La Cité sous les Mers

Chapitre 21 : Accusations

5369 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/10/2018 16:52

Azuhla marchait d'un pas ferme vers la salle du Conseil. On ne l'avait mise au courant uniquement lorsque le Couronnement fut officiellement terminé, et après autant de courbettes et jolies mises en forme, elle aurait pensé être enfin tranquille. Mais non.

 

Cela faisait des heures que l'équipage des Heart avait été arrêté au grand complet et mis aux cachots en attendant une décision définitive. On venait seulement de lui en toucher un mot, et même si elle comprenait que l'avoir fait au cours de la cérémonie n'aurait pas été correct et aurait attiré les curieux, elle ne pouvait s'empêcher de s'agacer du fait que la décision avait été prise dans son dos.

 

Lorsqu'elle poussa la grande porte à double-battants, accompagnée par Celthya, elle s'était changée. Cela pouvait paraître futile, mais elle n'avait pas envie de jouer au petit objet joliment habillé, d'autant plus que la tenue la mettait mal à l'aise. Elle avait donc troqué rapidement la haute couture pleine de lourds tissus contre une longue robe blanche et simple, légèrement brodée, et par-dessus les épaules une légère et courte cape transparente. Elle ne voulait pas passer pour la pauvre fille qui s'empêtre dans ses vêtements et se retrouver limitée dans ses mouvements, il s'agissait de donner l'air sérieux et autoritaire.

 

Tout le Conseil était déjà attablé lorsqu'elle entra, avec cette fois en plus la présence de Celthya, qui s'était occupée de l'arrestation et de l'escorte, ainsi qu'Auberyn... Des brèves informations qu'on lui avait fourni sur la situation, c'était lui qui avait convoqué le Conseil durant le Couronnement, et même s'il avait l'air impassible, elle ne put pas s'empêcher de lui jeter un regard mauvais. Elle connaissait bien sa froideur et son amertume, en particulier vis-à-vis de la Sélection, mais qu'il agisse dans son dos sans lui en parler au préalable, à un moment important où elle n'était pas en capacité de réagir à la situation d'elle-même, elle trouvait ça insultant.

 

Une fois en face de la table où chaque membre était installé, elle demeura debout pour bien signifier sa présence et asseoir un peu plus son autorité, pour le moment peu flagrante. Sans s'embarrasser d'aucune phrase cérémoniale, elle débuta d'un ton ferme, le visage parfaitement neutre et exempt de ses émotions :

 

« - Détaillez-moi la situation. »

 

L'homme aux cheveux bleus striés d'argent répondant au nom de Rael Koryth et s'avérant être le tacticien du royaume prit la parole en premier, se levant de son siège pour être plus visible.

 

« - En milieu de journée, votre frère - le prince Auberyn - a fait organiser une fouille du navire des étrangers avec une équipe de gardes. »

 

Sans m'en aviser bien sûr, songea-t-elle amèrement tout en le laissant poursuivre ses explications.

 

« - En-dehors d'une technologie différente qui n'a pas à être l'objet de la discussion ici, il s'est avéré que se trouvait à bord un objet appartenant au royaume. »

 

Il fit signe à la trésorière, une grande femme d'âge mûr à la chevelure platine. Celle-ci se dressa à son tour, mettant en avant sur la grande table de pierre un objet laissé de côté jusque là. Tout en laissant sa souveraine le prendre et le manipuler, le tacticien poursuivit :

 

« - Il ne s'agit pas d'un objet de n'importe quelle valeur, et ces actes sont de toute manière condamnables. D'autant plus qu'ils viennent de personnes extérieures au royaume dont nous en savons encore très peu de choses, cela ne peut pas être ignoré. Ce pourquoi une partie du Conseil - celle qui n'était pas au Couronnement - a décidé de l'arrestation en attendant que la situation soit tirée au clair.

 

- Vous avez bien fait. »

 

Même si il lui en coûtait de l'admettre, compte tenu qu'elle n'avait rien vu venir et que tout s'était fait dans son dos. Néanmoins le Conseil en lui-même avait plus de pouvoir qu'elle dans les situations de ce genre, et il aurait été inutile de chercher à nier, cela serait même immature de sa part.

