Les Train Twins

Chapitre 18 : Les souvenirs de Seb

10122 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/10/2021 10:09

Chapitre 18

 

Les souvenirs de Seb

 

« Après le départ de Sylvain et Florine pour Unys en bateau, Alex et moi sommes restés un peu à Sinnoh avec une fille qu’on avait rencontrée là-bas quelques mois plus tôt, expliqua Seb à son jeune visiteur. Alex en pinçait pour elle, et elle, elle en pinçait pour moi. Déjà que sans Flo et Sylvain, Alex et moi on n’avait pas grand-chose à se dire mais là ça devenait carrément gênant. Alors Alex est reparti chez ses parents à Safrania et il ne restait plus que Justine et moi.

- Donc tu sortais avec cette fille ? Cette Justine ?

- Un peu de respect gamin, elle est devenue ma femme.

- Sérieux ?

- Bon, tu me laisses raconter ou pas ?

- Ok, ok…

- Six ans se sont écoulés et finalement Sylvain et Florine sont revenus à Kanto dans l’intention de se marier. J’avais choppé un de ces rhumes… J’étais stone la moitié du temps à cause des médicaments, je n’ai pas arrêté d’éternuer et de me moucher pendant la cérémonie, l’horreur totale, déjà que je n’étais pas méga enjoué à l’idée d’y aller... Mais pendant le bal de leur mariage, Florine accepta de danser avec moi. C’était la deuxième danse qu’elle m’accordait depuis qu’on se connaissait, un vrai petit miracle. Elle m’annonça qu’elle était enceinte et qu’elle allait s’installer au Bourg Palette pour faire son doctorat de Pokémonologie à l’Université de Safrania. Je vivais avec Justine depuis un moment, on a décidé de passer le cap : on s’est marié nous aussi l’année suivante et on a déménagé à Lavanville pour se rapprocher de mes parents. Justine avait obtenu un poste de gestionnaire à la Société Protectrice des Pokémon. Florine n’a pas pu assister à notre mariage car elle était encore à la maternité mais j’ai reçu le faire-part de Flo avec une photo des jumelles. Ensuite Justine et moi on a essayé de faire un enfant nous aussi, sans succès… On a consulté un spécialiste et par hasard lors des examens on a appris qu’elle avait un lymphome. On a mis notre projet bébé de côté pour la soigner. Ce diagnostic précoce a permis de prolonger un peu sa vie malheureusement le traitement n’a pas marché…

"Effectivement, ce n’est pas gaie comme histoire…" Songea Fry. Il regrettait d’avoir dit vouloir l’écouter toute la nuit.

***

[C’était il y a neuf ans maintenant, comme le temps passe vite… Nous étions à l’hôpital de Safrania. Je poireautais dans la salle d’attente de l’oncologue depuis quarante minutes au moins. Le médecin a fini par me faire entrer, j’ai vu à sa tête qu’il allait m’annoncer une saloperie mais j’y étais déjà préparé.

« Je suis désolé Monsieur Lavandson, les derniers traitements n’ont pas fonctionné non plus.

- D’accord… Donc ça veut dire qu’elle…

J’avais la gorge nouée, et le type me répondit dans un hochement de tête grave.

- Je suis profondément navré, elle est condamnée.

- Com… Combien de temps ?

- A ce stade, il lui reste environ trois mois à vivre, mais je ne vous cache pas que votre femme est très affaiblie alors je pense qu’il faut plutôt que vous considériez qu’il lui reste entre un et deux mois. »

Je me suis mis à chialer devant le médecin, c’était vraiment injuste. Justine était la personne la plus gentille que j’ai rencontrée dans ma vie… Elle était douce, patiente et elle adorait les pokémon. J’étais en colère en plus d’avoir le cœur en miette. J’ai quand même réussi à me reprendre un peu.

« Vous… Vous lui avez déjà dit ?

- Oui. Elle a appris la nouvelle avec sérénité, c’est une femme exceptionnelle, très courageuse. »

Du coup j’ai continué de chialer. J’en venais à penser que le médecin s’inquiétait plus pour moi que pour Justine et c’était vrai. J’ai rejoint Justine dans sa chambre, elle était avec sa Mélodelfe, l’hôpital n’autorisait les patients qu’à garder un seul pokémon avec eux. Je trouvais ça cruel mais bon… Justine m’a regardé avec son sourire fatigué si doux…

« Tout va bien mon amour ?

- C’est à moi de te poser la question ! » Je me suis assis à côté d’elle et je lui ai pris la main, elle était encore si chaude, si pleine de vie. Je me souviens aussi qu’elle avait des mains minuscules…

« Nymphali et farfaduvet m’ont accompagné.

- Tu as bien fait de les amener. Alors mes trésors : vous m’avez manqué. »

Elle essaya de tendre le bras pour caresser ses pokémon mais cela lui demandait trop d’efforts. Alors ils se sont dressés sur leurs pattes arrière et ils se sont appuyés contre le rebord de son lit. Elle était tellement heureuse de les revoir…]

"Punaise mais il va finir par me faire pleurer ce con !" Songeait Fry dont le malaise intérieur grandissait. "Pourquoi il me raconte tout ça ? Au secours !"

[« Le médecin m’a dit que tu pouvais rentrer à la maison, c’est bien ce que tu veux ?

- Oh oui. Je veux être auprès de vous tous… Ici ils ne peuvent plus rien pour moi.

- Ok… 

J’essuyais mes larmes et j’essayais de faire bonne figure.

- On peut partir dès ce soir d’après le docteur. Je vais préparer ta valise, ça te va ?

- Oui, merci.

Je sentais au ton de sa voix qu’elle voulait me dire quelque chose, mais je n’avais pas envie d’entendre quoi que ce soit. J’ai l’air costaud comme ça mais en fait j’ai la larme facile alors dans ces conditions… Bref. Je m’attendais au pire quand je la voyais me regarder fixement pendant que je rangeais ses affaires dans son sac de voyage, mais je n’aurais jamais pu deviner ce qu’elle allait me demander à la fin.

« Je suis désolée de ne pas avoir pu te donner des enfants, j’aurais aimé qu’on forme une vraie famille. » Elle regarda avec gentillesse ses deux pokémon venus lui rendre visite, j’étais horrifié par ses mots.

« Ne dis pas ça ! Tu n’as pas à t’excuser ! Je voulais vivre avec toi surtout. J’aurais jeté mes testicules au feu pour que tu restes en vie. »]

« Attends, tu lui as vraiment dit ça ?

- J’avais plus toute ma tête, elle allait mourir, j’étais fou de chagrin.

- Ouais mais quand même…

[Son nymphali pleurnichait, elle a réussi à le caresser un peu.

