Ma liberté s'en est allée te rejoindre
Un jour
Elizabeth ouvrit les yeux et se surprit à dormir toujours alors que le jour était levé depuis, visiblement, un certain temps. Elle ne s'était pas éveillée à l'aube comme à son habitude, et cela n'allait sans doute guère plaire à son père qui avait toujours appris à sa fille, dès le plus jeune âge, qu'il était d'usage de se lever fort tôt et d'être rapidement présentable.
En songeant à cela elle se rendit compte tout à coup qu'elle venait de passer son avant-dernière nuit dans la demeure des Swann, la où elle avait grandi depuis qu'elle et son père avait quitté l'Angleterre pour rejoindre Port-Royal.
Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre, les volets étaient encore fermés et elle décida de ne point attendre la servante pour lui ouvrir, elle avait besoin d'air frais, de voir l'océan, et après tout, elle pouvait bien le faire seule.
Une fois que cela fut fait, elle resta un long moment à admirer l'océan qu'elle voyait au loin. Elle se souvenait de ce voyage, lors de ces dix ans, alors que son père rejoignait son nouveau poste de Gouverneur de Port-Royal, emmenant avec lui sa seule famille : elle.
Le voyage avait été long. Cela avait un déchirement de quitter l'Angleterre, sa terre natale; cependant, la petite fille était rassurée d'être en la compagnie de son père, ainsi que d'Estrela, qui s'occupait d'elle chaque jour avec dévouement et respect depuis déjà de nombreuses années. Elizabeth avait également droit, tout au long du voyage, à un "percepteur" qui ne manquait jamais de lui donner ses quelques heures de cours particuliers chaque jour, afin que la petite fille sache lire, écrire, compter et qu'elle connaisse tout ce qui était bon de connaître pour une future femme de la haute-société. Elle devait devenir une jeune femme ayant, contrairement aux femmes du peuple, un minimum d'instruction lui permettant de pouvoir tenir une conversation et de sembler être intelligente, ce qui ne manquerait pas de la faire devenir une femme remarquable lorsque l'âge de se marier arriverait. Son père voulait que sa fille, déjà très jolie, puisse devenir une femme parfaite, qui ne manquerait point d'attirer l'attention des meilleurs partis... Mr Swann, qui protégeait beaucoup sa fille, veillait personnellement à ce que son éducation soit irréprochable, il avait aussi à cœur de remplacer du mieux qu'il le pouvait la mère d'Elizabeth, morte en couche, car la présence féminine maternelle manquait bien évidemment à la petite fille.
C'est pour cela qu'en dépit de l'éducation qu'il lui donnait, il avait toujours eu aussi, ce côté tendre et arrangeant qu'une mère aurait pu avoir, il passait à sa fille beaucoup de "caprices" fantaisistes, bien sûr, de moins en moins avec l'âge mais Elizabeth ne pouvait nier qu'elle avait plus de "liberté" que nombre de filles de son statut.
Pour cela, elle avait toujours été reconnaissante à son père. Il faut dire que la petite Elizabeth, était une enfant différente des autres fillettes de son monde.
Dès son plus jeune âge, elle s'était intéressée à la notion de liberté, à l'aventure, à la piraterie. Dès qu'elle avait su lire, elle avait dévoré des bouquins traitant du sujet des pirates, des océans, et lors du voyage vers Port-Royal, elle avait connu pour la première fois, l'effet que cela faisait de vivre sur un navire, d'être au milieu de cet océan dangereux, mystérieux, peuplé de pirates et de rêves...
Elle avait aimé cela. Elle avait aimé à tel point, que très vite la nostalgie de Londres avait disparu : elle voguait vers une nouvelle vie, où elle allait pouvoir se faire plein d'amis, jouer avec d'autres petites filles de son âge sous un soleil bien plus clément qu'à Londres; tous lui avaient assurés que le climat de Port-Royal serait chaud, souvent ensoleillé, les Caraïbes étaient un paradis pour beaucoup, et c'est justement là qu'ils allaient. Mais, en dépit de ces avantages, la très jeune Elizabeth en voyait un autre bien plus attrayant : de tout les livres qu'elle avait lu, elle avait retenu ces derniers temps une chose : les pirates, bien que partout présent dans le monde, l'étaient particulièrement dans les Caraïbes. C'était un endroit qu'ils appréciaient tout particulièrement, des villes entières étaient peuplées de flibustiers, c'était des terres et des mers de mystères, emplies de trésors, et de ces étranges hommes qui finalement n'étaient guère plus que des corsaires qui ne travaillaient pas pour le compte du Roi, juste pour le leur. Des hommes libres en somme. Et Elizabeth trouvait cela fascinant. Elle était certaine qu'en venant habiter aux Caraïbes, elle apprendrait encore plus de choses sur eux.