 

Azuhla observa ce qui avait été "volé", le faisant tourner entre ses doigts. À première vue c'était une couronne, mais la qualité était tout autre que celles qu'il lui avait été donné de tenir, même celle qu'elle avait faite réalisée pour elle-même. Celle-ci était d'une grande finesse, pourtant le métal argenté semblait solide et sans aucune trace d'empreinte du temps, elle ne se souvenait pas en avoir vu de tel chez les artisans du royaume. Trois joyaux, dont le plus central était le plus imposant, la constituaient, ajoutant un éclat azur à l'ouvrage.

 

« - Y avait-il autre chose ?

 

- Non, répondit Rael en secouant la tête. Ou bien pas encore, une fouille approfondie sera effectuée en aval. »

 

Elle jeta un regard sceptique à Auberyn et celui-ci sembla se renfrogner, n'appréciant visiblement pas le fait qu'elle sous-entende qu'il aurait pu l'avoir mis là et souligna avec une pointe de froideur dans la voix :

 

« - C'était dans la cabine du capitaine, et je n'y suis pas allé seul. »

 

Azuhla n'en dit rien, le laissant essayer de deviner ce qu'elle en pensait. Elle reporta plutôt son attention sur ladite couronne volée, dont l'œuvre unique et tous les petites détails avaient quelque chose de familier. Bien qu'elle ne parvienne pas à mettre le doigt sur ce qui provoquait cette impression de l'avoir déjà vue. Elle finit par reprendre la discussion :

 

« - Où a-t-il pu la trouver ?

 

- Probablement chez un marchand ? suggéra Auberyn. Beaucoup s'y sont affairés dernièrement.

 

- Nous étions bien passés chez un marchand durant les festivités, confirma Celthya, mais je ne l'ai rien vu prendre. »

 

Le prince ne sembla pas vraiment considérer l'argument comme recevable puisqu'il haussa légèrement les épaules en remarquant :

 

« - Eh bien justement, vous ne l'avez pas vu le prendre. »

 

La chef de garde plissa légèrement les yeux avant de croiser les bras sans rien dire, bien qu'elle se garde d'une quelconque remarque inutile, cela la vexait qu'il sous-entende que ça aurait pu lui échapper. De son côté Azuhla ne les écouta que d'une oreille en continuant d'observer cette couronne, avant de soudainement se rappeler où elle l'avait déjà vu. Elle figurait tout simplement parmi les illustrations d'un des livres des archives, sur laquelle Law avait justement posé des questions. Elle commenta pour clore l'échange :

 

« - Elle est trop ancienne pour avoir été dérobée chez un des marchands récemment.

 

- En effet, appuya Mordren Tenras, en charge de l'infrastructure du royaume, ses matériaux et la technique ne correspondent pas à ce que nous pouvons observer de nos jours. »

 

A la réaction de son collègue, une femme d'âge mûr se redressa pour prendre la parole, ses cheveux vert pomme attachés en chignon, plissant légèrement le front en signe de réflexion après quelques secondes de silence avant de souligner :

 

« - Néanmoins, nous possédons de nombreuses salles d'artefact et de trésorerie, pour la plupart ici même dans l'enceinte du château. »

 

Azuhla hocha la tête, comprenant son point de vue. Il lui paraissait cependant étrange que seul cet objet ait été pris... Consultant les notes posées sur son côté de la table, la trésorière ajouta :

 

« - J'ai également jeté un coup d'œil aux registres avant qu'on ne se réunisse, et rien de la sorte ne semblait figurer dans nos inventaires, en particulier dans la salle où sont entreposées les anciennes couronnes. »

 

Elle se corrigea néanmoins par elle-même sans qu'aucun des autres membres du Conseil n'ait à intervenir :

 

« - Cependant il est commun d'avoir des erreurs sur les inventaires d'objets rares, du moins ceux non-illustrés qui sont les plus mis à jour. Si l'on ne connaît pas son nom exact il est possible que nous le confondions tout simplement. »

 

De son côté Auberyn semblait s'agacer de plus en plus de la conversation, finissant par remarquer :

 

« - Dans tous les cas cet objet est clairement réalisé avec les techniques de notre royaume, il n'est pas arrivé là par hasard et n'a certainement pas été acquéri de manière légitime, cela ne sert à rien d'essayer de chercher des excuses à un voleur. »

 

