Alola ! Les vacances de la Méga-Évolution !

Chapitre 38 : La rencontre (partie 1)

4687 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 22/02/2020 20:31

Accroché à l'encolure de Dracaufeu, Alain regardait le paysage rougeâtre et aride défiler en contrebas. Les vallées désertiques n'étaient guère habitées que par quelques silhouettes rachitiques d'arbres morts, brûlés par le soleil et les rares Pokémon indigènes qui y avaient élu domicile. Pour le moment, il était impossible d'entrevoir la moindre trace du passage de la créature qu'ils recherchaient.

Soudain, Dracaufeu plongea brusquement en avant pour éviter l'immense arche rocheuse se dressant devant eux et le jeune homme sentit deux bras se refermer rapidement autour de ses côtes.

Si voler le plus bas possible était leur meilleure option pour éviter d'être repérés, les reliefs du canyon rendaient leur progression plus lente et plus dangereuse.

Bientôt, le reptile se stabilisa et Alain se tourna brièvement vers ses deux passagers à l'arrière : 

- Rien de cassé ? 

Danh se contenta de secouer la tête. Manon quant à elle, desserra sa prise autour de son abdomen, avant de dire « non » à son tour.

Rassuré, le Kalosien reporta son attention sur les prochains obstacles à venir, sans toutefois parvenir à se défaire du mauvais pressentiment tapi au fond de ses pensées. 

Manon n'avait rien à faire ici, avec eux. Surtout lorsque le monstre qu'ils pourchassaient était libre de lui faire du mal dès lors qu'ils s'en approcheraient. Sans oublier ce cinglé qui... ! Rien que de penser à ce que cet homme prévoyait de faire le rendait malade. 

Et pourtant, ils n'avaient pas d'autre solution...

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- Non, c'est hors de question, avait fermement déclaré Alain. Qu'est-ce que vous voulez au juste ? la mettre en danger inutilement ?

À l'intérieur, le jeune homme bouillonnait. 

Comment ces types pouvaient-ils proposer une chose pareille, juste après lui avoir rapporté la raison pour laquelle Manon avait été enlevée ! C'était complétement... !

- J'ai bien peur que nous n'ayons pas d'autre choix que de l'emmener avec nous, avait maintenu Nikolaï à travers le haut-parleur de l'Holokit. Nous nous trouvons à des kilomètres de toute vie humaine et je ne peux malheureusement pas me servir du Nikodule sans compromettre notre plan... De plus, tenter une approche par les airs nous rendrait trop visibles, donc vulnérables. 

- Sans compter que Manon sera bien plus en sécurité encadrée par nous tous plutôt que laissée seule ici avec l'un d'entre nous, au risque de tomber dans une embuscade et de se retrouver en sous-nombre, avait ajouté Danh avec pragmatisme. 

Leurs arguments étaient sensés, il n'avait rien eu à y redire. Oh, comme il avait détesté cela !

Son silence avait été interprété comme un accord, aussi les trois adultes avaient encore brièvement discuté des dernières modalités de leur stratégie, avant de convenir d'un point de rendez-vous et de raccrocher. 

Alors que le Kalosien avait les yeux fixés sur l'horizon dégagée, on lui avait gentiment agrippé le poignet. Alain avait incliné la tête pour rencontrer le regard ambré de sa jeune coéquipière.

- Tout va bien se passer, pas vrai ? avait-elle déclaré avec un peu plus d'aplomb que nécessaire pour qu'elle en paraisse réellement convaincue.

Pendant un court instant, l'image de la jeune fille s'efforçant de rester courageuse avait été remplacée par un regard mort et bleu, vidé de toute chaleur. 

Le dresseur avait chassé la vision d'un battement de cil. 

- Bien sûr, avait-il répondu en esquivant son regard d'une légère caresse sur le haut de son crâne. 

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Une nouvelle pointe rocailleuse se dressa en travers de leur chemin et cette fois-ci, Dracaufeu la contourna aisément, suivi de près par le Métalosse de Nikolaï, qui profita de l'écartement entre les deux parois rocheuses pour se mettre à leur niveau. Perchés sur le crâne métallique du Pokémon en lévitation, Beladonis et le scientifique se concertèrent brièvement, avant de leur faire signe de prendre le couloir de droite. 

