Ma liberté s'en est allée te rejoindre
"Quatre jours"
La matinée s’annonçait pluvieuse. Elizabeth se sentait en colère, sans trop savoir pourquoi. Elle avait très mal dormi, partagée entre deux préoccupations distinctes, qui avaient pour source les deux hommes qui occupaient ses pensées depuis quelques jours déjà. Le premier étant son fiancé, cela était somme toute normal. Mais le deuxième étant un pirate, cela devenait réellement troublant pour Elizabeth.
Elle se leva de mauvaise humeur, fâchée par ses propres pensées. L’inquiétude la rongeait concernant Jack Sparrow, le savoir en danger lui était insupportable; de plus la conversation qu’elle avait entendu la veille lors du repas lui avait remis l’image du pirate en tête alors qu’elle tentait de l’oublier. Et à présent elle ne parvenait plus à le chasser de ses pensées. Et cela la gênait terriblement vis-à-vis de James, de plus que les nombreuses interrogations sur son couple lui étaient revenues. Et pire même: elle en voulait à son fiancé!
Pour des raisons qu’elle osait à peine s’avouer: elle ne supportait pas que ce dernier pourchasse le pirate qui pour elle représentait… La liberté.
C’était comme si James allait tuer la liberté, non seulement en tuant Sparrow, mais en plus en l’épousant à la même période… Elizabeth ne pouvait concevoir que les deux événements se produisent à la même période. Et même, qu’ils se produisent tout court… Elle avait toujours autant de mal à se faire à l’idée de son mariage, et encore moins à la condamnation de celui qui lui avait donné pendant quelques heures cette liberté à laquelle elle n’avait droit. Et si elle arrivait à accepter son union avec le Commodore c’était grâce à cette petite étincelle de liberté qu’elle savait pouvoir imaginer les jours où elle se sentirait trop emprisonnée dans son corset et dans sa vie, en pensant à Jack et aux aventures qu’il pourrait être en train de vivre… Si James venait à lui enlever cela, elle n’était pas sûre de pouvoir un jour lui pardonner.
C’est avec ses sombres pensées qu’elle rejoignit son fiancé, qu’elle aurait préféré éviter ce matin-là. Comme à son habitude elle se força à sourire et James, sans se douter de la douleur qu’il allait provoquer à sa promise, entreprit de lui annoncer la nouvelle qu’il avait eu l’honneur d’apprendre quelques minutes auparavant : s’il parvenait à arrêter Sparrow il serait promu au poste plus qu’honorable d’amiral.
Elizabeth le regarda avec incompréhension avant de répondre plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu:
"Je ne vois pas en quoi c’est honorable de tuer un homme bien…"
James, qui commençait à s’habituer aux sautes d’humeur de sa fiancée _ surtout lorsque la discussion était centrée sur des pirates _ répondit calmement mais d’un ton sans appel :
« Mon métier m’amène à faire le choix de la justice, Elizabeth, et la justice condamne la piraterie sous toutes ses formes. Votre reconnaissance vis-à-vis de Sparrow est compréhensible mais ne doit vous faire oublier la réalité : Sparrow est un pirate. Toutes les personnes l’ayant croisé ne doivent pas être de votre avis à son sujet et je me dois de rendre justice à ces personnes que Sparrow a abusé par de multiples tromperies en tout genre…
_ Jack n’a tué personne. Pourquoi appliquer la condamnation à mort pour quelqu’un qui n’a nullement semé la mort lui-même? »
L’argumentation d’Elizabeth était si empli de conviction que James soupira légèrement.
