Les Train Twins

Chapitre 32 : Retrouvailles au Cap d'Azuria

11600 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/01/2022 13:30

Chapitre 32

 

Retrouvailles au cap d’Azuria

 

Le nouvel-an fut beaucoup plus calme que le réveillon de Noël. Antony, Izzy et leurs familles étaient rentrés au Plateau Indigo, ils fêtaient la Saint-Sylvestre avec des amis et en compagnie de Violine. Aline et son mari étaient partis pour Hoenn rendre visite à Félix, l’ainé de la fratrie Léon. Quant à Ondine et Sacha, ils étaient eux aussi partis rejoindre de vieux copains à Argenta, chaleureusement accueillis par le plus vieux d’entre tous : Pierre.

Habituellement, le réveillon de la Saint-Sylvestre était l’occasion Seb et Florine de revoir leurs anciens compagnons de voyage, Greg et Alex, mais avec l’attaque du laboratoire, leurs retrouvailles annuelles avaient été reportées. Ils ne pouvaient pas accueillir leurs amis dans de bonnes conditions et Florine ne voulait plus quitter son laboratoire. Al et Jacky également avaient renoncé à s’éloigner du Bourg Palette pour la même raison. Après le fastueux noël familial, le nouvel-an s’annonçait tristounet pour les Léon et les Lavandson. La seule animation digne de ce nom était le feu d’artifice tiré à minuit à l’entrée de la Route Victoire. Chaque année ou presque, une partie de la famille s’y rendait, Robin avait hâte d’y être, même s’il était déçu que Victoria ne soit pas avec lui.

« J’aime autant que Florine et moi on reste ici, après ce qui s’est passé au laboratoire… Ça ne vous dérange pas d’emmener Robin ? Demanda Seb à Fry et aux jumelles.

- Ouais, pas de soucis, répondit le jeune champion.

- Merci.

- Et tu ne fais pas de bêtise Robin, c’est bien compris ? Tu obéis à tes sœurs. » Ordonna Florine.

Fry ne pouvait s’empêcher de penser que Seb et Florine voulaient passer la Saint Sylvestre en tête à tête et que l’attaque du laboratoire n’était qu’un faux prétexte, ça se lisait dans leurs yeux. Même la professeure avait une attitude presque langoureuse, elle peinait à garder son air renfrogné. Le fait qu’Al et Jacky n’aient pas proposé à leur fille de leur tenir compagnie semblait également être un gros indice…

 

Dans la soirée, Jenny et Robin enfourchèrent Hadès, l’arcanin de Al, quant à Jessy et Fry, ils chevauchèrent Galop, et tous partirent en direction de Jadielle. Il faisait froid, les kantosiens s’en accommodaient, mais Fry avait toujours des frissons. Il était emmitouflé dans le pull que Jessy lui avait offert et il avait enfilé son k-way par-dessus pour couper le vent. Seb lui avait prêté des gants et une écharpe, mais même la chaleur du galopa ne suffisait pas à le réchauffer. Il se collait au dos de Jessy pour protéger son ventre de l’air froid et il la serrait plus fort que d’habitude entre ses bras. Jessy sentit la différence et elle devinait pourquoi. Elle avait envie de se moquer de lui, pourtant elle s’abstint. D’abord parce qu’elle essayait de se montrer plus aimable depuis leur dispute dans la Forêt de Jade, ensuite parce qu’elle se rendit compte que ce contact était agréable. Elle avait trop d’orgueil pour chercher des câlins ailleurs qu’auprès de ses pokémon, même avec sa sœur elle était devenue plus pudique qu’autrefois, alors elle profita du moment sans rien laissé transparaître de son plaisir.

Ils traversèrent la campagne gelée à la tombée de la nuit, malgré le froid Fry savourait le spectacle champêtre. Les échoppes du centre-ville étaient encore ouvertes pour la fête du nouvel-an, Jessy disparut un instant dans l’une d’elles. Alors que sa sœur la cherchait, Robin réclama à manger, Fry ne disait rien mais ses grands yeux brillants de ponchien quémandaient aussi. Jenny joua les grandes sœurs en achetant des marrons chauds, des pralines et des beignets pour tout le monde. Les petits goinfrex s’en allèrent s’installer dans le gazon des talus à la sortie de la ville, au milieu des autres badauds venus admirer le feu d’artifice au pied de la Route Victoire.

Paisiblement assis tous les quatre, Jenny profita de ce moment de quiétude simple et sereine pour poser sa tête sur l’épaule gauche de Fry. Le jeune homme lui jeta un bref coup d’œil avant de sourire aux lumières du ciel. A l’autre bout de la rangée, Robin se pencha un peu pour voir sa sœur contre Fry. Puis, il regarda avec une certaine nervosité son autre sœur, elle fixait les belles bleues. Après un bref moment d’hésitation, il posa sa propre tête contre l’épaule de Jessy. La rouquine se retint de sursauter. Elle posa ses yeux exorbités sur Robin, elle ne s’attendait pas à une marque de tendresse aussi soudaine et inattendue. Elle tourna la tête sur sa gauche à la recherche du regard de Fry comme un appel à l’aide. Elle ne savait pas comment réagir. Fry fit comme si de rien n’était en serrant un peu les dents, il avait du mal à ne pas rire. Avec une certaine maladresse, Jessy pencha la tête pour que sa joue se pose sur les cheveux blonds du petit garçon. Robin était heureux et Fry élargit son sourire avant de murmurer d’une voix suave à ses amies :

« Bonne année les Train Twins… »

 

Trois jours plus tard, Jessy attendit que Robin sorte de la bibliothèque avant d’y pénétrer elle. Fry était toujours au lit, mais il semblait sur le point de se réveiller car il remuait sous les draps. Elle s’approcha et se posa lourdement avec la grâce d’un mammochon sur le lit de Robin en face de Fry allongé par terre. Fry entrouvrit un œil, il avait reconnu ce pas léger quoi qu’indélicat.

« Jessy ?

- Tiens ! » Fit Jessy sur un ton bourru en lui tendant une petite boite à peine plus grosse qu’une pokéball emballée dans du papier brillant.

Fry leva lourdement son bras pour attraper le paquet et le ramener devant son visage. Il l’observa sous toutes les coutures. Lorsqu’il eut fini son inspection, il resta allongé mais se tourna sur le dos pour mieux voir son amie, elle le surplombait et le fixait de ses yeux bleu électrique, relativement doux et calmes cela-dit pour une fois. Elle était particulièrement jolie vu sous cet angle.

« Encore un cadeau pour moi ? S’étonna Fry.

- C’est bien ton anniversaire non ? »

Certes, c’était bien son anniversaire, mais comme il était né à peine une semaine et demi après Noël, il avait l’habitude que les gens omettent délibérément l’un des deux évènements. En général, seuls ses parents prenaient la peine de lui offrir deux cadeaux, et encore, les années où ils n’étaient pas en galère financièrement.

Fry se décida enfin à se redresser pour déballer son paquet. Il en sortit un galet granuleux gris-bleuté accroché en pendentif à une lanière de cuir, Jessy avait profité de leur petite virée nocturne à Jadielle pour l’acheter. Fry fronça brièvement les sourcils avant de bien identifier l’objet. Il retrouva son sourire malicieux.

« Une pierre stase, je suppose que c’est pour John. Tu as peur de perdre ton meilleur atout ?

- J’ai remarqué que tu ne combattais jamais avec lui, je me suis dit que c’était sans doute parce que tu ne voulais pas qu’il évolue… C’est plutôt toi qui as peur de perdre ton meilleur atout. »

Les deux ados se fixèrent un moment, Jessy était d’une intelligence surprenante parfois. Le sourire de Fry s’étira davantage pour devenir reconnaissant et sa voix s’adoucit encore.

« Merci Jess. »

Et, pour la première fois depuis leur rencontre, elle lui rendit son sourire mignon et charmeur.

