Les Train Twins

Chapitre 13 : Les filles comme elle n'épousent pas les gars comme lui

12510 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/10/2021 09:27

Chapitre 13

 

Les filles comme elle n’épousent pas les gars comme lui.


Après leurs exploits de la Tour Dresseur, les jumelles Ketchum avaient déménagé leurs instruments dans la base secrète de Fry aménagée à l’entrée du canyon Sesor. Pour ne pas laisser leur matériel sans surveillance, le trio était contraint de camper sur place. Ils avaient libéré leur chambre du centre pokémon et n’y retournaient, à tour de rôle, que pour utiliser l’une des salles de bains ou manger à la cantine avec Scott. Le confort du hangar de la Team Rocket leur manquait, malgré tout Jenny était vraiment d’excellente humeur. Depuis l’épisode Azura, elle ne savait plus trop comment faire pour reprendre la main sur Fry, s’exhiber en bikini sous son nez était clairement loin d’être suffisant, et puis Scott était arrivé. Ce garçon était un vrai magicien aux yeux de Jenny. Au début, elle n’y avait pas prêté attention, trop concentrée sur leurs discussions intellectuelles, mais au moment de leur départ pour l’île sept, elle avait pris conscience que Fry était jaloux de la complicité qui s’était installée entre Scott et elle. Ça lui avait redonné l’espoir de séduire Fry un jour. Elle ressentait une grande bouffée de reconnaissance pour Scott, mais évidemment elle ne risquait pas de lui parler de cet aspect-là, elle préférait se focaliser sur toutes les autres petites attentions du jeune homme à leur égard.

A l’approche du concert, Jessy se montrait beaucoup plus tyrannique avec ses deux partenaires, elle les faisait répéter tous les jours du matin au soir. Le festival Tanoby était un festival de musique folk brassant large, avec des demi-journées plus ou moins à thème : folk-rock, electric-folk, métal-rock… Il était organisé annuellement pendant la saison estivale, quand l’île sept était la plus peuplée de touristes et de dresseurs. La programmation était faite de longue date, mais alors qu’ils vivaient encore à l’Etoile de Jade, Jenny les avait malgré tout contactés pour savoir s’ils disposaient d’une scène libre. Non seulement ils en avaient une, mais surtout un de leurs groupes mineurs s’était déprogrammé. A la recherche d’un plan B, ils avaient demandé à la rouquine de leur faire parvenir une démo si elle le souhaitait. Jenny avait envoyé - à contre cœur - une vidéo de leur concert sur l’île Shamouti puisque c’était la seule dont elle disposait à l’époque. Les organisateurs avaient accepté la candidature des Train Twins, bien entendu Jenny s’était abstenue de signaler qu’Azura ne faisait pas partie de leur groupe. Les Train Twins jouaient le dimanche matin et devaient toucher un petit cachet à la fin du spectacle. Jenny était un peu nerveuse, car pour un travail rémunéré il ne fallait pas se planter, mais vu comment sa sœur les faisait travailler sans répit, elle estimait qu’ils seraient au point le jour J. Et en cas de doute, elle pouvait toujours faire tomber la robe et tous les mâles oublieraient les fausses notes.

Il ne restait plus qu’une journée avant le début du festival qui devait durer trois jours à l’entrée du canyon Sesor, pas très loin de leur base secrète. Les scènes étaient toutes installées, la plupart des musiciens étaient déjà arrivés, ils logeaient dans les hôtels et les auberges de l’île. Un camping temporaire avait été aménagé comme chaque année dans le canyon pour les spectateurs. Le coin tranquille à l’écart du monde où s’étaient nichés les Train Twins était désormais fort peuplé et bruyant.

Le jeudi soir, lorsque les jumelles et leurs raichus entrèrent dans le centre pokémon en fin de journée après leur répétition dans l’intention d’aller se laver, un attroupement s’était formé au fond de la salle. Depuis la porte d’entrée on entendait très clairement des hurlements et des grognements de pokémon enragé.

« C’est quoi ce bazar encore ? » Lança Jessy avant de se rapprocher avec sa sœur. Alors qu’elles essayaient de se frayer un passage dans la foule, Scott sortit du couloir avec son tournevis et un chiffon à la main. Son visage s’illumina lorsqu’il aperçut Jenny qu’il rejoignit au petit trot.

« Salut Jenny ! Tu sais ce qui se passe ? J’entends hurler depuis la réserve.

- Coucou Scotty. Non on vient d’arriver…

- Kyaah ! »

Brusquement la foule se fendit en deux, les gens se bousculaient et une partie des curieux s’affalèrent par terre, d’autres s’éloignèrent en courant. Du chaos émergea un mustéflott complètement hystérique, grognant et montrant les crocs. Il s’élança à l’aveugle dans la pièce au milieu des dresseurs sidérés. Quelqu’un cria : "Arrêtez-le !", une autre personne "Ne lui faites pas de mal !" et une troisième "Attention !!!", trois ordres somme toute contradictoires. Les raichu des jumelles ne s’embarrassèrent pas de réflexions poussées. Alors que le pokémon fonçait vers eux, sans que Jessy ou Jenny ne dise quoi que ce soit, Pit lança une cage éclair qui immobilisa immédiatement le mustéflott. Le pokémon se roula par terre, les muscles de ses membres paralysés ne suivaient plus mais, les yeux exorbités, il continuait de grogner et de baver comme une bête enragée.

« Ecartez-vous ! Vous n’êtes pas au spectacle et c’est dangereux ! » S’écria l’infirmière Joëlle à l’encontre des badauds rassemblés dans le hall. Sa leuphorie dût intervenir, de sa démarche dandinante elle chassa les curieux et le plus gros de la foule restante se dispersa. Scott avait fait plusieurs pas en arrière, il était effrayé par le pokémon agressif  gisant désormais par terre. Deux jeunes adultes, un homme et une femme, arrivèrent près du mustéflott avec un saquedeneu et l’infirmière Joëlle. Ils avaient l’air très préoccupés, ils étaient tous les deux bruns et portaient le même t-shirt vert de la SPP : la Société Protectrice des Pokémon. En arrivant près des filles, Saquedeneu sortit ses tentacules-lianes et ligota le mustéflott. Il l’aida à se redresser avec prudence et le maintint sur ses pattes postérieures. Jessy remarqua tout de suite que le saquedeneu avait pris pas mal de coups de griffes, il semblait fatigué.

« On ne sait plus quoi faire infirmière ! Se lamenta la bénévole féminine d’une voix cassée.

- Il est comme ça depuis qu’on l’a recueilli, expliqua l’autre bénévole. On ne peut pas le laisser dans sa pokéball sauf verrouillée, sinon il s’échappe aussitôt. Il attaque humains et pokémon sans distinction, tout le temps.

- Mraw ! Grawww ! fraww ! »

La cage éclair commençait à ne plus faire effet et le saquedeneu de la SPP avait de plus en plus de mal à contenir le mustéflott. Il avait envie d’utiliser son para-spore, mais les deux bénévoles de la SPP lui avaient interdit car c’était trop douloureux pour le mustéflott et ça ne le calmait pas, ça ne faisait que paralyser ses muscles. L’infirmière Joëlle s’approcha prudemment du pokémon, sa leuphorie se tenait à proximité, prête à réagir au besoin tout comme les deux raichus des jumelles.

« Il souffre d’un stress post-traumatique avec agressivité persistante… Il perçoit tout ce qui l’entoure comme une menace.

- Il ne se calme jamais et il dort à peine ! Reprit la bénévole. Vous devez faire quelque chose ! Je vous en prie !

- Pour le sommeil, je peux utiliser la berceuse de leuphorie. Mais il faudra malgré tout lui administrer des calmants en journée.

- Des médicaments ? Ça suffira ?

- Non, soupira l’infirmière. Ça évitera qu’il se blesse ou qu’il ne blesse quelqu’un d’autre, mais pour la dimension psychologique, il est trop agressif pour tenter une thérapie comportementale. »

Les jumelles regardaient le pokémon avec une mine à peine moins triste que les deux bénévoles de la SPP, elles se demandaient ce qui avait pu lui arriver pour qu’il se retrouve dans un tel état de démence. Le regard de Jessy se durcit, l’image des trafiquants de queueramoloss lui était revenue en mémoire.

« Infirmière Joëlle ! Intervint Scott. J’ai peut-être une idée pour l’apaiser, il existe certaines ondes électromagnétiques capables d’hypnotiser les pokémon. Avec la bonne fréquence, on pourrait le calmer. Et l’avantage c’est que c’est totalement indolore.

