je vais continuer à répondre à tes questions plutôt que de te tuer sur place et de faire bouffer tes tripes pleines de merde à ton pote, là derrière ? Parce que tu mets salement ma patience à l'épreuve, tu le sais, ça ?

- Et si je finissais par porter plainte ? Tu sais, tu m'as laissé une preuve, l'autre jour. C'était pas très malin de ta part", ne pus-je m'empêcher de sourire.

Elle fronça les sourcils, l'air étonnée.

"Quelle preuve ?

- Ton petit cadeau dans mon casier.

- Quel cadeau ? De quoi tu parles, mon vieux ?"

Son air interloqué me décontenança. L'incompréhension se lisait trop clairement sur sa figure...

"Je parle de ce petit message", fis-je en sortant le papier de ma poche.

Elle l'attrapa, le déplia et se frotta le crâne avec une perplexité qui la rendit presque humaine.

"C'est pas mon écriture, Oliver..."

Tout à coup, elle froissa la feuille, la jeta au sol et l'écrasa rageusement sous sa chaussure.

"Putain, si je retrouve l'enfoiré qui...

- Alors ce n'est pas toi qui m'as écrit ça ? lâchai-je avec ahurissement.

- Evidemment ! s'écria-t-elle, outrée. Tu me crois suffisamment conne pour faire ce genre de truc ? Je me demande qui peut bien être au courant pour..."

Elle darda ses pupilles sur Stanley White, et la fureur ôta toute couleur à ses joues.

"Dis donc... On joue des tours pendables, maintenant ? Olly, te permets que je le tue ? Là, maintenant, tout de suite ?"

Une fois encore, l'expression du regard de l'adolescent le trahit. Il attaqua sa lèvre à coups de dents, l'air extrêmement gêné, et à ma grande surprise, les larmes me montèrent aux yeux.

"Stan, dis-moi que c'est pas vrai..." gémis-je, atterré.

Il me dévisagea, visiblement paniqué.

"Ecoutez, monsieur, ce n'est pas du tout ce que vous croyez, je vous le jure, c'est que... c'est...

- Mais enfin, à quoi tu joues, toi aussi ? Vous avez juré de me rendre dingue, tous les deux, c'est ça ?"

Oliver, surtout, ne pleure pas.

"Rappelle-toi : il aime le sang ! clama Kanra, les poings sur les hanches. Et ça tombe bien, parce que je vais lui faire la peau !

- Oh, la ferme ! Quant à toi, White, tu te démerdes, maintenant !"

Je savais que, si je restais, je le frapperais. J'en avais horriblement envie. Des frissons de répugnance faisaient monter ma nausée jusqu'à ma gorge. Personne ne m'avait jamais écoeuré à ce point. Je ne savais pas où était le pire dans tout ça : sa très amusante petite blague ou... ou ce qu'il faisait dans ses rêves, quand j'y étais.

Il m'a regardé en train de me faire torturer. Et il a aimé ça...

Ainsi, mes pas ne me menèrent pas vers ma salle de cours, mais vers les toilettes. Je les plantai là sans me retourner.

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