 

Tout le monde lui souhaita son anniversaire, mais en dehors de la pierre stase de Jessy, il ne reçut comme seul autre cadeau qu’une rose rouge, de la part de Jenny. Il rit à gorge déployée en voyant la fleur, c’était plaisant et drôle à la fois. Jenny n’avait pas su résister, après tout Fry lui avait offert un bouquet de fleurs sauvages pour son anniversaire, elle se moquait de lui mais elle ne renonçait toujours pas à la séduction. Fry se sentit obligé d’embrasser Jenny sur la joue pour la remercier. Jane savoura la galanterie de ce geste qui lui plaisait autant qu’il l’irritait, elle était toujours friendzonée. Seb avait aussi préparé en cachette avec Robin et Al un énorme gâteau d’anniversaire riche en chocolat et en glaçage sucré.

Le souper fut frugal ce soir-là au Bourg Palette, après le diner de Noël, plus celui du nouvel-an et l’attentat diabétique de l’anniversaire de Fry dans la foulée, tout le monde en avait terminé avec les repas orgiaques. Alors que Seb s’asseyait à table après avoir servi un bol de soupe de légumes à tout le monde, il s’adressa à son épouse.

« Au fait Flo, tu as parlé aux filles de notre rendez-vous de ce week-end ?

- Non, je ne leur ai rien dit, j’avais oublié.

- Flo ! Rouspéta Seb, il en avait marre que Florine travaille trop, au point d’oublier ce genre de chose.

- Quel rendez-vous ? Demanda Jenny.

- Comme je vous l’ai dit à Noël, j’ai hérité d’une partie de la villa de Léo. Mais je ne pouvais pas faire grand-chose d’une moitié de maison, alors j’ai revendu ma part à l’un de ses autres héritiers. Il voulait vivre dedans avec sa famille, on doit aller leur rendre visite ce week-end. Vous voulez venir avec nous ? »

Florine dévisagea son mari en haussant un sourcil, Jessy avait la même expression. Florine n’avait visiblement aucune envie d’inviter ses filles, elle voulait simplement leur dire qu’elles seraient seules au labo ce week-end-là et qu’elles devaient faire attention. Quant à Jessy, malgré le joyeux noël partagé en famille, elle continuait de limiter au strict minimum ses interactions avec Sébastien. Cette invitation était superflue, elle dirait non de toutes façons.

« Ah ouais carrément ! » S’enthousiasma Fry en lâchant ses couverts, Jessy le fusilla du regard et Florine le regarda avec sidération.

« Euh, ce n’était pas à toi de répondre Fry… Dit doucement Jenny.

- Mais si bien sûr, s’il veut venir il peut ! Rétorqua Seb avec bonne humeur.

- D’accord, alors c’est ok pour moi aussi… » Fit Jenny, prise de court.

Elle jeta un coup d’œil à sa sœur, elle n’osait rien dire mais Fry mit les pieds dans le plat.

« Aller Jess, on y va tous ça va être sympa !

- Ouais tu pourras me montrer tes bons coins pour chasser les pokémon ! S’écria Robin avec enthousiasme.

- Roh, dis Seb ! Il y a encore la collection de pokémon rares de Léo là-bas ? Reprit Fry, des étoiles plein les yeux.

- Une partie. Après la mort de Léo, sa collection a été séparée. On en a quelques-uns ici si tu veux les voir…

- Punaise, ouais ! »

Aussitôt le repas terminé, les deux hommes et Robin sortirent de la cuisine pour retourner au laboratoire en travaux sous l’air déconfit des trois rousses.

« Man j’veux pas y aller ! Geignit Jessy.

- On va perdre notre temps… Soupira Jenny.

- Arrêtez de vous plaindre toutes les deux ! Grogna Florine. Ce sera votre première sortie en famille depuis plus de six ans, vous allez vous en remettre. »

 

C’est ainsi que toute la famille recomposée accompagnée de Fry Morgan se retrouva quelques jours plus tard sur la route d’Azuria dans un monospace électrique loué pour l’occasion. Seb au volant, Florine en copilote, Jessy et Fry à l’arrière et Jenny et Robin au fond sur les plus petites places de la voiture familiale. Jessy, accoudée à la portière, affichait une moue boudeuse dont elle avait le secret.

« J’comprends pas pourquoi t’as pris une voiture, on aurait pu y aller en pokémon vol, ça aurait été moins long ! Râla Jessy.

- On va rentrer très tard, il est hors de question de voler à dos de pokémon en pleine nuit, surtout avec Robin. Et je te rappelle que je suis encore blessée. Sébastien et moi on se relayera au volant.

- J’aurais pu le faire maman ! J’suis plus un bébé ! Déclara fièrement Robin.

- Ne contredis pas ta mère Robin… Le conseilla sagement son père.

- Les voitures ça pollue !

- Arrête de râler Jessy !

- C’est trop bien maintenant que je suis majeur je vais pouvoir picoler au repas ! Lança Fry sur un ton enjoué.

- Aucun ivrogne ne mettra le pied chez moi ou dans cette voiture ! Gronda Florine à l’adresse de Fry. Si tu bois un verre de trop tu dormiras au centre pokémon d’Azuria ! »

Jenny poussa un long soupir en regardant le décor défiler derrière la vitre. Le trajet paraissait encore plus long avec sa famille en train de se disputer.

Ils arrivèrent au Cap d’Azuria peu avant le coucher du soleil. Seb gara la voiture de location au bout de la route menant au plateau de la falaise d’Azuria.

Malgré les arbres dénudés, les sentiers boueux et le ciel plus pâle qu’en été, le décor restait charmant et bucolique, presque chimérique avec ses champs sauvages de perce-neiges s’étalant jusqu’au bord de la falaise, protégé par une longue clôture en fer forgé.

« C’est magnifique ici, déclara Fry avec son sourire de touriste émerveillé.

- Oui, le Cap d’Azuria a la réputation d’être le paysage le plus romantique de Kanto. On l’appelle le cap des amoureux, précisa Jenny.

- Et où se trouve la villa de Léo ?

- Là-haut. » Répondit Seb.

Fry leva les yeux, la seule construction visible à des kilomètres à la ronde était un grand et vieux phare. Le canal était désormais trop étroit pour être navigable, mais quelques siècles plus tôt, il y avait un port au nord d’Azuria et un phare avait été érigé sur la pointe du cap pour guider les navires. La lanterne au sommet fonctionnait toujours, même si sa luminosité était considérablement réduite. Il restait un repaire dans le paysage.

« Sérieux ? » Lâcha Fry en écarquillant les yeux.

Seb et Florine prirent la tête de la marche sur le sentier grimpant jusqu’au phare. Depuis le parking, il semblait tout près, mais en réalité le chemin était long et la côte en pente douce fatiguait tout de même les jambes. La vue sur la mer depuis le sommet de la falaise était incroyable. En contrebas, on apercevait une petite plage de sable fin donnant vers une crique à l’ouest. Le phare était immense vu de près et très ancien, malgré des restaurations multiples. Fry, plus sportif que les autres, fut le seul à ne pas arriver essoufflé. Robin avec sa vitalité de petit garçon ne s’en sortait pas trop mal non plus. Le blondinet leva les yeux vers la porte en bois majestueuse du bâtiment. Elle faisait plus de trois mètres et était recouverte de gravures de pokémon dans un style de la Renaissance classique. En belle place sur les battants, on voyait un arcanin dressé en haut d’un rocher, un pyroli à la toison épaisse enroulée dans sa propre queue, deux autres évolitions, un insécateur en pleine attaque, un nosferalto à l’œil féroce et de multiples pokémon légendaires.

« La classe ! Papa, pourquoi t’as pas gardé cette maison ? Elle a l’air carrément mieux que le labo ! S’écria le petit garçon.

- Robin ! » Aboya Florine mécontente en s’approchant de la grande porte.

Elle appuya sur le bouton rouge de l’interphone.

« Oui ? Fit une voix masculine un peu distraite dans le haut-parleur.

- Bonjour, je suis la professeure Léon, nous ne sommes pas trop en avance ?

