Le secret du triangle Florian

Chapitre 8 : Un sourire sur les lèvres

2581 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 21:22

Chapitre VIII : Un sourire sur les lèvres

 

      Usopp se faufilait entre les arbres, à l'aveugle. Son nouvel ami avait réussi à le convaincre de s'aventurer seul dans les bois pour chercher des plantes comestibles. Le pirate avait lancé, au fil d'une conversation, qu'il avait vu son ancien cuisinier cueillir de quoi se nourrir et qu'il serait peut-être capable de reconnaître quelques herbes consommables. L'enthousiasme du vieil homme n'avait laissé aucune chance à Usopp de se défiler et il était désormais perdu, incapable de faire la différence entre un buisson et un fantôme, terrifié par la noirceur de l'air qui l'entourait et paniqué par le craquement des feuilles qu'il piétinait.

      Il avait réussi à trouver un plant d'une herbe grasse comestible. Il n'était pas certain de ne pas être tombé dans le piège dont il avait été averti par le journal de Florian. Elle semblait similaire aux herbes que ce dernier avait trouvées près du point d'eau, mais correspondaient à la description qu'avait faite Sanji d'une plante très nutritive bien que peu goûteuse. On verra bien, pensa-t-il. Au pire, je serai paralysé deux ou trois heures. Après avoir rempli sa sacoche, Usopp décida de retourner au camp. Il avait parcouru cette forêt tant de fois avec son compagnon d'infortune que l'habitude guidait ses pas alors qu'il se perdait dans ses pensées.

      Usopp était désormais certain d'avoir découvert qui était l'inconnu. Trop d'éléments coïncidaient pour que ce ne soit dû qu'au hasard. La description du pirate dans le journal était celle de l'inconnu. La couverture autour de la taille du pirate était celle que l'inconnu avait gentiment utilisé pour couvrir Usopp alors qu'il dormait. Et Florian avait brisé le nez du pirate dans un élan de colère, laissant probablement une cicatrice, certes discrète, mais trahissant la véritable identité de l'homme qui avait partagé la vie d'Usopp depuis son naufrage. Cependant, même s'il s'agissait du pire scénario possible dans l'esprit du tireur d'élite, il était étonnamment serein maintenant qu'il savait. Le mystère autour du vieil homme le travaillait plus que toute autre chose. Un poids avait quitté ses épaules, et il se surprit à sourire alors qu'il apercevait la mer de la lisière de la forêt.

      Il s'apprêtait à passer la dernière rangée d'arbre quand il aperçut une forme au loin, se rapprochant lentement de l'île. Une imposante créature maltraitait les vagues et s'approchait dangereusement de la plage. La peur fit trébucher le pirate quand il reconnut le monstre marin qui l'avait attaqué sur sa barque. Il se demanda ce qu'il faisait aussi proche d'une terre et remarqua quelque chose d'encore plus étrange. L'inconnu était assis sur la plage, à quelques mètres de l'eau, et observait la créature qui le surplombait. Le monstre n'aurait eu qu'à ouvrir sa gueule pour avaler l'homme, mais ce dernier ne semblait pas effrayé par le Roi des Mers. L'animal avança sa tête vers le naufragé et le renifla doucement. Usopp retenait son souffle. Il voulait crier, dire à son ami de courir, mais il savait qu'il ne l'entendrait pas. Bien qu'il ne voyait pas bien aussi loin de la plage, Usopp aurait juré avoir vu l'inconnu sourire et parler à la créature. Alors qu'il levait le bras à la hauteur du monstre marin, ce dernier avança doucement son énorme tête et poussa un grognement satisfait alors que l'homme caressait tendrement son museau. D'un mouvement gracieux, il étira son cou vers le ciel et sembla hésiter quelques secondes, puis s'enfonça dans l'océan. Lorsque l'animal disparut totalement, le naufragé se leva, dépoussiéra son short et retourna au camp l'air serein. Usopp, sous le choc, retenait toujours son souffle. Ses jambes tremblaient et son incompréhension le paralysa un instant. Trop de questions encombraient son esprit. Il cherchait désespérément une explication cohérente et pas trop effrayante. Peut-être ce monstre marin n'était-il pas si méchant. Oui, ça doit être cela, tenta-t-il de se rassurer. Après tout, ce sont des animaux comme les autres, ils peuvent être affectueux. Cependant, cette fois, l'explication ne semblait pas suffisante. Quelque chose n'était pas normal.