« Aouh aouh…

- Ne pleurez pas… Eros, Sébastien… Vous aurez des enfants un jour.

- Qu’est-ce que tu racontes ? Si je te perds je ne serai plus jamais heureux !

- Allons, ne te fais… Pas de mal inutilement. »

Elle parlait trop et elle se fatiguait, j’étais en panique alors qu’elle elle était toute calme et elle me souriait sans cesse.

« Tu as du mal à respirer ? Tu veux que je te donne le masque à oxygène ?

- Non mon amour… Ça ira. Je sais que mes pokémon seront entre de bonnes mains avec toi. Ils connaîtront tes enfants et joueront avec eux. A travers Nymphali, Mélodelfe et Farfaduvet, je serai avec vous pour toujours...

- Mais avec qui veux-tu que je fasse des enfants ? Je n’aime que toi !

- Ca, je sais que c’est faux. »

Là elle m’a coupé le souffle, je ne m’attendais pas à ce qu’elle remette ça sur le tapis après toutes ces années. Et ce n’était que le début.

« Ne prends pas cet air déconfit… Tu es le garçon le plus merveilleux du monde. Je vais mourir, c’est vrai, mais tu dois garder confiance en l’avenir Sébastien. Je veillerai sur toi, même si tu n’y crois pas, moi j’y crois. Je ne te quitterai jamais. »

Je lui ai pris son autre main, je veux dire celle qui n’était pas posée sur nymphali et je l’ai embrassée. C’est là qu’elle a enfin trouvé la force de me dire ce qu’elle avait en tête.

« Je voudrais que tu me promettes quelque chose.

- Tout ce que tu veux mon ange.

- Quand je ne serai plus là, je veux que tu ailles voir Florine au Bourg Palette. »

Je crois que j’ai fait la tête la plus bizarre de toute ma vie. J’étais totalement hébété, encore une fois je m’attendais à tout sauf à ça.

« Qu… Quoi ? Mais enfin pour… Pourquoi ?

- Promets-le-moi, Sébastien… »

Avec la force qui lui restait elle essaya de serrer mes doigts. J’étais trop perplexe pour répondre.

« S’il te plaît. Je ne veux pas que tu restes ici tout seul à pleurer mon absence, tu es jeune, tu dois continuer ta vie. Je sais que tu l’aimes encore… Et elle est ton amie, tu auras besoin de son soutien. »

Elle me souriait toujours mais j’avais l’impression que ça lui demandait un effort musculaire considérable. J’ai essayé de lui répondre.

« Mais enfin Justine… Il y a Sylvain et les jumelles, je ne peux pas…

- Je t’en prie Sébastien… Pense à toi pour une fois... C’est ma dernière volonté. Respecte là. Promets-le-moi.

- Mélo… »

Mélodelfe vint poser sa tête de mon côté du lit et elle regardait Justine avec tellement de peine et d’amour que j’avais honte de moi. Je ne voulais pas penser à Florine à ce moment-là, vraiment pas, ça me répugnait, mais Justine insistait tellement, j’ai cédé.

« Je… Très bien. Je te le jure Justine, j’irai voir Florine.

Elle soupira de soulagement, je ne comprenais pas.

- Merci. Je t’aime Sébastien.

- Je t’aime aussi ma Justine. »

J’ai posé ma tête contre sa poitrine et on est resté comme ça un moment. Elle a fini par s’endormir et j’en ai profité pour finir la valise. On est rentrés chez nous, elle est restée éveillée pendant quatre semaines mais elle ne m’a jamais reparlé de tout ça. Ensuite elle a sombré dans le coma et elle est décédée dans notre lit. Elle ne voulait pas retourner à l’hôpital car les visites de ses pokémon étaient limitées et elle voulait rester auprès d’eux jusqu’à la fin… Après sa mort j’étais au fond du gouffre, ce sont mes parents qui ont dû tout gérer : son enterrement, la prise en charge de ses pokémon… Justine n’avait presque plus de famille en dehors de sa grande sœur qui habite Kalos et de quelques cousins encore installés à Sinnoh. J’ai passé deux semaines complètes à dormir dans ma chambre d’ado chez mes parents, sans manger et sans me laver.]

« Beeurk.

- J’étais en deuil ! Protesta Seb.

- Oui oui je sais, désolé, je visualisais la scène et… L’odeur. Pourquoi Justine t’a-t-elle demandé de retrouver Florine ? Même si elle était au courant pour vous deux, ça reste une drôle de demande.

- Un peu de patience mon jeune ami, laisse le vieux Seb te raconter son histoire. »

[Je ne suis sorti de mon antre que pour l’enterrement de Justine. Mon ami Grégoire – le type à l’air arrogant sur la photo de Flo – est venu pour assister à la cérémonie, il a séjourné quelques temps chez mes parents après la mise en bière. Derrière son air hautain il a toujours été très attentif à ses amis. Il est au courant de ce qui se passait entre Florine et moi, c’est un peu mon confident de toujours. Quelques jours après l’enterrement, il m’a accompagné au cimetière de Lavanville pour que je puisse me recueillir sur la tombe de Justine. Mais avant cela il m’a forcé à prendre une douche.]

« Le saint homme !

- N’exagérons rien… »

[Mine de rien, j’avais pas mal cogité entre deux phases de sommeil. J’ai acheté un bouquet de roses blanches et je suis allé sur la tombe de Justine avec tous ses pokémon et les miens. Ils étaient à peine plus en forme que moi…

« Merci pour ton amour, il m’a sauvé… » Murmurai-je en déposant les fleurs sur la tombe de Justine. La phrase interpella Grégoire et une fois rentrés, il est venu me trouver sur le balcon de ma chambre. L’air était très frais et ça me faisait du bien, il chassait ma tristesse et mes pensées mélangées. A cause du vent, j’entendis à peine la porte de ma chambre s’ouvrir et se refermer derrière Greg. 

« Sébastien ?

- Ah, c’est toi Greg… Pardon, je voulais dire Grégoire.

- Oh arrête avec ça… Mais attends un peu, depuis quand tu ne m’avais pas parlé comme ça ? Plus de dix ans, douze peut-être.

Je lui ai souri, j’étais un peu amusé, ça devait être mon premier sourire depuis la mort de Justine.

- Ah ah, oui c’est vrai…

- Ce n’est pas anodin, je vois bien que tu as la tête ailleurs depuis l’enterrement, ce n’est pas uniquement de la tristesse… Et maintenant tu t’excuses de m’avoir appelé Greg ? Nom d’un caninos Sébastien, à quoi penses-tu ? Tu m’intrigues. »

J’étais en pleine contemplation du paysage… La vue depuis chez mes parents est à couper le souffle, j’aimerais bien te la montrer un jour, c’est autre-chose qu’une pâture au Bourg Palette, enfin bref. J’étais en pleine mélancolie, ce balcon me rappelait tellement de souvenirs, c’est là que j’ai demandé Justine en mariage, j’y ai aussi emmené tous mes amis, Florine et Sylvain entre autres. J’ai fini par soupirer et j’ai répondu à Grégoire.