Le dragon de type feu les laissa partir devant, et se plaça derrière eux pour avancer en file indienne. 

Les deux Pokémon poursuivirent leur gymkhana aérien jusqu'à déboucher sur un espace étendu, planté d'herbe jaunie et au milieu duquel trônait un imposant roc pourpre. Mais alors qu'Alain s'apprêtait à se tourner vers ses coéquipiers pour décider de la route à suivre, Manon s'écria :

- Là ! En bas ! Regardez ! 

Suivant ses indications, le jeune homme se pencha sur le côté pour apercevoir des amas de pièces métalliques et scintillantes éparpillées dans l'herbe sèche. Sans perdre une minute, le dresseur ordonna à son partenaire de combat de se rapprocher. Une fois à basse altitude, les tas d'empiècements révélèrent leur véritable nature : 

Il s'agissait en réalité d'une demi-douzaine de Pokémon dragon à tête dorée, gisant inconscients à même le sol.

- Une horde d'Ékaïser, fit Danh perplexe.

- Qu'est-ce qui a pu les mettre dans cet état ? demanda la rouquine inquiète. 

- En temps normal, ce sont des Pokémon très coriaces, rétorqua le Doyen. Quelque chose a certainement dû chercher à s'introduire sur leur territoire... 

- Alors, vous croyez que... 

- On descend, déclara Alain en faisant signe à l'autre moitié du groupe de venir les rejoindre. 

Hélas ils n'en eurent pas le temps. Surpris par un champ électrifié, Dracaufeu rugit et esquiva de peu la frappe d'un éclair.

- On dégage de là ! s'écria Alain, tandis que leur monture remontait en flèche, navigant par mouvements saccadés entre les arcs incandescents. 

Les turbulences manquèrent de désarçonner le noiraud, dont la stabilité n'était maintenue que par une unique main, fermement accrochée à la naissance de l'aile du reptile. Par chance, la solide étreinte de Manon suffit à lui conférer un semblant d'équilibre et les trois dresseurs parvinrent presque au niveau de leurs autres camarades en fuite. Lancé à pleine vitesse, le Métalosse de Nikolaï s'engagea dans une nouvelle vallée étroite, parsemée d'obstacles naturels. Toutefois, avant de disparaître, Beladonis leur cria quelques paroles, rendues inintelligibles par la distance les séparant.

« Peu importe », songea Alain. 

Dans de telles conditions, la fuite restait leur meilleure option. Leurs assaillants demeuraient invisibles pour le moment et il fallait à tout prix éviter d'engager un combat aérien tant que son partenaire transportait encore des passagers. S'ils ne trouvaient pas immédiatement un moyen de se poser...

BAOUM ! 

Atteinte à l'aile droite, leur Poké-Monture rugit de douleur, chancela dangereusement sur le côté et dévia brusquement de sa trajectoire, percutant une arche de plein fouet. 

La suite fut impossible à saisir, mais lorsqu'Alain reprit ses esprits, il se trouvait étendu à plat ventre dans la poussière ocre. Le jeune homme se redressa tout en toussant et tenta de faire le point sur la situation. 

Dracaufeu, apparemment sonné par l'impact, gisait au milieu des quelques gravats qu'ils avaient dû emporter dans leur chute. Dans un premier temps, le dresseur s'étonna de la distance les séparant, avant de conclure qu'il avait certainement dû être projeté au loin par la violence du crash. Quant à son bras droit...

Le Kalosien déplia ses phalanges avec précaution, avant de s'interrompre aussitôt avec une grimace de douleur. L'accident n'avait rien arrangé, bien au contraire.

Tout en grognant, le dresseur appuya sa main valide contre la terre tiède et entreprit de se relever. 

Tant pis, il faudrait faire avec. 

Une fois sur ses jambes, Alain se précipita aux côtés de son Pokémon comateux, qui, pour son plus grand soulagement semblait s'animer peu à peu, et remercia Arceus de n'avoir trouvé aucun de ses camarades blessés ou pire, au pied de ce dernier. Toutefois, ceci supposait une question autrement plus inquiétante...