 

      Usopp avait attendu un moment avant de rejoindre son ami près du feu. Ce dernier faisait griller de la viande et en tendit une part au pirate lorsqu'il le vit arriver. Le tireur d'élite, fatigué, la saisit sans penser à l'absence de gibier qui l'avait encore frappé lors de sa balade dans les bois.

«Eh bien ! Tu en as mis, du temps, pour quelques herbes, s'exclama l'inconnu d'un ton jovial.

– Je me suis perdu, mentit Usopp. Je pensais avoir repéré des arbres reconnaissables, mais en fait ils se ressemblent tous.

Inventer ce mensonge lui rappela son ancien camarade et une vague de nostalgie l'envahit. Le bretteur s'était en effet déjà perdu en prenant un arbre comme point de repère dans une jungle. Ce souvenir arracha un sourire au pirate.

– Un arbre comme point de repère dans une forêt ? Tu aurais dû prendre une feuille, ou une pierre, ça aurait peut-être été plus efficace, lança l'inconnu, amusé.

Un rire s'échappa des lèvres d'Usopp. Son camarade le rejoint et tous deux furent pris d'un fou rire incontrôlable. Le tireur d'élite dût s'asseoir pour ne pas tomber et se tînt les côtes en essayant tant bien que mal de reprendre son souffle. Alors qu'il se calmait, il évita de croiser le regard du naufragé toujours hilare pour ne pas repartir de plus belle. Il poussa un soupir de soulagement.

– Ah...ça fait du bien, lâcha-t-il le sourire aux lèvres.

L'inconnu ne put qu'acquiescer, se forçant à rester bouche fermée pour étouffer son rire. Usopp porta la viande à sa bouche et sentit les yeux hilares de son compagnon le fixer. Il ne pût s'empêcher de tourner la tête dans sa direction et, alors que leur regards se croisèrent, ils explosèrent.

 

      Jamais un repas ne s'était aussi bien passé. Le fou rire avait lié les deux malheureux et avait été libérateur pour le pirate. Il en avait oublié les événements récents et avait passé le repas à raconter les mésaventures du bretteur qui n'avait aucun sens de l'orientation.

– Et un jour, dit Usopp entre deux éclats de rire, il devait surveiller le cap du bateau…

– Oula, le coupa l'inconnu, j'ai peur…

– Il a pris un nuage…

– Non !

– Si ! Un nuage, comme point de repère ! En pleine mer !

Les deux éclatèrent de rire. Pauvre Zoro, s'il nous entendait, se dit le pirate. Il se lécha les doigts après le dernier morceau de viande et s’allongea sur le sable, rassasié. Il reprit son souffle une fois son rire estompé et tourna la tête vers son ami. Il était toujours assis, et observait les flammes, un grand sourire illuminant son visage. Soudain, Usopp se souvînt :

– Dis, commença-t-il, qu'est-ce que tu as fait pendant que j'étais dans la forêt ? Tu n'es sûrement pas resté autour du feu tout ce temps ?

L'inconnu le regarda, mais il semblait perdu dans ses pensées.

– Je me suis promené un peu sur la plage, j'ai lavé mes vêtements dans la rivière…ramassé deux-trois bouts de bois, répondit-il avec un sourire.

– C'est tout ? insista Usopp.

– Évidemment. Que voudrais-tu que je fasse de plus ?

Il est presque aussi doué que moi pour mentir, pensa le pirate.

– Oh, rien, je me posais juste la question," dit-il, ne souhaitant pas tuer l'ambiance joviale qui régnait sur le camp.

Il sentit l'inconnu se coucher de l'autre côté du feu. Il l'observa alors qu'il fermait les yeux. Il est sympa pour un pirate, pensa Usopp. Je me suis inquiété pour rien. Alors qu'il s'endormait, ses pensées étaient concentrées sur son nouvel ami. Il espérait découvrir son nom dans le journal caché dans sa sacoche.