- Ah ! Non, allez y entrez, la porte n’est pas fermée ! On descend ! »

Seb poussa la lourde porte et pénétra à l’intérieur, toute la smala à sa suite. Le hall d’entrée était digne d’une cathédrale. Les murs en pierres doublés de colonnes doriques s’achevaient sur des voutes en arêtes et arcs brisés. Les dalles du sol étaient immenses. Dans cette salle aussi il y avait quelques gravures, plus belles encore que celles de la façade, il s’agissait majoritairement de pokémon antiques, dont certains fossiles disparus comme kabutops et amonistar. Au bout de la salle, un escalier monumental menait à une autre porte, mais elle avait été retirée pour laisser la place à une ouverture en arche.

Ce décor splendide et magnificent était cependant en parti englouti, pour ne pas dire gâché, derrière une série de machines et de gadgets disposés de-ci de-là autour du long et large tapis rouge traversant la pièce. Ce seul passage restait soigneusement dégagé. Certaines machines étaient démontées et les pièces s’étalaient sur le sol. Plusieurs vidéoprojecteurs étaient accrochés au plafond et, dans une partie de la salle, deux canapés alignés laissaient supposer que parfois la pièce se transformait en home-cinéma, bien que l’agencement des projecteurs indique qu’ils avaient été installés dans un tout autre but que celui-là. Robin écarquilla ses yeux verts époustouflés.

« Wouuaaah…

- Punaise... Jura Fry impressionné.

- C’est trop cool ici. » Ajouta Jessy.

Leurs voix revenaient en écho un peu étouffé par le bazar installé dans le hall d’entrée.

« Oui… »

Jenny semblait encore plus rêveuse que les trois autres, elle en restait bouche bée. Seb aussi se lança dans les commentaires avec un large sourire.

« Ça fait très longtemps qu’on n’est pas venu ici, pas vrai Florine ?

- Oh oui...

- Où sont les nouveaux propriétaires ? Demanda Jenny.

- Je pense qu’ils vont arriver d’un instant à l’autre, c’est que c’est grand ici, répondit Seb tandis que Florine se tournait vers ses enfants et Fry.

- Bon alors tous les quatre vous vous tenez bien compris ?

- Oui maman ! Répondit chaleureusement Robin.

- Oui professeure.

- T’inquiète man. » Lança Jessy, les mains dans les poches. Jenny quant à elle, toujours très sage auprès de sa mère, se contenta de garder les bras joins devant elle.

Des pas résonnaient dans le couloir ouvert et une silhouette apparut en haut de l’escalier de pierre menant à la partie résidentielle. Sébastien leva la tête et vit un homme aux cheveux clairs et au visage fin surmonté de larges lunettes ovales descendre les marches une à une. Il arborait un grand sourire amical et portait une chemise ringarde à carreaux bleue et grise assez laide. En la voyant, Fry et les jumelles ne purent s’empêcher de penser à Scott, ils devaient aller chez le même fournisseur.

« Bonjour ! En toute logique vous devez être Sébastien et Florine ?

- En personne, répondit Florine avant d’ajouter sur un ton interrogateur : et vous, vous êtes bien Ciléo ? »

L'homme se mit à rire avec bonne humeur en tendant la main à Florine.

« Ah ah ! Inutile de me vouvoyer ! Léo était mon meilleur ami, et puisque vous étiez ses amis aussi, soyez les miens.

- No problemo Ciléo ! » Répondit Seb avec le même sourire que son hôte et en lui serrant la main à son tour.

Les quatre enfants restaient en retrait, discrets et calmes comme ils l’avaient promis à la professeure, mais les sourcils de Jenny se mirent à trembler en entendant ce prénom : Ciléo. Elle était l’unique membre des Train Twins à avoir percuté, c’était un prénom atypique et la seule fois où ils l’avaient entendu prononcer c’était dans l’Archipel Arc-en-Ciel. Ce nom, cette région et cette chemise ignoble, impossible que ce soit une coïncidence. Le visage de la jolie rousse palissait de seconde en seconde.

« On ne se serait pas déjà vu quelque part ?

- Sûrement au mariage de Félix ou à celui d’Aline.

- Ça doit être ça oui. Tu connais bien mon frère et ma sœur ? Renchérit Florine, une pointe de surprise dans la voix.

- Oui, nous les apprécions beaucoup tous les deux. »

Ce n'était pas Ciléo qui venait de répondre, mais une voix féminine surgie de l'escalier. Ils levèrent tous les yeux vers l’arche pour voir une femme aux longs cheveux châtains presque aussi touffus que ceux de Florine descendre à son tour, sa longue jupe d’hiver couleur bordeaux frôlait chaque marche.

« Bonjour, tu dois être Perle ? Supposa Sébastien, il n’avait échangé que des emails avec elle à propos des pokémon de Léo.

- Exact, la femme de Ciléo. » Répondit-elle en glissant affectueusement sa main dans celle de son mari.

Perle devait avoir approximativement le même âge que Seb, et Ciléo semblait un peu plus âgé.

« Nous avons rencontré Félix et Aline dans l’Archipel Arc-en-Ciel il y a pas mal d’années maintenant… Le temps passe vraiment trop vite, ajouta Ciléo.

- Perle, Ciléo, laissez-moi vous présenter ma famille.

- "Sa" famille ? » Tiqua Jessy avec un sourcil haussé.

Fry fut obligé de lui donner un coup de coude discret pour la rappeler à l’ordre.

« Ma professeure préférée et épouse Florine que vous connaissez déjà, ses deux filles Jessica et Jane, notre fils Robin et Fry, euh... Un ami. »

Les quatre enfants s’inclinèrent poliment, puis Ciléo reprit la parole.

« Ravis de vous rencontrer vous tous. Nous sommes vraiment très heureux que vous ayez accepté de nous céder votre partie de la villa. Pour mon travail c’est quand même plus pratique de vivre ici que dans les îles Sévii. Enfin… Je dois vous avouer que quitter mon archipel natal m’a donné du vague à l’âme. »

Avec un sourire doux, son épouse lui caressa la tempe en relevant quelques mèches de ses fins cheveux blonds pour le consoler. Ciléo et Perle semblaient être des gens calmes et posés, mais le plus frappant c’était la tendresse complice et pudique, presque chaste qui semblait les unir. Il y avait quelque chose de poétique et d’intemporelle dans leur relation.

A nouveau, des pas résonnèrent dans le corridor de pierres et Ciléo retrouva son sourire enthousiaste.

« Je crois que vous allez faire la connaissance de notre fils. »

Lorsque le garçon apparut au coin des marches, Jessy et Fry sursautèrent en même temps. Jenny avait beau avoir deviné l’épilogue de ces présentations depuis quelques minutes déjà, elle eut le choc de sa vie : Scott Network descendait les escaliers d'un pas timide. Ses yeux bleus qu’il avait hérités de sa mère se posèrent sur Jessy, puis sur Fry. Jenny eut le temps de se précipiter derrière Seb pour s'y cacher. Scott avait écarquillé les yeux en regardant les adolescents, il était aussi abasourdi qu'eux de les voir dans la villa de Léo.

« Scotty chéri vient saluer nos invités… » Demanda Perle d’une voix douce de maman galifeu.

Le petit technicien descendit encore plus lentement le reste des marches et ses joues commencèrent à s’empourprer. Il fit mine de ne pas avoir remarqué Jenny maladroitement dissimulée derrière son beau-père.

Fry avait toutes les peines du monde à ne pas se retourner pour regarder Jenny. Jessy quant à elle fixait Scott, une main sur la bouche, essayant de cacher au maximum son étonnement.

Derrière eux, Jenny tira violemment la manche de Seb.

« T’aurais pas pu me dire que les gens qui vivaient ici s’appelaient Network ?!? Vociféra la rouquine à l’oreille de Sébastien.

- Quoi ? Mais enfin Jenny qu’est-ce qui te prends ? » Demanda-t-il, perplexe.

Florine se tourna vers eux et réprimanda sa fille.