« Justine m’a parlé de quelque chose avant de mourir… Un truc que je pige pas.

- Je t’écoute. »

Et il m’a écouté, comme toujours. Grégoire était un vrai Don Juan dans sa jeunesse, il comprend les femmes mieux que quiconque.]

« Moi aussi je suis plutôt doué avec les nanas, dit Fry avec une certaine fierté machiste.

- Ah ah, je veux bien te croire mais Grégoire c’est un champion hors catégorie. Mais si on part là-dessus, la nuit ne suffira pas.

- Et qu’est-ce qu’il en a pensé alors ce Greg de la demande de ta défunte femme ? »

[Comme je le disais, Greg enfin Grégoire était un fin connaisseur de la gente féminine. Je suis extrêmement jaloux car je crois qu’il comprenait Justine et même Florine mieux que moi.

« Si j’ai bien compris tu te demandes s’il faut retourner voir Florine, c’est bien ça ?

- Oui…

- A mon humble avis, tu devrais y aller.

- Tu le penses vraiment ? Lui demandai-je, surpris.

- Tu seras mieux auprès de tes amis pour passer cette épreuve, laisse tes parents souffler un peu. Et puis je te connais : je suis certain que tu n’as jamais arrêté de penser à Florine, même après toutes ces années passées auprès de Justine. Un premier amour, ça ne s'oublie pas comme ça. De plus, j’ai toujours trouvé que Justine, malgré son petit côté farfelu, avait les idées très claires et elle lisait dans le cœur des gens comme dans un livre ouvert. Si elle pensait que tu aimes encore Florine c’est que c’est le cas, n’est-ce pas Sébastien ?

J’ai essayé de sourire mais c’était peine perdue.

- Suis-je si pathétique que ça ? J’avais une femme géniale et je reste prisonnier du passé…

- Oui. » Me répliqua froidement Greg, les bras croisés. Il n’est pas du genre à caresser les gens dans le sens du poil. Honnêtement, je ne me sentais pas bien. Je ne pensais qu’à Justine et à tous les projets que la maladie nous avait volés. Ce que je ressentais pour Florine ne m’intéressait pas du tout à ce moment-là. J’avais eu du mal à faire le deuil de cette première relation tumultueuse avec Flo et là je devais faire le deuil de mon mariage avec Justine sans avoir complètement terminé le premier. Je me suis demandé si ce n’était pas ce que voulait me dire Justine. Je devais tout clôturer, toutes mes affaires de cœur avec Florine, Justine et passer à autre chose, refaire ma vie ailleurs. D’ailleurs comment je pouvais aimer une personne avec qui je n’avais plus le moindre contact depuis sept ans et qui était installée en famille ? C’était complètement con. Comme je ne disais plus rien, Grégoire m’a volé dans les plumes.

- De toute façon, tu n’as pas besoin de mon avis.

- Pourquoi ?

Et là il me fusilla des yeux.

- Tu as fait une promesse à ta femme sur son lit de mort. Alors peu importe ce que tu penses ou ce que tu crois, si tu as un peu d’honneur tu feras ce qu’elle t’a demandé. »

Et sur ces mots il est sorti de ma chambre pour me laisser mariner. Et il avait réussi son coup. Je me sentais encore plus mal qu’avant, je n’ai pas dormi de la nuit, résultat à huit heures du mat je me suis endormi comme une masse pour me réveiller à quinze heures. Mais cette fois j’avais pris ma décision. J’ai pris mon vieux sac de voyage délavé avec le strict nécessaire, je me suis habillé et je suis descendu à la cuisine. Ma mère était en train de parler avec Grégoire.

« Sébastien, tu veux quelque chose ? Tu vas bien mon chéri ?

- Je pars maman. Je te confis les pokémon de Justine.

- Comment ça tu pars ? S’étonna ma mère. Mais où ça ? »

Et là, Grégoire a répondu à ma place :

« Au Bourg Palette. »

Je ne me souviens pas bien mais je crois qu’il souriait. Sans réfléchir davantage, j’ai sorti mon guériaigle et je me suis envolé vers le Bourg Palette. Au bout d’une heure de vol, il s’est mis à pleuvoir, c’était un temps pourri comme on les aime à Kanto en début d’automne… Tu connais pas ça toi qui vient des îles Orange ! Quand je suis arrivé au village, j’ai survolé le parc du labo et je me suis posé sur la route près de la grille. Mon cœur battait la chamade, cela faisait tellement longtemps que je n’étais pas venu… En regardant au loin le labo et la lumière rayonnante à travers les vitres, j’ai été pris d’une soudaine angoisse, j’étais déjà à moitié gelé à cause de la pluie, en plus je commençais à flipper. Qu’est-ce que je pouvais leur dire à part que Justine était morte ? Je me suis senti con, j’avais envie de repartir, même s’il était tard je pouvais encore aller jusqu’à Jadielle et passer la nuit au centre pokémon. Comme si le ciel avait deviné à quoi je pensais, il s’est mis à tomber des trombes d’eau et l’orage a éclaté. J’étais coincé : trop dangereux de voler par ce temps, même sur une courte distance. Alors j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai grimpé l’escalier jusqu’au labo. Par la fenêtre du salon, j’ai vu qu’il y avait de l’animation, j’entendais vaguement des voix, certaines devaient venir de la télé mais il me semblait aussi entendre des voix de petites filles. Je suis resté planté devant la porte pendant un bon moment avant de trouver la force de toquer. Personne ne répondit. J’ai encore attendu et puis j’ai réalisé qu’il y avait une sonnette. Je ne devais vraiment pas avoir envie d’entrer.

La porte s’entrouvrit prudemment, mon hôte voulait d’abord identifier le visiteur avant de le laisser entrer, normal vu l’heure à laquelle je me suis pointé… En plus je dégoulinais de partout, j’avais les cheveux plaqués sur le visage par le poids de l’eau et puis j’ai quand même une carrure imposante. Mais je crois qu’elle m’a reconnu rapidement, car la porte s’ouvrit brutalement tout en grand. En face de moi il y avait Florine, la bouche grande ouverte et ses yeux verts me perçaient de toutes parts. Je ne l’avais jamais vu aussi surprise. Elle était comme figée, et bon sang ! Ce qu’elle était belle… Elle n’avait pas changé en huit ans. Ça m’a fait comme un électrochoc. Je sais que je dois paraître dégueulasse, je venais de perdre ma femme mais j’ai pas pu m’empêcher de ressentir la même chose qu’à chaque fois que je l’ai vu et revu depuis notre première rencontre à Jadielle quand j’avais treize ans. Elle ne disait rien, moi non plus, on se regardait comme deux cerfrousses dans une clairière. Le seul qui ait poussé un cri c’est son aquali, Loyal, qui lui servait de pokémon de garde la nuit. Lui aussi m’avait reconnu… Les filles sont venues s’agglutiner à la porte du salon et elles me regardaient comme si j’étais un pokémon étrange, l’une d’elles – je crois que c’était Jessy – s’est mise à brailler : « C’est qui ? ». Alors là, Florine a balbutié mon nom.