- Je vois très bien de quoi tu parles Scott, mais c’est hors de question, déclara l’infirmière Joëlle sur un ton ferme.

- Quoi ? Mais pourquoi infirmière Joëlle si ça peut l’apaiser ! » S’exclama la bénévole de la SPP, elle n’en pouvait plus de voir leur protégé dans un tel état d’agitation depuis des semaines.

« C’est une technologie mise au point par la Team Rocket, soupira l’infirmière désolée de la situation. Elle n’est absolument pas fiable.

- Euh, si elle est fiable, elle… Tenta Scott avant d’être interrompu par le cri d’effroi des bénévoles.

- La Team Rocket ?!?

- De plus, avec cette technique, les pokémon perdent leur conscience, ils sont comme zombifiés… Ce n’est pas une bonne solution. »

Jenny remarqua l’expression du visage de Scott, elle laissait clairement comprendre qu’il n’était absolument pas d’accord avec les affirmations de l’infirmière Joëlle, mais le jeune homme était trop réservé pour oser la contredire. La réaction des bénévoles de la SPP ne l’encouragea pas à dépasser sa timidité.

« Mais c’est monstrueux ! Et tu voulais faire ça à ce pauvre pokémon ?!? » Cria avec véhémence le bénévole à l’encontre de Scott dont les joues s’embrasèrent sous le regard accusateur du jeune homme. En reculant de nervosité, Scott bouscula Jenny et Jessy, puis resta scotché à elles comme un bébé kangourex à sa mère.

« C’est tempo… Tempo…

- Venez, je vais lui administrer un sédatif, c’est tout ce que je peux faire pour l’instant, reprit l’infirmière Joëlle.

- Merci infirmière ! »

Les larmes aux yeux, la bénévole et son saquedeneu escortèrent leur protégé toujours en proie à une rage incontrôlable jusqu’à une salle d’examen du centre pokémon. Le second bénévole leur emboita le pas après avoir jeté un dernier regard noir à Scott qui se tassait sur lui-même. Malgré le "ménage" fait par leuphorie dans la foule de curieux, deux dresseurs de passage sur l’île avaient entendu la conversation, ils s’adressèrent à Scott sur un ton dur.

« Sérieux t’as vraiment proposé à des gens de la SPP d’utiliser une arme de la Team Rocket sur leurs pokémon ? Mais t’es taré toi !

- T’es pas au courant que ces types étaient des gros psychopathes et que la SPP a été l’une des première asso à rejoindre la lutte anti Rocket ?

- Ah, euh, si-si... Mais je ne vois pas le ra…

- Bon ben alors ? Râla l’un des deux dresseurs, il faisait une tête et demi de plus que Scott. T’as pas réfléchi ou t’es un de ces foutus néo-rocket ?

- Qu-quoi ? Mais… Mais non… Je… »

Rouge comme une pivoine face à ses détracteurs, Scott essayait tant bien que mal d’éclairer sa pensée en balbutiant.

« Je… Je, je ne dis pas que-que ce que la Team Rocket faisait était bien, mais c’est idiot de… De ne pas récupérer la technologie qu’ils ont développée pour… Euh pour le bien commun…

- Une technologie qui a coûté la vie à autant de pokémon et autant d’humains ? Moi un truc pareil j’en veux pas !

- Moi non plus !

- Mais… Mais les pokémon ne souffrent plus maintenant et… C’est… C’est du passé… Il faut… »

La voix de Scott était tellement faible que personne ne l’entendit, il faut dire que personne n’avait envie d’entendre ses propos. Après plusieurs tentatives de réorganisation, la Team Rocket avait été définitivement démantelée peu de temps avant la naissance des jumelles. Les gens qui avaient connu le monde avec la Team Rocket étaient si soulagés et heureux de s’en être débarrassé, après quasiment un siècle de galère, qu’ils avaient inséré la Team Rocket dans de nombreux récits de fictions manichéennes dédiés aux enfants. De petite mafia gênante et ambiguë, mêlée à la politique et à la recherche scientifique financée illégalement, la Team Rocket était devenue dans l’imaginaire collectif l’exemple type du mal absolu. Dans le pays des Train Twins, la Team Rocket avait atteint le même statut rebutant que les dictateurs les plus sanguinaires du monde, c’était totalement disproportionné mais dans un monde en paix, il devient difficile de distinguer les nuances du Mal, et les personnes qui percevaient encore ces nuances évitaient normalement d’en parler pour échapper au lynchage public.

« Du calme messieurs, du calme… » Fit Jenny d’une voix douce en s’immisçant entre Scott et les deux dresseurs pour faire barrage de son corps, sublime s’il était nécessaire de le rappeler. Elle offrit un beau sourire diplomate aux deux dresseurs inconnus.

« Scott n’est pas un néo-rocket, il voulait simplement aider l’infirmière à sauver ce pokémon. Il ne pensait pas à mal.

- On veut bien t’croire… » Répondit l’un des deux dresseurs sensible au charme de la rouquine, en plus il avait reconnu les jumelles Ketchum.

« Mais c’est pas des choses à dire à la SPP.

- Ouais mec, réfléchis avant de parler la prochaine fois… »

Les deux garçons s’éloignèrent enfin, satisfaits d’avoir remporté leur joute verbale. Scott était plus soulagé que dépité, Jenny quant à elle garda tant bien que mal son sourire de façade en faisant abstraction de l’ironie pathétique d’entendre deux simples d’esprit comme eux ordonner à Scott le surdoué de réfléchir avant de parler. Jessy était restée silencieuse jusqu’à présent. Lorsqu’elle fut certaine que les deux types étaient suffisamment loin, elle se tourna vers le jeune technicien en haussant un sourcil.

« Tu sais vraiment beaucoup de choses sur la Team Rocket, ça finit par en devenir louche. » Finit par lâcher Jessy sur un ton moralisateur. Heureusement, au fond d’elle, elle savait que le gentil petit Scott n’était pas crédible une seule seconde en sbire de la Team Rocket.

« Je… Je lis beaucoup… Couina le jeune homme.

- Ouais ben elles sont pas très saines tes lectures. Evite de causer de ça en public la prochaine fois, Jenny ne sera pas toujours là pour te sauver la mise.

- N’en rajoute pas Jess s’il te plaît… Soupira Jenny.

- Je dis ça pour lui, s’il ne peut pas mettre ses roustons sur la table inutile de parler des sujets qui fâchent. »

Très mal à l’aise, Scott fila à toute vitesse jusqu’à sa chambre en croisant les doigts pour ne pas tomber sur les deux bénévoles de la SPP dans les couloirs. Il voulait se mettre à l’abri avant d’être à nouveau pris à parti. Il voulait simplement aider, pas générer des scandales inutiles.

« Je rêve où il prend la fuite ? S’exclama Jessy perplexe.

- Tu aurais pu t’abstenir de faire des commentaires, répliqua Jenny. T’as pas remarqué qu’il se sentait mal ?

- Et alors ? Il faut qu’il assume ce qu’il dit ! Soit il y croit et il fonce, soit il ferme sa gueule.

- Tout le monde n’est pas comme toi Jess… Soupira Jenny.

- T’es pas d’accord avec moi ? » Insista Jessy, elle connaissait sa sœur mieux que personne. Jenny fit la moue et esquiva le regard de sa sœur. Evidemment qu’elle était d’accord. Jessy passait sa vie à gueuler tout ce qui lui passait par la tête et attaquait tel un léviator en pleine mania tous ceux qui s’opposaient à elle. Jenny à l’inverse pesait chacune de ses phrases et ne parlait que lorsqu’elle était certaine d’avoir le dernier mot. Malgré tout, il était évident que Scott avait un tempérament radicalement différent de celui des jumelles. Jenny laissa s’écouler quelques minutes pour que Scott ait le temps de se remettre de ses émotions avant d’aller lui rendre visite dans sa chambre individuelle, tandis que sa sœur partait se laver dans l’une des salles de bain du centre pokémon. Jenny frappa doucement à la porte avant d’entrer. Scott eut un petit sursaut de stress en entendant la porte s’ouvrir, ses épaules se relâchèrent lorsqu’il reconnut Jenny.

« Ce n’est que moi… Dit-elle avec un sourire rassurant. Je suis venue par curiosité. Où as-tu appris toutes ces choses sur la Team Rocket ? Même pour des scientifiques comme ma mère et mon grand-père ce n’est pas toujours évident d’avoir accès à leurs données scientifiques.