Il jeta notamment un regard à sa cadette d'un an qui le sentait bien tenter de la décrédibiliser de ce côté-là, ce qui n'était pas vraiment pour lui plaire. Elle préféra ne pas s'aventurer sur ce terrain-là où il finirait par sous-entendre que son jugement n'était pas objectif, et certains membres du Conseil en profiteraient certainement pour faire valoir leurs intérêts dans l'affaire. Azuhla choisit de trancher et surtout mettre fin à la séance :

 

« - Cela ne sert à rien de tergiverser ainsi sans plus d'informations. Faites faire un inventaire complet et une fouille afin de savoir si autre chose a été pris. J'aimerais également plus de renseignements sur cette couronne et d'où elle vient. »

 

Notamment savoir pourquoi elle avait bien pu intéresser le capitaine à ce point... Il y avait tout de même plus précieux à dérober ici. Et surtout, il lui avait toujours paru plus malin que cela, même si son frère pensait manifestement à un vulgaire voleur.

 

Ayant clôt la séance et après quelques salutations de rigueur, la jeune femme quitta la salle, laissant les conseillers s'organiser. Elle ne s'éloigna pas beaucoup néanmoins, patientant jusqu'à ce que son aîné sorte à son tour. Il dut par ailleurs bien cerner ce qui l'attendait, puisqu'après avoir laissé se rabattre d'elles-mêmes les lourdes portes son regard rencontra directement le visage fermé et froid de sa sœur, pourtant habitué à ce que ce soit le contraire. Elle se rapprocha de lui, lâchant d'un ton sec :

 

« - Suis-moi.

 

- Je ne vois pas pourquoi tu perds autant de temps...

 

- C'est un ordre, le coupa-t-elle. »

 

Il plissa les yeux, n'appréciant visiblement pas qu'elle décide de le commander, mais elle tournait déjà les talons, le contraignant à simplement lui obéir. Azuhla s'éloigna soigneusement de la salle du Conseil ainsi que des regards indiscrets, s'arrêtant proche des escaliers menant aux quartiers royaux. Dès qu'elle se retourna vers lui elle ne perdit pas vraiment de temps pour lui faire savoir le fond de sa pensée, qu'elle avait eu le temps de ruminer tout le long de la séance :

 

« - Quand est-ce que tu vas me laisser tranquille et me laisser faire les choses à ma manière au lieu d'agir dans mon dos lors des moments les plus importants ? »

 

Auberyn croisa les bras, la mâchoire contractée, avant de répliquer amèrement :

 

« - Pour moi c'est quelque chose que tu aurais dû faire toi-même plutôt que de laisser quelqu'un dont tu ne sais rien agir librement dans la cité.

 

- Je ne l'ai pas non plus laissé sans surveillance, tu aurais voulu que je fasse quoi, l'emprisonner peut-être ? Très éthique félicitations pour ton ouverture d'esprit, railla-t-elle.

 

- Au moins l'isoler, ne serait-ce que par sécurité. Plutôt que de le laisser se balader dans le palais, l'inviter aux repas et aider des étrangers qui vont simplement profiter sans lever le petit doigt.

 

- Recevoir une visite étrangère n'est pas une occasion qui se présente tous les ans, ce serait perdre l'opportunité d'apprendre d'une autre culture que de simplement les écarter le temps qu'ils repartent. »

 

Son aîné d'un an leva les yeux au ciel, l'irritant d'autant plus dans sa manière de la rabaisser.

 

« - Tu ferais mieux de te préoccuper de la sécurité du royaume plutôt que de ta petite curiosité personnelle. Tu te rends compte que tu te baladais insouciamment accompagnée d'un type qui aurait t'éliminer à n'importe quel moment ?

 

- Je ne suis pas idiote, se défendit-elle, Celthya le surveillait.

 

- ... Je respecte Celthya, mais elle n'est pas imparable, tu aurais très bien pu finir comme Père. »

 

Bien qu'elle essaie de ne pas se laisser démonter par ces paroles, les images s'imposèrent d'elles-mêmes dans son esprit. La salle du trône vide, les gardes qui envahissaient les couloirs, le corps masqué par un drap qu'on n'avait pas voulu leur laisser voir. Comme d'habitude, la curiosité avait pris le pas sur l'interdit, l'envie de revoir une dernière fois le visage de son père s'y était ajouté également. Elle l'avait immédiatement regretté, le corps avait été charcuté sauvagement, et ce visage méconnaissable était la dernière image qu'elle en garderait.

 

« - Ça... c'est différent, reprocha-t-elle la voix légèrement tremblante. On parle d'un vol ici pas d'un assassinat.

