Ma liberté s'en est allée te rejoindre
Trois jours
Pour la deuxième fois consécutive, la matinée était pluvieuse. La veille, son père le bon Gouverneur s'en était presque réjoui, car, selon certaines croyances superstitieuses, la pluie était de bon augure pour un mariage. Elizabeth se demandait, pour sa part, si la pluie n'était pas plutôt le reflet de sa propre pensée, de ses propres sentiments. Car, lors du dîner de la veille, James avait dû de nouveau parler de Jack Sparrow: en effet, son navire avait été de nouveau aperçu, non loin d'ici, et James avait dû en avertir le Gouverneur. Ils avaient décidé de mettre chaque soldat en alerte, la priorité absolue était de retrouver ce pirate, et d'ailleurs sa présence dans le secteur ne plaisait guère, cela paraissait stupide d'être ainsi parvenu à s'échapper et ensuite de revenir à proximité de Port-Royal avec tous les risques de se faire prendre!! Etait-ce une preuve de sa stupidité, un affront, un défi aux autorités ou bien encore préparait-il une vengeance, une attaque quelconque contre la ville?? Telles étaient les discussions depuis la veille, les dispositifs militaires avaient d'ailleurs depuis été renforcés, aux abords des quais et autres endroits où le pirate serait susceptible d'aller.
Elizabeth, quant à elle, avait eu bien du mal a dormir après ces révélations. Elle connaissait Jack, mieux que tout les autres autour d'elle, et elle savait très bien qu'au fond, il n'était pas stupide, il ne se serait jamais jeté dans la gueule du loup de cette manière, sans raison, lui qui avait si peur de la mort. Un défi?? Un affront???? N'avait t'il pas déjà suffisamment fait cela lorsqu'il s'était enfui??? C'était là un affront bien suffisant aux autorités. Une attaque?? Elizabeth avait bien compris que Jack était tout sauf sanguinaire, il n'aurait pas du tout été du genre à mettre la ville à feu et à sang, comme avait pu le faire Barbossa. Alors, la jeune femme se demandait vraiment ce que le pirate faisait là, tout près. Ca paraissait vraiment incensé, pourtant, il prenait ce risque, et Elizabeth en avait très peur. Lorsqu'il s'était enfui, elle avait été réellement soulagée, d'ailleurs, elle avait espéré cela, elle avait même essayé de dissuader James ou son père de condamner à mort le pirate. Sans succès bien sûr, mais il s'en était finalement sorti tout seul, et c'était bien là l'essentiel.
Elizabeth avait toujours ressenti une fascination étrange pour les pirates et celui-ci était particulièrement différent des autres, elle avait appris en très peu d'heures, à le connaitre, et elle pensait l'avoir assez bien cerné: il avait certes un grand nombre de défauts exaspérants, mais il représentait clairement tout ce pourquoi elle avait toujours été fascinée par la piraterie: la liberté, l'insolence, la rebellion. Le voyage, l'aventure, l'exotisme, le mystère. Jack avait tout cela, la cruauté en moins, ce qui faisait de lui le symbole de la liberté absolue aux yeux de Liz. Et pour cela, et aussi parce qu'il n'était pas un pirate mauvais ni foncièrement méchant, elle n'avait pas souhaité sa mort, au contraire... Et avec le recul, ce sentiment s'était confirmé, elle ne voulait toujours pas sa mort, elle voulait le savoir vivant, et libre, il le méritait...
En réalisant cela, elle se rendit compte que ce qui lui faisait le plus peur, ce n'était peut-être pas la mort de Jack, quand bien même cela soit difficile à accepter... Ce qui lui faisait le plus peur, c'était ce que cela pouvait déclencher dans son esprit:
"S'il mourrait, ce serait la preuve que la liberté n'existe pas, qu'aucun homme ne peut survivre en étant libre..."