« Votre conception de l’honneur et de la justice est étonnante, Elizabeth, elle ne vous attirera que les foudres des gens de notre monde je le crains. Votre père s’en est toujours inquiété et il pensait qu’avec l’âge toutes ces étranges idées sur la piraterie vous passerez… Je vous en prie Elizabeth, soyez raisonnable. Nous n’allons pas nous disputer pour le sort d’un pirate. »
La fin de la phrase était plus douce mais Elizabeth se contenta de répondre par un signe de tête et de tourner les talons. Après tout elle ne pouvait pas reprocher à James d’être exemplaire dans son travail…
C’était à elle de devenir raisonnable, il n’avait pas tort, elle ne l’avait jamais été au grand dam de son père et il était surement grand temps de le devenir…Surtout à l’approche de son mariage. Et ce n’était pas en parlant de Sparrow qu’elle allait y parvenir…
Une nouvelle journée s’écoula, pendant laquelle elle ne vit plus son promis jusqu’au soir. Plusieurs de ses amies étaient venues la voir, la couvrant de félicitations tantôt sincères, tantôt mielleuses ou jalouses, pour son mariage à venir. En devenant la future femme du Commodore elle avait attisé les jalousies et l’intérêt de bons nombres de femmes de la haute-société de Port-Royal et des alentours, qui toutes auraient secrètement rêvé d’être à la place de Mlle Swann. Elle, belle, intelligente, riche, promise à un homme tout à fait charmant, intelligent et riche également, promis lui à un grand avenir militaire, en réalité, aux yeux de tous, le mariage d’Elizabeth Swann et de James Norrington était l’union des deux meilleurs partis de la ville, des deux personnes les plus honorables et respectables du cercle fermé qu’était la bourgeoisie. Et Elizabeth ressentait cela comme un fardeau, un étouffement total, un réel manque de liberté réduisant son mariage à un événement parfait, tellement parfait qu’il en devenait une contrainte, un modèle pour de nombreuses femmes ne comprenant rien à la liberté. Tout cela lui apparaissait tellement superficiel qu’elle ne s’y sentait vraiment pas à son aise.
Pourtant, tout cela aurait dû lui paraitre naturel, elle avait été élevé dans ce monde-là, y avait grandi, évolué, elle y était une femme suffisamment parfaite pour attirer le regard et même l’amour de l’homme le mieux de la ville. En songeant à ce bonheur parfait tout tracé, elle réalisa qu’elle n’avait jamais pu finalement décider réellement de sa destinée. Naître avec une cuillère d’argent dans la bouche n’était qu’une prison dorée dans laquelle elle évoluait telle une poupée somptueuse guidée dans ses moindres faits et gestes par les codes sectaires et stricts de sa société, et dans quelques jours elle serait tenue, en devenant femme, de porter obéissance à son époux, ce qui finalement la condamnerait un peu plus encore à devenir un docile modèle de perfection. Réalisant cela, une peur soude s’empara d’elle, une douleur, un manque. James serait-il comme son père l’avait été avec elle, capable parfois de lui céder certains de ses caprices fantaisistes ou devrait t’elle même renoncer à cela? Quel mari James allait-il être? Allait-elle se condamner plus qu’elle ne l’était en lui donnant sa main?? Quelle allait être sa vie dans quelques jours? Elle s’imagina au bras de Norrington, rêvant de voyages, mais très vite, son rôle de femme l’obligerait à attendre à terre son époux afin d’élever leurs descendants, et le reste du temps à discuter dans les salons mondains de son bonheur parfait avec des bourgeoises aussi idiotes que jalouses s’extasiant devant toute cette perfection tout en gloussant derrière leurs éventails. Cette vision la fit rire mais très vite l’amertume et le dégout de cette vie eurent raison de son rire innocent et elle prit alors la décision de ne pas s’enfermer là-dedans, si James l’aimait, peut-être accepterait-il de lui laisser un peu plus de fantaisie et la laisserait décider avec lui de leur futur et de leur existence. Peut-être n’était-il pas si froid dans l’intimité du couple, peut-être…
Elle sourit en s’imaginant ce qu’ils pourraient faire bientôt dans l’intimité de leur chambre, tous les instants délicieux qui sans aucun doute lui feraient oublier les journées passées à écouter les inepties de ses amis mondaines. Se marier avaient peut-être des avantages finalement, et elle se sentait tellement prête à y gouter…
Alors qu’elle était rentrée et qu’elle patientait jusqu’au dîner, elle s’approcha du miroir et pendant de longues minutes elle s’imagina observer elle et James explorer les plaisirs de la chair et, sans tabou, profiter pleinement de leur union… Rougissant presque des pensées brulantes qu’elle entretenait, elle se questionna: James aurait-il cette ardeur? Accepterait-il que son épouse lui demande ainsi autant de liberté? Lui donnerait-il ce que son corps brulait de connaitre?
L’image de Sparrow lui revint alors à l’esprit presque naturellement, tellement qu’elle en fut davantage troublée. Pourquoi donc fallait-il toujours que cet individu étrange revienne s’imposer dans ses pensées comme une évidence? N’allait-il donc pas la laisser tranquille? La voilà désormais qui imaginait demander les gestes sensuels qu’elle désirait à lui, à ce pirate sans honneur, stupide et sans hygiène, et sans… Et sans tabou tel qu’elle le voulait d’un homme…
Manquant de décocher au miroir un coup qui aurait pu le briser, elle cria sa colère avant de descendre diner.