« Qu’est-ce que j’ai dit Jenny ? Tenez-vous correctement ! »

Jenny serrait ses poings, ils tremblaient de plus en plus au fil des secondes.

« Seb et ses idées stupides… Grommela-t-elle entre les dents.

- Psst ! Jenny viens, l'appela sa sœur à voix basse.

- Hors de question.

- Ne fais pas l’idiote ! Renchérit Fry. Tu crois qu’il ne t’a pas vu ? Viens. »

Jenny sortit timidement de sa cachette, les joues plus rouges qu’un écrapince. Scott s’avança entre ses deux parents, son visage avait la même couleur que celui de Jenny. Les deux adolescents évitaient soigneusement de se regarder. Pour briser ce silence gênant, Fry se décida à saluer leur ancien camarade sur un ton qu’il espérait sympathique.

« Salut Scott !

- Salut, ajouta simplement Jessy avec un petit signe de main.

- Salut vous… Vous trois. Hem… Réussit péniblement à articuler Scott.

- Vous vous connaissez ? Demanda Perle déconcertée.

- Ou… Oui maman.

- On s’est rencontré dans l’archipel Arc-en-Ciel, précisa Fry.  

- S’il vous plaît, ne le jugez pas trop durement, il est très timide, c’est presque maladif à ce stade. » Murmura Ciléo à l'oreille de Sébastien.

Le malaise entre les adolescents n’échappa guère à Seb, mais les trois autres adultes semblaient totalement imperméables à la situation.

« Maman ! Ils sont où les pokémon ? » Demanda Robin en tirant sur la chemise de Florine.

Son impolitesse eut le mérite de réchauffer l’ambiance.

« N… Ne commence pas Robin ! » Dit Florine sur un ton laissant supposer qu’elle s’attendait plutôt à devoir réprimander Jessy en premier, alors que pour l’instant c’étaient Robin et Jenny qui faisaient n’importe quoi.

« Scott, tu n’as qu’à emmener tes amis au point de vue derrière la crique, proposa Perle. Comme ça Robin verra des pokémon.

- Trop bien ! S’enthousiasma Robin.

- Euh… Ou-oui, d’accord… » Marmonna Scott, les joues toujours pourpres et les yeux cloués sur le pavement.

Il n’avait pas du tout envie d’aller dehors avec ses "amis", mais il n’avait pas non plus la force morale pour s’opposer à sa mère et surtout il fallait fuir toute éventuelle demande de détail sur la rencontre entre Scott et les Train Twins.

Ce qu’il désirait par-dessus tout, c’était filer en quatrième vitesse se cacher au sommet du phare ou au fin fond de son atelier, malheureusement il était coincé. Sans regarder qui que ce soit, il se dirigea tel un zombie maladroit jusqu’à la lourde porte et sortit de la villa. Robin s’empressa de le suivre au point de le bousculer.

« Fais attention dans l’obscurité Scotty, sors ton magnéti.

- Jessy, Jenny vous surveillez Robin ! Ne le laissez pas faire n’importe quoi ! » Gronda Florine avec autorité.

Jessy et Fry sortirent derrière Robin, mais Jenny ne bougea pas d’un pouce.

« On va vous faire visiter, proposa gentiment Ciléo. Ça doit faire des décennies que vous n’êtes pas venus ici. Ensuite on pourra parler de choses sérieuses.

- Je suis vraiment navrée de te prendre de court avec le laboratoire, s’excusa Florine.

- Ne t’en fais pas pour ça ! Ça fait partie de mon travail et puis j’adore ça les machines.

- Tu n’accompagnes pas avec ta sœur ? Demanda Seb à Jenny en baissant le ton pour éviter que les autres n’entendent.

- Non, répliqua Jenny avec une froideur inhabituelle avant de compléter avec une excuse bidon. Moi aussi je veux visiter le phare et je suis concernée par le labo.

- Ouais, ok… » Répondit lentement Sébastien.

Il n’était pas dupe, son sixième sens lui hurlait qu’il s’était passé un truc entre Scott et Jenny, mais ce n’était ni le moment ni le lieu pour cuisiner Jane sur le sujet.

 

Malgré plusieurs aventures sentimentales au cours de sa vie, Léo ne s’était jamais marié. Il n’avait pas de descendant direct. Toute sa fortune aurait dû revenir à sa sœur de Doublonville, mais il avait rédigé un testament dans lequel il partageait son héritage en trois : une part pour sa petite sœur, une autre pour son vieil ami d’enfance, le collectionneur Pascal Lavandson, qu’il avait finalement décidé d’attribuer à son fils Sébastien, et la dernière pour son meilleur ami de vingt-cinq ans son cadet, l’ingénieur Ciléo.

En matière d’informatique et d’électronique, Léo avait tout appris à Ciléo ou presque. Ciléo n’avait que dix ans lorsqu’il avait rencontré Léo pour la première fois, si la plupart des jeunes gens rendaient visite à Léo pour ses connaissances en matière de pokémon rares, Ciléo lui s’intéressait à Léo l’inventeur. Ciléo était un véritable génie, mais il avait aussi le cœur sur la main. Sur ces deux points, ils se ressemblaient beaucoup avec Léo, alors du statut de petit frère de cœur, il était passé à celui de meilleur ami. L’ingénieur portait une admiration sans borne à Léo, il l’aimait autant qu’il aimait Perle, alors sa disparition l’avait beaucoup affecté, même si sa grande pudeur le laissait peu transparaître.

Ciléo guida ses invités à travers le long corridor du corps de bâtiment. Il leur montra la cuisine, la salle de bain et la salle à manger ouverte sur un grand salon classieux. Les parents de Scott remplaçaient peu à peu le mobilier bourgeois par leurs propres meubles plus modernes, mais Ciléo avait du mal à se défaire de l’héritage sentimental de Léo. Le bureau et les chambres étaient à l’étage, plusieurs étaient destinées aux invités. Jenny fut soulagée d’apprendre que Florine avait refusé l’invitation à dormir sur place, après l’attaque de Jérôme Vecken, il était hors de question de laisser le laboratoire sous la seule surveillance de Al et Jacky toute une nuit. Jenny et Florine écarquillèrent des yeux ébahis en découvrant la bibliothèque sur deux étages installée devant la tour du phare. Les deux rousses eurent du mal à se détacher de cet Eden pour chercheurs, Seb fut obligé de les pousser vers la sortie. Ciléo les fit ensuite passer par une porte dérobée en métal au pied du phare, derrière l’escalier montait en colimaçon. Son sourire s’élargit en montrant cette nouvelle pièce grise percée de petites lucarnes où régnait un bazar électronique innommable, il semblait très fier de lui, ce qui amusait beaucoup Perle, elle aimait ce côté farfelu chez son ingénieur de mari.

« Ici c’était l’atelier de Léo. Scott et moi on s’approprie peu à peu les lieux.

- Scott veut devenir ingénieur aussi ? Demanda Seb.

- Scott est comme Ciléo, c’est un bidouilleur frénétique.

- En fait il est bien meilleur que moi au même âge. Mais parfois il m’inquiète un peu, si on ne vient pas le chercher, il peut passer des jours et des nuits entières ici ou là-haut parfois, sans manger ni dormir.

- Tu faisais exactement pareil autrefois. » Se moqua gentiment Perle. Ciléo fut obligé d’admettre avec un air gêné que c’était la vérité. Il se frotta l’arrière du crâne en riant d’autodérision.

Jenny posa les yeux sur l’établi encombré, elle reconnut le poké-radar que Kelly avait utilisé. Elle l’avait emprunté à Ciléo. Un deuxième prototype était posé à côté, celui-là aussi elle le reconnut : c’était celui que Scott essayait de fabriquer à partir du matériel de récupération.

Perle insista pour que Ciléo emmène Florine et Seb dans le phare et leur montre les salles de stockage de pokéballs ainsi que la collection d’œuvres d’art de Léo. Jenny ne les suivait pas. Elle était restée figé dans l’atelier, devant tous les projets en cours ou inachevés de Scott et son père. Quand elle se décida à bouger, elle préféra retourner dans la si attirante bibliothèque, elle serait au calme et dans son élément au moins.