« Sé… Sébastien ?

- Euh, bonsoir Florine. »

Il y eut encore un blanc. J’avais froid et j’étais mouillé jusqu’aux os, je ne m’en suis rendu compte qu’à ce moment-là.

« Euh, est-ce que je peux entrer ?

- Ah ! Bien sûr ! Rentre ! Mais tu es trempé ! Tu es venu à dos de pokémon ?

- Oui… »

Elle était vraiment surprise de ma venue, elle ne savait pas quoi dire ni quoi faire mais je crois qu’elle avait deviné qu’il s’était passé un truc grave. Et là je ne sais pas pourquoi tout m’est revenu d’un coup et en même temps. Quand je dis tout, c’est tout : ma rencontre avec Florine et Sylvain, leur mariage, notre rencontre avec Justine, sa maladie, mon baiser passionné échangé avec Florine avant son départ pour Unys, mon premier baiser avec Justine, ma demande en mariage sur mon balcon et la première fois où j’ai emmené Florine sur ce même balcon et même ce rêve stupide où j’étais un chevalier qui sauvait Florine en jouvencelle en détresse. Comment on appelle ça déjà ? La madeleine de Proust non ? Et puis la dernière image qui s’est imposée à mon esprit c’était le cercueil de ma femme qu’on mettait en terre… Je tremblais comme un stalgamin, Florine a cru que c’était la pluie.

« Va au salon, je vais te chercher une serviette…

- Flo, Justine est morte. »

Ma voix était cassée, je me demande encore aujourd’hui comment j’ai réussi à sortir ces mots. J’ai vu les yeux de Florine se mouiller, elle m’a pris dans ses bras et sa blouse s’est gorgée de flotte. Je me suis mis à chialer comme un môme, encore, je regrettais d’avoir quitté ma chambre.]

« Et Jessy et Jenny ? Elles étaient toujours là ?

- Bien sûr, mais je n’y faisais pas trop attention. Je ne sais pas si mon apparition brutale les a perturbées ou quoi… »

[C’était un mardi, ça je m’en souviens parce que c’était la soirée pizza des filles. Comme elles n’allaient pas à l’école le mercredi, c’était le seul soir où les jumelles avaient le droit de veiller tard. Florine m’a fait asseoir dans le salon, j’avais un carton de pizza entamée sous le nez. C’est là que j’ai vraiment posé les yeux sur les jumelles. Je ne les avais vu qu’en photo jusqu’à ce jour. Elles me fixaient toutes les deux avec leurs beaux yeux bleus, Jessy avait hérité de quelques traits de son père mais elles ressemblaient surtout à leur mère toutes les deux, avec leurs pommettes, leur tignasse rousse et ce regard perçant qui te jauge. J’avais l’impression que je faisais peur à Jenny, quant à Jessy elle me semblait surtout méfiante. Florine revint dans le salon avec une serviette éponge et une couverture.

« Retire ton pull tu vas être gelé !

- Man ! L’interpella Jessy. On a quoi en dessert ?

- Prenez des lavacookies, un chacun uniquement et EXCEPTIONNELLEMENT vous pouvez le manger dans votre chambre.

- Ouais !!! »

Les filles s’en allèrent en courant, avec leurs cheveux roux qui volaient derrière elles, on aurait dit des petits ponyta fougueux, c’était étrange de voir toute cette joie de vivre alors que tout n’était que tristesse dans ma vie depuis des semaines.

« Ensuite en pyjama et au lit ! Je viendrai vérifier si vous vous êtes lavées les dents, mais je dois parler avec Sébastien de choses importantes d’accord ?

- Oui maman ! » Répondirent-elles l’une après l’autre avec exactement la même intonation. Je me demandais pourquoi j’étais venu, mais Florine me traitait avec une telle douceur, je ne l’avais jamais vu comme ça. Quand elle était ado elle avait plutôt un caractère de gradhyena.]

 « Ah ! Elle me rappelle quelqu’un ! » S’exclama Fry.

[« Si tu as faim tu peux finir la pizza si tu veux… » Me dit Florine avec gentillesse. Je lui ai répondu que je n’avais pas faim. Elle me dévisageait, même si on ne s’était pas vu depuis des années et que j’avais une barbe d’un mois je pense qu’elle avait remarqué que j’avais les joues creusées, après quinze jours de diète sévère, je m’étais déjà bien déplumé. Je m’attendais à ce qu’elle m’ordonne de manger, ce qu’elle aurait fait dix ans plus tôt sans hésiter, elle me parla à nouveau avec douceur en posant ses mains sur mon bras.

« Même si tu n’as pas faim, tu ne veux pas quelque chose à boire ? Il est peut-être tard pour un café mais un jus de fruit, un thé ou même de l’eau… »

Comme elle regardait mes vêtements trempés, je suis persuadé qu’elle se disait que j’avais eu assez d’eau pour aujourd’hui.

« Du thé si tu veux bien.

- Tout de suite ! »

J’ai dit qu’elle n’avait pas changé, mais en réalité j’avais du mal à reconnaître Florine. Elle était toujours aussi belle mais dans son comportement je sentais de la fatigue. Même si elle me ménageait à cause du décès de Justine, je sentais qu’un truc clochait chez elle. Evidemment, tout ça je l’ai cogité après coup, la mort de ma femme ne me permettait pas d’avoir les idées claires à ce moment là. Florine revint avec une tasse de thé et elle s’assit à côté de moi sur le canapé.

« Quand… Quand l’enterre-t’on ? Me demanda t-elle d’une voix grave.

- On l’a enterré vendredi dernier.

- Quoi ? »

Elle était choquée de ne pas avoir été prévenue, j’ai essayé de trouver une excuse bidon, la vérité c’était que mes parents avaient géré l’enterrement seuls et n’avaient pas eu le temps de prévenir tout le monde, moi j’étais resté au lit à broyer du noir, je n’voulais voir personne.

« Désolé mais on était en petit comité et… Enfin je tenais à vous annoncer ça moi-même et je n’ai pas pu venir avant le… Je, je suis désolé. Mais euh... Sylvain n’est pas là ?

