Ma liberté s'en est allée te rejoindre
Chapitre 9 : Cinq décennies plus tard
1284 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 15/01/2022 23:30
Cinq décennies plus tard.
« Êtes-vous sûre de vouloir vous rendre seule ici???? »
« Je le suis, Commodore Groves. »
Répondit Elizabeth au jeune homme qui l'accompagnait.
En prononçant ce nom, son regard se perdit quelques secondes et le jeune Commodore fronça les sourcils.
« Tout va bien Mme Norrington??? »
Elle répondit que tout allait bien. Après tout, que pouvait savoir l’homme de ce qui la perturbait, il n'était que le fils de celui qui avait un jour tué ses rêves de jeune fille...
La vieille dame entra dans la demeure, déserte depuis des décennies désormais. Depuis la mort de son père le Gouverneur Swann, elle n’était jamais retournée dans cette demeure où elle avait vécu avant son mariage. La demeure des Swann, bien qu'encore régulièrement entretenue par des serviteurs, n'était plus habitée depuis lors et Elizabeth serra son châle contre elle en ressentant la froideur du lieu.
Elle monta péniblement les escaliers qui menait à sa chambre, elle n'était plus jeune depuis bien longtemps et la souplesse élégante de sa démarche était bien loin de celle qu'elle avait eu, cinquante ans plus tôt, alors qu'elle descendait ces marches pour se rendre à sa cérémonie de mariage.
Elle sentit le sol craquer légèrement sous ses pieds et une émotion particulière la prit à la gorge alors qu'elle poussait la porte de sa chambre. Un instant elle s’entendit, plus jeune, encore enfant, appeler avec enthousiasme la douce Estrela.
Puis le silence retomba, Estrela était morte depuis longtemps, tout comme chaque personne qu'elle avait connu dans cette maison. La vieille dame se dirigea aussitôt vers la coiffeuse désormais fort abîmée par le temps, et ouvrit d'une main tremblante le tiroir secret où elle avait enfermé son trésor.
Le livre des pirates. Celui qui racontait les légendes, les histoires, les aventures, celui qu’elle préférait, celui qui racontait la liberté. Elle se revit un court instant dans la peau de cette jeune femme rêveuse qui avait enfermé ce livre pour toujours au fond d'un tiroir, renonçant à ses rêveries pour devenir une femme. Sa femme. À James.
James... Elle l'avait aimé. Elle avait été heureuse avec lui. Ils s'étaient mariés, puis ils avaient eu cinq enfants. Une grande et belle famille, aimante, qui avait rempli sa vie pendant quatre décennies. James était devenu amiral après avoir gagné une importante bataille, et ils avaient partagé ensemble beaucoup de journées douces et de nuits enflammées. Elle avait aimé cet homme et tout ce qui lui avait donné. Elle n'avait pas regretté de l’avoir épousé. James n'était en rien l'homme froid et distant qu'elle avait eu si peur d’épouser au début. Il avait pour elle un amour qui dépassait tout, et il le lui avait prouvé, chaque jour de sa vie.
James était mort deux ans auparavant. Elle était restée près de lui jusqu'à son dernier souffle, elle lui était restée fidèle toute sa vie durant. Et elle ne l’avait pas regretté.
Elle versa une larme avant de saisir dans ses mains le livre qu’elle avait laissé là pour vivre cet amour avec lui. Puis, elle s’installa sur un fauteuil, et ouvrit doucement le livre. Le hasard, certainement, voulu qu'elle tombe sur une des pages qui parlaient d'un célèbre pirate. Un certain Jack Sparrow... Dans l'histoire, il était décrit comme une légende, on le disait beau, incroyablement doué, amoureux des trésors et de l’océan... On racontait des aventures extraordinaires qu'il avait vécues... Elizabeth sourit tristement. Elle savait, elle, qu’une grande partie de tout cela n'était pas vrai. Il n'était pas plus invincible que les détails extravagants de ses aventures n'étaient vraies. Mais dans ce livre, Jack était éternellement un homme libre, c'était écrit, à jamais gravé dans ce livre jauni. Ça ne racontait pas la fin tragique de l’histoire. Ça ne disait pas que son compas, qui l’avait toujours guidé vers la liberté, l’avait un jour mené à la mort. Ça ne racontait pas qu'il était mort dans les bras d'une aristocrate qui l'avait pleuré. Non, dans le livre, il était à jamais en vie, à jamais une légende de l’océan.
Libre et sans lien, insaisissable pirate qui l’avait tant fait rêver...
Elle caressa le papier, prenant garde à ne point abîmer ces mots précieux qui gardaient encore le parfum de la liberté derrière l'odeur douce de vieux livre qu'il dégageait.
Elizabeth se leva à nouveau et ouvrit la fenêtre. Il faisait nuit, et le reflet de l’océan sous la lune s’invita à son regard. Le parfum des embruns et de l’océan la prit à la gorge comme cinquante ans auparavant. Dans les reflets d’argent, elle aurait presque pu voir un navire aux voiles noires. Le navire de Jack.
Jack... Elle l'avait oublié, au fil du temps, pour se consacrer à sa vie, à elle, à son mari. Mais elle l'avait toujours gardé dans un coin de son esprit. Désormais, elle n'avait plus rien qui la retenait d'aller le retrouver tout au fond de son cœur. Elle était seule, et bien trop vieille pour vivre encore de longues années. Alors, ces derniers jours, semaines ou mois qu'il lui restait, elle voulait retrouver le parfum de cette insouciance, de cette liberté presque amère désormais, le souvenir de ce pirate qui lui n'avait pas eu le temps de vieillir... Et il en était mieux ainsi, il n'aurait pu de résoudre à renoncer à sa liberté alors que le monde changeait... Les pirates n’avaient plus leur place, depuis longtemps, et Elizabeth le savait, Jack n'était pas fait pour voir cela... Il avait dû renoncer à la vie en voulant rester libre... Et elle avait vécu en renonçant à la liberté. Elle ne savait pas vraiment si tout cela était bien, ou mal, il n'y avait pas de mauvais choix, il n'y avait pas de belles morts ni de belles vies, il y avait juste le destin. Elle ne regrettait rien.
Elle sortit de la maison en regardant l’océan, son livre préféré caché sous son châle. Dans les livres, il n'y avait plus de fatalité, Jack avait raison, dans les histoires il n'y avait plus que la liberté, peu importe qu'elles soient fausses ou vraies... Elles étaient là pour faire rêver.
Et pour les derniers moments de sa vie, Elizabeth voulait rêver. Comme lorsqu'elle était enfant, elle éclata de rire au souvenir d'une des histoires invraisemblables de Jack.
Il la faisait rêver...
Même des décennies plus tard, il la faisait rêver.
Dans ces livres,
Elizabeth était libre.
Il était immortel.
" le sourire du pirate apparut devant ses yeux étonnés. Son regard était libre comme au premier jour. Peu importe là où ils étaient. Ce n'est pas la mort qui tue la liberté, c'est son propre cœur. Et celui de Jack était libre. Il l’invitait à le rejoindre.
Elle crut qu'elle venait d'ouvrir les yeux pour voir si clairement une telle image. Elle venait en fait de les fermer. Mais derrière ses paupières closes, il ne s'en allait pas de sa vue. Il n'en partirait plus jamais. Ils l’avaient trouvé. La liberté..."