 

Pendant ce temps, Scott jouait les mauvais guides touristiques au Cap d’Azuria. Il ne savait pas où aller, ne parlait pas et fixait ses chaussures en tapotant nerveusement son inhalateur au fond de sa poche de veste. Jessy devait surveiller attentivement Robin, il avait l’air prêt à foncer à l’aveugle dans les hautes herbes. Entre la falaise abrupte et la luminosité qui baissait, le coin était magnifique mais dangereux pour les enfants désobéissants.  

« Alors Scott, qu’est-ce que tu fais de beau ici ? Demanda Fry avec bonne humeur pour essayer de détendre l’atmosphère.

- M-moi ? Ah ben je… Je fais comme d’habitude les ma… Machines à transfert tout ça, enfin je, euh… Je bricole. » Réussit péniblement à sortir Scott.

Fry et Jessy échangèrent un regard entendu, ils étaient médusés par l’attitude fuyante de Scott, elle dépassait de loin sa timidité initiale.

« Désolé, reprit Fry. C’est vrai qu’on débarque un peu à l’improviste, si on avait su que tu habitais là on t’aurait prévenu, j’ai toujours ton numéro.

- Non-non c’est pas, pas… Pas grave. Je-je savais que la professeure Léon devait venir avec son mari mais je ne savais pas que vous étiez là, parce que je, enfin je ne savais pas que vous étiez retournés au Bourg Palette… Ah ! Mais ce n’était pas la peine de prévenir dans tous les cas, enfin je veux dire vous n’y êtes pour rien et je n’ai pas de repro… Ah ! Enfin je veux dire, c’est pas un problème, euh, pas un problème du tout du tout ! Mais que je… Ah ! Et vous ne me dérangez pas ! C’est ça ! Pas du tout ! Je suis désolé si je vous ai fait penser que… Je… Je m’excuse ! Pardon ! Ce n’était pas… Euh…Je… Je… Euh je… Je ne sais plus ce que je disais. » Finit-il par avoué sur un ton lent et pitoyable au bout de son débit effréné de paroles incohérentes rythmé de tics de langage qu’il n’avait absolument pas en temps normal.

Après un bref silence de malaise, Jessy soupira bruyamment dans un semi-grognement.

« Booon… On n’va pas tourner autour du pot pendant des heures. » Commença Jessy de sa voix forte, elle préférait crever l’abcès au plus vite.

« Ecoute Scotty, nous on s’en fout de ce qui s’est passé avec ma sœur, vraiment. Juste avant que tu disparaisses dans la nature on voulait te proposer de venir à Sinnoh avec nous.

- Ah… Ah bon ? Balbutia Scott perplexe.

- Ouais. Alors pt’être qu’on débarque à l’improviste comme le dit Fry, mais personnellement je suis très contente de te revoir.

- Oui moi aussi ! Ajouta aussitôt Fry avec un sourire rassurant et Scott finit miraculeusement par sourire à son tour.

- Mer… Merci… Moi aussi je suis…

- On va voir les pokémon oui ou non ? Râla Robin d’une voix forte.

- Tu vois pas qu’on cause de choses sérieuses ? Râla Jessy d’une voix encore plus forte.

- Nan ! » Répondit Robin avec aplomb.

Son séjour auprès de Jessy lui faisait prendre de mauvaises habitudes.

« Maman t’as pas demandé de te tenir correctement ?

- Euh… Si je me souviens bien, Jenny m’a dit que tu aimais les pokémon spectre ? Intervint le timoré Scott à l’adresse du petit garçon.

- Oui ! J’ai même un fantominus !

- Oui, c’est… Cool. » Dit finalement Scott après un instant d’hésitation.

Malgré sa gentillesse naturelle, il avait du mal à communiquer avec les enfants.

« A la tombée de la nuit, il y a plein de fantominus qui viennent se promener par ici.

- C’est vrai ? Trop bien ! S’enthousiasma Robin. Jessy ! Tu crois que maman voudra bien qu’on reste là pour voir les fantominus ?

- T’as rien écouté dans la voiture. Maman a dit qu’on rentrerait tard, tu vas les voir tes fantominus…

- Ouais !

- Ok, alors c’est par là… » Scott leur indiqua la direction nord du Cap d’Azuria, vers un bosquet dense.

Troublé, Fry laissa Jessy suivre seule Robin, il courait devant eux comme un zigzaton foufou. Le champion posa une main sur l’épaule de Scott pour l’interpeler avant que ce dernier n’accélère le pas pour éviter de se faire semer par ses invités.

« Attends, tu savais que les jumelles avaient un frère ?

- Oui, Jenny me l’avait dit. Euh… Ça ne va pas Fry ? » Ajouta Scott, un peu perturbé par l’expression de son ami.

Fry regardait d’un air absent Jessy et Robin en train de se chamailler au milieu du décor idyllique.

« Pourquoi elle te l’a dit à toi et pas à moi ? Pensa Fry à voix haute.

- Euh… De quoi tu parles ?

- Non, rien, laisse tomber. »

Fry se pressa pour rejoindre Jessy et Robin. Le gamin furetait partout à la recherche d’un pokémon, Jessy était la seule suffisamment dynamique pour arriver à le suivre au même rythme.

« Trouvé ! » Cria Robin sur un mimitoss caché dans les herbes hautes.

Le pokémon effrayé s’enfuit en relâchant un jet de spores. Jessy attrapa Robin par le col et le tira en arrière tandis que la course de Mimitoss faisait s’envoler quelques papillusions butinant tranquillement à proximité.

« Fais gaffe crétin ! Les pokémon sauvages sont plus dangereux que ceux du labo !

- Je l’sais bien ! Mais c’est qu’un mimitoss !

- Tu parles ! Si tu respires du para-spore c’est moi que maman va engueuler ! Sors au moins ton salamèche pour te défendre ! »

Robin suivit le conseil de sa sœur et laissa sortir Red et Mémo.

« Et attention de ne pas mettre le feu aux broussailles !

- Sala sala ! Acquiesça le salamèche.

- Bon ils sont où les fantominus ? S’impatienta Robin.

- Fan-fan !

- Mais non pas toi Mémo !

- Le soleil n’est pas encore couché, dit Jessy en jetant un coup d’œil vers l’Ouest crépusculaire. Mais si tu continues de crier ils ne viendront pas. Le coin est calme normalement. »

Un peu en retrait, tous deux les mains dans les poches, Fry et Scott regardaient leur amie avec son petit frère.

« Je suis étonné, Jenny m’avait dit que Jessy et Robin se détestaient, mais ça a l’air d’aller plutôt bien entre eux, dit finalement Scott.

- Il s’est passé plein de trucs ces derniers temps, je crois que ça nous a tous un peu transformé.

- L’attaque du laboratoire ? Releva Scott.

- Pas seulement, ça c’était plutôt la baie ceriz sur le gâteau… » Répondit Fry en repensant à Jessy en pleurs dans ses bras lors de leur randonnée dans la Forêt de Jade.

« Vous étiez là pendant l’intrusion ? Vous n’avez pas été blessés ?

- Non il n’y avait que… »

Fry se tut. Parler de la séquestration de Jenny ne lui semblait pas du tout une bonne idée. Scott avait l’air très inquiet, pourtant il devait bien voir que Fry était en pleine forme, tout comme Jessy et Robin, donc s’il était préoccupé c’était pour Jenny. Fry réfléchit le plus vite possible pour donner une réponse rassurante à Scott.

« Aucun de nous n’a été blessé, et moralement ça va aussi, même si avec les filles c’est toujours un peu difficile à savoir… Je t’assure que ça va.

- D’accord. »

Scott retint un petit soupir de soulagement, il conservait une mine triste malgré tout, Fry se disait qu’il aurait préféré que Jenny le rassure elle-même. Curieux, le magnéti de Scott s’en alla faire la conversation avec salamèche et fantominus.