Dans ce monde aseptisé, étouffé par les conventions, les protocoles, les règles et le respect sans faille des statuts, elle avait toujours cru en la liberté, au fait qu'il puisse y avoir des personnes réellement libérées de tout cela. Et si au fond... Elle espérait elle-même faire partie de ces gens-là? N'avait t'elle pas, toujours eu au fond d'elle, une lueur d'espoir ou d'envie de vivre libre? Tout en sachant que ça lui était inaccessible, elle avait en elle cette étincelle-là qui la faisait avancer, qui la rendait différente des autres bourgeoises, qui la rendait plus capricieuse certes, mais aussi, plus libre car son esprit vif était entretenu par cette étincelle... Alors, si elle se rendait compte que même l'homme le plus libre tel que Jack, ne pouvait vivre dans ce monde, alors cela signifierait qu'elle s'était trompé, que la liberté n'existait pas. Cette étincelle s'éteindrait, et alors elle redeviendrait l'une de ces dames de grande lignée qui vivent sans se poser la question de s'il existe une autre vie que la leur, un autre monde que celui de la haute-société d'où elles ne sortiraient de toutes façons jamais. Elle redeviendrait ce qu'elle aurait toujours due être...
Cette pensée lui était venue comme un coup de fusil. Comme si, d'un seul coup, son inconscient lui soufflait ces mots, lui donnait la réponse, comme un éclair de lucidité après plusieurs jours de réflexion intense et d'émotions aussi agitées que sur un navire en pleine tempête. Elle sursauta, elle commençait à comprendre... Ce n'était pas réellement Jack qui la troublait à ce point, car finalement, elle le connaissait assez peu... C'était ce qu'il représentait... Il représentait une partie d'elle-même, celle cachée, celle presque inconnue, enfouie, et ainsi, tellement excitante à découvrir comme chaque nouvelle chose que l'on découvre...
Et en ce qui concernait James, elle venait de comprendre que ce n'était pas réellement lui qu'elle n'aimait pas... C'était ce qu'il représentait... Il était l'exacte contraire de Jack, l'exacte contraire de cette partie cachée de l'esprit d'Elizabeth qui allait à l'encontre de sa vie d'aristocrate... James représentait la partie visible d'elle-même, ce qu'elle était réellement, une bourgeoise, et non ce qu'elle aurait aimé pouvoir être... C'était un conflit entre les deux facettes de la jeune femme, entre la réalité de sa vie et ses rêves enfouis, Jack l'attirait car il était la découverte de ses propres envies, James l'attirait car il était la sécurité de ce qu'elle connaissait déjà...
"Jack me repousse car il est le contraire de ce que je suis, et James me repousse car il est la chaine qui me retient face à ce que je voudrais être..."
A présent, tout était plus clair dans le cerveau d'Elizabeth.
Effrayée par ce duel qui se jouait dans son propre esprit, elle se précipita hors de sa chambre alors que sa servante n'avait point terminé de la coiffer. Elle traversa le couloir en trombe et sortit, se réfugiant dans un endroit reculé des jardins de la demeure, espérant y trouver le calme indispensable à l'apaisement dont elle avait besoin. Fort heureusement, la pluie avait cessée. Elle se moquait de ce que pouvait penser ceux qui l'auraient vu, il lui suffirait de prétexter un léger malaise de chaleur ou de nervosité à cause des préparatifs du mariage, et elle était de toutes façons quasi certaine que personne autre que sa domestique ne l'avait vu.
"Suis-je folle??"
La révélation qu'elle avait eu avait été comme un choc pour elle, elle sentait poindre un début de migraine. Cependant, une fois calmée, elle se décida à essayer de mieux connaitre son futur époux. Si ce qu'il représentait ne lui plaisait pas toujours, alors elle devait s'intéresser en priorité à l'homme qu'il était réellement. C'était cela, la solution: si elle parvenait à se défaire de cette impression d'étouffement qu'elle avait en pensant à ce que représentait le Commodore, elle se sentirait dès lors bien plus à l'aise avec lui, et d'ailleurs elle était certaine qu'il était un homme bien, que ses qualités, d'homme et non de soldat, pourraient faire son bonheur. Elle pensait même qu'elle pourrait l'aimer... Forte de cette décision, elle décida de retourner dans sa chambre afin de terminer sa toilette, avec dans l'idée de rester plus longtemps qu'à l'accoutumée avec son promis aujourd'hui... Elle devait réussir à le voir sous un autre jour avant le mariage, et ainsi, elle pourrait accéder au bonheur.