- Quand mes parents ont racheté l’entrepôt de l’île cinq il restait plein de matériel informatique que la Police n’a pas saisi… Répondit Scott sur un ton morne, les yeux rivés vers le sol. Mon père et moi on a épluché toute la documentation à la recherche de trucs utiles avant de formater les disques durs.

- D’accord, je comprends mieux. »

Elle vint s’asseoir à côté de lui sur son lit.

« Moi j’ai compris ce que tu essayais de dire toute à l’heure. C’était une bonne idée.

- Je sais que tu as compris, toi tu comprends tout mais ça ne… » Il s’interrompit brusquement. Dans un murmure timide et empli de doute il reprit.

« Franchement je… Je me dis qu’ils ont peut-être raison au fond. Je trouve ça dommage et stupide c’est vrai mais peut-être que la technologie issue du mal est maléfique aussi. Si autant de gens sont d’accord avec ça alors… C’est que mon avis n’est peut-être pas le bon.

- Eh… »

Dans un geste d’une extrême douceur, Jenny posa une main sous le menton de Scott et le força à relever la tête pour la regarder. Elle était tellement proche de lui, elle était comme le brasier d’un volcan et il avait l’impression de brûler de l’intérieur.

« Tu es brillant Scott, vraiment brillant. Arrête de te dévaloriser et de baisser les yeux sans arrêt. »

Il déglutit avec difficulté.

« C’est que je… Je n’ai pas… J’ai du mal à dé… Défendre mes idées…

- La confiance en soi, ça s’apprend. » Répondit Jenny avec un sourire magnifique. Elle enleva délicatement les lunettes de Scott pour voir son visage sans lunettes. Il restait petit, chétif et mal coiffé mais on ne pouvait pas le qualifier de moche, il avait un visage plutôt agréable qui transpirait la gentillesse. De son côté, Scott était myope comme un rototaupe, même collée à lui comme elle l’était, il distinguait assez mal les détails du beau visage de Jenny sans ses binocles.

« Je vais te dire un secret : tout le monde pense que je suis pleine d’assurance à cause de ma beauté et de mes pokémon mais c’est faux. Si je suis aussi sûre de moi, c’est parce que je suis consciente d’être supérieurement intelligente. Ih ih ih… »

Le rire cristallin et moqueur de Jenny envoutait Scott comme le chant d’un rondoudou. Elle rendit ses lunettes à Scott et il les remit sur son nez. La première chose qu’il vit, ce sont les lèvres rouges et pulpeuses de Jenny étirées dans un sourire amical.

« Ce n’est pas une blague. Le doute c’est scientifique, l’anxiété c’est juste un frein à tes capacités. »

Elle ébouriffa les cheveux de Scott avant de déposer un gentil baiser de grande sœur sur son front. Elle lui fit un clin d’œil et leva le pouce comme un like.

« Je te laisse. N’oublie pas la leçon du jour : la confiance en soi, c’est la clef ! »

Scott la regarda sortir de sa chambre sans bouger et sans dire un mot. Une fois qu’elle fut sortie, il enleva ses lunettes dans un geste lent, sortit sa ventoline et en aspira une bouffée. Il posa ensuite l’inhalateur et ses binocles sur le lit. Il fixait le plancher sans le voir à cause de sa vision floue mais aussi de ses pensées envahissantes. Elles convergeaient toutes vers Jenny, vers la sensation de ses lèvres sur son front et de ses mains sur son visage… Un hypnomade ou un mushana n’auraient pas réussi la même prouesse que Jenny, il était complètement envoûté.

Le lendemain midi, les Train Twins virent Scott débarquer à la base secrète avec un énorme panier repas.

« Salut ! Lança-t-il sur un ton joyeux. Je vous ai ramené le déjeuner !

- Trop bien ! J’ai la dalle ! Merci Scotty ! » S’écria Fry, des étoiles plein les yeux. Jenny vint lui prendre le panier des mains en le gratifiant d’un sourire splendide. Rien que pour ça il aurait traversé l’archipel à la nage, même si avec ses capacités physiques il se serait noyé au bout de cinquante mètres, mais il aurait quand même essayé. Jessy aurait voulu répéter encore, mais les trois autres étaient bien décidés à prendre leur pause du midi. La bonne humeur régnait dans la base secrète plus si secrète que ça désormais avec le voisinage étoffé. Scott et les jumelles semblaient avoir oublié l’incident de la veille. Les premiers morceaux du festival résonnaient dans tout le canyon et venaient animer leur repas. Evidemment, ça devenait compliquer de répéter dans ces conditions, mais ils n’avaient pas le choix. Le jeune technicien aurait voulu rester avec eux mais il y avait beaucoup de travail à la Tour Dresseur et au Centre Pokémon. La plupart des dresseurs avaient déserté le nord de l’île pour venir au festival, Scott devait en profiter car l’accès aux appareils était beaucoup plus facile et il fallait anticiper la vague de retours du lundi suivant…

« Je dois y retourner. Je vous vois ce soir au centre ?

- Juste moi, répondit Fry, le champion devait prendre sa douche.

- Tu viendras assister au concert dimanche ? Demanda Jenny d’une voix chaleureuse.

- Oui bien sûr ! Répondit Scott avec enthousiasme.

- Ah ouais ! Renchérit Jessy avec bonne humeur. Tu pourras nous aider pour brancher le matos ! C’est tellement galère, toi au moins les fils qui se mélangent, tu sais gérer.

- Bien sûr Jessy, si ça peut vous aider !

- Cool ! Et pis t’oublie pas de prendre des photos pour notre compte meta aussi !

- Oui Jessy !

- Ne lui dis pas oui pour tout, fit Jenny avec un petit sourire coquin, sinon sans que tu t’en rendes compte tu vas te retrouver à repriser ses chaussettes et astiquer ses pokéballs.

- Ah, et les tiennes par la même occasion non ?

- Ih ih, possible oui, répondit Jenny dans un rire léger.

- Alors ça me va. A toute à l’heure Fry ! »

Scott sourit gentiment aux filles avant de filer sous le regard bienveillant des jumelles.

« Il est trop mimi ce garçon.

- C’est vrai qu’on dirait un peu un petit dedenne qui coure partout.

- Jess tu n’es vraiment pas douée pour les compliments…

- Au fait… Reprit Jessy. Tu crois que Scott accepterait de venir avec nous ? Jusqu’à Sinnoh je veux dire.

- Tu veux le prendre avec nous ? S’étonna Jenny.

- Je croyais que tu ne voulais voyager qu’avec des dresseurs car les autres sont des boulets ? Renchérit Fry.

- Scott sait réparer les pokéballs et les machines de transfert, de mon point de vue t’es plus un boulet que lui, surtout quand tu refuses d’aller à la Tour Dresseur.

- Sympa… Grimaça Fry.

- Tu m’as tendu une perche. Il peut nous être utile pour des tas de trucs : faire la maintenance, gérer nos réseaux sociaux… Il n’a pas arrêté de nous dépanner depuis qu’on le connait.

- T’as pas un peu l’impression de te servir des gens parfois ? Dit Fry sur un ton moralisateur.

- C’est toi qui dis ça alors que tu nous suis uniquement pour qu’on t’amène sur le continent et qu’on doit tout te payer ? Répliqua Jessy, les sourcils froncés.

- Ok, tu marques un point. Désolé…

- Jess et moi nous sommes pragmatiques, dit Jenny sur un ton doux pour apaiser l’ambiance. Ce n’est pas pour autant qu’on ne ressent pas de l’affection pour les gens… Ne fais pas l’erreur de penser que nous sommes de froides calculatrices, rien ne serait plus éloigné de la vérité.

- Je sais… Encore une fois je suis désolé. » Répondit Fry à Jenny. Il chercha ensuite le regard de Jessy, mais elle détourna les yeux délibérément. C’était la première fois qu’il la voyait faire ça. Il se demandait s’il l’avait vraiment blessée ou si elle était juste bougon, après tout l’approche du concert n’aidait pas vraiment Jessy à se détendre. Fry regrettait ses paroles, il s’était fâché avec Jenny en arrivant sur l’île sept, il n’avait pas envie de réitérer l’expérience, encore moins avec Jessy.