« Magni-gni !

- Salaaa !

- Fanto !

- Eh Scott ! T’as d’autres pokémon à part magnéti ? Cria Robin.

- Je t’ai dit d’arrêter de gueuler… Soupira Jessy et Scott s’approcha.

- Oui, un pijako et un clic.

- Trop cool le pijako ! Mais c’est tout ? T’es pas un dresseur ?

- Pas vraiment non, ce sont mes pokémon domestiques et mes assistants pour le travail.

- C’est trop bizarre.

- Qu’est-ce qui est bizarre ?

- Comme tu connais mes sœurs, je pensais que t’étais comme Fry. »

Robin pointa le champion du doigt, il était en train de parler à Jessy avec un sourire à la Reese Morgan, c’était de plus en plus fréquent. Elle lui répondait les bras croisés en essayant de se donner un air sévère, mais elle était de bonne humeur, ça se voyait. Fry avait raison, Scott trouvait qu’ils avaient un peu changé tous les deux. Les voir en vêtements d’hiver devait amplifier son impression comportementale.

Scott se sentait obligé de faire la conversation avec Robin.

« Jenny m’a dit aussi que tu as un évoli ?

- Ah oui ! Tu le savais ? Elle est trop cool ma Vivi !

- C’est une femelle ? Tu sais que les évoli étaient le pokémon préféré de l’homme qui vivait ici ?

- Comme mamie ! C’est elle qui m’a offert Vivi et elle a donné un évoli à Jenny et Jessy.

- Oui je sais, euh… Et tu voudrais qu’elle évolue en quoi ton évoli ?

- J’sais pas encore. Papa a un mentali trop cool mais j’adore aussi pyroli, nymphali et noctali. J’devrais attendre pour trouver la meilleure évolition et composer une top-team, mais j’ai aussi envie que Vivi choisisse ce qu’elle veut devenir toute seule, après tout c’est sa vie à elle. »

Scott s’immobilisa un instant, le jeune Robin venait de le surprendre par sa gentillesse et sa sagesse. Il découvrait que parler avec des enfants ne réservait pas que des mauvaises surprises.

Fry regardait par intermittence Scott et Robin discuter joyeusement ensemble. Ils étaient très différents, le jour et la nuit pourrait-on dire, pourtant c’était comme s’ils se connaissaient déjà. Scott savait plein de choses sur Robin : quels étaient ses pokémon, qu’il voulait devenir professeur pokémon, qu’il ne s’entendait pas avec Jessy… Plus Fry les écoutait, plus il les observait, et plus son malaise grandissait. Il avait du mal à maintenir son sourire de beau gosse pour taquiner Jessy.

« Eh ! L’interpella la rouquine avec une petite tape pour le sortir de sa rêverie. Ça va pas ? Tu fais une drôle de tête.

- Hein ? Ah… Euh, ouais ça va. » Répondit Fry de manière évasive.

Il ne savait pas trop comment aborder le sujet, en fait il voulait surtout parler à Jenny. Jessy n’insista pas, bien qu’elle ne soit pas convaincue par la réponse de Fry.

La pénombre chassait la lumière et envahissait le Cap d’Azuria. Les fantominus finirent par pointer le bout de leurs petits crocs, Robin était ravi. Jessy laissa sortir Pit et Fry Katy pour avoir un peu plus de lumière que le spot du phare, la queue de salamèche et le rayonnement de magnéti. Mémo fit connaissance avec ses congénères, Jessy en profita pour laisser sortir Lucario, elle avait remarqué qu’il aimait bien la compagnie des spectres. Robin était sur son petit nuage entre son ami lucario et la nuée de fantominus.

Scott put découvrir la bête de Verchamps de ses propres yeux. Jessy lui raconta leur mésaventure à Sinnoh et Fry s’excusa platement pour la perte de son générateur, Scott leur répondit que ce n’était pas grave.

« Vous allez rester longtemps à Kanto ? Demanda-t-il, enfin décontracté.

- On repart à la fin du mois, dit Jessy. On prend le bateau pour Hoenn.

- Vous continuez les concerts ?

- On a dû faire une pause forcée à cause de lucario, mais avec notre nouveau matos on va pouvoir s’y remettre sérieusement.

- J’ai hâte de vous entendre à nouveau. »

Jessy lui sourit chaleureusement, Scott réalisa à cet instant que Fry et Jessy lui avaient manqué, plus qu’il ne l’aurait cru. Evidemment, après s’être fait éconduire violemment par Jenny, il avait eu le cœur brisé et il n’avait pensé qu’à elle pendant des mois. Il n’avait pas pris conscience de l’attachement profond qu’il éprouvait aussi pour les deux autres adolescents.

 

Scott était de bonne humeur en revenant de balade avec ses trois invités, mais une fois en présence de Jenny, il se referma comme un crustabri. Au diner, Scott s’était mis en bout de table, en face de Jessy et à côté de Robin. Fry était assis entre Jessy et Jenny, en face de Robin. De cette manière, Jenny était suffisamment loin de Scott pour qu’ils n’aient ni à se regarder, ni à s’adresser la parole. Malgré cela, Scott se sentait tellement mal qu’il mangeait à peine. Au milieu du plat de résistance, il se leva de table et profita que sa mère soit isolée dans la cuisine pour lui demander l’autorisation de quitter le repas et le salon. Il n’avait pas été élevé de manière guindée, mais il ne voulait pas paraître grossier devant la professeure Léon et Sébastien, ni mettre ses parents dans l’embarras, alors il préférait prévenir sa mère. Perle ne comprenait pas bien la situation, elle savait que son fils était un grand nerveux, mais sans savoir ce qui s’était passé entre Jenny et Scott, sa réaction restait bien mystérieuse à ses yeux. Scott fila à l’étage, toujours avec cette attitude de fuite digne d’un fouinard peureux. Fry le regarda s’enfuir avec compassion.

« Bah pourquoi il s’en va ? » Demanda Robin d’une voix forte, il était encore trop jeune pour faire preuve de subtilité.

Fry et Jessy reportèrent leur attention sur Jenny, elle continuait de fixer son assiette sans rien laissé paraître, si ce n’est qu’elle n’arrivait pas à afficher son sourire courtois habituel.

A l’autre extrémité de la table, Florine était en grande discussion avec Ciléo à propos des dégâts causés par Jérôme Vecken à son laboratoire. Avant l’arrivée du dessert, Robin ne tenait plus en place et Seb dût trouver un moyen de l’occuper. Fry ruminait depuis un bon moment, alors dès que les deux Lavandson eurent quittés la table, laissant le jeune champion de la Ligue Orange en tête à tête avec les jumelles, Fry se tourna vers Jenny.

Jessy remarqua immédiatement qu’il n’était pas content, ça lui rappela sa randonnée dans la Forêt de Jade. Elle prit bien soin de regarder ailleurs, soulagée qu’il s’en prenne à quelqu’un d’autre cette fois ci.

« Pourquoi tu as dit à Scott que t’avais un frère mais que tu ne m’en as pas parlé à moi ?

- Je n’en sais rien, répondit franchement Jenny. Je lui ai dit parce qu’on parlait de choses et d’autres.

- De choses et d’autres… Répéta Fry avec un rictus.

- Tu nous en veux toujours pour Robin ? Demanda Jenny d’une petite voix.

- Non, enfin je n’en veux plus à Jessy. J’ai compris qu’elle souffrait. »

Jessy rougit en entendant les mots de Fry, elle était à la fois un peu émue par son empathie, mais aussi blessée dans son orgueil. Elle détestait montrer ses faiblesses aux autres, or Fry avait eu le droit à un craquage complet dans les bois, ça les avait rapproché, même si elle avait toujours du mal à assumer cet aspect de sa personnalité devant lui.

Fry continuait son explication, sourcils froncés face à Jane.

« Mais toi tu l’as dit à Scott. Par contre moi j’ai dû attendre de tomber nez à nez avec Seb et son fils pour être mis au parfum. C’était pas cool pour moi, en plus de ne pas être cool pour eux.

