Barbossa : la naissance d'un pirate légendaire

Chapitre 1 : Diego et Hector

1985 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/09/2023 19:41

"Ah ! Les boucaniers ! Les pirates ! Les flibustiers ! Quel que soit le nom qu’on leur attribue, ces matelots sans cœur sèment le chaos dans les Caraïbes depuis plus de cinquante ans ! Chaque navire quittant les côtes nord de l'Hispaniola et ayant aperçu, dans la mystérieuse brume de la nuit, ce fameux pavillon noir arborant ce crâne de squelette messager de mort, n'est jamais arrivé à destination indemne ! » Conta le vieil homme à la voix sombre et granuleuse.

Le seul publique du vieil homme était un enfant assis en face qui écoutait cette histoire d’une oreille distraite, assis en tailleur sur un sofa. Il se balançait d’avant en arrière en regardant autour de lui.

Les deux personnage se trouvaient dans un grand salon décoré de dizaines de tableaux de tous genres, d’une grande variété de meubles extravagants, d’une cheminée éteinte et d’un large lustre au dessus de leurs têtes.

Le vieil homme, remarquant que le jeune Hector ne suivait pas le récit, fit une pause, surpris, puis repris son histoire de plus belle d’un ton encore plus immersif afin de captiver toute l’attention du jeune homme :

« Il se dit que ces fameux flibustiers sont si cruels qu’ils…

« Ton histoire est ennuyeuse, Diego, le coupa Hector, conte moi donc les aventures du lion qui sauva le village des animaux !

Le prénommé Diego s’interrompit, il regarda Hector d’un air étonné, sans arriver à cacher sa vexation. 

Diego était un homme qui approchait dangereusement de la soixantaine possédant un physique qui lui donnait l’air bien plus jeune que ce qu’il était. Il avait, de petits yeux bleus un crâne totalement chauve et une longue barbe bien entretenue qui pendait jusqu’à sa poitrine.

Hector poursuivit, avec des étoiles dans les yeux :

« Ou peut être pouvons-nous jouer à ce jeu de plateau auquel tu m’as introduit la dernière fois ! Vois-tu ? Il contient 63 cases et porte le nom d’un volatile ! Dis, vois-tu ?

« Ecoutez jeune Hector…

« M’appelles-tu par mon prénom dorénavant ?

« Je m’excuse M. Ramos de Avila…

« Non, continuez donc ainsi ! Je préfère comme cela. Autrement j’ai l’impression que vous vous adressez à mon père…

Diego contempla l’enfant avec admiration : il avait tant de malice dans la voix et dans les yeux. Le vieux précepteur était convaincu que ce jeune garçon allait faire de grandes choses à l’avenir.

Hector avait une bouille toute ronde et sans imperfections ainsi que de beaux cheveux châtains attachés en une haute queue de cheval. Queue de cheval qu’il haïssait notamment. Il voulait laisser ses cheveux pendre afin qu’ils s’emmêlent, qu’ils virevoltent quand le vent est fort, qu’ils soient libres. Mais son père tenait à ce que ces derniers soient constamment brossés, lisses, droits et attachés. L’enfant avait fini par s’y faire. Après tout, il n’y avait pas à remettre en question l’autorité d’un adulte.

« C’est justement votre père qui me charge de vous mettre en garde contre ces pilleurs des mers qu’on appelle les pirates. Peut être un jour serez-vous amenés à quitter l’île Tortuga en bateau, vous devrez ainsi être préparé.

« Je n’aurais qu’à les inviter à devenir mes amis ! Ainsi ils ne pilleront pas mon bateau !

Diego sourit : l’enfant avait beau être futé pour son âge, il restait très naïf. Il pensait réellement, à la manière de Pangloss, que tout était pour le mieux et que chaque être était bon. 

Hector poursuivit :

« De toute manière, le compte Ramos de Avila ne me laissera jamais quitter cette péninsule de malheur. Nous étions bien mieux en Espagne ! Pourquoi tient-il tant à ce que l’on reste ici ?

« Vous devriez appeler votre père comme il se le doit pour un fils.

« Et qu’est ce que l’appellation « comme il se le doit pour un fils » ? » demanda dédaigneu-sement Hector

« Simplement père. Et le compte vous garde ici, dans cette demeure, au Cape Del Tiburon, avec votre mère, afin que vous soyez en sécurité. Ne vous a-t-on donc pas raconté que beaucoup de gens lui en veulent au pays : de méchants gens qui n’hésiteraient pas à vous faire bien du mal seulement pour se venger de lui.

« Cela me fait plus mal de rester seul ici, dans cette grande demeure, sans amis ou quiconque à qui parler à part une mère malade et une tripotée de serviteurs qui se fichent de moi. Et arrêtez donc de me parler comme à un nourrisson Diego ! Vous savez que je hais cela !

Diego prit conscience que Hector venait de le vouvoyer. Il répondit, vexé :

« Vous pensez que je me fiche de vous, jeune Hector ? Vous pensez que, toute la journée, tandis que je vous donne des leçons, je ne rêve que de rentrer dans mes appartements ? Et pour y faire quoi ? Chez moi, en Espagne, j’ai une femme et des enfant que je ne peux pas rejoindre car je dois rester ici afin de gagner assez pour leur donner de quoi se nourrir ! Je suis aussi seul que vous, jeune Hector !

Hector ouvrait les yeux grand, son domestique et précepteur Diego venait-il de lui dire ce qu’il avait sur le coeur ? Diego regretta alors immédiatement les paroles qui venait de s’échapper de sa bouche. Il regardait son jeune maitre d’un air suppliant qui signifiait « Ne parlez à personne de ce à quoi vous venez d’assister ». Le vieil homme venait de se confier alors qu’il était strictement interdit aux domestiques de laisser leurs problèmes personnels interférer avec leur travail.