Sur le navire, lorsqu'elle ne devait pas apprendre ses leçons ou bien avoir ses cours de bonnes manières, elle restait de longues heures sur le pont, elle observait attentivement les hommes d'équipage travailler, les soldats, elle écoutait les conversations dès qu'il s'agissait de comment manœuvrer le navire, ou bien encore, sur ce qui concernait l'armement, les réserves, tout ce qui pouvait être en rapport avec la vie maritime l'intéressait car elle voulait apprendre comment on vit en mer, comme les pirates... Longtemps aussi, elle regardait l'océan, elle écoutait les histoires et les légendes que les hommes se racontaient à bord. Fascinée, elle retenait tout, et surtout une chose : les pirates étaient pourchassés à cause de leur liberté, et cela, elle ne le comprenait pas. Toute à ses rêveries d'enfant, elle restait persuadée que cette notion de justice était particulièrement injuste.
Ce qui choquait le plus Elizabeth, c'était la sévérité du lieutenant Norrington envers les pirates. Norrington était un très jeune lieutenant, très proche de son père depuis quelques années, il était de ses hommes courageux et ambitieux qui savait se faire respecter, d'ailleurs, en dépit de l’incompréhension de la petite Lizzie sur sa sévérité, elle le respectait beaucoup, et elle aimait parfois discuter avec lui car il était fort instruit et la jeune fille, loin d'être sotte, aimait à parler avec des adultes intelligents, qui pouvaient lui apprendre bien des choses. Mais leurs conversations étaient fort rares, à part lorsque son père et le jeune lieutenant étaient ensemble en discussion et que Liz se trouvait à proximité. D'ailleurs, son père veillait toujours à ce qu'elle s'éloigne un peu de ces discussions d'adultes, il trouvait Elizabeth bien trop intéressée par la vie à bord et par les pirates, et préférait qu'elle aille apprendre d'autres choses moins effrayantes pour elle, ou bien qu'elle s'amuse raisonnablement comme une petite fille sage.
Alors, elle retournait à ses rêveries et à ses livres, attendant secrètement de rencontrer un vrai pirate. En dépit de tout ce qu'on pouvait bien lui dire, elle était de plus en plus fascinée par cet univers.
Puis, il y avait eu ce jour si spécial, où elle avait aperçu un navire aux voiles noires, où elle avait sauvé le petit William de la noyade après qu'un navire ait été détruit par des pirates, juste quelques instant avant que le navire de son père n'arrive sur les lieux. Elle avait ensuite sauvé le petit Will d'une sévère sanction lorsqu'elle avait vu que l'enfant portait sur lui un médaillon de pirate. James Norrington venait d'affirmer quelques minutes auparavant que tout homme accusé de piraterie serait pendu haut et court jusqu'à ce que mort s'ensuive, et Liz, choquée par cette cruauté, avait volé au garçon son médaillon afin qu'on ne sache jamais qu'il était un pirate.
Elizabeth sortit de sa rêverie subitement. Tout cela était bien loin désormais. Cette histoire s'était déroulée onze ans auparavant, elle avait aujourd'hui vingt et un an, William était devenu un honnête forgeron et un ami pour elle. Et Norrington était désormais l'homme qu'elle s'apprêtait à épouser le lendemain même. Elle sourit un peu tristement, était-ce à cause de ce jour-là qu'elle n'avait jamais vraiment réussi à cesser d'en vouloir à James, le froid qu'elle ressentait parfois envers lui était-il dû à ce sentiment de petite fille de dix ans qui avait entendu des propos qu'elle n'avait pas compris et qu'elle avait interprété pour de la cruauté?? Il était temps, si c'était le cas, qu'elle efface définitivement ce vieux ressenti qui n'avait plus lieu d'être. James était un homme charmant, loin d'être cruel, et simplement respectueux des règles de son métier, c'était même à cause de cela qu'il était rapidement monté en grade jusqu'à arriver au poste de Commodore. Et c'est certainement cela qui lui permettrait de devenir un Amiral respectable, protégeant les siens et pouvant aisément offrir une vie confortable à sa femme et leurs enfants.