- Encore une fois je suis désolée… Soupira Jenny avant de tenter d’amadouer Fry avec son jolis minois. Je ne comprends pas bien ce que tu me reproches. Tu es… Jaloux ?

- Ouais, répondit Fry après un bref instant de réflexion. Ouais, jaloux et vexé. »

Jenny cligna des yeux, estomaquée, elle crut avoir enfin une ouverture avec Fry, ce qui était déjà inattendu en soi, mais en plus il osait tenir ces propos devant témoin. Jessy jeta un coup d’œil furtif à Fry, elle refusait obstinément de se mêler de la conversation. Jenny hésita un peu puis, avec un sourire charmant et faussement timide, elle avança sa main vers celle de Fry. Le jeune homme retira la sienne brutalement avec un profond agacement, décidément Jenny ne comprenait rien.

« Arrête avec ça ! Jessy m’a avoué qu’elle me considérait comme un ami et moi aussi je tiens à vous.

- T’es pas obligé de lui raconter tout ça… Ronchonna Jessy avec gêne.

- Mais je dois le prendre comment lorsqu’une de mes meilleures amies préfère se confier à un type qu’elle a traité de chétiflor malade plutôt qu’à moi ? »

Jenny cherchait ses mots, elle ne savait pas quoi répondre à ce reproche la replongeant six mois en arrière. Elle trouvait cela injuste et contreproductif, en plus elle avait une impression de déjà-vu.

« Bien sûr que tu es mon ami et Scott aussi était mon ami, ça remonte à des mois tout ça. Tu ne peux pas me reprocher ça maintenant, ce n’est pas juste.

- Tu veux que j’te dise ce qui est injuste ? Scott n’a pas oublié ce que tu lui as raconté sur Robin. Il a été lui montrer les fantominus dehors et il lui a parlé de son évoli. Il m’a demandé si tu n’avais pas été blessée dans l’attaque du laboratoire, il s’inquiète pour toi. Toi, depuis que t’es arrivée, tu ne lui as pas adressé une seule fois la parole.

- Mais enfin pour lui dire quoi ? C’est méga gênant comme situation au cas où tu n’aurais pas remarqué ! S’exclama Jenny.

- Tu ne devais pas t’excuser auprès de lui par exemple ?

- Il… Il se planque dans son trou, comme d’habitude, marmonna Jenny.

- Bah t’as qu’à chercher après, répliqua Fry.

- C’est vrai que c’est pas comme si c’était sa maison… Il ne doit pas être bien loin, commenta Jessy sans les regarder.

- Vous m’emmerdez ! » Lâcha sèchement Jenny avant de se lever de son siège et d’ajouter :

« Je vais au petit coin. »

 

D’un pas raide, Jenny s’en alla arpenter les couloirs sombres de la villa du phare. L’éclairage était tamisé et douillet dans les pièces principales, mais dans les espaces de circulation il ne s’agissait que de petites lanternes ou plutôt des veilleuses accrochées aux murs pour rappeler l’usage initial du phare désormais transformé en villa. La jeune fille grommela toute seule à voix haute, elle était tellement remontée qu’elle devenait presque aussi vulgaire que sa jumelle.

« C’est pas vrai… Mais où sont les toilettes dans ce phare à la con ? »

Elle avait fait une partie de la visite avec ses parents, mais elle était tellement préoccupée par la présence de Scott qu’elle n’avait pas fait attention à toutes les pièces, or les WC n’étaient pas ce qu’il y avait de plus intéressant à voir dans la villa de Léo.

Jenny s’arrêta de marcher, agacée. Elle avait surtout besoin de se calmer, soulager sa vessie passait au second plan. Elle avait traversé l’intégralité du long corps principal et s’était retrouvée au pied de la tour du phare. C’est alors qu’elle entendit quelque chose de lointain dans le silence des murs de pierres. Ça ne ressemblait pas à des voix humaines ou des cris de pokémon, elle dressa l’oreille.

« De la musique ? » Murmura Jenny pour elle-même.

Elle ferma les yeux pour mieux écouter. Un piano… Jenny se demanda d’où cette mélodie pouvait venir. Elle se laissa guider par ses oreilles. Oubliant son envie d’uriner, qui n’était dans le fond qu’un prétexte pour abandonner Jessy et Fry, elle s’enfila dans l’escalier en colimaçon. La mélodie résonnait fortement à cet endroit construit tout de pierre et de métal. Jenny avait interrompu sa visite au niveau de l’atelier, elle n’avait donc pas exploré la tour du phare. Irrémédiablement attirée par cette musique douce, romantique et chargée d’émotion, elle entreprit de gravir marche après marche le long escalier menant jusqu’au sommet du phare. Cette musique, Jenny la reconnut au bout d’un moment, c’était un extrait de "Wicked games" de Chris Isaak, une vieille chanson sur les amoureux désabusés. Le son était clair, puissant, il ne s’agissait pas d’une musique numérique ou d’un vinyle, quelqu’un jouait sur un vrai piano, un piano de qualité de surcroît.

En arrivant près du sommet, la luminosité s’intensifia dans l’escalier. Jenny émergea sur un petit palier en forme de croissant bien éclairé bordé d’une barrière en tuyaux d’acier. Le son du piano remplissait la pièce. Un escalier plus petit permettait de contourner un énorme cylindre noir au-dessus duquel était installée l’ancienne lanterne du phare. Lentement et sans bruit pour ne pas déranger le musicien, Jenny gravit les dernières marches. Elle contourna doucement le mur courbe pour enfin découvrir le piano et son musicien de dos.

Jenny posa son regard sur le jeune homme blond assis devant le clavier, il laissait aller ses mains sans hésitation. Ses yeux s’agrandirent quelques peu lorsqu’elle comprit que c’était bel et bien Scott. L’esprit embrumé, elle finit par se dire que c’était évident, puisqu’il n’y avait que lui et ses parents dans la villa, mais elle ignorait qu’il savait jouer d’un instrument, alors son cerveau n’avait pas eu l’occasion de faire cette simple déduction. Le jeu de Scott était d’une telle fluidité et sans fausse note qu’il était clair qu’il ne débutait pas la musique depuis peu.

Scott entama un autre morceau. Jenny ne le connaissait pas celui-là, il était un peu sec et raide au début, un peu énervé aussi, puis il filait au rythme d’une conversation rapide pleine de révélations lâchées à l’emporte-pièce, tantôt langoureux et mélancolique, tantôt romantique, presque passionné. C’était un morceau envoutant, construit bizarrement mais envoutant. Jenny avait presque l’impression d’entendre Scott parler, débitant ses connaissances sur la technologie avec entrain, puis s’arrêter brutalement, hésitant et tourmenté par une phrase de trop. Elle hésitait à repartir de peur qu’il ne l’aperçoive, mais cette nouvelle musique l’intriguait. Il reprit le morceau en boucle, c’est alors qu’elle entendit la petite voix fébrile de Scott fredonner les paroles par-dessus les notes. Sa stupéfaction la cloua à nouveau sur place.

« Je suis rentré,

Seul, triste, désabusé,

J’ai tout retrouvé, tout comme je l’avais laissé,

Ce vide, ce rien,

Mais je vais bien.

Un truc cloche, une sensation,

Une ombre approche, je sens une tension,

Je me retourne, tu n’es pas là.

Je me retourne, je ne t’entends pas.

Je n’arrête pas d’y penser,

A chaque seconde de chaque journée…

Je ne veux plus voir personne d’autre.

Je ne veux plus rien sentir d’autre.

Je ne veux plus de quelqu’un d’autre.

Je sens encore ta peau contre moi…

Et la caresse de tes doigts…

Je n’ai pas pas oublié ta voix…

Je ne veux plus voir personne d’autre.

Je ne veux plus rien sentir d’autre.

Je ne veux plus de quelqu’un d’autre.

