Le secret du triangle Florian

Chapitre 7 : Quatre, trois, deux

2483 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:53

Chapitre VII : Quatre, trois, deux

 

      Jour 2

      Je ne sais pas quel jour nous sommes. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé depuis que nous nous sommes échoués sur cette île. Mon repère dans le temps sera désormais ce journal.

      Le pirate s’est réveillé. Il n’arrête pas de hurler pour que je le détache, mais je ne veux pas. Il s’est un peu calmé, mais je n’ose toujours pas approcher. Je vais attendre qu’il dorme pour poser de l’eau et du sucre à côté de lui.

      Maurice, l’un de mes camarades, s’est également réveillé. Ses blessures sont superficielles, cela me rassure un peu. Au moins, nous serons deux pour nous protéger de ce dangereux criminel. J’ai désespérément besoin d’un ami ici.

      Jon est mort. Ses blessures étaient trop graves, il ne s’en est pas sorti. Je souhaite l’enterrer comme il se doit, mais Maurice est contre. Il dit que cela nous ferait perdre de l’énergie inutilement. Je ne crois pas que permettre à un homme de quitter ce monde décemment soit inutile. S’il ne veut pas l’enterrer, alors je le ferai moi-même.

      Jordi n’est toujours pas revenu. J’ai beau l’appeler de la plage, il ne répond pas. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Il est puissant, mais on ne sait jamais sur quel monstre on peut tomber au beau milieu de l’océan.

      Je ne sais pas combien de temps un homme peut survivre s’il ne mange que du sucre et de l’eau. Je vais retourner dans la forêt, voir si elle abrite des animaux.

 

      Usopp fut soudainement anxieux. Et si ce qui l’avait interpellé quelques heures plus tôt n’était en réalité pas une illusion, comme il avait désespérément essayé de s’en convaincre ? S’il décidait de suivre sa logique, une absence totale de gibier était impossible. Comment le naufragé se serait-il procuré la viande qu’il avait offerte au pirate ? Il devait forcément y avoir une faune. Seulement, l’intuition du jeune homme le mettait en alerte. Quelque chose ne tournait pas rond sur cette île. C’est avec une pointe d’appréhension que le pirate tourna la page. Elle ne contenait cependant pas la réponse à sa question. Seul un « Jour 3 » barré en haut de la page indiquait que le pauvre homme avait tenté de continuer son récit. Un dessin grossier remplaçait le texte. Usopp crut y reconnaître la silhouette d’un petit garçon, seulement de l’eau—océan ou larmes ?—avait mouillé la page et l’encre s’était délavée. L’immense sourire sur le visage de l’enfant avait été épargné, et un léger rictus se dessina sur les lèvres du pirate. Il se demandait si son père à lui aussi l’avait dessiné sur un carnet, et si lui aussi arborait un grand sourire. Il se demandait si, sur le dessin, sa défunte mère apparaissait et si elle aussi souriait. Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas vu son père et, malgré son admiration pour ce grand pirate, il ne pouvait déterminer s’il lui manquait réellement.

      Usopp s’attarda quelques instants sur cette page. Le petit garçon n’était pas particulièrement bien dessiné, mais l’amour de son père pouvait se lire sur son visage. Cela faisait du bien au pirate, dans cette situation. Il sentit son cœur s’apaiser un peu.

 

      Une routine s’était installée. Le pirate et l’inconnu ne se quittaient quasiment jamais. Le naufragé avait bien suggéré qu’ils se relayent pour se réapprovisionner en eau et en bois pour le feu, mais Usopp s’y était fermement opposé. Il avait expliqué à son compagnon d’infortune qu’une maladie très rare l’empêchait de se rendre seul dans les forêts sombres et inquiétantes ; malgré la surprise et le scepticisme évident de l’inconnu, il n’insista pas et dès lors, tous deux se rendaient ensemble dans les bois. Usopp prêtait une plus grande attention aux bruits alentours, mais le silence ne fut jamais perturbé par autre chose que leurs propres voix. Ce n’était pas tant l’absence de gibier qui alarmait le pirate, mais plutôt le fait que jamais un jour n’était passé sans que de la viande grille doucement sur le feu. Chaque fois, le jeune homme s’assoupissait et était réveillé par l’odeur de la chair brûlée apparue comme par magie sur le bûcher. Il se demandait si le naufragé avait une réserve secrète, ou si tous les animaux étaient concentrés dans une petite zone qu’il n’avait pas encore explorée. Il avait bien essayé de poser directement la question au concerné, mais il n’avait eu droit qu’à un sourire poli accompagné d’un silence gênant. Cela, ajouté à la texture et au goût étrange de la viande, créait des soupçons chez le pirate, qui se gardait cependant d’en faire part à son nouvel ami.

      Car oui, il considérait désormais l’inconnu comme son ami. Après tout, il lui avait sauvé la vie et l’avait recueilli sans poser de question. Et puis, il n’avait jamais essayé de le tuer, ce qui était, dans l’esprit du pirate, un atout de taille.

      Il ne connaissait toujours pas son nom. Il avait bien essayé de lui poser des questions personnelles, mais chaque fois, elles semblaient attrister l'inconnu. Les discussions autour du feu se résumaient à Usopp, contant ses aventures avec l'équipage du Chapeau de Paille, ainsi que les péripéties que lui et ses huit-mille hommes avaient rencontré sur Grand Line. L'inconnu semblait autant fasciné par les histoires du pirate qu'il semblait enclin à partager les siennes. Il semblait pendu à ses lèvres et riait de bon cœur aux anecdotes absurdes qu'Usopp inventait de temps à autres. Ainsi, les deux naufragés s'endormaient sans crainte et l'esprit plein de rêves.