Où étaient-ils pass... ?

- Alain !

Au son de la voix familière, le jeune homme fit volte-face pour apercevoir Danh, accompagné de Manon portant Marisson dans les bras. Par chance, tous semblaient indemnes. 

- Qu'est-ce que c'était que ça ? fit le Doyen en alerte, tout en triturant nerveusement la chaîne de son Crystal Z . 

- Des ennemis ? demanda Manon, les sourcils froncés.

Rapidement, Alain fit le tour de la plaine désertique et scruta l'étendue bleue au soleil déclinant, sans y découvrir la moindre trace d'un adversaire potentiel. Ni aucune trace de leurs alliés par ailleurs... 

- Peut-être, dit-il en jetant un regard à son Pokémon désormais rétablis sur ses pattes. 

Le reptile s'ébroua comme pour chasser les derniers vertiges qui l'accablaient et gronda avec urgence en désignant le ciel de la tête. 

- Il a raison, commenta Danh, on f'rait mieux de bouger de là, tant qu'on le peut encore. 

Toutefois, un grincement sinistre ne tarda pas à répondre aux inquiétudes de l'homme au blouson noir.

- Zooooooone ! 

Pris par surprise, le petit groupe manqua de peu d'être atteint par une attaque « Cage Éclair » et ne dut son salut qu'à l'heureux réflexe de Danh et à la capacité « Abri » de son Ténéfix. 

- Lance Vibobscur ! ordonna le Doyen d'Ula-Ula en désignant le groupement de rochers moyens sur leur droite.

Le petit Pokémon mauve lui rendit un regard entendu de ses yeux de diamant et jeta une sphère d'énergie sombre à l'endroit indiqué. Aussitôt, une masse grise et métallique surgit du nuage de poussière et vint se planter quelques mètres plus loin, tout en les toisant de son œil rouge central.

- Un Magnézone... souffla Manon en tirant son compagnon de voyage par le poignet. C'est ça, hein ?

- Rima... murmura Marisson méfiant.

- Allez, fini de jouer, déclara Danh à l'intention du Pokémon acier, où sont tes maîtres ?

Pour toute réponse, le monstre métallique se remit à charger une nouvelle attaque électrique.

- Une vraie tête de Bourrinos, hein ? fit le policier d'un air sarcastique. 

Face à la menace, Dracaufeu s'avança à son tour et gronda en signe d'avertissement.

- Oh, voyons ce que nous avons pris dans nos filets ! 🎵 s'exclama une voix mielleuse.

- Hé hé, voilà une belle bande de Rattata ! 

Perchés sur une corniche, les deux sbires de Nikolaï se laissèrent glisser jusqu'à eux pour venir se placer aux côtés du Magnézone. 

- Oh, ce misérable détective n'est pas avec vous... Quel dommage, j'aurais adoré l'écraser, déclara Courtney, le regard sombre. Tant pis, je me contenterai de la gamine.

Face aux yeux avides posés sur elle, Manon ne put s'empêcher de tressaillir.

- Vous serez morts avant d'avoir essayé, répliqua Alain avec un calme terrifiant.

- Quel regard intense ! C'est irrésistible, gloussa la jeune femme. J'ai terriblement hâte d'étouffer cette étincelle de défiance de mes propres mains ! Hu fu fu !🎵

Le Kalosien s'apprêtait à répondre de manière cinglante, mais il fut devancé par Danh :

- Où est Nikolaï ? les interrogea-t-il d'un ton égal. Me dites pas qu'il vous laisse encore faire le sale boulot ? 

- Bien tenté l'vieux, rétorqua Matthieu dans un sourire malsain, une Poké Ball en main, mais on vous laissera pas atteindre le binoclard.

Joignant le geste à la parole, l'homme au tatouage libéra son Sharpedo. 

- Allez assez de « bla bla » inutile ! conclut le géant d'un air sanguin. Bouha ha ha ! Venez ici qu'on vous démolisse ! 