A l'aube de devenir une femme, il était temps qu'Elizabeth enterre ses pensées de petite fille qui avaient gâché ses fiançailles avec James.
Prête à tourner la page, la jeune femme adressa un dernier regard à l'océan avant que sa domestique ne vienne la préparer.
Les rêveries d'Elizabeth n'eurent guère de place dans la matinée qui s'ensuivit. La veille du mariage étant arrivée, il était impossible pour elle de souffler quelques instants pour s'adonner à ce plaisir. Une dernière fois, elle dut essayer sa robe pour les tout derniers ajustements, ainsi que sa tenue complète avec bijoux, accessoires, tout devait être parfait pour le grand jour. Elizabeth savait que son futur époux, de son côté, vivait lui aussi l'essayage de sa tenue et le réglage des derniers détails, mais bien sûr dans un lieu différent car il était d'usage que le futur marié ne voit jamais la robe de sa promise sur elle avant le mariage, les deux futurs époux n'avaient donc point eut le temps de se croiser de la matinée.
Elizabeth avait ensuite terminé de régler le détail des fleurs, des décorations, accompagnée de son père, qui veillait soigneusement à ce que tout soit parfait. Une grande partie de Port-Royal serait présent, à savoir toutes les personnes de la haute-société, la totalité des soldats (ou presque, puisqu'il fallait garder certains d'entre eux à l'écart afin de surveiller les quais, le Gouverneur était d'ailleurs fort vigilant pour la sécurité de la ville et surtout du lieu de cérémonie, car il n'oubliait pas que Sparrow était toujours dans les parages, et il voulait assurer à sa fille un mariage sans aucun problème de quelque ordre que ce soit. James, à ces fins, avait renforcé la sécurité, mais de manière le moins visible possible pour ne pas qu'Elizabeth ne se sente trop oppressée, il désirait qu'elle vive un mariage heureux et non dans la peur de quelconque événement indésirable.
Les personnes les plus proches du Gouverneur, de James, et d'Elizabeth, étaient également conviées, leurs amis et même leur personnel en tout genre, chacun se devait d'assister à ce mariage qui n'était autre que l'événement le plus important de la saison dans la ville. Le Gouverneur mariait sa fille unique avec le Commodore, les deux meilleurs partis de la ville allaient s'unir dans un magnifique mariage qui ferait forcément bien des jaloux, que ce soit des envieux ou des autres prétendants et prétendantes qui auraient tant voulu se voir accorder les faveurs de la belle Mlle Swan ou du charmant Norrington.
Elizabeth savait déjà pertinemment qu'elle serait jalousée par une grande majorité des femmes de Port-Royal, au fond, elle trouvait désormais que ça pouvait presque être plaisant, tout compte fait : cela prouvait qu'elle avait tout pour elle, que sa vie était celle dont chaque femme pouvait rêver. Au début, cela lui faisait peur, elle trouvait cela trop parfait, trop conventionnel; mais au fil des jours elle se disait que finalement, elle préférait largement sa place à celle d'autres femmes : que dire du sort des prostituées, des femmes du peuple pour la plupart vivant dans une pauvreté qui n'avait rien de facile, sans parler des esclaves, et même des domestiques (Elizabeth savait qu'elle n'aurait jamais pu servir quelqu'un d'autre, elle était bien trop éprise de liberté pour vivre jour et nuit sous les ordres d'une tierce personne, d'ailleurs bien souvent les domestiques n'étaient pas aussi bien traitées que ce qu'ils pouvaient l'être chez le Gouverneur, qui fort heureusement avait toujours eu bon cœur et prenait soin de son personnel en veillant à ce que ceux-ci ne soient point maltraités.)
Elizabeth n'était rien de tout cela, et elle avait la meilleure place qu'elle puisse avoir, elle n'avait aucun soucis à se faire ni pour sa sécurité, ni pour l'argent, ni pour l'éducation de ses futurs enfants, ni pour le lieu où elle habiterait qui serait toujours impeccable... Elle n'avait en réalité aucun des problèmes qu'une femme de son temps puisse craindre, juste parce qu'elle était la fille du Gouverneur. Cette chance-là, elle se devait de ne point la gâcher, et désormais elle savait qu'elle pourrait accepter son sort. Elle ne ressentait plus envers James cette rancœur qu'elle lui portait depuis longtemps : elle avait compris qu'il ne fallait pas confondre l'homme et le Commodore, et elle, quand bien même elle allait être mariée avec les deux, ne serait en privé qu'avec l'homme, et en apprenant à mieux le connaître, elle devait bien avouer qu'elle ne lui était point indifférente, certes, elle ne se sentait pas encore amoureuse de lui, mais elle avait compris ce qui l'avait jusqu'alors bloquée avec lui, elle avait appris à faire la part des choses, et à ne plus se laisser influencer par ses pensées de petite fille. C'était déjà un grand pas, d'autant qu'elle avait eu l'occasion cette dernière semaine, de remarquer des qualités chez son fiancé qu'elle n'avait pas vu auparavant.