 

- Dans ce cas tu es bien naïve si tu crois que quelqu'un qui a profité de ton hospitalité ne soit pas capable de te poignarder dans le dos. »

 

Déglutissant péniblement, Azuhla secoua la tête pour en chasser les pensées. Il ramenait cette situation à une autre qui n'avait rien à voir dans l'histoire simplement dans le but de la déstabiliser, du moins c'était ce dont elle tentait de se persuader. Quand bien même elle se serait trompée sur toute la ligne et ne faisait qu'enchaîner les erreurs, ce n'était pas à lui d'en juger. Il n'était là que pour l'enfoncer. La jeune femme grinça légèrement des dents avant de répondre d'un ton plus froid :

 

« - Eh bien en attendant il n'en demeure pas moins que c'est à moi de prendre les décisions ici, tu n'as pas à interférer comme cela te chante.

 

- Ce n'est pas vraiment ce que j'appellerais un ''bon choix'' de t'y avoir toi alors. »

 

Azuhla soupira sèchement face à l'échange qui s'envenimait, choisissant finalement de l'ignorer et s'éloigner brusquement. Elle allait simplement perdre son temps avec une tête de mule qui n'en démordrait pas, et n'avait pas vraiment envie que ses mots finissent par dépasser sa pensée.

 

Retournant sur ses pas, la jeune femme prit la direction des cellules, songeant qu'elle entendrait bien une autre version de cette histoire pour sa part. Elle en avait même besoin, de vérifier si elle avait vraiment eu tord... Le temps qu'elle traverse le long corridor jusqu'aux escaliers menant aux sous-sols, elle se fit néanmoins intercepter par Celthya qui la rattrapa plutôt discrètement compte tenu de son habituelle armure.

 

« - Où allez-vous ? »

 

Question purement rhétorique puisqu'hors mis les gardes personne ne se dirigeait vers cet endroit-là habituellement. Azuhla s'arrêta pour se tourner vers sa chef de garde.

 

« - Il me faut entendre une autre version pour avoir les informations complètes. Je pense également faire venir Trafalgar Law à la prochaine séance, qu'il y ait la possibilité de l'interroger sur les faits. »

 

A sa surprise et s'en agaçant légèrement que cela se produise une fois supplémentaire dans la journée, Celthya la contesta en secouant poliment la tête, toujours parfaitement droite face à elle.

 

« - Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Actuellement nous ne connaissons que très peu de cet homme, sachant qu'il s'est laissé faire, il n'y a eu aucune forme de résistance lors de l'arrestation. Personne ici n'a donc eu l'occasion d'observer ses capacités. A mes yeux lui et son équipage sont certainement plus dangereux, ou du moins plus puissants qu'ils ne laissent paraître. Ils viennent de l'extérieur, dont nous avons peu d'informations, et leur navire était bien amoché, survivre à une attaque d'un grand monstre marin n'est pas forcément donné à tout le monde, et il y a certainement d'autres dangers par chez-eux. C'est mon avis de chef des Armées, mais pour votre protection et celle du Conseil il serait préférable de ne pas l'y amener. »

 

Bien qu'elle aurait bien aimé pouvoir lui donner tord, Azuhla devait bien admettre qu'elle avait raison. Elle songea à ce qu'avait dit Law sur ce qu'il appelait le « Nouveau Monde », et même si ici elle ne s'en rendait pas compte, cela avait l'air de requérir une certaine force pour pouvoir y évoluer. Même si elle aurait bien aimé croire qu'il demeurerait aussi calme qu'elle l'avait toujours vu, il était vrai qu'elle ne savait pas quelle pourrait être sa réaction dans une situation qui ne paraissait pas forcément favorable. Et quand bien même il y avait un jugement qu'elle espérerait le plus équitable possible, elle se doutait aussi de l'avis de certains membres du Conseil sur le sujet des étrangers. Ce que lui exposait Celthya était sans doute le plus sage à faire, et personne n'en profiterait pour retourner ses décisions contre elle...

