Diableries

Chapitre 3 : Afternoon tea

1712 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/12/2020 15:11

— Et voici.


Barbatos posa les deux tasses fumantes sur le plan de travail. Il avait déniché au fond d’un placard un vieux service à thé en porcelaine qu’un démon avait ramené d’Angleterre pour l’offrir à Diavolo. Mais le prince du Devildom ayant ses tasses fétiches, cet encombrant cadeau avait servi une poignée de fois avant d’être relégué aux oubliettes. Barbatos l’avait choisi, se disant que Luke apprécierait plus les motifs floraux que les représentations de martyrs suppliciés, aussi finement peintes à la main soient-elles. 


— J’ai entendu dire que tu aimais tout ce qui était très sucré, alors je me suis dit qu’une infusion aux fruits caramélisés te plairait.


Le jeune ange le remercia, prit la tasse et souffla le nuage de vapeur qui se formait au-dessus du liquide. Il trempa ses lèvres dans le thé, puis grimaça — sans doute était-ce encore trop chaud — mais quelques secondes plus tard, son visage s’illumina.


— C’est délicieux !


Barbatos lui répondit d’un sourire sincère. Il s’était inquiété quand Solomon lui avait proposé… enfin, demandé… enfin, ordonné de passer l’après-midi avec Luke pour lier connaissance. Selon lui, il n’arriverait jamais à s’intégrer pour cette année d’échange dans le Devildom si on ne lui forçait pas un peu la main. Barbatos étant, toujours selon Solomon, le démon le moins terrifiant pour le jeune garçon, son choix s’était porté sur lui. Barbatos suspectait que l’humain avait simplement envie d’avoir la paix pour l’après-midi, mais de toute manière, maintenant qu’ils avaient passé un pacte tous les deux, Barbatos ne pouvait rien refuser à Solomon. Ce dernier avait au moins la décence de ne pas abuser de ce pouvoir, Barbatos pouvait bien le lui reconnaître.


— Je te le laisse, si tu veux. Les démons préfèrent les goûts plus forts et l’amertume, alors personne n’en boit jamais au palais. Je suis certain qu’il plairait à Simeon aussi.


Il déposa devant lui la boîte en fer qui contenait le mélange, Luke le ramènerait avec lui s’il voulait.


— M… merci beaucoup ! Et merci d’avoir accepté de me donner des cours de cuisine !


Barbatos sourit de nouveau. Cela ne lui déplaisait pas de jouer les professeurs, surtout quand il s’agissait de pâtisserie. Peu nombreux étaient les démons qui tenaient bien longtemps quand il commençait à discourir sur la meilleure technique de pâte feuilletée ou sur la dernière recette à la mode dans les salons de thé du Devildom. Même s’ils avaient leurs différends, ils partageaient au moins cette passion tous les deux.


— Allons, allons, j’ai beaucoup à apprendre de toi aussi. Tu as choisi une recette ?


Pour que toutes ces heures passées en cuisine ne soient pas vaines, ils avaient décidé d’un commun accord qu’ils inviteraient les sept frères, ainsi que Simeon, les deux humains et Diavolo à déguster leurs pâtisseries autour d’un thé. Cela donnerait l’occasion de montrer qu’anges et démons pouvaient collaborer sans le moindre accroc, même pour des projets aussi triviaux.


— J’ai pensé à ces biscuits aux épices d’hiver. Comme on va être beaucoup, ce sera plus simple d’en faire de grandes quantités et ça ira bien avec le thé.


Barbatos se pencha sur le livre de recette que tenait Luke. Le garçon avait insisté pour tenter une recette de démons — sinon, cela n’aurait aucun intérêt, disait-il — mais faisait la grimace à chaque fois qu’il tournait une page. Tous les biscuits, gâteaux et autres entremets à base de sang lui avaient arraché des exclamations dégoûtées. Dommage, songeait Barbatos. En cette période hivernale, où les températures remontaient rarement au-dessus de zéro, on ne faisait pas mieux pour réchauffer les coeurs que des beignets à la farine de mandragore fourrés à la confiture de sang de démon. À cette pensée, un gargouillis lui tordit l’estomac et il se promit d’en préparer dès le lendemain. Il se demanda si utiliser du sang d’ange ou d’humain pourrait en changer le goût. Il savait, parce que Solomon l’avait laissé y goûter, que celui des humains était ferreux, un peu piquant sur le bout de la langue. Pour les anges, mystère total et ce n’était pas Luke qui le laisserait se prêter à cette expérience. Simeon, par contre… 


— Oui, ça me paraît pas mal, dit-il, reportant son attention sur Luke. Cette recette-là demande de l’écorce de strychnos toxifera mais il me semble que c’est toxique pour les humains. On remplacera par de la cannelle, dans le doute.