"Vous êtes un homme bien, James. Je tenais à vous le dire avant le mariage. C'est pour cela même que j'ai accepté de vous épouser."
James la regarda avec surprise dans les premières secondes, il ne s'attendait guère à une telle déclaration de la part de sa chère Elizabeth, d'ordinaire si discrète sur ses sentiments. Puis, la surprise laissa place à une expression adoucie qu'elle ne lui connaissait pas.
"Ma chère Elizabeth, vous êtes sans nulle doute la femme la plus étonnante et la plus ravissante qu'il m'ait été donné de voir. Mes sentiments pour vous... Sont à la hauteur de la perfection que vous représentez à mes yeux..."
Rarement, James lui avait autant ouvert son coeur. Touchée, la jeune femme l'observa quelques secondes avant de lui répondre par un sourire doux, et à cet instant, le coeur du Commodore chavira. Elizabeth lui prononçait enfin les mots qu'il attendait, et elle lui offrait ce sourire doux qu'il n'avait jamais réussi à lui donner jusqu'à présent. Il ne regrettait pas son choix. Il la pris par le bras pour continuer leur promenade matinale, et quand bien même il gardait son aspect froid de militaire dans sa démarche, Elizabeth pouvait voir dans le regard de son futur époux, le bonheur qu'il éprouvait. De son côté, elle ressentait un sentiment confus de soulagement et de honte, car elle n'était pas tout à fait certaine de ce qu'elle avait essayé de lui faire comprendre, de lui dire... Il s'imaginait peut-être désormais qu'elle l'aimait autant que lui, mais elle n'en était toujours pas sûre... Certes, elle avait compris pourquoi elle se sentait jusqu'alors souvent malheureuse à ses côtés, et elle avait aussi compris que si elle regardait simplement l'homme, elle se sentait déjà plus heureuse, plus attirée par lui qu'auparavant, elle le trouvait encore plus charmant et plus doux si elle oubliait qu'il représentait la loi, l'ordre et donc, l'interdiction de la liberté... Mais l'aimait t'elle vraiment pour autant?? Elle n'en était toujours pas sûre, mais aujourd'hui, elle avait fait un pas vers lui, et lui un pas vers elle, les choses allaient s'arranger elle y croyait davantage à présent...
Les futurs époux Norrrington avaient passé la matinée ensemble. Ils étaient partis jusqu'à l'Eglise, discutant des détails de la cérémonie, jusqu'à ce que le Gouverneur ne les rejoigne à la sortie.
"Elizabeth!! Commodore!!! Quelle joie de vous voir ici! Tout se passe bien??"
Pour la première fois, Elizabeth lui sembla radieuse. Il n'y avait plus cette petite lueur de mélancolie qui avait attristé son visage ces derniers jours. Le Gouverneur adressa un sourire empli de tendresse et de bonheur à sa fille unique.
"Tout va bien Père, James et moi discutions du déroulement de la cérémonie, et nous sommes venus prier pour notre mariage. Père, j'aimerai beaucoup que vous nous accompagniez cet après-midi pour discuter des préparatifs du banquet et des dernières décorations!! James s'implique beaucoup dans ces préparatifs, et il me permet d'en faire tout autant, mais je pense qu'il serait encore plus merveilleux de nous y aider, Père!!! "
L'enthousiasme de sa fille fit plaisir à Mr Swann, il ne pouvait pas espérer mieux à quelques jours de la cérémonie. Il accepta avec joie la proposition de sa fille bien-aimée, proposition d'ailleurs très approuvée par James qui n'aurait jamais voulu d'un mariage sans les accords du père de la mariée pour l'ensemble de ce qui allait constituer la cérémonie.
La journée s'était déroulée bien mieux que les précédentes: la pluie avait cessée pour laisser la place à une belle journée comme les aimait Elizabeth.
Elle avait réussi pour l'après-midi à oublier toutes ses interrogations, comme si le simple fait d'avoir compris un peu plus sa situation, avait été bénéfique une fois le choc passé. Les derniers préparatifs de la cérémonie s'étaient très bien déroulés, la présence de son Père et de son fiancé avait achevé de dérider Elizabeth.