 

Après une brève pause de réflexion que la chef de garde ne chercha pas à interrompre, la souveraine finit tout de même par hocher la tête,

 

« - Tu as raison... Je vais tout de même te demander d'au moins récupérer sa « déposition », qu'il ait sa défense. Je pense que les sujets porteront principalement sur tous les détails du vol, comment il se l'est procurée, à quel endroit, pourquoi... Je pense aussi que le Conseil s'intéressera à ses intentions ici, puis il faudra aussi les versions du reste de l'équipage pour vérifier la cohérence. Si nécessaire tout sera découpé en plusieurs séances si d'autres questions ou arguments venaient à être soulevés. »

 

Celthya sembla se détendre un peu à ces mots, avant d'opiner du chef et se détourner pour se diriger vers les escaliers menant aux cellules. L'observant s'éloigner, Azuhla se sentit soudain assaillie d'une grande vague de fatigue, à présent que le stress et la frustration s'étaient dissipés, et qu'il lui semblait pourtant que de longues journées l'attendaient avec cette affaire. Sans parler de toutes les conséquences que cela aurait sur la perception qu'aurait le Conseil de ses décisions, autant anciennes que futures. Cette seule pensée la fit soupirer, et elle passa les mains sur son visage pour tenter de rapatrier sa concentration. Tournant les talons, elle se dirigea à l'opposé cette fois, rejoignant les quartiers royaux.

 

 

Du côté des Heart, l'équipage avait été séparé en plusieurs cellules, et notamment Law isolé dans l'une d'entre elles. S'il pouvait toujours communiquer avec eux, il était mal vu de la part des deux gardes en face qu'ils se mettent à chuchoter entre eux. Pourtant lorsqu'ils avaient été amené ici, autant dire que l'équipage l'avait autant assailli de questions qu'il avait eu du mal à les calmer. Pourquoi étaient-ils là ? Quand est-ce qu'ils agissaient ? Sans mentionner les commentaires de certains sur la délicatesse contestable des soldats et la manière dont leur traitement avait changé du tout au tout. La situation jouait sur leurs nerfs, et la plupart ne comprenait pas vraiment pourquoi ils restaient coincés ici alors qu'ils pourraient en sortir avec facilité, bien qu'ils n'aient pas plus protesté lorsque leur capitaine leur avait ordonné de patienter.

 

A l'heure qu'il était, les Heart et notamment le second étaient plus occupés à lutter contre la chaleur ambiante. Si l'on aurait pu croire qu'ils auraient grelotté dans les sous-sols, les points chauds sur lesquels était bâtie la cité et qu'avaient mentionné les architectes lors de sa visite rendaient au contraire la température bien plus forte. L'humidité naturelle n'arrangeait rien, rendant l'atmosphère d'autant plus étouffante. Si Bepo était réduit à une masse de poils trempés écroulée sur le sol, les autres avaient depuis longtemps défait le haut de leur combinaison et attaché les manches autours de leur taille. L'algue phosphorescente agglutinée au plafond constituait la seule source de lumière, mais il faisait encore sombre et couplé à la température cela les plongeait dans une somnolence générale.

 

Cet état végétatif fut interrompu par des pas résonnant dans les escaliers, et peu après la chef de garde dans son armure sombre fit son entrée dans les prisons. Elle avait récupéré de quoi écrire, ce qui contrastait avec son attitude habituellement plus sévère lorsqu'elle gardait son arme au poing. Après avoir salué ses collègues, elle s'avança vers les cellules, s'arrêtant devant à une distance respectable. Elle les jaugea un instant du regard avant de prendre la parole :

 

« - Vous serez très certainement jugé dans les prochains jours, néanmoins vous ne serez pas présent directement aux séances...

 

- Pourquoi ?? s'offusqua l'un des membres de l'équipage en lui coupant la parole.

 

- Pour des raisons de sécurité, répondit d'un ton impassible la femme à la chevelure crépusculaire. »

 

Plissant légèrement les yeux sans chercher à l'interrompre, Law songea qu'ils étaient soit à la recherche d'un prétexte pour pouvoir établir un « jugement » sans possibilité de défense, soit que leur méfiance s'était considérablement accrue à leur égard, ce qui était assez logique en soi. Elle reprit peu après :

 

« - Vous aurez la possibilité de détailler votre propre version des faits, elle sera présentée au Conseil. Vous avez jusqu'à demain pour y réfléchir, je repasserais dans la matinée. Détaillez particulièrement le moment des faits, et l'on s'intéressera également à vos intentions en venant ici. Les versions de chacun d'entre vous seront recueillies. »

 

Le fait qu'elle parle de leurs « intentions » en disait d'autant plus long sur l'estime qu'ils devaient avoir d'eux à présent, analysa Law. Cela lui serait d'autant plus compliqué de parvenir à les convaincre et les manipuler, surtout s'il devait se contenter d'une version papier qu'il ne pourrait pas adapter selon les réactions. Le brun finit par briser son silence pour tenter :

 

« - Et en étant désarmé et largement surveillé ?