      Usopp se réveilla seul une fois encore. L'inconnu avait de nouveau disparu, certainement dans la forêt. Comme à son habitude, Usopp s'isola sur la plage et sortit le carnet avec impatience. Il l'ouvrit là où il s'était arrêté.

 

      Jour 5

      Je n'en peux plus, il n'arrête pas de gémir. Il a mal, mais moi aussi, j'ai mal. J'ai faim. Je n'arrête pas de boire, dans l'espoir que ça apaise la brûlure dans ma gorge, mais j'ai faim. J'ai vraiment très faim.

      Jordi n'est pas réapparu, mais il doit aller bien. Il pourrait peut-être me ramener de quoi manger. Je lui demanderai si je le revois.

      Ma famille me manque, mon fils me manque, ma femme me manque. Je me demande s'ils pensent que je suis mort. S'ils le pensent, ils ont sûrement raison.

      J'ai faim.

 

      Usopp était troublé par le soudain changement de ton du journal en seulement deux journées. Cela devait être de très longues journées, pensa-t-il. Il n'avait aucun moyen de savoir combien de temps s'écoulait entre deux « jours », mais il se doutait que ce n'était pas vingt-quatre heures. Il tourna la page. Il n'y avait aucune date, juste une écriture saccadée qui noircissait la feuille.

 

      J'ai tout essayé. Il ne voulait pas arrêter de gémir alors je l'ai déplacé. J'ai utilisé le pistolet pour ne pas qu'il m'attaque, et je l'ai frappé avec, ça m'a fait du bien. Mais plus je l'éloigne, plus il crie fort. Je crois que je vais le tuer, ça apaisera ses souffrances. Je lui rendrais service, n'est-ce pas ? Ses cris sont incessants. C'est un pirate de toute manière, les pirates n'ont aucune dignité. Il crie, supplie, pleure, et il croit que cela va me toucher, le fou. Comme si je me préoccupais d'un déchet de son espèce. Il peut crever. Il peut mourir tout seul comme la merde qu'il est, je m'en fiche complètement.

      Cela fait des jours, ou des semaines je n'en sais rien que je n'ai pas mangé. J'arrive à peine à bouger, je n'arrive même plus à pleurer, c'est à peine si je respire. J'ai faim. Putain, j'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'ai faim. J'en peux plus. J'ai faim.

 

      Un bruit fit sursauter Usopp. Il ferma le carnet dans un réflexe et regarda derrière lui. Personne. Seuls des buissons bougeaient sous la pression du vent. Il s'assura que personne n'était présent sur la plage et rouvrit le livre. A la première page, il remarqua une série de chiffres qu'il n'avait pas vue auparavant :

 

1495

 

      Il se demanda à quoi cela pouvait correspondre, puis fut frappé par l'évidence : une date. Le carnet avait été écrit en 1495. Un rapide calcul permit à Usopp de se rendre compte qu'il avait été écrit vingt-sept ans avant le jour où il avait quitté Water Seven. Le pirate tremblait. Il retrouva la page à laquelle il s'était arrêté et la tourna avec appréhension.

 

      Je l'ai tué. J'ai tué cette ordure. Je lui ai explosé le crâne, il y en avait de partout. C'était beau. Et le silence. Oh le silence. C'est si bon. Si seulement ça pouvait apaiser ma faim, au moins cet enflure de pirate aurait servi à quelque chose.

 

      Usopp se sentit faible tout à coup. Il tourna une nouvelle fois la page. Sur les lignes abîmées ne se trouvait qu'une phrase, aussi simple que terrifiante.

 

      Je l'ai mangé.

 

      Usopp fut pris d'une violente envie de vomir. Il tourna la page, puis la suivante, et celle d'après. Toutes les pages suivant celle-ci étaient blanches. Soudain, une voix surgit derrière lui :

"Qu'est-ce que tu fais ?"

Le pirate se retourna lentement. L'inconnu se tenait debout derrière lui, un sourire sur les lèvres. 

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