Le dimanche matin, les Train Twins rejoignirent le festival avec leur cortège de pokémon et d’instruments de musique. Leur arrivée ne passa pas inaperçue. Certes il y avait des machopeurs et des mackogneurs sur le festival pour aider les organisateurs à monter et démonter les scènes, mais braségali, tengalice, scarhino et galopa étaient autrement plus voyants que les pokémon combats. En outre, les trois ados devaient être les plus jeunes musiciens de la programmation et, comme de coutume, les jolies rousses ne laissaient pas les hommes indifférents. Scott les avait accompagnés, comme il l’avait promis, il les aida à s’installer. Dans la foule, des usagers de la Tour Dresseur reconnurent les jumelles, certains fans de combats pokémon aussi, quelques-uns avaient même reconnu Fry, le jeune champion de la Ligue Orange. Des sifflements et quelques réflexions grivoises en rapport avec leur interprétation de la Sexball firent comprendre aux Train Twins qu’il n’y avait pas que Scott qui était tombé sur le hashtag Janetouchmyballs sur internet. Jessy s’efforça de les ignorer, elle ne pouvait décemment pas lancer son raichu contre les spectateurs…

Les Train Twins commencèrent leur concert par le "Should I stay or should I go" que connaissait parfaitement Ramboum. La chanson new wave n’était pas vraiment dans l’esprit folk, mais la présence du pokémon fit pétiller les yeux des spectateurs, peu d’entre eux avaient déjà vu un pokémon jouer de la musique, pas même un salarsen.

Ensuite, les jumelles reprirent les trois musiques de la fête de la Légende qui collaient plus à l’ambiance du festival, ils entrecoupaient les morceaux avec des extraits du chant de Lugia joués à la guitare acoustique par Jessy. Ramboum s’occupa à nouveau des percussions pour "La vallée de Lugia". Plus que le charme des jumelles, c’était lui qui ambiançait l’auditoire. Jessy avait obligé Fry, Jenny et John à apprendre une chanson de folk metal qu’elle avait découverte par hasard intitulée "Song of women". Elle était relativement simple à jouer pour les instruments classiques, et facile à chanter pour elle. Même s’il leur manquait les instruments traditionnels, comme le morin khuur qui faisait le charme de la chanson, elle restait agréable à écouter. La seule grosse difficulté était pour Ramboum : Jessy avait essayé de lui faire imiter les chants de gorges traditionnels de Ransei. Fry pensait qu’elle lui en demandait trop, mais John était hyper-motivé et il s’était entrainé comme un dingue jusqu’à parvenir à un résultat correct. Imparfait selon Jessy, mais il fallait bien le tester face à un vrai public et le pokémon avait hâte de montrer ses progrès à tout le monde. La chanson fit son effet, John était la star du jour, Jessy entendait tout ce qui n’allait pas dans la mélodie mais elle était globalement satisfaite et surtout elle savait qu’ils allaient continuer de s’améliorer. Ils enchainèrent avec le "Jour parfait" de Peterson, leur avant-dernière chanson.

Scott, sur le côté de la scène en compagnie de Pit et Chu, était comme hypnotisé. Il avait vu les jumelles répéter à de nombreuses reprises, mais il ne les avait encore jamais vues lors d’un vrai concert. Le jeune homme était parfaitement conscient qu’il était tombé amoureux de Jenny… Elle était douce et gentille. Elle était belle, la plus belle fille qu’il ait jamais rencontré, et surtout elle était intelligente. Il la trouvait même plus intelligente que lui. Alors qu’il la voyait sur scène, il fut submergé par tous leurs souvenirs partagés depuis un mois. Il entra dans une sorte de transe…

Jenny et Fry avaient convaincu Jessy de garder pour le final une chanson qu’elle avait écrite. Pour le festival du son des forêts, il leur fallait une chanson inédite de leur cru, c’était un énorme défi, alors pour ne pas aller au casse-pipe, ils devaient d’abord l’expérimenter en situation réelle… Ce n’était pas une chanson folk mais qu’importe, le concert était presque terminé et le public était chaud comme un magmar. Jessy regarda ses deux partenaires, tous deux hochèrent la tête pour l’encourager. C’était la première fois qu’ils allaient jouer une chanson originale qu’elle avait composée et écrite elle-même. Jenny et Fry préparèrent leurs partitions et leurs instruments, le premier couplet était chanté a capella par Jessy. La jeune fille agrippa fermement son micro et se jeta à l’eau en chantant de sa belle voix puissante.

« J’ai le courage, la force,

Et je voudrais être un héros !

Prendre mon envol,

Comme Arti, comme Arti, Artikodin ! »

Elle enchaina aussitôt avec une intro à la guitare électrique, rapidement accompagnée par la basse et la batterie. Personne ne connaissait le morceau puisqu’il était complètement inédit, et ce n’était pas du folk, alors la perplexité gagnait l’assistance. Pourtant la mélodie était très entrainante et dynamique, elle donnait envie de bouger. Jessy reprit le chant, elle avait conçu ce morceau pour être chanté à un rythme rapide. Son débit de parole forçait l’admiration.

« Depuis mon enfance, je rêve des sommets,

Du panthéon de la gloire, de devenir l’un des quatre.

Quand je me dépense, j’atteins des sommets,

Avec Spectrum je peux tout voir, sauf mon cœur meurtri.

Je calcule toujours tout, des attaques aux effets,

Aux échecs personne ne peut me battre.

Mais de ténèbres floues je suis entourée…

Je veux sortir de la nuit ! »

Jessy poussa sa voix, elle était si heureuse de chanter sa chanson en public et elle mourait d’envie de tester ses limites. Elle se lança dans le refrain en donnant tout ce qu’elle avait dans les tripes.

« J’ai le courage la force,

Et je voudrais être un héros !

Nous tenons le premier rôle,

Nous les maîtres, nous les maîtres, de demain.

Avec rage je brise l’écorce,                                                

Depuis mon arbre c’est le grand saut !

Prendre mon envol,

Comme Arti, comme Arti, Artikodin !

Comme Arti, comme Arti, Artikodin !

Comme Arti, comme Arti, Artikodin ! »

Fry et Jenny faisaient quelques fausses notes, Jessy ne les écoutait plus vraiment, elle les entendait mais elle était trop concentrée sur son propre jeu, obsédée à l’idée de ne pas se tromper et de chanter à plein poumons.

« Je trouve que la vie est trop belle,

Tous les jours c’est la fête : pokémon et amitiés.

Depuis la jungle de Cimetronelle,

Jusqu’aux tours de Volucité.

J’ai beau avoir réussi, je reste une cheniselle,

Les gens me rejettent, me traitent de tarée…

Mais la plupart m’appellent :

Le léviator du Bourg Palette ! »

Jenny prit le relais le temps d’un couplet, le duo de jolies filles restait un atout considérable pour conquérir le cœur du public.

« Qu’on nous admire ou qu’on nous craigne,

Nous restons l’espoir de tous les dresseurs.

C’est dans nos rires et quand on saigne,

Que nous trouvons notre ardeur ! »

Pour le coup, Jenny mettait moins d’ardeur que sa sœur dans la chanson, mais elle y insufflait la grâce et le charme qui la caractérisaient. La foule bougeait en rythme, la chanson avait l’air de leur plaire, Jenny et Fry semblaient soulagés, mais même si ça n’avait pas été le cas, Jessy, elle, était à fond :

« J’enrage, je bombe le torse,

Votre obstacle de marbre : c’est raichu le plus costaud !

Si je m’énerve je vais…

M’enflammer, m’enflammer comme Sulfura !

Je suis sage mais aussi féroce,

Je ne peux plus me permettre de perdre de si haut,

Mes ennemis je les gèlerai !

Comme Arti, comme arti, Artikodin ! »

Jessy enchaina avec un riff de guitare enflammé avant de s’arrêter net et de chanter a capella, alternativement avec sa sœur, juste accompagnées de quelques percussions discrètes de Fry :

« Terrible comme un dragon… » Souffla Jenny de sa plus belle voix. Scott, au pied de la scène, était subjugué.

« Brillante comme une étoile…

- Je serai meilleure que toi maman !

- Et à la fin je resterai moi même !!! »

Jessy s’explosa les poumons et la gorge, Jenny ne l’avait jamais vu comme ça, Fry non plus de fait. Les jumelles repartirent ensemble pour le dernier refrain avec leurs instruments :

« Entre nous tout était fini,

Pourtant notre équipe continue son chemin.

Nous tenons le premier rôle,

Nous les maîtres, nous les maîtres, de demain.

Depuis qu’on nous a réunis,

Je crois connaître mon destin,

Je peux prendre mon envol,

Comme Arti, comme Arti, Artikodin !

Comme Arti, comme Arti, Artikodin !