Elle tenta de rassembler dans ses pensées tout ce qui pouvait la rendre heureuse et elle se rendit compte que tout compte fait, elle avait REELLEMENT de la chance : la demeure où elle allait habiter avec son époux lui plaisait, Estrella serait présente, elle avait droit à quelques libertés comme avec son père, son futur mari l'aimait et la désirait sincèrement, il n'était visiblement pas froid dans l'intimité du couple, il était charmant, elle ne manquerait de rien de ce dont elle et ses enfants auraient besoin, et ils formerait une famille qui s'entend bien... Tout était réuni pour son bonheur. Ces derniers jours avaient permis à Elizabeth de murir, de comprendre bien des choses sur elle, sur James, sur leur couple, et de ces réflexions qui avaient certes été compliquées, elle avait appris bien des choses, elle avait aujourd'hui l'impression qu'elle avait évoluée, elle était encore prise par nombres de rêveries de petites filles une semaine en arrière, et désormais, elle se sentait prête à devenir femme, à se marier et à mener la vie qui était la sienne...
Cependant, malgré cette apparent changement qui s'était opéré en quelques jours chez la jeune femme, elle gardait au fond d'elle une nostalgie qui ne s'éteindrait pas. Elle l'avait simplement apprivoisé... Mais elle savait pourtant, que quelque chose pouvait la faire retomber dans cette envie incontrôlable de liberté. Elle savait qu'il suffirait qu'elle ne revoit Jack pour redevenir... Ce qu'elle ne devait pas être...
Elle espérait de tout cœur que cela ne se produise jamais. Elle avait réussi à reprendre le contrôle d'elle-même, et elle gardait au fond d'elle, bien enfoui, l'étincelle de liberté que lui inspirait le souvenir du pirate, et elle espérait que cette étincelle lui permette de continuer à être libre, tout au fond de ses rêves, afin de pouvoir mener à bien sa vie en ayant comme ultime échappatoire son esprit libre qu'elle ne dévoilerait plus qu'à elle-même... Elle s'était créé un équilibre précaire qui lui permettait de garder sa liberté en la cachant, et de mener une vie heureuse en parallèle avec son époux dans son quotidien d'aristocrate.
Le déjeuner avec son père se passa à merveille, celui-ci étant plus que jamais attentif au bonheur de sa fille qu'il allait marier le lendemain, il en était fort ému, et savoir que sa fille ne serai plus avec lui dans la demeure des Swann, lui faisait un pincement au cœur malgré tout, il avait donc tenu à déjeuner seul avec sa bien-aimée fille unique tant qu'elle était encore une jeune fille, ensuite, ce serait différent, elle serait au Commodore Norrington, mais il savait qu'elle ne craindrait rien, qu'elle serait bien avec cet homme, il en était certain, et cela le rassurait beaucoup. D'autant que, si James devenait amiral, il en serait point pour l'instant amener à déménager dans d'autres lieux, Mr Swann resterait donc près de sa fille et de son gendre encore de longues probables années et cela achevait de le rassurer.
Elizabeth, quant à elle, devinait sans peine les ressentis de son père et elle en était touchée, elle entreprit de le rassurer, lui assurant que tout allait bien pour elle. Et dans le fond, ce qui la rassurait aussi, c'était qu'elle pensait dire la vérité.
La suite de l'après-midi se déroula d'une manière tout aussi chargée que la matinée l'avait été, et Elizabeth n'eut pas le temps de songer de nouveau à autre chose qu'aux préparatifs de son mariage, elle s'investissait autant qu'il lui était permis de le faire, et cela lui permettait de se mettre de plus en plus dans l'ambiance. Elle apparaissait rayonnante, et n'avait plus d'autre pensée que le jour qui allait suivre.
Alors que la soirée commençait, elle termina enfin tout ce qu'elle avait du faire au cours de la journée. Il ne restait plus désormais qu'à attendre. Elle regagna pour la dernière fois, la demeure de son paternel, regagnant en calèche les jardins. Il y faisait déjà presque nuit, et lorsqu'elle posa le pied sur le sol, la jeune femme observa le décor plus attentivement qu'elle ne l'avait jamais fait.