 

- Ce n'est pas négociable. »

 

Visiblement, elle adhérait parfaitement à l'idée, il ne parviendrait pas à s'en tirer de cette manière. Il hocha donc simplement la tête et tandis qu'elle lui laissait de quoi écrire, Celthya ajouta :

 

« - Je vous conseille d'être le plus honnête possible, cela ne vous rapportera pas des points de mentir. »

 

A ces mots elle les laissa et emprunta à nouveau les escaliers. Dès que leurs regards s'en détachèrent, les Heart les reportèrent sur leur capitaine, la question qui leur brûlait les lèvres ne tardant pas :

 

« - Qu'est-ce que vous allez dire capitaine ? »

 

Le supernova ne leur répondit pas immédiatement, fixant un point dans le vide tout en réfléchissant à la situation. Il se serait attendu à un procès, où il aurait pu adapter son discours en fonction des accusations et le modeler. Néanmoins ils se méfiaient visiblement bien plus à présent, et il ne sortirait pas de cette cellule de leur plein gré. On attendait clairement un rapport complet et détaillé des faits, mais lui voulait que la situation tourne à son avantage, et certainement pas tout dire.

 

Lâchant un soupir, Law jeta un coup d'œil aux gardes, ils n'avaient pas l'air très intéressés mais il demeurait méfiant. Il n'avait pas non plus vu de système d'écoute, ayant été la première chose qu'il avait vérifié une fois ici, néanmoins on ne savait jamais. Il finit par prendre la parole à voix basse et les chuchotements qui s'étaient élevés parmi ses hommes cessèrent immédiatement :

 

« - Pour l'instant je vais jouer selon leurs propres règles et décrire où nous l'avons récupérée.

 

- Mais ils vont pas vouloir savoir pourquoi on leur a pas rendu ? s'interrogea l'un d'eux.

 

- Hé t'en connais beaucoup toi des pirates qui rendent leurs trésors ? rétorqua un autre d'un ton plus ronchon.

 

- Bah j'crois pas que ça joue en notre faveur pour le coup tu voix.

 

- Vous croyez qu'ils vont prendre le reste du trésor ?! s'alarma un troisième.

 

- Ils vont certainement le fouiller oui, trancha Law pour mettre un terme à l'échange. Mais je ne pense pas qu'il y ait eu quoique ce soit d'autres à bord de cette épave venant d'ici, ce n'était pas le même type de manufacture. »

 

Et quelque part, cela jouerait sans doute un peu en sa faveur de ne rien posséder d'autre, bien que l'avoir tenu caché ne leur plairait certainement pas. Dans les affaires du capitaine du navire fantôme, il n'y avait rien eu d'autres que la couronne et l'eternal pose, ce dernier ne poserait sans doute pas problème ici du fait qu'ils n'utilisaient pas ce genre de technologie en rapport avec les champs magnétiques, déjà que tous les environs détraquaient les instruments, celui de cette zone devait être très puissant. Toutefois cette « clé », et l'importance qu'elle devait avoir pour être le seul artefact volé, l'interrogeait encore, et cela le frustrait quelque part de ne plus l'avoir en sa possession.

 

Un autre détail lui revint en mémoire alors que le pirate se remémorait la fouille de l'épave. Ici il y avait un système judiciaire avec des procès, il n'avait pas non plus lu sur d'anciens systèmes plus violents au sein des archives, or lorsqu'il avait parcouru le journal à demi-effacé par le temps du capitaine décédé, il avait clairement pu y lire de la terreur et la description de « monstres » très éloignés de la civilisation. Cela pouvait toujours renvoyer à leur forme aquatique, mais dans ce cas celle plongée dans une folie agressive... Ou bien tous les moyens étaient bons pour récupérer leur bien, quoiqu'ils n'aient pas l'air d'en jauger la valeur véritable.