Bientôt, un Camérupt vint rejoindre les rangs ennemis et gagné par l'adrénaline du combat imminent, Alain sentit à nouveau son sang bouillonner. 

- Reculez, ordonna-t-il à Manon et à son Pokémon.

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Enfin, cette fois-ci le signal était clair : l'absence d'interférences indiquait clairement qu'ils se trouvaient en plein air et que...

- Nikolaï ! l'interpela soudain son passager d'un air alarmé. 

Le scientifique quitta des yeux l'écran radar du Nikodule et se tourna vers son interlocuteur d'un air interrogateur.

- On les a perdus, déclara Beladonis d'un ton préoccupé, en désignant le couloir rocheux s'étendant derrière eux. 

Le chercheur se contenta d'acquiescer vaguement.

- Danh, Manon et les autres, on les a perdus, insista l'agent de la Police Internationale, les sourcils froncés. Il faut retourner leur prêter main-forte immédiatement ! 

- Je sais, rétorqua Nikolaï en faisant en sorte d'éviter son regard, mais on ne peut pas. Enfin, il est peut-être plus juste de dire qu'on ne devrait pas.

- Pardon !?i

De surprise, Beladonis manqua de tomber en arrière lorsque Métalosse s'écarta pour éviter un pic de calcaire.

- Qu'est-ce qu'il vous prend tout à coup ? Arrêtez-vous ! s'emporta le détective. Vous vous fichez de ce qu'i... !

- J'ai réussi à retracer le signal du dispositif de mon « autre moi », l'interrompit-il brusquement.

- Quoi... ?

Métalosse désormais immobile et suspendu au milieux des arches rougeâtres et des cohortes de tourelles de pierre érodées, Nikolaï avait maintenant toute l'attention de son camarade perdu.

- Je sais que ma requête peut paraître excessive au vu des derniers événements, mais je vous demande de me faire confiance.

Cette affirmation fut ponctuée d'un court silence.

- Là... là n'est pas la question, reprit le détective en toussant pour dissimuler un certain malaise. Nos camarades sont probablement en danger et je maintiens que nous devrions revenir en arrière pour les aider. 

- Danh et Alain sauront s'en tirer. De plus, si nous agissons maintenant, ils n'auront bientôt plus de raison de se battre. Et puis ils... 

Le scientifique marqua une pause. 

- Ils ne sont pas aussi « impliqués » dans cette histoire que vous et moi pouvons l'être.

- Que voulez-vous dire ? 

La résignation dans les yeux de l'homme en face de lui était signe qu'il n'était pas aussi étonné que ce que sa question pouvait laisser paraître. 

- J'ignore quel rôle vous avez joué dans cette affaire, mais je sais qu'il y en a un. Quant à moi, les motifs qui me poussent à agir sont on ne peut plus clairs.

Déconcerté, Beladonis releva brusquement la tête.

- Vous ? Vous vous sentez responsable ? 

Le chercheur soupira de lassitude.

- Comment pourrait-il en être autrement ? 

- Vous ne devriez pas, objecta fermement Beladonis. Vous n'êtes pas cet homme, Nikolaï !

- J'aurais pu devenir comme lui, au fond de moi je le sais et cela m'effraie. En tant que membre de la Police Internationale vous devez certainement avoir eu vent de mes agissements il y a quelques années de cela...

- Peut-être, mais vous avez changé. Le simple fait que vous vous trouviez en liberté aujourd'hui le prouve. Allons, reprit-il plus gentiment, arrêtez de vous torturer l'esprit à propos d'un passé qui ne peut être modifié. 

- Vous avez raison, affirma Nikolaï en consultant à nouveau l'écran portatif. Et vous devriez faire de même. 

Sans avoir besoin de lever le regard, le chercheur put sentir son coéquipier détourner la tête. 

- Où est-il ? reprit Beladonis d'un ton impassible. 

- Près d'ici, certainement dans la vallée voisine. 

- Alors allons-y, rétorqua son coéquipier d'une voix légèrement enrouée, et mettons un point final à cette histoire.

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Baignées dans la clarté du soleil déclinant, les gorges rougeoyantes semblaient s'animer d'un voile mystique aux reflets orangés, à l'heure où les géants de roche projetaient sur le défilé des ombres inquiétantes. 