Comme Arti, comme Arti, Artikodin ! »

Le trio termina le morceau après encore vingt secondes instrumentales en savourant leur propre écho. La foule les applaudit avec beaucoup d’entrain, Jessy souriait d’une joie immense : la chanson leur avait plu. Fry et Jenny échangèrent un regard et un sourire après avoir observé la foule puis Jessy. Leur réussite était claire. Les deux raichu sautèrent sur la scène pour applaudir leurs propres dresseuses avec leurs petites mains. Ils avaient dansé tout le long du concert. Chu grimpa sur le dos de sa maîtresse, tandis que Pit dressa la patte en l’air pour imiter Jessy.

« Merci à tous ! Hurla Jessy, rayonnante et fière. Nous sommes les Train Twins !!! »

Des applaudissements vigoureux et des cris lui répondirent. Jenny caressa le dos de sa sœur avec gentillesse pour lui faire comprendre qu’il fallait commencer à ranger. Fry félicitait John en le grattant avec affection derrière les oreilles. Jessy s’approcha à son tour du ramboum pour le remercier de sa prestation. Elle était si heureuse qu’elle souriait comme l’aurait fait Jenny dans ses instants de sincérité, avec grâce et harmonie. Fry n’en revenait pas, elle semblait encore plus radieuse et glorieuse qu’après un match pokémon. Lui-même devait reconnaître qu’il se sentait plus léger, presque euphorique.

« Ta chanson est vraiment super ! Lança Fry.

- C’est vrai ? Tu trouves ? » Répondit Jessy, débordante d’enthousiasme. Fry fut déstabilisé l’espace d’un instant, c’était la première fois qu’il voyait Jessy sourire ainsi et qu’il la voyait se préoccuper de l’avis de quelqu’un.

« Ouais grave ! » Répondit finalement Fry avec un sourire sympathique. La rouquine jubilait en donnant des petits coups de poing en l’air.

Alors qu’ils remballaient le matériel, Fry se mit à questionner Jessy à propos de leur dernier morceau. Lors des répétitions, la musique lui avait bien plu et il s’était éclaté avec les filles à la préparer, mais il ne s’attendait pas pour autant à un tel succès sur scène.

« Comment elles te sont venues les paroles ?

- Les paroles ? Tu veux dire celles des maîtres de demain ?

- Ouais. Quand tu parles du léviator, tu parles de toi mais j’ai l’impression que certains passages parlent d’autres personnes.

- C’est l’idée, répondit Jessy en souriant. Je me suis inspirée de plusieurs dresseurs célèbres.

- Je vois, dit Fry en lui rendant son sourire. T’es vraiment douée pour composer en fait.

- Tu n’as jamais essayé toi ?

- Je suis trop flemmard pour ça. »

Discrètement, sans que quiconque ne comprenne pourquoi ni même s’en soucie, Scott monta sur la scène. D’un pas hésitant et sans que personne ne s’y attende, il s’exprima dans le micro que Jessy avait laissé branché.

« Jenny, je t’aime. Est-ce que tu acceptes de sortir avec moi ? »

Jenny se retourna vers la scène à la vitesse d’un farfuret, le regard sidéré. Sa jumelle et Fry, à l’autre bout de la scène avaient à peu près le même regard et, surpris par cette déclaration aussi brutale qu’inattendue, Fry laissa tomber ses cymbales sur le sol dans un grand tintamarre. Autour d’eux, les derniers spectateurs regardaient le jeune homme, tremblant comme un stalgamin debout sur la scène. Certains se mirent à murmurer aux oreilles de leurs voisins, des sourires amusés ou coquins commençaient à se dessiner. Certains, moins discrets, sifflèrent et poussèrent des cris triviaux d’encouragement. La foule s’était bien clairsemée, mais il restait malgré tout au moins une petite cinquantaine de personnes devant la scène. Jenny, pâle comme une lamantine, se précipita vers la scène et siffla entre ses dents avec tension :

« Mais t’es devenu fou ? Descends de là tout de suite !

- Ou… Oui je suis fou, souffla Scott comme s’il avait couru un marathon. Je suis fou de toi. Je… Je ne peux plus taire mes sentiments. »

Dans la foule, les murmures laissaient progressivement la place aux ricanements. Dans un mouvement de panique, Jenny se jeta sur les fils de l’enceinte heureusement situés devant elle et elle débrancha le micro dans un mouvement vif.

« Descends de cette putain de scène ! » Ordonna-t-elle à nouveau.

Scott s’exécuta mais le regard noir de Jenny ne le découragea pas pour autant : un gravalanch presque KO n’a plus rien à perdre à lancer une attaque explosion…

« Je… Je suis bien conscient que tu es… Tu es magnifique et que moi j’ai l’air minable, mais… Mais je suis quand même intelligent et toi, toi tu es la fille la plus brillante que j’ai jamais rencontrée. Jenny… Toi et moi on est pareils ! Je sais qu’on est fait l’un pour l’autre !

- A… Arrête ton délire, stop stop ! » Balbutia Jenny, elle aurait voulu le trainer de force à l’écart pour que les gens arrêtent de les fixer, mais elle ne voulait pas le toucher. Malgré la colère qui montait en elle, elle commençait à penser sincèrement que Scott était devenu fou et qu’il avait besoin d’une prise en charge médicale.

« On n’est pas pareil ! T’as raison pour le reste : t’as l’air minable et je suis magnifique. Tu n’es pas du tout mon genre.

- Mais… L’autre jour tu disais que je devais avoir confiance en moi, que j’étais brillant et qu…

- Je disais ça pour t’encourager bon sang ! Tu as le charisme d’un chétiflor malade ! Comment veux-tu valoriser ton gros cerveau et tes doigts de mélofée avec une attitude pareille ? C’est horriblement irritant ! Et c’était quoi ça ?!? » Vociféra Jenny en désignant la scène de la main.

« T’as pas trouvé plus discret et moins ridicule ?!? Tu voulais me forcer la main ou c’était pour être sûr de saboter toutes tes chances en deux secondes ?!?

- Je t’en supplie... T’es la première personne à qui je peux parler sans avoir peur de paraître bizarre et sans m’ennuyer, je sais que tu comprends tout ce que je te dis. On aime les mêmes choses, je t’en supplie : donne-moi une chance !

- C’est… C’est… » Commença Jenny. Elle cherchait ses mots quand, soudain, elle explosa de colère, ce qui surprit tout le monde, y compris sa sœur jumelle.

« C’est totalement hors de question ! Je ne sortirai jamais avec toi ! C’est inenvisageable ! Tu arrêtes tout de suite tes délires et si tu oses encore faire un truc comme ça, j’envoie mon braségali t’arracher les membres, un par un, en commençant par l’aspicot que tu as entre les jambes, c’est clair ?

- Bon Jenny ça suffit, viens.

- J’ai pas fini ! Il ne m’a pas dit si c’était clair !

- Si tu as fini ! Lâcha Jessy d’une voix très ferme. Et il a très bien compris, c’était très clair. Maintenant viens, tout le monde vous regarde.

- Et à cause de qui ?!? Hurla Jenny rouge comme un colhomard en fusillant Scott du regard.

- A cause de toi : tu gueules depuis toute à l’heure !

- Je n’avais pas de micro moi ! »

Jessy traîna sa sœur de force tandis que Fry se précipita vers Scott dans l’idée de l’éloigner lui aussi des regards curieux. Pour les derniers spectateurs, ça devait être le clou du spectacle de la journée. Quand la rouquine et les badauds furent suffisamment loin, Fry se retourna pour parler à Scott. La première phrase qui lui vint à l’esprit fut : « Ça va ? », mais son bon sens lui donna un violent choc mental et Fry trouva autre chose à dire. Il n’eut pourtant pas l’occasion de parler, Scott s’était déjà enfui à toutes jambes. "Pour un chétiflor malade il coure très vite…" Songea Fry. Le batteur le regarda s’éloigner avec un léger nœud dans la gorge, jamais de sa vie il n’avait eu autant de peine et de pitié pour quelqu’un. Mais dans le fond, que pouvait-il lui dire pour le réconforter ? Rien. Tout était vrai : Scott était un gamin chétif, introverti et un rattata de bibliothèque, alors que Jenny était un véritable canon, un esprit brillant dans un corps de déesse et tous les dresseurs qui ne la désiraient pas, la craignaient comme adversaire au combat. "Les filles comme elle, n’épousent pas les gars comme lui", se dit Fry avant de partir à la recherche de ses deux amies. Il était parti au hasard vers le nord, en direction de leur base secrète, mais sur le chemin il aperçut au loin Pit et Chu qui se dirigeaient dans le sens opposé. Il suivit donc les deux raichu jusqu’aux jumelles, Jenny avait clairement besoin de s’isoler pour se calmer, alors elles s’étaient installées au bord du rivage, dans une petite crique à l’abri des regards. Jenny venait de s’asseoir par terre, elle avait le visage caché entre ses bras enroulés.