Il y eut un long silence gêné de quelques secondes qui aurait semblé pouvoir durer des heures si une femme en corset et en robe à lacet blanche n’avait pas débarqué dans la pièce à ce moment là.

« Il est l’heure pour vous de faire votre toilette, jeune maitre.

La servante semblait ne pas remarquer la tension ambiante de la pièce. Diego salua Hector et l’enfant pris la main de la femme sans dire un mot. Ils se dirigèrent alors tous deux vers la salle de bain laissant Diego seul dans le salon


Faisons un saut de deux mois dans le temps. Hector, ce jour là, ne fut pas réveillé comme d’habitude par l’habituelle douce serviteuse Marie qui s’occupait de l’accompagner partout ou il allait, de son lever, de son coucher, de ses draps, de sa toilette et de beaucoup d’autres choses anodines. Non, cette fois, Hector fut réveillé par des cris bien avant l’heure de son réveil, des cris féminins. Ces derniers venaient de l’extérieur.

Hector sortit de sa chambre en tenue de nuit, descendit les escaliers et sortit de la demeure principale. Au delà du jardin, on pouvait apercevoir la végétation qui entourait sa maison et qui laissait entrevoir entre les arbres le port en contrebas. 

Les cris se répétèrent une seconde fois, mais ils avaient cette fois des tonalités masculines. Grâce à ce deuxième cri, Hector identifia que le son venait des logements des domestiques se situants derrière la demeure.

Arrivé devant, il ne savait pas laquelle des trois portes prendre. Chacune représentait l’accès aux appartements de l’un de ses trois domestiques. Alors il appela

« Que se passe-t-il ?!

A peine quelques secondes plus tard, Marie sortit timidement par la porte de droite. Seulement, cette porte n’était pas celle la sienne mais celle de Diego. A la suite de Marie sortit Luis, le dernier des trois domestiques, le cuisinier.

Marie et Luis paraissaient chamboulés. Hector comprit à leur expression qu’il s’était passé quelque chose de très grave.

« Qu’est-t-il arrivé à Diego ? Beugla-t-il, la voix tremblante

Marie et Luis échangèrent un regard inquiet puis revinrent à l’enfant.

« Rien de très grave, retournez donc vous coucher ! » Dit Marie en cachant de façon grossière son choc avec un faux sourire, « Le soleil se lève à peine !

« Je ne suis pas fatigué ! » S’énerva alors le jeune garçon. « Je veux voir Diego ! Il n’avait pas fini ma leçon d’Anglais d’hier !

Ses interlocuteurs ouvrirent la bouche pour tenter de lui répondre mais il enchaîna plus calmement, mais inquiet :

« Vais-je le revoir ?

Le sang des deux adultes se glacèrent, surpris par la justesse de l’enfant, ils ne savaient pas comment répondre. Après quelques secondes, Luis s’approcha et dit :

« Si vous n’êtes pas fatigué nous pouvons vous installer à table, jeune maitre, le premier repas ne tardera pas à…

Mais Hector, comprenant la signification de cette grossière tentative de changement de sujet du cuisinier, tomba sur les genoux puis enfouit sa tête dans ses mains. Il commença alors à sangloter. Marie et Luis accoururent immédiatement, se penchèrent sur lui et s’accroupirent pour le consoler.

Soudain, l’enfant releva la tête. Les deux domestiques eurent à peine le temps de remarquer que Hector avait feint de pleurer que ce dernier se leva précipitamment et courut vers la porte restée ouverte de la chambre de Diego.

D’abord, entrant dans la pièce, Hector ne remarqua rien. Il vit seulement devant lui une chambre composée d’un lit, d’une table de chevet et d’un bureau… à première vue : aucun Diego ici.

Il remarqua d’abord le tabouret renversé par terre…

Puis il leva la tête et tomba face à face avec un pied nu suspendu dans les airs… 

Curieux et inquiet, Hector leva progressivement la tête pour voir les jambes, puis le ventre, puis les épaules, et enfin il le vit : ce corps sans vie suspendu dans les airs. Par magie ? Non, par une corde dont la première extrémité avait été coincée dans une large fissure du plafond et dont l’autre extrémité, elle, tenait le macchabée par le cou en suspension.

Marie et Luis arrivèrent à la suite, et lui couvrirent les yeux le plus rapidement possible. Mais le mal était fait. Pourtant, Hector restait calme, mais comme figé. Il se fit raccompagner lentement à sa chambre, sans un mot. 

Une fois seul, quelque chose comme une goutte d’eau se forma dans l’oeil de l’enfant et coula le long de son visage. Hector la récupéra dans sa main avant qu’elle ne percute le sol et se pencha dessus, il crut pendant une fraction de seconde y voir un bateau flotter…


Hector passa les jours suivants sans ses cours habituels de langue, de mathématique ou de géopolitique. Il restait dans sa chambre la plupart du temps à part pour aller manger… seul…

Dame Ramos de Avila fut informée dans la journée de la mort du précepteur et domestique Diego et ordonna immédiatement que ce dernier soit remplacé. Un nouveau précepteur du nom de Cristian arriva dans la semaine et les cours reprirent là ou ils s’étaient arrêtés comme si rien ne s’était passé. Plus personne ne parlait de Diego. Personne n’en avait jamais vraiment parlé depuis sa mort d’ailleurs.

Cristian fit remarquer à Dame Ramos de Avila que Hector était plutôt silencieux, avait souvent l’air distrait et que, quand il parlait, il avait toujours cet accent pessimiste dans la voix.


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