Il y régnait une quiétude apparente aux allures de décors de théâtre inoffensifs, destinés à dissimuler une bête capable de les engloutir. Imperceptiblement, Nikolaï frissonna et observa Beladonis à la dérobée : privé de son éternel manteau, l'agent semblait perdre un peu de son identité. À vrai dire, il était plutôt déconcertant d'apercevoir un homme d'ordinaire impeccablement vêtu, débraillé, cravate desserrée, le col d'une chemise claire souillépointant sous son gilet de coton noir déboutonné. 

Craignant d'être inconvenant, le chercheur cessa de détailler son camarade. Quoique, ce dernier ne l'aurait certainement jamais remarqué ; le détective semblait absent, les yeux perdus dans le lointain.

Soudain, une alerte retentit et Nikolaï fixa le point clignotant au centre de l'écran. 

- On descend, déclara-t-il immédiatement. 

Sans hésiter, Métalosse plongea au cœur du relief et se posa au sol avec précaution, soulevant un nuage de poussière. 

Les deux hommes sautèrent à terre et le scientifique paya le prix de sa promptitude d'un détestable tiraillement sur son flanc droit. Avec une grimace difficilement dissimulée, Nikolaï fixa la zone douloureuse, couverte par son manteau, et refusa de penser trop intensément à ce qui se trouvait en dessous. Il réglerait ça plus tard. 

Bientôt, son camarade d'infortune vint le rejoindre d'une démarche légèrement claudicante. 

- Vous êtes certain de vouloir m'accompagner ? l'interrogea-t-il en désignant la mauvaise jambe du détective.

- Oui, ne vous en faites pas, ce n'est rien qu'une mauvaise entorse. 

Face au regard déterminé de l'agent, Nikolaï n'insista pas et rappela leur Poké-Monture. 

La partie du canyon où ils venaient d'atterrir paraissait déserte à première vue, peut-être même un peu trop, mais cela n'interpela pas les deux hommes, qui avancèrent côte à côte jusqu'à atteindre un passage étriqué dans la paroi. Poké Ball en main, Nikolaï s'y avança le premier et découvrit une grotte au plafond haut, bordée de renflements de pierre, curieusement érodés par endroit, comme si la roche y avait été arrachée. 

Constatant qu'il n'y avait aucun danger imminent, le scientifique donna son feu vert à son coéquipier qui s'engagea à son tour dans l'ouverture. 

Le second présage apparut quelques mètres plus loin, sous la forme d'un Bébécaille gisant au pied d'une étrange stèle brisée et désormais illisible. Cette fois, les deux camarades échangèrent un regard entendu. À mesure de leur progression, leurs craintes se confirmèrent : le couloir était jonché d'une dizaine de corps inertes de bébés dragons. 

Leur nervosité était palpable, mais aucun d'eux ne pipa mot, jusqu'à se retrouver face à la faille lumineuse faisant office de sortie.

- Il est temps, déclara Beladonis en le fixant droit dans les yeux. 

Nikolaï acquiesça et tous deux firent un pas dans la lumière. 

Tout d'abord, les yeux du scientifique furent attirés par la silhouette massive et amorphe de l'Ékaïser Dominant appuyée contre la paroi stratifiée. Le Pokémon dragon avait les paupières clauses et la bouche ouverte, figée dans un dernier râle. 

Nier que la vue du colosse anéanti éveillait en lui une profonde terreur aurait été un mensonge éhonté, toutefois Nikolaï avança encore pour se retrouver au centre de l'espace découvert.

- C'est ici, affirma-t-il en consultant le radar une dernière fois.

- Vous en êtes certain ? l'interrogea Beladonis sceptique en parcourant l'endroit désert. 

Comment lui en vouloir quand il commençait à douter lui aussi... 

- Non, mais nous ferions mieux de rester sur nos gardes. Si ce n'est pas lui, alors le signal doit provenir de quelque chose d'...

- GOUAAAARGH !

L'horrible cri les transperça comme une fine pluie de lames givrées et s'insinua dans la roche environnante jusqu'à la faire vibrer. 