 

« - On ne peut cependant pas prouver l'histoire de l'épave, poursuivit-il à voix haute à l'intention de ses hommes. Il est possible qu'ils ne nous croient pas, bien que je ne pense pas qu'ils sachent d'où elle pourrait provenir dans le cas contraire. »

 

Ce serait toujours ça de pris, bien qu'il ne soit pas sûr que ce soit valable. Il restait également la possibilité de mentionner l'eternal pose et expliquer son fonctionnement pour prouver qu'ils n'auraient pu venir ici grâce à cela que si quelqu'un d'autre ou eux-même s'y était précédemment rendu. Néanmoins, cela sous-entendrait qu'ils s'étaient volontairement rendus ici, et soulèverait la question de leurs intentions, un terrain sur lequel il ne préférait pas s'aventurer. S'il les perdait trop avec des explications techniques sur pourquoi leurs instruments ne fonctionnaient pas, il craignait qu'ils pensent qu'il essayait de les embobiner. Ce qui était un peu le cas en soi, mais il était préférable qu'ils ne s'en rendent pas compte.

 

Il écrirait probablement qu'ils l'avaient trouvée sur les mers environnantes à bord de l'épave, puis qu'ils s'étaient perdus et atterris ici, cela pourrait paraître vague et n'excuserait pas le fait qu'il ne leur ait pas remis la couronne après avoir découvert sa provenance, mais ça tenait encore debout sans trop en dévoiler.

 

« - Mais capitaine comment expliquera-t-on qu'on ne le leur ait pas rendu ?

 

- On ne peut pas, répondit Law en faisant esquisser une grimace contrite à son nakama. »

 

Ce ne serait pas perçu comme positivement, surtout qu'ils les avaient hébergés, soignés et accueillis ici, il avait bien entendu eu tout le temps de se rendre compte que cela leur appartenait. Il était logique qu'ils pensent qu'il s'intéresserait à d'autres objets s'il en possédait déjà un de manière secrète.

 

« - Nous pourrons toujours avancer le fait que rien d'illégal n'a été fait depuis notre arrivée, n'est-ce pas ? »

 

Il jeta un regard appuyé à ses hommes, signe que si l'un d'entre eux devait se dénoncer sur quelque chose il était préférable pour lui qu'il le fasse dès maintenant. Ils s'empressèrent cependant de secouer la tête, la plupart ayant simplement troqué des objets. En tout cas, ce fait leur serait toujours favorable, si en plusieurs semaines ils n'avaient rien tenté, même si ce n'était pas une garantie, cela pourrait faire paraître leurs intentions moins obscures. En soi la couronne ne devait pas leur paraître aussi importante qu'elle ne devait réellement l'être, avec restitution on leur laisserait logiquement le bénéfice du doute. Il s'agissait avant tout de regagner leur confiance, ce qui ne semblait pas aisé étant donné la situation actuelle. Law aurait bien également un autre argument à faire valoir pour clarifier ses intentions à leur égard, mais il ne pouvait pas le faire savoir à n'importe qui dans la cité de ce qu'il avait pu constater, il choisit donc de le garder pour plus tard.

 

La seule chose qui le dérangeait vraiment dans son raisonnement et ce qu'il comptait remettre au Conseil, était qu'il s'agissait d'hypothèses comportementales. Il n'avait jamais eu affaire à ce Conseil auparavant, il ne connaissait sans doute aucun d'entre eux et ne savait pas ce qui lui attirerait leur sympathie. En outre, le simple fait d'être jugé le dérangeait dans son âme de pirate, s'il parcourait les mers en n'obéissant qu'à sa propre vision de la « justice » dans le monde, ce n'était pas pour que quelques personnes se mettent à décider à sa place si ce qu'il faisait était bien ou pas. Même si cela venait à mal tourner, il avait toujours plus d'un avantage sur eux, il lui suffisait d'agir au bon moment.

 

Avec un sourire plus sombre, il finit par annoncer à son équipage :

 

« - Patientez pour l'instant. Nous allons voir comment cela va se dérouler, mais si une « opportunité » venait à se présenter, nous la saisirons... »

 

 

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N.A. : Désolée du temps d'attente nécessaire à ce chapitre ! Il était terminé à la base, mais je me suis rendue compte que le suivant devenait trop court avec ce découpage, et je les ai donc fusionné (du coup celui-là aussi reste assez long).

Et oui ça se complique pour Law ^^ Le Conseil va-t-il accorder crédit à ses paroles ? Quelle « opportunité » saisira-t-il ? Finira-t-il coupable ou non-coupable ? A suivre ~

 

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