« Il m’a foutu la honte devant tout le monde… Quel crétin… »

Jessy soupira.

« En même temps tu l’as cherché. Si tu ne draguais pas tout ce qui passe…

- Mais je ne l’ai pas dragué ! » S’emporta Jenny en relevant brusquement la tête.

Fry faisait la moue en regardant Jessy, elle n’avait vraiment aucun don pour calmer les gens, elle était plutôt du genre à courir avec un bidon d’essence à la main au milieu d’un troupeau de salamèches.

« Ah oui vraiment ? Même Fry en était persuadé.

- Hein ? Grimaça Jenny en se tournant vers le jeune champion.

- Ne me mêle pas à ça ! Dit précipitamment Fry.

- T’as pas les baies pour répéter ce que tu m’as dit l’autre fois ? Insista Jessy. Fry était jaloux que tu passes tout ton temps avec Scott et que tu ne t’intéresses plus à lui.

- Mais… Mais non ! »

Le teint légèrement plus rose qu’à l’ordinaire, Fry voulait engueuler Jessy, mais il était difficile de nier une phrase qu’il avait réellement prononcée. Jessy fixait le jeune champion avec un regard éloquent, celui de Jenny n’était pas moins intense, la surprise avait remplacé la colère dans son cœur.

« C’est… C’est pas de la jalousie ! Se défendit Fry. J’ai juste constaté, et Jessy aussi, que tu passais tout ton temps avec Scott et que nous deux bah on comptait plus vraiment.

- Tu l’as amadoué avec tes airs de delcatty, j’ai honnêtement jamais vu une humaine réussir une attaque attraction avec plus de perfection qu’un pokémon, relança Jessy. Alors viens pas jouer les effarouchées quand un gars finit par céder.

- Mais il ne me plaît pas !

- Alors pourquoi avais-tu besoin de le coller comme ça ? Demanda Fry. Scott n’est pas comme moi !

Jenny fronça les sourcils.

- Ça veut dire quoi ça ?

- Moi j’ai eu des filles à mes pieds depuis que j’ai su dégoupiller une pokéball… Et des filles aussi belles que toi je peux te l’assurer.

- Oh revoilà le grand retour de monsieur modestie ! Ironisa Jenny.

Fry durcit le regard et le ton.

- Je ne plaisante pas Jenny : ce garçon-là est fragile, tu l’as manipulé avec plus de sournoiserie qu’un ectoplasma et maintenant tu voudrais qu’on te dise que tu as bien agi en lui hurlant dessus devant tout le monde ? Alors qu’il a pris son courage à deux mains pour t’avouer ses sentiments ?

- Puff, tout ça ce n’est que de la solidarité masculine...

- T’es en train de me traiter de bonhomme ? » Demanda Jessy en haussant un sourcil.

Il y eut un silence pesant, très pesant, entre les trois ados avant que Fry ne daigne ouvrir la bouche à nouveau.

« Je croyais que tu étais plus gentille que ta soeur, je me trompais. Lourdement. »

Fry lâcha ses mots avec une froideur qui ne lui ressemblait pas, puis il s'éloigna très rapidement des jumelles. Jenny sentit une bouffée de colère monter en elle.

« S’il te plaît tant que ça, t’as qu’à lui demander de sortir avec toi ! Vas-y te gêne pas ! Cria-t-elle après Fry. Mais je te préviens je crois qu’il préfère les filles ! »

Après sa dernière pique contre Fry, l'image pathétique de Scott lui revint en mémoire, la culpabilité l’envahit brusquement sans chasser la colère. Elle appréciait sincèrement Scott, parce qu'il était gentil et intelligent, mais jamais elle n'en serait amoureuse parce qu'il était faible et triste, quand elle le voyait elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer un petit osselait en train de pleurer. Elle lui avait dit ce qu'elle pensait avec une absence totale de tact, Fry avait raison : on aurait dit Jessy dans ses mauvais jours. Elle n'aurait pas dû crier, il l'avait énervé, il l’avait humilié en public alors elle n'avait pas pu se retenir et elle s’était montrée insultante, une façon maladroite de lui rendre la pareille. Elle avait honte de sa réaction disproportionnée, mais elle ne regrettait pas de ne pas lui avoir donné davantage de faux espoirs.

Jessy ne disait rien, elle avait regardé sa sœur un moment puis, comme Jenny semblait perdue dans ses pensées, elle s’était tournée vers la mer. Les jumelles restèrent longtemps dans ce silence de méditation. Jessy finit par reprendre la parole, il lui fallait du temps pour trouver les bons mots et éviter de blesser les gens.

« J’me souviens encore de ce que j’ai dit la première fois que j’ai vu Scott…

- Mais c’est quoi ce type ? Cita Jenny sur un ton monocorde.

- Ouais, mot pour mot, confirma Jessy. Mais aujourd’hui… J’trouve que j’ai été dure avec lui.

- Ah oui ?

- Oui, dit Jessy sur un ton trop doux au goût de Jenny. Il est timide, trouillard et maladroit mais c’est un garçon gentil et attentionné. Il est super intelligent en plus.

- Mouais, il est surtout complètement à côté de la plaque le pauvre, répliqua Jenny.

- Il est un peu farfelu mais tu peux pas nier qu’il est brillant, c’est bien pour ça qu’tu le colles d’ailleurs…

- Où tu veux en venir à la fin ? S'agaça Jenny.

- Je suis d’accord avec Fry. T’as été méchante avec lui.

-  Méchante ? On inverse les rôles là, la dure à cuire dans l’équipe ce n’est pas moi, c’est toi !

Jenny sentait à nouveau la colère monter en elle. Jessy le vit et soupira.

- Jane... Tu sais que j’ai raison.

- Non, répliqua Jenny sur un ton rigide. Il est peut-être gentil et intelligent mais je ne vais pas faire la charité, je ne l’aime pas point à la ligne, il n’y a rien d’autre à ajouter. Je suis désolée pour Scott mais ses sentiments ne sont pas partagés.

- Bah alors c'est comme ça que t’aurais dû lui dire. » Répondit simplement Jessy.

Cette fois, sa sœur ne releva pas. Agacée, elle poussa un gros soupir qu'elle exagéra volontairement pour faire comprendre à sa sœur que s'étendre davantage sur le sujet serait une perte de temps. Jessy n'était de toute façon pas très douée pour la parlote et les histoires de cœur, elle laissa tomber l'affaire. Elle décida de d’abandonner sa sœur seule sur la plage. Avant de partir, elle ajouta malgré tout dans le dos de Jenny :

« Quand tu seras calmée, tu devrais t’excuser auprès de Scott.

- Parce que toi tu t’excuserais peut-être ? Cracha Jenny.

- Sans doute pas, mais c’est pas d’moi qu’on parle là. Si tu peux encore te regarder dans ton miroir après ça, tant mieux pour toi. Perso, j’en suis pas convaincue. »

Jessy s’éloigna de sa sœur à son tour, son raichu sur les talons. Chu hésitait, il regardait alternativement son frère et sa dresseuse. Il vint frotter son museau sur l’épaule de Jenny. Sans le regarder, elle lui caressa le sommet du crâne. Alors Chu fit son choix et il s’assit tout contre elle. Ni Fry, ni Jessy ne revirent Jenny de la journée, ils ne virent pas davantage Scott. Ils furent obligés de ranger seuls leurs instruments et de gérer le déplacement avec leurs pokémon sans l’aide de braségali et de lockpin, heureusement Jessy avait toujours son galopa. L’autre jumelle ne réapparut que le soir, une fois la nuit tombée, personne ne fit de nouveau commentaire sur l’incident.

Les membres du trio passèrent la nuit dans la base secrète de Fry, occasionnellement réveillés par des cris de types complètement ivres qui se perdaient dans les plaines au nord du canyon sur le chemin pour rentrer au camping. Le lundi matin, les pokémon furent extirpés de leur tranquillité et de mauvaise grâce par leurs dresseurs, pour transporter une nouvelle fois les instruments de musique jusqu’au nord de l’île. Il devait ainsi se rapprocher de la plage où ils pourraient embarquer avec wailord. Ils avaient prévu de dormir une dernière nuit au centre pokémon avant de reprendre le large en direction de l’île cinq, dernière étape avant leur grand départ pour Sinnoh.