- Qu'est-ce que c'est ? cria Nikolaï en reculant malgré lui.

- C'est lui ! I-il arrive ! 

Malgré la terreur contenue dans les yeux de son coéquipier, le chercheur ne pouvait imaginer qu'une créature si immense puisse se trouver si près d'eux tout en restant invisible. 

- Où... ?! 

Une masse sombre éclipsa le ciel rougeoyant et fonça sur eux, rapide comme un oiseau de proie. Balayé en un instant par la secousse, les deux hommes furent violemment projetés à terre. 

Momentanément aveuglé car enterré sous un manteau de poussière, Nikolaï regagnait peu à peu ses esprits. Son premier réflexe fut de tendre le bras en direction du Nikodule pour en constater l'état général : hormis un écran fissuré, le dispositif demeurait fonctionnel et, ironie du sort, le radar continuait même à clignoter. 

- Nikolaï ! l'appela Beladonis d'une voix rauque. Est-ce que ça va ?

- Je ne vais on ne peut mieux, rétorqua une voix ; la sienne. 

Saisi d'une nouvelle poussée d'adrénaline, Nikolaï se releva pour apercevoir les contours d'un visage phosphorescent et d'une silhouette humaine se dessiner plus nettement à mesure que la poussière retombait. 

- Quel dommage, je dois dire que je ne m'attendais pas à te trouver dans un aussi piteux état... Cela fait plusieurs jours qu'il me tarde de te rencontrer même si je ne peux nier le caractère légèrement narcissique de mes motivations.

L'homme qui se tenait devant lui, il le croisait chaque matin dans le reflet du miroir. Alors, pourquoi avait-il le sentiment de regarder un parfait étranger ?

- Pourquoi ? 

Nikolaï avait craché le mot unique, plein de dégoût pour cet imposteur méprisable.

- Pourquoi ? Eh bien, je suppose que travailler avec son double parfait est le fantasme de tout esprit scientifique...

- Pourquoi t'être allié à la Team Rainbow Rocket ? Que t'est-il arrivé pour que tu perdes toute conviction éthique au point de t'en prendre à une enfant ? 

Légèrement surpris par le ton cinglant de sa demande, l'autre Nikolaï soupira et secoua la tête.

- Lorsqu'on m'a recruté je venais de terminer mes études. On m'a proposé un travail et on m'a montré la réalité : une infinité de mondes parallèles dont des milliards semblables aux nôtres. Je conçois que de me servir d'une jeune fille puisse paraître éthiquement discutable, mais quand nous savons qu'il existe probablement des milliards de Manon dans l'univers, pouvons-nous réellement parler de sacrifice ? Une telle vérité ne nous pousse-t-elle pas à remettre en cause jusqu'à la valeur d'une vie ? Voilà qui est proprement fascinant...

Alors, voilà le monstre qu'il aurait pu devenir. Tout petit déjà, on lui avait reproché sa morale grise et son apparent manque d'empathie sans que cela l'ait véritablement inquiété. Du moins jusqu'à ce que les événements d'Unys n'aient manqué de lui faire franchir le point de non-retour. Dès lors, un profond changement s'était opéré en lui : Nikolaï s'était efforcé de vivre au jour le jour, consacrant sa vie à étudier la véritable puissance qu'un Pokémon pouvait tirer du lien de confiance solide qui l'unissait à son dresseur, minimisant, ce faisant, sa part de ténèbres. Après tout, il n'aurait jamais réellement pu basculer du mauvais côté, pas vrai ? 

Il faut croire qu'il se trompait. 

- Je vois... rétorqua-t-il plus calmement. Et je vais devoir t'arrêter. 

Son double maléfique ne répondit rien et porta les mains à ses tempes, comme pris de soudains maux de crânes. 

- Quel dommage, soupira ce dernier réellement affecté. Je pensais qu'au moins, toi, tu comprendrais... Mais après tout, que sais-tu réellement de l'Ultra-Mutation, ou même des Ultra-Chimères ?

- Une mutation ? s'alarma Beladonis.