- Non, il est en voyage. »

Comme un silence pesant s’était installé je me suis lancé à boire son thé, il était dégueu, Justine était une grande amatrice de thé, elle le dosait elle-même et faisait des mélanges très élaborés avec des secrétions de pokémon plante. Alors celui de Flo me paraissait fade, je l’ai quand même bu par politesse. Je me demandais toujours ce que je faisais là. Comme contexte de retrouvailles, on faisait mieux : un tête à tête un soir d’orage dans un bled paumé après un enterrement…]

« L’angoisse totale.

- Force deux l’angoisse totale. »

[Florine finit quand même par entamer la conversation.

« Justine et moi on entretenait une correspondance, elle te l’avait dit ?

- Oui… » J’étais gêné, j’aurais dû donner des nouvelles moi-même mais j’étais trop jaloux de Sylvain et j’avais mal quand je pensais à Florine. Justine ne m’a jamais posé de question, probablement qu’elle comprenait qu’après ce qui s’était passé entre nous trois, je n’étais pas très enclin aux échanges épistolaires.

« Je suis contente que tu sois venue me voir… Je préfère ne pas te savoir tout seul à te morfondre chez toi. Quand Justine m’a annoncé sa maladie, elle m’a aussi parlé de ses inquiétudes vis-à-vis de toi. Reste ici aussi longtemps que tu le souhaites. Je vais te préparer le clic clac de la mezzanine. »

Je ne m’y attendais pas. Alors évidemment je me doutais qu’elle ne me renverrait pas en pleine nuit chez moi, mais pas qu’elle m’invite à rester comme ça aussi facilement, sans date de départ et sans condition.

« Tu sais je ne suis pas à la rue… Je suis retourné à la villa Sebastian avec mes parents et quand la maison de Justine sera vendue je pourrai sans doute me payer un petit appartement quelque part.

- Je ne veux pas que tu restes isolé, me répondit Florine d’une voix incroyablement douce. Tu as plein d’amis ici au Bourg Palette, alors je t’en prie, reste avec nous. »

Je l’ai remercié et elle m’emmena jusqu’à la mezzanine en question. Elle disait que j’avais l’air mort de fatigue, j’avais envie de lui répondre que je me sentais mort tout court mais je ne voulais pas l’inquiéter davantage. Elle resta avec moi, en silence, en attendant que je m’endorme. J’étais terrassé par la fatigue et le chagrin et elle se comportait avec moi comme une maman, je ne l’avais jamais vu comme ça, elle me rappelait ma chère Justine… Je somnolais et alors que je commençais à ronfler, à demi-conscient, j’ai senti la main de Florine qui me caressait le visage et les cheveux.]

« T’avais pas les idées claires, tu ne l’as pas fantasmé ça ?

- Je me suis posé la question… Je ne crois pas, tu verras avec la suite de l’histoire, je ne me suis probablement pas fait de film. »

[Le lendemain matin, je me suis réveillé de bonne heure tout seul pour la première fois depuis la mort de Justine. Néanmoins, je restais allongé sur le dos dans mon lit en fixant le plafond. Dans ma tête je parlais à Justine, je lui demandais ce que je devais faire maintenant. Comme j’étais immobile dans le pieu de la mezzanine, Florine ne réalisa pas que j’étais réveillé lorsqu’elle entra dans le laboratoire au rez-de-chaussée. Je l’ai entendu se servir du vidéophone. La tonalité résonnait en bas, personne ne répondit et Flo mit fin à l’appel. Je l’ai entendu pousser un profond soupir, toucher à du papier et griffonner un truc puis elle quitta la pièce. Je me retrouvais seul à nouveau avec le visage de Justine dans le crâne. Alors que j’allais me mettre à pleurer, la porte à côté de mon lit s’ouvrit. Je me suis redressé et j’ai aperçu une touffe de cheveux roux dans l’encadrement de la porte. Une petite fille dans un pyjama jaune pikachu et aux cheveux ébouriffés me regardait fixement.

« Euh… Bonjour.

- C’est toi Seb ? Me lança la gamine.

- Oui, lui répondis-je avant d’ajouter : et toi ? Tu es Jessy ou Jenny ?

- Jessy. T’as des pokémon ?

- Oui, bien sûr. »

J’ai réalisé que j’étais torse nu et que ce n’était pas décent devant une petite fille que je venais à peine de rencontrer, alors je me suis levé et j’ai enfilé mon seul pull de rechange, l’autre séchait encore.

« Tu me les montres ? » Demanda Jessy. Alors que j’hésitais, Jenny entra en trombes, excitée comme un flambino.

« Oh oui ! Oh oui ! Criait-elle. Je l’ai salué en souriant.

- Bonjour Jenny.

- Oh tu connais mon nom. T’as vu Jessy ?

- Il connaissait le mien aussi.

- T’es venu aider maman ? » Me demanda Jenny. Je devais faire une drôle de tête car je ne savais pas de quoi elles parlaient. Un « Hein ? » s’échappa de mes lèvres, alors Jessy commença à m’expliquer.

« Papi Jacky il dit que maman a besoin d’un assistant.

- Euh non, je ne suis pas venu pour ça…

- Alors t’es une nounou ? » Me demanda Jenny. J’étais encore plus sur le c… Enfin perplexe quoi. Et Jessy me lança :

« Ouais parce que papi il dit aussi qu’on a besoin d’une nounou mais c’est pas vrai !

- Ouais les nounous c’est nul. A part mamie.

- Ok…

Pour la première fois depuis une éternité j’avais envie de rigoler.

- Eh bien… Je ne suis pas une nounou non plus.

- T’es quoi alors ?

- Je suis un ami de vos parents.

- Ca on savait déjà ! Brailla Jenny. Et Jessy enchaina :

- Tu crois qu’on est stupides ? T’es en photo partout dans la chambre de maman ! »]

« Ah ah ! Ça, ça a dû te plaire !

- J’étais surpris oui !

- Et il y aurait quelque part des photos des filles à cet âge-là ?

- Eh eh… Je te les sortirai promis, je sais où Flo les planque… Tu veux qu’on s’arrête là pour ce soir peut-être ?

- Hein ? Non, non pardon. Continue, je te coupe souvent mais je suis juste curieux d’entendre la suite, quelque chose me dit que ça va enfin devenir intéressant.

- Enfin ?

- Euh… » Les joues de Fry s’empourprèrent, il se rendit compte qu’il manquait quand même de tact et d’empathie par moment.

« Je suis désolé que t’aies perdu ta femme, moi aussi mon grand-père est mort du cancer, mais c’est pas une histoire très fun à entendre. Je veux en apprendre plus sur les jumelles et la professeure surtout.