Jenny avait un grolem dans le ventre en arrivant au centre, elle n’avait pas envie de voir Scott mais il le fallait malheureusement. Fry lui avait hâte de se doucher et de prendre enfin une journée de repos, après leur concert intense il avait l’impression de sentir le némélios. Jessy, elle, ne savait pas tenir en place, elle mourait d’envie de retourner à la Tour Dresseur, mais avant ça il fallait s’équiper et aussi retrouver Scott.

« Bon, qui se dévoue pour aller chercher Scott ? » Dit Fry d’une voix forte. Ses yeux écarquillés fixés sur Jenny indiquaient clairement qui il désignait d’office. Jessy ne dit rien mais elle avait à peu près le même regard que le jeune champion. Jenny ne souriait pas pour une fois, elle fusillait ses deux partenaires, au fond d’elle, elle savait qu’elle n’avait pas le choix… Elle devait rattraper le coup toute seule, en privé, avec Scott. La matinée s’annonçait pénible, pourtant à cet instant, elle ne savait pas encore à quel point…

Résignée, Jenny partit en direction de la chambre du technicien. La plupart des dresseurs étaient encore en train de récupérer de leurs week-ends de folie dans leurs chambres, seuls les plus courageux étaient partis à l’aube pour la Tour Dresseur. Elle marchait dans les couloirs quasiment déserts du centre d’un pas décidé ou du moins énergique. Elle n’était pas décidée à aller faire ses excuses, elle se sentait obligée de les faire, on ne traite pas un ami comme ça. En plus, Fry et Jessy étaient unanimes et lui avaient fait la morale. Elle s’arrêta quelques secondes et poussa un très long soupir, elle prit une profonde inspiration avant de parcourir les derniers mètres la séparant de la chambre de Scott. Elle fixa la porte un moment puis se décida à toquer.

« Scott ? Scott c’est Jenny, ouvre je dois te parler. »

Elle n’obtint aucune réponse. Elle frappa à la porte plus vigoureusement.

« Scott, tu ne vas pas te terrer dans ta chambre des mois entiers comme un teddiursa qui hiberne ? »

Encore une fois, pas de réponse. Enervée, se retenant tant bien que mal de ne pas déverser un nouveau flot d’insultes à l’encontre de Scott, elle tambourina à la porte.

« Scott ne fais pas l’enfant et ouvre cette porte ! Je veux juste te faire mes excuses… »

La porte s’ouvrit lentement en grinçant. Jenny fronça les sourcils, perturbée, elle était certaine que personne n’avait touché à la porte. A force de taper dessus, elle l’avait finalement entrouverte. D’une main hésitante, elle poussa le battant, l’ouverture s’agrandit doucement. Jenny entra d’un pas lent dans la chambre, elle était déserte. Son instinct d’observatrice pokémon se mit en alerte, elle remarqua immédiatement les changements qui avaient eu lieu dans la pièce : le bureau avait été entièrement vidé et les draps retirés du lit. Elle s’approcha de la commode et l’ouvrit sans gêne, comme elle l’avait pressenti, les tiroirs étaient vides. Scott était parti. Jenny grommela, il avait trouvé un autre moyen pour se planquer, il avait carrément quitté l’île.

"Quel galifeu mouillé…" Songea Jenny avec mauvaise humeur avant de sortir de la chambre en claquant la porte.

Pendant ce temps, Fry était parti se laver et Jessy voulait renvoyer galopa au Bourg Palette pour récupérer son lamantine. Son deuxième pokémon aquatique végétait depuis des mois à Kanto, il avait besoin de se dégourdir les nageoires et de se remettre à niveau, or ils allaient bientôt débarquer à Sinnoh. Une fois là-bas, loin de l’Archipel Orange et des îles Sévii, elle n’aurait plus l’occasion de le faire nager en haute mer, alors elle voulait lui faire profiter de ce dernier séjour dans une région adaptée à ses besoins. Mais Jessy déchanta en arrivant face à l’appareil à transfert et au vidéophone.

« La machine à transfert est encore en panne, grogna Jessy pour elle-même. Qu’est-ce qu’il a foutu Scott ? » L’infirmière Joëlle passait derrière elle à ce moment-là, un plateau de pokéballs cassées entre les mains. Elle s’arrêta et toisa la jeune fille de la tête aux pieds. Lorsque Jessy se retourna, le regard de l'infirmière lui glaça le sang, jamais la jeune fille n'avait vu de nurse Joëlle en colère à ce point auparavant.

« Il est parti hier soir, par le dernier bateau, lança froidement l'infirmière.

- Ah bon ?

- Oui et cela à cause de votre soeur ! »

L’instinct de Jessy s’éveilla comme un miradar, les poils de son corps se hérissaient, elle sentait le danger. Autour d’elle, les rares personnes présentes dans le hall s’étaient retournées et la fixaient. Elle entendait des chuchotements sans les comprendre. "Oh là là…" pensa Jessy, la réaction de Joëlle, une femme habituellement si douce, annonçait sans nul doute un raz-de-marée. La rouquine fila aussitôt jusqu’à la seule salle-de-bain occupée. Elle tambourina à la porte.

« Fry ! Fry ouvre ! C’est urgent ! »

Le jeune homme reconnut la voix de Jessy. Il interrompit sa douche à peine entamée et entrouvrit la porte en maintenant une serviette autour de sa taille, il dégoulinait de flotte.

« Qu’est-ce qu’il se passe encore ?

- Habille-toi ! Il faut qu’on s’en aille tout de suite !

- Hein ? Mais pourquoi ?

- Scott est parti ! Lança Jessy. Et j'ai l'impression qu'on va nous mettre ça sur le dos.

- Qui ça on ? Demanda Fry en grimaçant.

- L'infirmière Joëlle pour commencer, mais j’sais pas, j’ai un mauvais pressentiment. J'ai peur que ce n’soit pas la seule. »

Sans attendre la réponse de Fry, elle se mit à courir dans les couloirs à la recherche de sa sœur.

« Eh attends-moi ! » Cria Fry en manquant de lâcher sa serviette.

Jessy croisa quelques locataires sortant de leurs chambres avec des têtes de lendemains de soirées arrosées, certains semblaient la reconnaitre, sans qu’elle sache pour quelle raison, le concert ou les compétitions pokémon. Soudain, elle entendit des cris venant du grand hall, elle avait l’impression de s’entendre elle-même en pleine dispute avec sa mère. Elle s’arrêta dans un dérapage et fit demi-tour pour rejoindre l’origine des hurlements.

« Pour qui vous vous prenez à la fin ?!? Vociférait l’infirmière Joëlle sur Jenny.

- Mais pou-pour personne… Infirmière je… Balbutiait la rouquine visiblement perturbée.

- A cause de vous mon seul réparateur est parti ! » Hurlait l'infirmière Joëlle, folle de rage. Jessy se précipita vers sa sœur et se colla à elle dans un geste protecteur, la soignante face à elles était déchainée.

« Est-ce que vous réalisez un seul instant combien il y a de machines ici ? Les frigos pour les médicaments, les machines à transfert, les ordinateurs, les centrales de soins, les centrifugeuses, mes appareils de radiologie, les respirateurs artificiels et j'en passe ! Nous sommes sur une île isolée alors que la Tour Dresseur ramène des flots de dresseurs toute l’année ! Le seul réparateur de l’île est parti en retraite l'an dernier, Scott Network était mon seul recours ! Il va falloir attendre des semaines pour qu’un autre technicien vienne de Kanto ! »

Autour des trois femmes un cercle s'était formé, des dresseurs venus combattre à la tour et qui espéraient eux aussi utiliser la machine à transfert toisaient les deux rouquines avec des regards accusateurs. Comme elles se ressemblaient beaucoup, certains ne savaient pas qui de Jessy ou Jenny avait humilié Scott au point qu'il s'enfuit de l'île. De surcroit, une autre partie des dresseurs leur en voulait déjà de les avoir ridiculisés à la Tour Dresseur, le coup de la machine à transfert était la baie ceriz sur le gâteau. Tout le monde n’avait pas assisté au râteau mémorable de Scott, cependant la rumeur s’était répandue comme l’onde de choc de Fulguris sur toute l’île. Fry débarqua enfin, en même temps qu’un groupe de dresseurs mécontents. Ils revenaient de la Tour Dresseur.

« L’appareil de transfert de la tour est aussi en rade fais ch*** !

- C’est de sa faute à elle ! S’écria un inconnu en pointant Jenny du doigt, il avait assisté à l’engueulade de Joëlle depuis le début.

- Qu’elles dégagent d’ici ! Lança une voix dans la foule.