Elle se souvenait du rire enfantin de la petite Elizabeth, et de cette épée en bois que Will lui avait fabriqué et offert pour son anniversaire, il y a bien longtemps. Elle avait caché ce cadeau dans un buisson, et dès qu'elle en avait le temps, elle venait jouer, s'entrainer à l'abri des regards, s'imaginant même défier le célèbre Jack Sparrow en duel, après avoir lu une énième fois les livres relatant les aventures incroyables des meilleurs pirates du monde. Son rire d'enfant raisonnait encore dans les jardins, comme si, son âme de petite fille avait survécu, quelque part, dans ces buissons. Et elle l'entendait encore. Cela la fit rire, la petite Elizabeth se croyait capable de tout, elle étit si libre...
En arrivant à l'intérieur de la grande salle d'entrée, elle se remémora également, les premiers dîners où son père invitait Norrington, au fil des années, elle avait bien compris que celui-ci, alors qu'elle était devenue jeune femme, avait changé son regard sur elle : il la considérait comme une prétendante, et son père n'avait dès lors eu de cesse de les faire se rencontrer lors de dîners fréquents, afin qu'Elizabeth puisse mieux connaitre l'homme accompli qu'il était devenu. Le prétendant idéal, aux yeux de tous. En ce temps-là, Elizabeth n'avait jamais vraiment réussi à se faire à cette idée, mais au fil du temps, elle avait compris ce qui arriverait. James Norrington allait un jour lui demander sa main. Ce qu'il avait fait, lorsqu'il était devenu Commodore, car bien sûr, l'accomplissement de sa carrière était devenu primordial avant d'oser faire sa demande à la fille d'un Gouverneur.
Ce jour-là, Elizabeth, qui était devenue quand à elle une magnifique jeune femme possédant tout à la fois la beauté, l'intelligence, et l'âge pour se marier, ne s'était pas vraiment préparé à être demandé en mariage. En fait, elle ne s'était pas même souvenu, en se réveillant ce matin-là, que ce jour serait celui de la cérémonie faisant de Norrington un Commodore. C'est seulement lorsque son père lui avait offert une sublime robe afin qu'elle soit somptueuse pour ladite cérémonie, qu'elle se souvint de ce détail. James allait la demander en mariage, mais tout au long de la journée, elle n'avait pensé qu'aux pirates, à son rêve de la nuit même, à ce médaillon qu'elle avait enfilé. Et à ce corset qui l'étouffait. Lorsqu'elle s'était évanouie, incapable de respirer sous la pression des lacets de ce corset bien trop serré, elle n'avait pu que comprendre que James venait de la demander en mariage, sans même pouvoir savoir ce qu'elle avait ressenti à cet instant, si elle en avait été fière, flattée, ennuyée, agacée par toutes ces attitudes protocolaires, malheureuse, angoissée, heureuse, effrayée, ou bien tout à la fois...
Sûrement un peu tout à la fois, d'ailleurs, en tout cas, elle n'avait jamais su si ces sentiments mélangés à son corset avaient été la cause de son évanouissement, une chose était certaine, lorsqu'elle s'était éveillée, ce n'était pas le visage du Commodore qu'elle avait vu penché au dessus d'elle, mais celui de Sparrow, celui de ce pirate qui venait subitement comme de sortir de ses rêves d'enfants, pour devenir simplement, un homme réel, bien plus proche de ses rêves de femme que de ses rêveries d'enfant, lui apportant alors la survie, l'aventure, et l'éloignant aussitôt de celui qui quelques instants auparavant avait demandé sa main...
Depuis lors, Jack, toujours, était resté, là, quelque part, entre James et elle, son ombre planant comme un mystère autour d''eux, jusqu'à cette semaine de préparatifs des noces qui avaient vu ce pirate revenir dans leur vie, près d'eux, tout près, quelque part, à quelques encablures de Port-Royal. Elle ne l'avait pourtant pas revu, physiquement, et pourtant, il était là, de nouveau, ou juste son ombre, bien assez pour la faire douter, bien assez... Elle sentait au fond d'elle, que si elle avait réussi à se raisonner face à tout cela, il lui suffirait qu'elle ne le revoit pour que cela annonce quelque chose de bouleversant... Et si jamais il attendait le lendemain pour revenir.? Que se passerait t'il??