- Oui je comprends. J’y viens justement…

[Florine débarqua à son tour et gronda ses filles, mais gentiment.

« Dites donc les filles, vous n’avez rien de mieux à faire que d’embêter notre invité ?

- Non, répondirent Jessy et Jenny avec franchise.

- Je vois… Alors je vais vous trouver une occupation. Allez ramasser les gamelles vides dehors, et surtout prenez Pit et Chu avec vous. Si un pokémon grogne lancez une attaque éclair pour le calmer compris ? Ne les laissez pas vous mordre.

- Oui maman ! Répondirent les filles à l’unisson.

- Spyke est là pour vous surveiller de toute façon. »]

« Pit et Chu ? Elles avaient déjà leurs raichu ?

- Leurs pichus tu veux dire. Un cadeau de leur papa pour l’anniversaire de leurs trois ans. En tout cas c’est ce que Flo m’a raconté.

- Wouah, même moi j’ai pas eu de pokémon aussi jeune… Et Spyke ?

- C’est le dracaufeu de Florine. »

[Les fillettes sortirent de la chambre en courant, très excitées. Florine me sourit, j’avais presque oublié la finesse de son sourire... Et avant que tu ne me fasses la vanne : oui elle sait sourire !

« Seb ! Tu viens prendre le petit déjeuner ?

- Oh merci Flo, mais je n’ai pas faim…

- Depuis quand tu n’as pas manger ? Me demanda-t-elle dans un soupir. Je fis mine de ne pas avoir compris la question…

- Pardon ?

- Tu as très bien entendu, tu dois te nourrir Seb.

- Je n’ai pas le cœur à manger.

- Pas la peine de me le dire je m’en doute, mais tu vas te forcer. »

Cette fois elle m’attrapa par le poignet et me tira vers l’escalier. Je l’ai suivi sans broncher, j’étais comme un zombie mais dans un coin de ma tête, j’étais rassuré de la voir un peu plus comme dans mes souvenirs : directive et autoritaire.]

« T’es un homme soumis en fait ? Le railla Fry.

- Je vais faire comme si je n’avais rien entendu gamin… »

[Dans la cuisine je découvris avec surprise une table incroyablement garnie, c’était très différent des restes de pizzas qui traînaient dans le salon lorsque je suis arrivé. J’étais impressionné.

« Waouh, tu as préparé tout ça ?

- Oui et ne crois pas que les filles aient le droit à un truc comme ça tous les jours, c’est uniquement parce que tu es là et qu’on est mercredi. Alors maintenant tu ne vas quand même pas me faire l’offense de ne rien manger ? »

Malgré mon manque d’appétit, j’ai tenu à faire honneur à mon hôtesse. Evidemment après deux semaines de jeûn c’était difficile d’avaler plus d’un verre de baie oran et un toast beurré. Florine me versa une tasse de chocolat chaud en me vendant le truc comme un bon antidépresseur. Puis les jumelles débarquèrent et toute la pièce fut remplie de vie. Toute cette chaleur humaine c’était… Presque trop pour moi. J’avais côtoyé la mort pendant des mois, sans parlé de notre désir d’enfant avec Justine qui s’était soldé par un échec cuisant. Je crois que Florine devinait ce que je ressentais. Alors elle m’annonça :

« J’ai appelé ta mère ce matin.

- Bah pourquoi ?

- Pour qu’elle vienne apporter tes affaires.

- Ah, euh… Mais... Tu es sûre que je peux rester ?

- Quelle question, bien sûr que oui ! Je te l’ai dit hier : reste ici le temps que tu veux. »

Je me suis laissé emporter par la fougue de Florine. Après le petit-déjeuner j’ai vu débarquer le professeur Jacky Léon, il était très surpris de me trouver là. Puis j’ai vu défiler toute la famille Léon ou presque : mamie Al, Aline avec son mari Kyle et leurs enfants, Violine la championne d’arène et son petit ami de l’époque, Izzy, enfin maître Izzy ! J’ai encore du mal à l’appeler par son titre ce foutu sale gosse ah ah… Il avait besoin de déposer un de ses pokémon en convalescence, maître Antony qui l’accompagnait… Je m’attendais presque à voir ce bon vieux Félix, mais Atalanopolis c’est pas la porte à côté. Et évidemment les filles ne m’ont pas lâché les baskets jusqu’à ce que je leur présente mon équipe de Pokémon. Elles ont été impressionnées par mon guériaigle, apparemment c’était la première fois qu’elles en voyaient un en vrai. Lui était ravi de sympathiser avec deux fillettes. Le lendemain, mes parents ont débarqué au Bourg Palette avec deux valises pleines de mes affaires et les pokémon de Justine. Franchement, j’avais un peu la honte…]

« Un peu ?

- Ok : j’avais la méga honte, mais j’étais endeuillé alors j’étais comme anesthésié. »

[Ma mère est venue voir Florine, elle avait l’air soulagée…

« Merci beaucoup Florine d’accueillir Sébastien chez toi. Pascal et moi nous ne savions plus quoi faire pour le consoler, racontait ma mère. J’espère que tout ira bien, tu sais… Mon garçon a l’air très costaud comme ça mais en réalité il est très sensible.

- Oui je le sais bien, répondit Florine. »

Et comme si je n’avais pas déjà assez la honte comme ça elle en remit une couche :

« Je m’occuperai de lui comme si j’étais sa propre mère !

- Prends soin de mon fiston Florine ! Cria mon père sur le point de démarrer la voiture.

- Promis ! »

Florine et moi on les a salués de la main tandis que la voiture de location de mes parents s’éloignait. Quand l’auto ne fut plus qu’un point sur la route, je poussai un profond soupir.

« Je suis fatigué… Je vais aller me coucher…

- Hors de question. » J’ai regardé Florine, surpris par son ton ferme. Elle me fixait avec un petit sourire et ses yeux perçants déterminés, je retrouvais peu à peu mon petit chef de meute d’autrefois. On sentait bien qui portait la culotte dans la maison et ça n’a pas changé aujourd’hui !

« J’ai des tas de pokémon à nourrir et à soigner, je ne peux pas m’en occuper toute seule, m’expliquait Florine. Tu es là et ça tombe bien tu vas m’aider ! Je sais que tu es doué pour ça ! »

Je tentais de m’opposer, en vain.

« Mais…

- Ah ! Florine leva le doigt comme une vieille maitresse d’école. J’ai dit que tu resterais ici pour ne pas être tout seul et ne pas te morfondre, mais je ne t’ai jamais dit que tu pourrais tirer au flanc toute la journée ! Suis-moi. »

Et je l’ai suivi, en traînant des pieds.]

« Alors en fait elle t’a demandé de rester pour avoir un assistant gratuit ?