Non, je ne veux plus de quelqu’un d’autre… »

Les mains de Scott glissèrent du clavier pour se poser lourdement sur ses genoux, la dernière note aigue et triste résonnait encore comme un cri d’appel à l’aide dans la lanterne. Le garçon releva la tête dans un geste modéré, il lui sembla avoir entendu un bruit, alors il se retourna. Personne, il avait dû rêver. Il pivota à nouveau la tête pour faire face au piano, mais il ne le regardait pas, il regardait par dessus, vers les immenses vitres donnant vue sur la mer et l'horizon loin au-delà du Cap d'Azuria, hélas, la nuit était tombée et il n’y avait plus que l’obscurité. Il soupira.

Dissimulée derrière la palissade séparant le coeur de la lanterne de l'escalier, Jenny attendit quelques secondes avant de se décider à redescendre les marches, à pas de chaglam, pour ne pas se faire remarquer par Scott. Elle avait déjà eu de la chance de pouvoir se cacher avant qu'il ne se retourne. Elle était perturbée, bouleversée presque. Revoir Scott était gênant, mais en plus, comme lors de leur première rencontre, ses talents cachés jaillissaient sans crier gare aux yeux de la jeune fille et elle se perdait dans la perplexité. Par-dessus le marché, l’émotion de cette chanson qu’elle n’avait jamais entendue de sa vie lui avait remué l’estomac, elle restait mélomane dans l’âme et elle savait reconnaitre une belle chanson. La tendresse et l’amertume que Scott injectait dedans avec sa voix délicate ne faisait que la rendre encore plus poignante, elle n’était pas préparée à entendre un truc comme ça.

Elle trouva par hasard des toilettes au pied de la tour, près de l’atelier, et s’y précipita pour s’y soulager dans tous les sens du terme. Elle resta assise, habillée, sur la lunette un long moment, en se prenant la tête entre les mains. Scott avait l’air tellement pathétique, elle se sentait rattrapée par la culpabilité et la colère… C’était de sa faute, mais qu’y pouvait-elle réellement ? Même si elle avait su garder son calme, elle ne pouvait pas lui dire oui par pitié, dans tous les cas elle lui aurait fait du mal. C’était une sensation extrêmement désagréable.

 

En sortant des toilettes, elle tomba sur Scott, il venait de descendre l’escalier. Les deux ados se croisèrent accidentellement du regard, figés comme des cerfrousses. Scott, rouge de honte et mal à l’aise, se retourna très vite en voutant le dos à la manière d’un vieux tarpaud. Il voulut s’éloigner de Jenny le plus rapidement possible et remonter dans sa tour d’ivoire, mais la jeune fille, spontanément, l’interpella. Son esprit vif lui avait indiqué que c’était le moment ou jamais de rétablir le dialogue.

« Scott !

- Ah ! Ou-oui… Oui ?!? »

Le jeune homme se redressa brutalement, il ne s’attendait pas à entendre Jenny s’adresser à lui de la soirée, encore moins prononcer son nom. Il était encore plus stressé que le jour de leur rencontre sur l’île quatre, Jenny ne pouvait s’empêcher de se sentir responsable. Lui qui était si détendu avec elle avant qu’elle ne lui hurle dessus… Il avait régressé et c’était entièrement de sa faute.

« Relax… Dit-elle avec un soupir fatigué. Je voulais juste m’excuser.

- Pour… Pourquoi ?

- Pour la façon dont je t’ai parlé la dernière fois que l’on s’est vu. J’aurais dû… Te répondre en douceur. Tu sais, j’ai voulu m’excuser, mais quand je suis allée voir dans ta chambre tu étais déjà parti, alors…

- Oh non non-non-non-non, ne t’excuse pas ! Se précipita Scott, rouge comme une pivoine. J’avais besoin que tu me remettes à ma place.

- A ta place ? Non Scott ! Tu…

- C’est à moi de m’excuser ! Pour t’avoir mise dans l’embarras ! »

Il s’inclina humblement, le dos raide, il était véritablement confus.

« Je m’excuse de t’avoir filé la honte. Je… Ma déclaration était maladroite, je n’aurais jamais dû dire un truc pareil en public, je savais très bien que tu ne m’aimais pas. Je te promets que je ne recommencerai pas. »

Jenny ne savait pas quoi dire, Scott se redressa et lui sourit avec beaucoup de gêne mais aussi de la bienveillance, c’était vraiment quelqu’un de gentil. Ses paroles lui faisaient de la peine, pourquoi s’excuser d’avoir exprimé ses sentiments ? Jenny avait été méchante, un simple non aurait suffi, avec le temps elle en avait pleinement pris conscience, alors elle culpabilisait de plus bel.

« Et tu as bien fait de me le dire comme ça, ajouta Scott avec une reconnaissance masochiste. Ça m’a rappelé qui j’étais et ce… Ce qu’il faut que je change.

- Non je n’ai pas bien fait de te parler comme ça ! » Répondit Jenny, Scott lui faisait trop mal au cœur pour qu’elle se taise plus longtemps.

Elle l’agrippa par les épaules avec vigueur comme l’aurait fait Jessy et le força à la regarder dans les yeux. Elle se retenait pour ne pas le secouer comme un arbre à noigrumes.

« Tu dis que je ne t’aime pas, mais ce n’est pas aussi simple ! Je ne suis pas amoureuse de toi, c’est vrai, mais je tiens à toi, énormément. Tu es mon ami et on ne traite pas ses amis comme je l’ai fait, en aucun cas ! Tu m’as prise au dépourvu et j’ai sur-réagi. Je te demande sincèrement pardon pour toutes les horreurs que je t’ai dites. Tu ne peux pas savoir à quel point je m’en veux de t’avoir fait du mal… J’accepterai tes excuses uniquement si tu acceptes les miennes d’abord. S’il te plaît. »

Scott se sentait apaisé, il n’avait plus son regard d’amoureux transi, même s’il rougissait un peu en sentant les paumes de Jenny sur les manches de son pull. Les mots de la belle rousse lui redonnèrent un peu de sa confiance en lui. Il hocha positivement la tête en agrandissant son sourire.

« Oui… Oui bien sûr que je les accepte. »

Jenny soupira en lui rendant son sourire, il lui semblait qu’un poids s’envolait de ses épaules en même temps que ses mains sur celles de Scott. Elle avait envie de le serrer dans ses bras en signe de réconciliation, mais elle se ravisa très vite, ce n’était pas du tout une bonne idée pour lui. Alors ils se contentèrent de se regarder en couafarels de faïence. Un long silence s’installa, Jenny cherchait quelque chose de gentil à lui dire qui ne les mettrait pas dans une nouvelle position ambiguë. Elle finit par trouver.

« Tous les quatre, on est amis… Alors si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à venir nous voir. Je te promets qu’aucun de nous ne te rejettera jamais plus.

- Merci Jenny… »

Après un dernier échange de sourire, les deux adolescents redescendirent ensemble jusqu’au salon. Fry et Jessy furent très étonnés de les voir marcher l’un derrière l’autre, relativement proches. Une fois en bas, Robin alpaga Scott et Jenny s’en alla voir sa mère, elle parlait toujours du laboratoire avec Ciléo. A plusieurs reprises dans la fin de soirée, Scott et Jenny échangèrent quelques mots. Jenny avait retrouvé le sourire, même s’il était plus réservé qu’à l’accoutumée.

 

Il était passé minuit lorsque Florine et Seb se préparèrent pour le départ. Robin s’était écroulé sur le canapé et dormait déjà. Fry se chargea de le réveiller, mais à peine attaché au siège auto, il sombra à nouveau dans le sommeil.

Avant de monter dans la voiture, Jenny fit un petit signe de main en direction de Scott, il le lui rendit, planté sur le sentier menant au phare d’Azuria. Jessy et Fry les regardèrent à tour de rôle.

« Ça y est ? Vous êtes réconciliés ? Demanda Fry.

- Aucun commentaire. » Exigea Jenny, puis toute la petite famille repartit pour le Bourg Palette.

 

A suivre…

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