Luke hocha la tête, enthousiaste. Une fois les ingrédients rassemblés sur le plan de travail, ils se retroussèrent les manches et se mirent à la tâche. En plus des biscuits, ils s’étaient dit qu’il serait amusant de préparer un gâteau des anges et un gâteau du diable, chacun ajoutant un petit ingrédient à la recette originale. Luke prépara la ganache qui irait entre les étages du gâteau du diable, à base de crème et de miel plutôt que de chocolat noir et Barbatos ajouta une quantité non négligeable de liqueur de Demonus au gâteau des anges, si bien que d’un jaune pâle, la pâte prit vite une teinte pourpre.


Une fois toutes les préparations mélangées, Barbatos s’attela à la préparation des gâteaux en eux-mêmes. Ce n’était pas bien sorcier et cela permettrait à Luke de se concentrer sur les biscuits.


— Tu en fais trois de chaque ? demanda Luke quand il le vit sortir six moules des placards.

— Quand on a Beelzebub à table, il vaut mieux, oui, répondit Barbatos dans un rire.


En vérité, Barbatos sentait que ce ne serait pas suffisant et se demanda s’il ne valait mieux pas prévoir une quatrième pâtisserie pour contenter cet ogre à l’estomac sans fond qu’était Beelzebub. Puis il se souvint que peu importe la quantité astronomique de plats qu’ils prépareraient, le démon de la gourmandise n’arriverait jamais à sa limite. La seule personne capable de l’empêcher de manger était Solomon et son atroce cuisine.


Barbatos profita du temps de battement une fois que les gâteaux furent enfournés pour remplir une nouvelle théière. Pendant que le mélange infusait, il partit dénicher les emporte-pièces et prépara la plaque sur laquelle ils poseraient les biscuits.


Une fois le découpage de la pâte terminé, ils se retrouvèrent avec près d’une centaine de biscuits, tout juste assez pour contenter les monstres voraces qu’ils allaient servir. En attendant la fin de la cuisson des gâteaux, ils s’installèrent sur des tabourets et profitèrent d’un thé bien chaud.


— Merci encore, dit Luke quand Barbatos remplit sa tasse.


Le jeune ange gardait la tête basse, concentré sur les motifs du carrelage mais lançait de temps en temps des coups d'œil embarrassés en direction de Barbatos.


— Je t’ai dit que ça me faisait plaisir.


Il aurait été plus exact de dire que cela faisait plaisir à Solomon et que Barbatos n’avait accepté que parce qu’il le lui avait demandé. Mais qu’est-ce qu’un blanc mensonge pour un démon ?


— Non, vraiment, répliqua Luke, le rouge aux joues. Je sais qu’au début, je n’ai pas fait beaucoup d’efforts pour m’intégrer à vous, je me méfiais beaucoup. Mais j’ai vu comme Simeon arrivait à se trouver une place, lui. Il s’entend tellement bien avec Solomon et Asmodeus, je crois que je l’envie un peu. L’autre jour, ils ont organisé une pyjama party juste tous les trois et j’ai dû passer la soirée tout seul au Hall du Purgatoire. J’aimerais tellement avoir une amitié comme la leur.


Barbatos sentit la gorgée de thé qu’il était en train de boire prendre le mauvais chemin. Plié dans un quinte de toux tandis que le liquide brûlant descendait dans sa trachée, il se put réprimer un sourire carnassier. Le Diable préserve l’ingénuité de cet enfant.


— Ça va ?!

— Oui, oui, fausse route, ça va aller, articula-t-il entre deux toussotements, avant de se reprendre. Tu as raison, c’est important de cultiver nos amitiés, c’est justement tout l’intérêt du programme d’échange.


Ils continuèrent à discuter de tout et de rien, égrenant les minutes au fil d’anecdotes sur la vie dans leurs mondes respectifs. Barbatos fut étonné d’apprendre que la vie au Domaine Céleste n’était pas toujours si blanche et ordonnée qu’il pouvait le croire, qu’il y avait aussi une place pour le relâchement et les rires. Lucifer parlait rarement de ses années en tant qu’ange, Barbatos ne connaissait presque rien de leur mode de vie.


Luke lui expliqua aussi toutes leurs règles, qui parurent bien strictes à Barbatos. Ce fut sans grande surprise mais avec une immense déception qu’il apprit qu’il était formellement interdit pour un ange de frayer avec les démons. La participation de Luke et Simeon au programme n’avait été acceptée qu’à condition qu’ils tiennent une distance raisonnable. Le souvenir de la trahison de Lilith et de la guerre qui l’avait suivie était encore trop frais dans les esprits.


Bientôt, une délicieuse odeur envahit la pièce, assez pour leur changer les idées.


— Tu sens ? Je crois que ça va être bientôt prêt.

— Et je suis sûr que ce sera délicieux ! renchérit Luke.


Dans un sourire, Barbatos leva la main en direction de Luke, qui la frappa sans hésiter.



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