- Florine a toujours eu l’esprit pragmatique. Elle a décidé de joindre l’utile à l’agréable. Elle était intimement persuadée que j’avais besoin de m’occuper le corps et l’esprit pour ne pas sombrer dans la dépression. Mes parents pensaient la même chose, Greg pensait la même chose. Si Justine avait été en vie, elle aurait pensé la même chose…

- Et elle avait raison ?

- Oui, en partie. Mais ce n’était pas suffisant, il me fallait surtout du temps et trouver un vrai sens à ma vie. »

[Au bout de quelques jours, j’ai compris que le professeur et la docteure Léon – puisqu’à l’époque Florine n’était encore que docteure – étaient débordés. Il leur fallait gérer des dizaines peut-être même des centaines de choses en même temps : nourrir les pokémon évidemment mais aussi surveiller leur état de santé, les soigner, gérer les transferts demandés par les dresseurs, prendre soin des œufs et en parallèle ils menaient leurs recherches. C’était très important pour Florine, elle devait faire ses preuves pour prendre la succession de son père. Alors que je commençais à prendre mes marques au laboratoire, Florine s’est approchée de moi et m’a collé un carnet entre les mains.

« Euh… C’est quoi ? Lui demandai-je.

- Papa va être très occupé aujourd’hui et moi aussi, je n’aurai pas le temps de m’occuper des autres pokémon, tu vas faire le tour du terrain pour observer les pokémon et noter ce que tu vois dans ce carnet.

- Les observer ? Pour quoi faire ? Je suis sensé noter quoi ?

- Tu vérifies qu’ils sont en bonne santé, qu’ils n’ont ni maladie, ni blessure, tu vérifies qu’ils n’ont pas un comportement étrange, qu’ils ne sont pas en train de se battre, qu’ils ne sont pas en train de manger ou de boire n’importe quoi et tu regardes si certains sont en train de copuler. »]

« De copuler ? Répéta Fry en étouffant un rire.

- J’ai eu exactement la même réaction que toi ! »

[« Oui c’est très important, insista Florine devant ma mine sceptique.

- Et je dois… Les en empêcher ? Lui demandai-je.

- Non, bien sûr que non, mais tu notes précisément les deux espèces de pokémon, le nom de leurs propritéaires, qui est le mâle qui est la femelle ainsi que l’heure et le jour exact sur le cahier de suivi que je t’ai donné. 

- Mais Flo je ne les connais pas ces pokémon, je ne sais pas à qui ils appartiennent ni même s’ils ont des surnoms.

- Je le sais bien, répliqua Florine en me souriant avec malice, justement ça te permettra de te faire l’œil, de t’habituer à eux. Tu n’as qu’à les décrire précisément pour l’instant, je t’expliquerai qui ils sont ce soir, on fera un bilan. Je connais tes capacités : tu sais reconnaître les mâles des femelles, les signes distinctifs, c’est le principal et ça suffira. Les pokémon et toi vous devez apprendre à vous connaître, c’est essentiel, sinon ils refuseront que tu les approches. »

Elle me poussa à l’extérieur et je me suis retrouvé tout seul dans le jardin au milieu de centaines de pokémon que je n’avais jamais vu. J’ai pris une profonde inspiration et je me suis lancé un : « Eh ben mon vieux Sébastien, au boulot ! »

Je ne vais pas te cacher qu’il y a eu plusieurs scènes très cocasses. Et je suis convaincu que Florine me regardait depuis la fenêtre et se foutait de ma gueule… J’ai dû faire descendre un bébé skitty coincé dans un arbre et je dois avouer que ça faisait longtemps que je n’étais pas monté dans un arbre… Une branche s’est cassée en redescendant et je suis tombé n’importe comment. Le petit skitty était sain et sauf, moi un peu moins… Et le minou m’a griffé au visage avant de s’en aller rejoindre sa mère. Ensuite un snubull m’a mordu à la jambe et puis j’ai dû m’enfuir à toute vitesse après m’être un peu trop approché de la mare : un cradopaud en furie s’est jeté sur moi. Mon seul réflexe a été d’aller me mettre à l’abri dans le laboratoire. Le cradopaud s’est arrêté à quelques mètres de la porte vitrée et il m’a jeté un regard mauvais. J’ai soupiré de soulagement, j’étais accroupi par terre et à moitié affalé comme une bouse sur la porte, Florine me regardait avec attention depuis l’escalier en colimaçon. Quand je m’en suis rendu compte, je me suis redressé immédiatement et je lui ai rendu le carnet avec les observations.

« Euh… Tiens. J’ai pas tout à fait fini mais je crois que je vais attendre que Cradopaud soit calmé pour y retourner.

- Il n’est pas comme ça d’habitude, il protège anormalement son territoire. Suis-moi et prends ton Mentali avec toi.

Je grimaçais.

- Tu veux vraiment y retourner maintenant ?

- Oui. »

Alors j’ai obéi au patron. J’ai sorti mon mentali et on est retourné à la mare. Crapodaud est ressorti de l’eau et il s’est approché de nous avec un air menaçant, mais Flo n’est pas du genre à se laisser impressionner.

« Ca suffit Cad’po ! Couché ! »

Crapo…

Le pokémon n’avait pas l’air de vouloir obéir, Florine me fit un signe de la main et j’ai compris que je devais utiliser son mentali.

« Mentali choc mental, vas-y molo quand même. »

Crapodaud était désormais paralysé et Florine s’approcha de la mare. Elle scruta rapidement la berge et dans un recoin boueux bien caché au milieu des roseaux elle trouva une cradopaud femelle accrochée à un œuf verdâtre.

« J’en étais sûre ! » Lâcha Florine avant de s’enfoncer dans la vase pour rejoindre la femelle crapodaud. La pauvre bête resserrait son œuf contre elle entre ses doigts palmés. Florine lui parla doucement et s’efforça de la rassurer. Elle prit son œuf avec d’infinies précautions et je me suis approché pour l’aider à sortir de la gadoue sans qu’elle fasse tomber l’œuf. C’était sans doute inutile, elle se débrouillait très bien toute seule. J’étais impressionné. Je n’avais pas vu Flo depuis des années et les détails de son caractère me revenaient entre deux corvées. Elle était d’une autorité dictatoriale, mais elle savait aussi parler sur un ton doux et tendre, surtout aux pokémon, mais parfois aux humains aussi. Des brides de souvenirs affectueux me revenaient de temps en temps. Florine m’invita à la suivre au laboratoire. On emprunta l’escalier en colimaçon de l’éolienne et elle me montra la pièce où elle rangeait les œufs de pokémon. Ils étaient alignés sur des étagères le long du mur à l’époque.]

« J’aimerais beaucoup voir cette pièce.