- Précisément. Elle est le fruit d'un lien artificiel créé entre un humain et une Ultra-Chimère. Une telle transformation confère à toute UC un regain de puissance phénoménal. Hélas, contrairement à un phénomène naturel comme la Méga-Évolution, la différence de métabolisme entre humain et Ultra-Chimère rend ce lien trop instable dans le temps et occasionne rapidement de graves lésions au sujet humain. Je n'ai eu de cesse de chercher la variable manquante qui conférera assez de stabilité à ma création...Et c'est là qu'est intervenu ce cher Saubohne qui a contribué, bien malgré lui, à me fournir un sujet aussi exceptionnel qu'inespéré, ainsi que quelques composants essentiels à la fabrication d'un nouveau harnais.

Pour toute réponse, Beladonis lâcha :

- Vous devriez croupir en prison.

L'autre Nikolaï ne lui prêta aucune attention et demeura de marbre, le regard planté dans le sien.

- Sachant cela, ne veux-tu toujours pas te joindre à moi et constater de tes propres yeux un potentiel jamais exploité jusqu'alors ? 

- Je comprends maintenant et je sais ce qu'il me reste à faire, déclara-t-il en s'avançant sous le regard médusé de Beladonis.

- Attendez ! Vous n'allez quand même pas... !

- Viens, Métalosse ! 

Sans hésiter, le golem de métal fonça sur son double malfaisant et fut immédiatement repoussé par deux pinces massives. 

- Voilà qui met un terme à notre collaboration avant même son commencement... 

Le maigre éclat de passion dans la voix de l'homme en blouse blanche avait disparu au profit d'un ton glacial.

 - J'en ai bien peur, rétorqua Nikolaï avec ironie.

Prêt à repartir à l'assaut, Métalosse, jaugeait son adversaire, sans se laisser impressionner par un combat inégal. 

L'ordre fut donné et le Pokémon acier attaqua sa cible à coup de Poing Météore. Les injonctions fusèrent comme les coups qui ébranlèrent les reliefs encore en place. 

Dans le tumulte de l'affrontement, Nikolaï se glissa au plus près de la bête de cauchemar qui semblait dominer sans grande surprise. Après tout, le but n'était pas de remporter une lutte perdue d'avance...

Le scientifique vérifia la progression de la barre de chargement du Nikodule et estima le temps restant à une minute environ. 

Une minute et la première phase du plan pourrait enfin commencer. 

Engloutyran asséna une violente Morsure au Pokémon acier/psy et le projeta contre le mur. 

Quarante secondes...

Métalosse se releva et s'écarta juste à temps pour éviter d'être définitivement écrasé. 

Vingt secondes... 

Métalosse contre-attaqua avec Hâte et se glissa rapidement dans le dos de son adversaire. 

Quinze secondes... 

Engloutyran encaissa le coup et en profita pour attraper et immobiliser le golem d'acier. 

Dix secondes... 

Métalosse se démenait pour échapper à l'étreinte mortelle. 

Neuf secondes... 

Métalosse se mit à briller. 

Huit secondes...

Il allait riposter...

Sept secondes...

... tenter d'écarter l'étau...

Noir. 

Se sentant brusquement partir, Nikolaï eut un sursaut d'adrénaline et tituba en arrière. 

Que lui arrivait-il ? Pourquoi ses forces l'abandonnaient-elles maintenant ! 

La réponse, il la trouva sur son flanc droit, sur le tissu de son manteau percé d'une tache rouge-sombre et poisseuse.

Non ! Pas ça ! Pas maintenant, il devait finaliser la procédure, entrer les coordonnées dans l'appareil et....

Nikolaï fixa son attention sur la paume de sa main, maculée du liquide écarlate et son crâne fut aussitôt envahi de bourdonnements. Gagné par les ténèbres, le chercheur chancela et sentit une prise ferme se refermer autour de ses épaules. Suivant la cadence précipitée et la voix lointaine de Beladonis, Nikolaï tourna la tête avant de se réfugier dans l'ombre de la grotte. La vue d'un homme au sourire railleur, se moquant de lui-même et de sa propre faiblesse fut la dernière image qu'il emporta.


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