Les Tueurs de mes rêves

Chapitre 15 : Danse macabre

2831 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:29

1

Oliver

 

Je ne savais même pas pourquoi j'y allais. Sans doute parce que je ne pouvais rien faire d'autre. J'avais envie d'être seul et, plus que tout, de me saouler la gueule. Par une mesure de précaution parfaitement absurde étant donné mon état d'esprit, j'avais préféré prendre un taxi et me laisser tranquillement conduire jusqu'au bar. Mon chauffeur essaya d'engager la conversation pendant les dix premières minutes du trajet, puis renonça devant la tête que je faisais. Je m'étais affalé sur la banquette arrière, le regard dans le vide, le reportant de temps à autre sur les lampadaires de Springwood. Je m'efforçais de ne penser à rien, de laisser mon cerveau en veille au moins jusqu'au lendemain. 

Stan White, espèce de malade.

Ne plus penser à lui. Ni à Freddy. Ni à Gallagher.

J'avais corrigé quelques copies, juste après les cours, dont celle de Kanra. Une écriture rapide, agressive, à son image, et, ce qui m'avait à peine surpris, un très bon résultat final. Elle était douée, il fallait bien l'admettre. Ne pas assister à mes cours ne la pénalisait pas le moins du monde. C'était tout simplement horripilant. Est-ce que j'aurais préféré pouvoir la descendre ? Oui.

Le taxi s'arrêta le long du trottoir, face au pub. Je sortis en claquant la porte, sans même saluer le chauffeur. L'heure était venue d'arrêter de réfléchir.

Il n'y avait pas grand-monde. Une dizaine de clients assis autour de la salle, le barman, et deux strip-teaseuses ; c'était tout. Une douce lumière rouge perçait la nuit, sans doute dans le but de créer une atmosphère plus ou moins érotique. Le bar de nuit classique.

Amplement suffisant pour moi.

Je demandai un verre de whisky et m'assis à une table inoccupée, dans un coin de la salle, là où j'étais sûr qu'on me laisserait tranquille. La première gorgée me fit l'effet d'une brûlure. Si j'avais la mauvaise habitude de fumer, il était rare que je m'essaie à l'alcool.

"C'est la bouteille que j'aurais dû commander."

Je terminai mon verre et serrai les dents. La musique, trop forte, me donnait envie de crier.

Je me relevai pour prendre un second verre, refusant de me fier à ma part rationnelle qui me chuchotait que m'enivrer était une mauvaise idée, que Krueger pouvait en tirer profit et qu'en plus, je serais malade si je me réveillais le lendemain.

De retour à ma table, je m'affalai sur ma chaise et espérai ne plus avoir à en bouger du reste de la nuit. Je regardai machinalement la danseuse la plus proche se déhancher devant les clients et trouvai qu'elle ressemblait à Rooney Earl. Est-ce que Gallagher aimait les strip-teaseuses ? Fréquentait-elle ce genre d'endroit, contrairement à moi ?

Je ne tardai pas à prendre goût à la saveur brute du whisky. C'était trop fort pour moi, mais pas si mal.

Et puis, seul le résultat comptait, non ?

La jeune femme me décocha un sourire enjôleur tout en caressant sa jambe de son impressionnant escarpin à talon. Je me contentai de lever mon verre vide à sa santé tandis que mon sang se gorgeait d'alcool - je me sentais déjà beaucoup mieux. Allez, un dernier, et mes soucis, envolés !

La danseuse arqua le dos contre la barre métallique en lissant sa longue chevelure brune, seulement vêtue de sous-vêtements aguicheurs. Chose curieuse, des cicatrices marquaient ses flancs, comme des coups de griffes. Je clignai des yeux et elles se volatilisèrent comme par magie.

Je levai la tête et remarquai qu'elle ressemblait plus à Kanra qu'à Rooney, tout compte fait : un visage triangulaire, une grande bouche asymétrique, un nez un peu trop long et un regard perçant, d'une intelligence glaciale. Il lui manquait un œil, en plus.

Je regardai mieux. Non, c'était une illusion d'optique.

Si tu t'endors, me dis-je, tu l'auras bien cherché.

Et peut-être que Stanley viendra avec une caméra, cette fois.

C'était quand même incroyable : j'étais entouré de psychopathes, de connards et de tueurs. Une seule personne faisait actuellement exception à la règle : Abby Bennett. Jusqu'à preuve du contraire...

Stanley, pensai-je, je ne sais pas quelles raisons te poussent à agir comme tu le fais. Mais sache que les choses étaient sur le point de changer. J'étais prêt à repartir de zéro et à t'aider.

Attends une seconde, m'interpella une de mes voix intérieures, l'une des moins agaçantes. Il t'a demandé de l'aider justement parce qu'il sait qu'il a un problème. C'est la logique même. S'il le pouvait, il ne mettrait jamais les pieds dans tes rêves. C'est une maladie mentale, si tu veux.