- Maintenant cette pièce ne contient plus que des pokéballs. Les œufs sont installés dans la couveuse spécialement créée dans l’annexe que Flo et son père ont fait bâtir par la suite. »

[Florine me fit travailler à ce rythme les jours suivants, même le week-end c’était le rush. C’était sa manière de m’occuper l’esprit pour ne pas que je pense à Justine. Ça marchait à peu près, même si ma visite de la couveuse m’a un peu remué. J’avais de la peine pour toutes ces femelles pokémon qui ne pouvaient pas couver elles-mêmes leurs œufs, mais Florine m’avait expliqué que c’était pour protéger les œufs des prédateurs et des voleurs. Tout est plus calme depuis la dissolution de la Néo-Team-Rocket mais des voleurs de Pokémon il y en a toujours eu et il y en aura toujours... Et puis ça m’a rappelé que Justine et moi on adorait s’occuper des bébés pokémon, en attendant d’avoir notre enfant à nous… Ah-hem. Enfin la semaine suivante, j’ai eu le plaisir de la compagnie du professeur Jacky Léon. Lui et sa femme se sont toujours montrés extrêmement bienveillants avec moi, bien avant la mort de Justine. Le professeur vint me voir au parc alors que je nourrissais les pokémon vol.

« Alors Sébastien tu t’en sors ?

- Ah bonjour professeur. Pas trop mal pour l’instant je pense.

- Et ça te plaît au moins ? J’ai l’impression que ma fille t’as un peu obligé à jouer les assistants… Tu ne dois pas te laisser exploiter tu sais.

- Oh ne vous en faites pas, j’adore les pokémon. Ici c’est plus technique mais ça me rappelle mon enfance, quand je devais aider mon père à s’occuper des pokémon de sa collection. Quant à Flo… Bah j’ai toujours été un peu à sa botte, déjà quand on voyageait ensemble, alors ça aussi ça me rappelle le bon vieux temps, ah ah ah… »

Je me grattais la tête avec mon air abruti. C’est ce jour-là que j’ai pris conscience que j’étais sans doute un peu maso sur les bords…]

« Ah tu en es conscient alors, c’est bien.

- Eh ! Un peu de respect pour tes ainés ! En plus tu voyages avec les jumelles, t’as rien à me dire : c’est deux pour le prix d’une… Hem. Je continue mon histoire… »

[Je me suis empressé de changer de sujet, pour éviter d’avoir l’air d’une grosse serpillère.

« Vous avez bien du courage vous et Flo de gérer le laboratoire vous-mêmes, il y aurait assez de travail pour cinq ou six personnes ici !

- Oui… Soupira le professeur. Mais depuis que Florine et moi sommes associés, elle refuse catégoriquement d’avoir un assistant.

Je m’étonnais de cette déclaration.

- Ah bon ? Mais elle semble contente que je sois là pour l’aider. Je pensais que c’était un problème financier qui vous empêchait d’embaucher du monde.

- Pas du tout, c’est parce qu’elle a confiance en toi. Tous les stagiaires qu’on a pris ne lui convenaient jamais. Sans parler que son caractère de groret leur fait peur… »

Cette fois ce fut au tour du professeur Léon de se frotter l’arrière du crâne avec un air confus. J’ai essayé de lui sourire, je suis plutôt doué pour réconforter les gens d’habitude mais avec la mort de Justine je n’étais pas vraiment la gaité incarnée à cette période-là…

« Je comprends mais je ne suis pas la personne idéale pour devenir un assistant de professeur pokémon, je ne suis pas très bon en sciences vous savez.

- Je crois que tu ne saisis pas bien le problème Sébastien. Florine et moi sommes des chercheurs, notre travail consiste à étudier les pokémon et à publier nos découvertes pour aider le monde entier. Mais la gestion du laboratoire nous prend tout notre temps, tu l’as bien vu. Et c’est sans compter le ménage, l’entretien des locaux, les finances, la distribution des pokémon starters aux nouveaux dresseurs, tous les ans c’est un tsunami en septembre et en juillet aussi avec la ligue pokémon. Il nous faudrait deux assistants pour gérer tout ça, Al m’aide beaucoup mais elle n’est plus aussi dynamique qu’avant… Par pitié ne lui répète pas ! On a aussi une vie après le travail, Al et moi ça va on est vieux maintenant, mais Florine a des enfants en bas âge qui ont besoin de leur mère. Les jumelles n’ont déjà pas de père, je trouve que Florine ne passe pas assez de temps avec elles. La plupart du temps c’est Al qui…

- Attendez une minute ! Qu’est-ce que vous voulez dire par : "elles n’ont pas de père" ? »

Le professeur Léon réalisa qu’il en avait trop dit, ça se voyait à la tête qu’il faisait. Et à mon avis il avait peur de se faire enguirlander par sa fille. On faisait tous la même tête moi, Greg, Alex et Sylvain quand on voyageait avec Florine et qu’on avait dit une bêtise.

« Ce n’est rien, je voulais juste dire que Florine était débordée et qu’elle est trop fière pour le reconnaître. Tu sais les papis s’inquiètent toujours pour leurs enfants et leurs petits-enfants.

- Professeur vous ne répondez pas à ma question. Qu’est-il arrivé à Sylvain ? »

Le professeur posa une main sur mon épaule.

« Je sais que tu tiens beaucoup à Florine et Sylvain, si tu t’inquiètes pour eux, commence simplement par faire ce que Florine te demande pour le labo, entendu ? »  

Ensuite le prof a détalé comme un laporeille. Cette discussion m’a beaucoup intrigué. J’ai commencé à me poser des questions. Je passais mes soirées à pleurer en pensant à Justine et quand Florine et moi on avait un peu de temps libre – quasiment pas à vrai dire – on ne parlait que de Justine, de Jessy et Jenny, parfois de Greg ou d’Alex, jamais un mot sur Sylvain. C’était… Etrange. C’était comme s’il n’avait jamais existé.]

Sébastien fit une pause dans son récit. Fry se demandait pourquoi.

« Ça va ?

- Oui… Je mets de l’ordre dans mes idées. En fait, encore aujourd’hui je me demande à quel moment mon espoir de séduire Florine a rené de ses cendres. J’ai parfois peur de la réponse.

- A cause de Justine ?

- Oui. J’ai l’impression d’être une mauvaise personne en ayant aimé deux femmes en même temps, surtout que l’une des deux était en train d’agoniser…

- J’ai que dix-sept ans, je ne suis pas capable de répondre à ça. Mais je crois que tu es plutôt une bonne personne.

- Merci Fry, répondit Seb avec un sourire franc.

- Et les filles dans tout ça ? Ça se passait comment avec Jessy et Jenny ?

- Justement ! J’y venais ! »

 

A suivre…

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