      Parfois, lorsqu'Usopp se réveillait, il était seul près du feu et en profitait alors pour s'éclipser et lire une page supplémentaire du journal. Il ne voulait pas que l'inconnu sache qu'il avait trouvé ce carnet. Peut-être était-ce par peur de se le voir retirer. Sous l'hypothèse que le naufragé était l'un des quatre hommes évoqués dans le journal, ce dernier était la seule source d'information disponible sur son compagnon.

 

      Jour 3 

      La bonne nouvelle est que j'ai aperçu Jordi aujourd'hui. J'ai essayé de l'appeler, en vain. Il était trop loin pour m'entendre. Mais cela me rassure rien que de savoir qu'il est vivant.

      Je viens de finir d'enterrer Jon. Maurice avait raison, c'était épuisant. Mais je pense que ça en valait la peine. J'ai prononcé quelques mots en son honneur, j'espère que, s'il les a entendu de là où il est, ils l'auront consolé un peu.

      La nourriture commence à sérieusement manquer. Nous avons toujours du sucre en abondance, mais les conséquences physiques se font ressentir. Nous n'avons trouvé aucun gibier à chasser, alors nous nous sommes rabattus sur les plantes, seulement aucun de nous ne s'y connaît en botanique. Maurice a essayé de manger une herbe grasse trouvée près du point d'eau, mais il est resté paralysé pendant plus de deux heures. J'ai récolté quelques unes de ces plantes, on ne sait jamais ce qui peut se passer avec un pirate sur une île déserte.

      Des objets échouent régulièrement sur l'île. J'ai pu récupérer un revolver, mais je l'ai caché. Maurice est devenu bizarre, j'ai peur qu'il craque et s'en serve contre moi.

    

 

      Usopp tourna la page. Un nouveau dessin recouvrait les lignes, et un nouveau sourire éclairait les yeux du petit garçon. Les traits étaient en revanche plus hésitants, comme si Florian avait eut du mal à se souvenir du visage de son enfant. Le pirate s'attarda quelques secondes sur l'image, puis tourna à nouveau la page. Le récit continuait.

 

      Jour 4

      Il est mort. Cet enfoiré s'est suicidé. Comment a-t-il pu m'abandonner ici ? Il l'a trouvé, bordel. C’est de ma faute, j’aurais dû le jeter à la mer dès qu’il s’était échoué sur la plage.

 

      L’écriture saccadée trahissait les tremblements et la colère de son auteur.

 

      C’est un cauchemar. Pourquoi est-ce que je n’ai pas jeté ce foutu revolver à la mer ? C’est de ma faute s’il est mort. Il n’aurait pas dû…Mais le pirate a sûrement raison. Il est mieux là où il est. Au moins, il n’aura pas l’occasion de mourir de faim ou de succomber à la folie.

      Parce que c’est ce vers quoi nous courons, la folie. J’ai craqué aujourd’hui. Je n’ai pas su contrôler ma rage en le voyant mort, je me suis défoulé sur le pauvre pirate qui n’y était pourtant pour rien.

      Je ne me reconnais plus. Je lui ai brisé le nez, et je m’en fiche. Je lui ai sûrement brisé une côte ou deux également, et je ne pourrais pas m’en soucier moins. Jamais ça ne serait arrivé avant. Il faut que je me reprenne. Cette île a eu Jon et Maurice, mais elle ne m'aura pas.

 

      Usopp resta abasourdi. Ce Florian avait l'air si gentil. Il ne méritait pas tout ce qui lui arrivait. Au fil de ses lectures, le jeune pirate s'était attaché au marin. La certitude qu'il était désormais mort l'attristait d'autant plus, et il redoutait le moment où le récit s'arrêterait, car il savait que cela signifierait que l'homme n'était plus.

      Une autre chose le préoccupait. Il avait réussi à se convaincre jusque là que son nouvel ami n'était autre que Maurice, et non pas le mystérieux pirate des récits de Florian. Seulement il devait se rendre à l'évidence : l'inconnu n'était pas un enfant de chœur, et il était potentiellement dangereux. Cependant, les jours passés avec lui apaisaient l'angoisse d'Usopp. Après tout, lui-même était un pirate, et pourtant il ne se considérait pas dangereux pour les personnes qui ne lui voulaient pas de mal. Il pouvait tout à fait en être de même pour l'inconnu.

      Usopp regarda une dernière fois le papier gondolé par les larmes du marin et le rangea dans sa sacoche, le cœur lourd.

 

      Une fois de plus, alors qu'il retournait au camp, le naufragé l'attendait près du foyer. Et, encore une fois, un sourire illumina son visage lorsqu'il vit le pirate arriver. Il ne peut pas être si mauvais, pensa Usopp. Alors que le ciel s'assombrit légèrement au passage d'un nuage, le feu éclaira le visage de l'inconnu. Le pirate remarqua alors une cicatrice à la base de son nez, suffisamment discrète pour être restée inaperçue jusque là. Il se risqua à poser la question qui lui piquait les lèvres.

- Dis, comment est-ce que ça t'es arrivé ? lança-t-il en montrant son nez.

L'intéressé sourit, mais sa réponse fut celle qu'Usopp craignait avoir :

- Cela n'a pas d'importance.

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