- Ouais bien dit ! Vous pensez toujours qu’à vos gueules les Ketchum ! Y en a marre !

- Dehors !

- Foutez le camp ! Retournez au Bourg Palette ! »

La frustration des gens était immense et les cris de lynchage se multipliaient pour devenir un brouhaha assourdissant. Jessy avait du mal à réaliser qu’une foule puisse ainsi les conspuer alors que la veille elles étaient acclamées sur scène comme des rock stars. Jenny se blottit entre Jessy et Fry, pour la première fois depuis des années elle ressentait de la peur. Les trois adolescents avaient l’impression que les yeux des habitants allaient se changer en révolvers et abattre les jumelles sans sommation. Dans un même réflexe, Fry et Jessy bombèrent le torse comme des corboss en pleine intimidation, toutefois ils commencèrent à reculer en direction de la porte du centre en escortant Jenny au bord de la tétanie. Sur la terrasse à l’extérieur, où ils avaient laissé toutes leurs affaires, des excités étaient en train de s’approcher de leurs malles contenant les instruments de musique dans l’intention évidente de causer des dégradations. Braségali et Tengalice étaient seuls pour les surveiller, malgré leur force, les deux pokémon ne se sentaient pas à l’aise. Jessy se précipita comme un tauros en pleine charge.

« Eh ! Dégagez de là !

- C’est vous qui allez dégager ! Et…

- Pauvres tâches vous oubliez à qui vous parlez ! » Beugla Jessy complètement hors d’elle en dégoupillant sa copainball. Elle libéra son raichu.

« Rai rai ! » Cria le pokémon, depuis sa capsule il avait entendu les cris de colère de la foule. Certains dresseurs reculèrent avec anxiété, ils connaissaient la réputation du léviator rouge du Bourg Palette, mais d’autres n’avaient visiblement pas froid aux yeux et ils se rapprochèrent, pokéballs à la main.

« Fry ! » Appela Jessy. Lorsque le champion se tourna vers elle, elle jeta entre ses mains la pokéball de son galopa.

« Chargez les instruments avec Jenny, je m’occupe de ces sablaireaux !

- Toute s… » Il s’interrompit, il se souvint qu’il parlait à Jessy, alors il se contenta d’hocher la tête avec gravité. Il libéra galopa, scarhino et ramboum, posa ses grandes mains rassurantes sur les épaules de Jenny et l’incita à avancer vers la plage. Braségali et les deux pokémon de Fry prirent le plus gros des instruments et suivirent Jenny, d’une main tremblante elle avait récupéré la pokéball de son wailord. Fry de son côté chargea Galop avec le reste du matos, il portait lui-même son gros sac et ceux des jumelles. Le jeune champion jetait malgré tout des regards préoccupés en direction de Jessy. La rouquine avait sorti cinq pokémon, ce signe ne trompait pas Fry : elle était réellement inquiète, suffisamment pour faire une démonstration de force en alignant tengalice, aquali, dracaufeu, mysdibule et raichu. Elle n’avait pas besoin d’en arriver à de telles extrémités normalement.

« Aller Clami ! Donnons-leur une leçon à la manière des gens d’Unys !

- Bien dit Zack ! Eno tranch’air ! »

Le clamiral envoya un aqua-jet en direction de mysdibule et rhinolove tenta une attaque sur l’ensemble des pokémon de Jessy. Méditerranée, agacée par ce vent qui lui arrivait en pleine face riposta sans attendre un mot de sa dresseuse avec un laser-glace que le rhinolove évita de justesse en faisant une figure aérienne. Misdy encaissa l’aqua-jet en croisant ses petits bras devant son visage.

En dehors de Clamiral et Rhinolove, d’autres dresseurs avaient envoyé un chaffreux, un rosélia, un prismillon motif cyclone et même un Mr. Mime de Galar. Parmi les assaillants, Jessy reconnut l’un des deux types qui avait traité Scott de néo-rocket. Elle était sidérée, elle ne comprenait pas comment les mêmes personnes qui avaient insulté Scott à cause de ses propos sur la Team Rocket quelques jours plus tôt pouvaient désormais prendre sa défense, elle ne comprenait pas comment les spectateurs qui les avaient applaudies pouvaient les lyncher de la sorte…

« Etna danse-flammes ! Tiens-les en respect !

- Dégage de là Jenny Ketchum !

- Moi c’est Jessy pauv’con ! Le léviator rouge du Bourg Palette ! Ça suffit ces conneries : Médie danse-pluie ! »

Certains dresseurs ricanèrent, ils pensaient qu’elle était stupide de demander une danse-flammes puis une danse pluie dans la foulée, mais Jessy, hors d’elle, avait simplement changé de tactique. Au départ, elle pensait que cette battle royale serait une bonne occasion de se défouler, mais elle voulait désormais en finir au plus vite et partir loin de cette maudite île avec sa sœur. La danse-pluie éteignit les flammes d’Etna. Avant qu’elle n’ait besoin de donner son prochain ordre, Pit avait deviné les intentions de sa dresseuse. Lui aussi avait hâte de mettre les voiles. Il faisait grésiller ses joues chargées en électricité, les nuages créés par la technique d’aquali devenaient noirs à toute vitesse.

« Fatal foudre !!! Beugla Jessy.

- Raii… CHUUUU !!! »

La foudre s’abattit sur tous les adversaires en même temps, peu de pokémon électriques étaient capables d’une telle prouesse, seuls ceux des plus grands maîtres le pouvaient. L’attaque était phénoménale, éblouissante… Le sol trembla, l’énergie dégagée souffla de l’air dans les cheveux de tous les humains aux alentours et leurs vêtements se chargèrent en électricité statique. Tous les adversaires de Pit étaient évanouis sur le sol et tous les pokémon de Jessy regardaient la scène dans leurs postures fières et dures. Ils voulaient faire comprendre à cette meute d’humains en colère qu’il était inutile de s’acharner sur leur dresseuse, ils seraient toujours plus forts que tous les autres…

« Foutez le camp… » Cracha le seul dresseur suicidaire de l’assistance. Jessy aurait voulu le foudroyer lui aussi, mais à contrecœur elle obéit, c’était la seule chose à faire désormais. Le dos bien droit, le pas raide comme celui d’un régisteel, la dresseuse fit volte-face et prit la direction de la plage. Ses cinq compagnons pokémon, dans un même mouvement synchronisé, firent la même chose et marchèrent en ligne derrière Jessy telle une garde royale. L’image que Jessy laissa aux habitants de l’île sept allait marquer les esprits pour plusieurs années. Jessy ne renvoya pas ses pokémon dans leurs pokéballs, ils grimpèrent tous ensemble sur l’immense dos de wailord. Jenny était déjà assise, prostrée près de la tête de wailord, son braségali protecteur à genoux dans son dos, ses serres posés sur les épaules de sa dresseuse. Seul Fry guettait attentivement l’arrivée de Jessy.

« C’est bon on peut partir… Grommela la rouquine en croisant le regard du champion.

- Jenny ! Dis à Lord de lever l’ancre ! »

La rouquine se contenta de tapoter le dos de wailord à un endroit bien particulier, le pokémon avait de toute façon compris les mots de Fry, mais il attendait l’ordre spécifique de sa dresseuse. Le pokémon baleine commença à s’éloigner de la rive. Le regard sombre, Jessy fixait la Tour Dresseur et l’île sept qui rapetissaient au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient. Fry resta un moment à côté d’elle, au milieu de tous ses pokémon, le vent dans les cheveux, en regardant dans la même direction.

« Tu nous as mis dans un sacré pétrin… Grommela Jessy en s’affalant comme un kaimorse à côté de sa sœur.

- Jessy… Commença Fry sur un ton fatigué.

- Mais ces types sont des connards et l’infirmière Joëlle ne vaut pas mieux. T’as le droit d'aimer ou de détester qui tu veux. »

Fry cligna des yeux, il était étonné par les mots de Jessy. Il ne trouva rien à rajouter par-dessus. Il vint s’asseoir du côté libre de Jenny. La rouquine, épuisée moralement, se laissa tomber sur le côté, la tête sur les genoux de Fry. Puis, le regard dans le vide, elle prit la main de sa sœur et la serra fort.

« Merci... Murmura-t-elle. Merci à vous deux. »

Braségali passa sa patte entre Jenny et Fry et posa ses griffes sur les cheveux de sa dresseuse pour l’apaiser. Les trois ados, désormais muets, se laissèrent porter par Wailord vers la prochaine île.

 

A suivre...

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