Eh bien, qu'il se fasse soigner, d'accord ? Je ne suis pas psychiatre, moi.

Autre chose : tu n'as pas à abandonner. Tu avais pris une décision, OK ? Tu vas aller jusqu'au bout. Si ce n'est pas pour lui, ce sera pour d'autres.

J'ai pas dit que j'abandonnais, protestai-je.

Alors qu'est-ce que tu fous ici à boire ? grinça la voix. Je sais, je sais, tu as eu de mauvaises surprises, aujourd'hui. Mais tu en as aussi eu une excellente. Gallagher n'est pas celle que tu croyais.

C'est un pion de Freddy, rien d'autre.

Tu n'y crois pas une seconde.

Je haussai un sourcil. Peut-être avait-elle raison. L'adolescente couverte de sueur qui, ce jour-là, s'était écroulée sous mes yeux, avait peu en commun avec la jeune femme au regard meurtrier qui m'avait demandé une cigarette, le jour de la rentrée. Mais pour quelle raison jouerait-elle un rôle ? Pourquoi se donnerait-elle ce type d'image ? Pour masquer autre chose ?

Sa bonne entente avec Earl m'était toujours incompréhensible. J'avais du mal à concevoir que l'on puisse décider de sortir ensemble dans la semaine suivant le premier jour des cours, mais si en plus, il s'agissait de ces deux-là... Rooney n'était pas du genre à se précipiter, et Kanra... 

Eh, attends une minute... Rooney a redoublé deux fois, c'est ça ?

Elle a dix-neuf ans, si tel est le sens de ta question. 

Elle a donc dans les cinq ans de moins que Kanra. Si on se fie aux paroles de l'autre dingue, elle est restée dans le coma pendant sept ans à peu près. Elle avait dix-sept ans lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital. Rooney avait donc douze ans.

Mon vieil Oliver, tu penses à ce que je pense ?

La réponse tombait sous le sens : elles s'étaient connues avant le lycée. J'ignorais s'il était courant que deux ados de cinq ans d'écart soient en couple, mais quoi qu'il en soit, elles se fréquentaient déjà et s'appréciaient très probablement. Bien sûr, je pouvais me tromper ; toutefois, je devais garder cette éventualité en tête. Earl en savait peut-être plus qu'il n'y paraissait sur sa petite amie. Je lui poserais quelques questions quand j'en aurais l'occasion.

"Je crois que je ne suis pas encore assez ivre... Au moins, j'ai l'ébauche d'une solution. Une petite piste. C'est pas mal."

Je portai le verre à mes lèvres et bus. Je recrachai aussitôt, éclaboussant la table d'hémoglobine. Ce n'était pas de l'alcool, mais du sang.

Toute la salle était pleine de sang.

Je me levai brutalement, ma chaise roulant sur le sol, seul dans le bar, constatant que seul le rouge m'entourait désormais.

Tu l'as cherché, Olly.

Le cœur battant, j'analysai rapidement la situation. Pour le moment, j'étais manifestement presque tranquille. C'était le moment d'essayer quelque chose que je n'avais plus tenté depuis presque un an et demi.

J'ouvris la main droite et me concentrai, visualisant ma machette le plus nettement possible. Avec un peu de chance, je l'aurais en main avant de trouver Freddy.

"Eh, tu perds ton temps."

Pris par surprise, je dévisageai la strip-teaseuse, de retour sur sa plate-forme circulaire, le bras autour d'une barre mangée par la rouille. Cette fois, c'était bien Kanra Gallagher, aucun doute n'était possible, mais son physique avait changé. Toute sa peau, entièrement nue, était passée par les flammes ; ses seins, réduits à l'état de masses difformes, pointaient l'un vers le haut, l'autre vers le bas. J'eus beau me retenir de baisser le regard sur ses jambes, je pus m'apercevoir qu'elles étaient dépourvues de pilosité, constellées de kystes et dégoulinantes d'un pus épais et jaunâtre qui lui coulait jusque sur les pieds. Un haut-le-cœur me rendit la parfaite maîtrise de moi-même, et je cessai de regarder.

"Kanra, m'étranglai-je.

- C'est moi."

Un rictus moqueur la défigura encore davantage. Ses dents étaient noires.

"Olly, susurra-t-elle. Si tu es venu pour le show, sache que d'habitude, pour me voir, c'est vingt-deux heures, pas vingt-trois.

- Rassure-toi, c'est pas pour toi que je suis là, loin de là !

- Oh, mon corps ne te plaît donc pas ? Il sort de l'ordinaire, pourtant, non ?

- Et à Rooney, rétorquai-je, il lui plaît toujours autant ?

- Il le faudra bien !"