Et puis, surtout, elle n'avait plus entendu parler de Sparrow, probablement était-il toujours recherché, mais s'il avait été capturé, elle l'aurait sans doute su. Cela la rasssurait, et elle s'efforcait de ne plus songer au pirate qui devait sûrement déjà être loin. Bien décidée à se consacrer à son mariage, et à mieux connaitre son fiancé pour parvenir à l'aimer sans se sentir étouffée par son statut, Elizabeth était restée avec lui, comme elle l'avait décidé le matin-même, une bonne partie de la journée, et, si elle n'était pas tout à fait convaincue, elle se sentait malgré tout déjà bien mieux avec lui. James avait fait preuve, au cours de cette journée, de beaucoup d'attentions envers elle, ils avaient réussi à discuter de manière à mieux connaitre les goûts de chacun, et Elizabeth devait avouer que ce James-là ne lui déplaisait pas, il était plus doux en privé, plus compréhensif envers elle, elle l'avait presque senti plus tolérant, il lui avait laissé quelques libertés concernant les préparatifs de mariage, lui faisant savoir que le Gouverneur lui avait expliqué qu'elle avait quelquefois des idées un brin originales pour une femme de sa classe, mais que cela ne le gênait point tant que cela restait raisonnable.
James était prêt à faire des gestes envers sa future femme, comme son Père avait pu le faire pour elle depuis sa plus tendre enfance. Cette discussion avait rassuré Elizabeth, James n'était finalement pas si austère que cela en privé et il aimait suffisamment sa fiancée pour la respecter telle qu'elle était. Certes, il ne tolérerait pas tout, mais il s'était montré plus compréhensif, plus épris également. Et cela avait suffit à prouver à Liz qu'il ne serait pas aussi ennuyeux qu'elle avait pu le croire. Ce détail primordial à ses yeux, avait réussi à l'apaiser un peu et à la rendre un peu plus proche de lui le temps de cette journée, ce qui avait d'ailleurs ravi le Gouverneur.
Une fois seule dans son lit, Elizabeth reposa son livre qu'elle avait fait semblant de lire lorsque sa servante se trouvait dans la chambre. Curieusement, le silence l'angoissait. Ses pensées matinales revenaient vers elle, soufflant dans son esprit que tout n'était pas gagné pour autant. Que se passerait t'il après l'effervescence du mariage?? Et si James redevenait austère et froid une fois marié?? Et s'il faisait tout cela pour la mettre à l'aise avant le mariage?
Elle se traita mentalement d'idiote. James n'était pas un menteur.
La journée défila devant ses yeux. Pour la première fois depuis ses fiançailles, elle avait réellement vécu une journée de bonheur, elle avait sourit sincèrement. Pourtant, cette image de bonheur apparent la frappa. Ce n'était pas vraiment elle, ce n'était toujours pas son image du bonheur. Celui qu'elle aurait voulu. C'était... Un bonheur conventionnel, quelque chose la dérangeait. Une partie d'elle s'était senti heureuse, et c'était la bourgeoise, la fille de Mr Swan, la fiancée du Commodore. Mais pour cela, il avait fallu qu'elle éteigne une autre partie d'elle, celle qui s'était réveillé au contact de...
Elle sursauta. L'île... Sparrow... L'aventure... Elle ne devait plus y penser. Jack n'était que le reflet d'une illusion, de rêves qui avaient bercés Elizabeth depuis l'enfance, et c'est cela qu'elle avait ressenti à son contact. Elle avait juste vu le reflet de ses propres rêves d'enfants, de ses rêves cachés, de ceux qui ne doivent jamais se réaliser au risque de tout gâcher. Cela devait rester ainsi. Jack faisait partie de ses rêves-là, mais elle, son couple avec James, sa vie d'aristocrate, c'était cela, la réalité, c'était sa vie, son destin, ce pour quoi elle était faite. Il était temps pour elle de vivre pleinement sa propre vie plutôt que se morfondre à hésiter entre ses rêves et la réalité. Rien ne l'empêchait de rêver, mais cela ne devait plus jamais l'éloigner de son réel bonheur.
Elle se retourna dans son lit, comme si elle tournait le dos à ses conflits intérieurs, et s'endormit. Cette nuit-là, seul son futur époux serait dans ses rêves. Elle en était certaine. Comme il se doit...