Elle avait peur, que Jack n'apparaisse, qu'il reste un mirage, une sorte de rêve étrange, et en même temps, elle l'espérait, l'idée-même que quelque chose d'extraordinaire puisse se passer le jour de son mariage la rendait tremblante, pas que de peur, de curiosité aussi... Comme si elle sentait qu'il allait se passer quelque chose... Tout, ce soir, la ramenait au jour de la demande de James et de l'apparition de Jack... En regardant à la fenêtre, elle se rendit compte que de nouveau, la pluie tombait, le vent commençait même à souffler, et dans le sifflement de ce vent à travers les fenêtres, elle entendait presque son inconscient lui souffler que quelque chose allait arriver.... Et qu'elle n'y pouvait plus rien.
Alors qu'elle s'apprêtait à monter dans sa chambre, elle eut la surprise de voir James arriver dans la salle. Il s'approcha d'elle avec un doux sourire, un regard de bonheur qu'elle ne lui avait jamais vu. Il lui prit les mains et l'attira à lui.
"Ma tendre Elizabeth... Je tenais à venir vous voir avant le mariage. Je voudrais vous dire à quel point vous avez fait de moi l'homme le plus heureux, en acceptant ma demande, et je tenais à vous le dire à ma fiancée, je ne veux pas le dire juste à mon épouse, car vous ne deviendrez pas importante demain, vous l'êtes déjà depuis très longtemps à mes yeux...Et je voulais que sachiez cela avant de vous marier... Je ne vous ai pas toujours paru très expressif .. Mais je vous aime, Elizabeth..."
Le cœur de la jeune femme rata un battement. Pour la première fois, il lui disait cela, et à cet instant il lui parut tellement moins froid, il lui parut beau, il sembla à Elizabeth que cet homme était bien désormais son futur mari, qu'il était digne de recevoir d'elle son amour, sa passion.. Jamais encore elle n'avait été seule avec James dans une maison la nuit, c'était la première fois, et pour la première fois, elle ressentait ce qu'allait pouvoir être réellement sa vie, leurs soirées, leurs instants à eux, cet homme-là n'avait plus rien du Commodore, il était juste un homme... Son époux.. Où presque... Leurs lèvres se rejoignirent en un long baiser, Elizabeth frémissait, elle s'abandonnait à ce ressenti, à cet instant, il n'y avait rien entre eux à ce moment, ni le protocole, ni les pirates, ni personne, ils étaient... libres.. Elizabeth était si bien à cet instant...
À la fin de ce moment de grâce, James s'éloigna doucement d'Elizabeth. Il avait senti son abandon, et désormais, il avait confiance en leur union...
"À demain Elizabeth... Je vous promets la meilleure vie possible.. N’oubliez jamais ce que je vous ai dit ce soir."
"Je ne l'oublierai pas James... À demain..."
Les deux fiancés se séparèrent presque à regret, puis, alors que James retournait vers leur demeure, Elizabeth montait pour la dernière fois dans sa chambre. Elle y trouva dans sa table de chevet, l'un de ces fameux livres de pirates, qu'elle avait toujours lu depuis sa tendre enfance, à chaque fois qu'elle s'était retrouvé dans ce lit. C'était sa dernière nuit ici, et ce livre était le symbole de toutes ces nuits passés dans cette chambre, à regarder l'océan, à lire des histoires de pirates.
Elle prit précautionneusement le livre, qu'elle feuilleta avec un sourire nostalgique. À la lumière des bougies, elle vit défiler ka seule véritable aventure de pirates qu'elle avait vécu. ils étaient sortis du livre et de ses rêves pour se matérialiser une unique fois dans sa vie. Désormais, ils devaient de nouveau se figer pour l'éternité dans les pages du livre... Alors, elle reposa là reliure dans l'un de ses tiroirs qu'elle ferma à clé, restant de longues secondes ensuite devant la fenêtre, à observer l'océan. Les pirates, Jack, ils étaient tous repartis dans cet océan, bien loin, et il lui en restait le souvenir qu'elle avait désormais enfermé dans cette chambre où elle ne dormirait plus.
Alors que la pluie continuait à tomber comme pour tout effacer derrière elle, Elizabeth se coucha dans son lit pour la dernière fois, s'endormant d'un sommeil sans rêve qui la mènerait vers d'autres horizons le lendemain venu. Près d'elle, la bougie, négligemment laissé allumé s'éteignit, comme un signal lancé par sa destinée.