Elle bondit au sol, souriant toujours.

"Si tu m'approches, connasse, je te tue.

- T'en fais pas, c'est pas encore l'heure. Freddy m'a dit de passer te donner un avant-goût de ta défaite, c'est tout.

- La tienne, tu veux dire ?" cinglai-je.

Elle m'adressa un signe de tête, sans relever.

"Viens voir."

Elle alla ouvrir la porte du fond en m'intimant de la suivre. Je ne bougeai pas.

"Viens voir, insista-t-elle.

- Je n'ai pas envie de voir quoi que ce soit.

- Oui, je sais. Tout comme tu sais que je m'en fous."

Elle émit un claquement de langue et je me sentis obligé d'obtempérer, ce qui ne me plut vraiment pas. Malgré tout, je la suivis.

Elle m'entraîna dans la chaufferie désaffectée.

 

***

2

Kanra

 

Trois heures avant de m'endormir. Quelque chose ne tourne pas rond. D'habitude, il me faut une demi-heure, tout au plus, pour rejoindre mon terrain de jeux favori.

Rooney s'est assoupie sur moi, m'écrasant le ventre sous un corps pourtant nettement plus léger que le mien, l'haleine encore empreinte du parfum de la glace à la vanille qu'elle a engloutie devant la télé. Elle m'impressionne : elle mange comme quatre sans prendre un gramme... contrairement à moi. Si je n'étais pas aussi sportive, ma santé serait peut-être assez mauvaise pour me tuer. Parce que je fume, en plus, et je n'ai même pas envie d'arrêter.

Vraiment pas mal, les Salem Lights. Il faudra que je remercie Olly pour cette petite découverte.

Dès ce soir, tiens. Si mes "parents" nous fichent la paix. Pour Sophie, en revanche, aucun problème : elle sait qu'elle n'a pas à entrer dans ma chambre comme dans un moulin. A part ce petit détail, c'est fou ce qu'on aime violer l'intimité d'autrui, chez les Gallagher. Et que ça pénètre dans les chambres sans frapper, et que ça te demande tout le temps où tu es et ce que tu fais, et que ça t'impose des contacts physiques dont tu ne veux pas... J'ai souvent tenté de me rappeler si, avant mon coma, j'avais une famille, et si ses membres se comportaient comme ça à mon égard. Si oui, je les ai sûrement tués, histoire de leur apprendre le respect.

Si j'apprécie Rooney, c'est aussi parce qu'elle me respecte depuis le début. Je ne sais pas vraiment pourquoi je l'ai remarquée, ça a été rapide. Qui plus est, je ne m'imaginais pas homosexuelle, alors j'ai préféré partir du principe que j'étais bi, mais force est de reconnaître que les hommes ne m'attirent pas. C'est assez bizarre de découvrir ce genre de chose quand on a dépassé la vingtaine sans s'en apercevoir.

Enfin, j'ai préféré ne pas trop réfléchir avant de lui demander de sortir avec moi. On ne sait jamais, je pourrais tomber à nouveau dans le coma pour raison x ou y. 

Avant de me coucher, j'ai constaté que mes brûlures ont encore gagné du terrain, depuis ce matin. Mon flanc est en train d'y passer. Je ne l'avouerai jamais, mais je trouve le résultat dégueulasse. Faire peur à Olly, c'est bien. Dégoûter Rooney le serait beaucoup moins. D'ailleurs, comment lui expliquer une chose pareille ? Elle va bien finir par s'apercevoir que je change de peau.

Je crois que j'ai compris pourquoi j'ai eu autant de mal à me laisser sombrer, ce soir. Je ne pensais pas que tout ça avait de l'importance, mais on dirait bien que ça en a.

Si seulement Olly Yellowspring avait su la fermer, tout se déroulerait aussi bien que je l'avais projeté. Mais non. Les ennuis vont recommencer par sa faute. Si jamais il arrive quelque chose de mal, il le paiera très cher. Je sais qu'il fréquente une femme - tout à fait mon genre, d'ailleurs - et ce type d'information peut me servir, dans le pire des cas. Ce ne sera pas juste pour elle, mais après tout...

C'est vrai, c'est vrai, c'est moi qui ai provoqué Olly, alors il est logique que je me heurte à quelques difficultés, mais quitte à entamer quelque chose, autant aller jusqu'au bout. Quelle autre solution avais-je, hein ? Il fallait bien que je relance la mécanique. Et le seul moyen de le faire, c'était la peur.

Comme si tout cela ne suffisait pas, il y a une nouvelle donnée à prendre en compte : Stanley White. Lui, il va m'emmerder. Quant à savoir ce que je peux faire de lui...

Dans le doute, aller faire un tour dans ses rêves. Je n'ai aucune idée de ce que je vais trouver, mais ça pourra toujours m'aider.

    Laisser un commentaire ?