Les Train Twins

Chapitre 35 : Dark Love

8447 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/03/2022 17:50

Chapitre 35

 

Dark Love

 

« Un club d’entraînement pour pokémon ?

- Et pourquoi pas ? C’est une salle de gym ici non ? On en revient à son usage premier.

­- L’idée est bonne mais… J’espère qu’elle va marcher, sinon on est mal. Becket ne nous pardonnera pas un nouvel esclandre avec les passagers.

- Fais pas ta larveyette, y a pas de raison que ça foire. Et sors Riha et Mozart. » Pesta Jessy en accrochant la feuille A4 sur la porte du gymnase.

Sur le papier, on pouvait lire :

[Club d’entraînement pokémon. Envie d’évoluer ? Besoin d’un coup de pouce ? On entraîne vos pokémon pour vous et avec vous ! Matchs amicaux, entraînement et conseils stratégiques. Jessy K, Jenny K, Fry M, Scott N]

Scott regardait l’écriteau de fortune avec scepticisme. Il n’avait pas osé contredire Jessy, mais il trouvait inutile de parler de lui, même s’il était volontaire pour les aider. Il sentait aussi l’inquiétude de Jenny, elle ne croisait pas physiquement les doigts, mais il était persuadé qu’elle y pensait.

 

Lundi après-midi, le fan club cent-pourcents féminin de Fry débarqua très vite à la salle de sport, il s’était étoffé depuis la veille. Certaines groupies rodaient déjà sur le pont soleil près de la porte avant même que le quatuor de dresseurs soit arrivé. Jessy s’adressa à elles d’une voix forte et enjouée en posant ses poings sur ses hanches, elle arborait un large sourire confiant.

« Eh les filles ! Est-ce que vous avez des pokémon ? »

Un silence terrifié lui répondit. Elles, elles étaient là pour le beau gosse, pas pour affronter la rousse volcanique ou sa jumelle voleuse d’homme. Jessy remua la bouche comme un nidoran, mais trouva une parade avant d’être véritablement contrariée.

« Aller, Fry a très envie de les voir ! »

Certaines filles échangèrent des regards interrogateurs, était-ce un piège ? Un jeu ? Timidement, l’une d’elles sortit de son petit sac une pokéball et la dégoupilla. Le son numérique typique d’une pokéball qu’on déploie siffla aux oreilles de toute l’assemblée en troublant le silence et très vite l’effervescence jaillit du groupe. Une symphonie de "tulululu" résonna dans la salle de gym, alors que le premier rayon de lumière rouge tranchait la petite foule pour libérer un joli petit skitty avec un nœud blanc accroché à la queue. Il fut très bientôt rejoint par une multitude de ponchiots, de chaglams, de chinchidous et pour les plus audacieuses de ces dames quelques caninos ou dynavolts.

Jessy s’approcha gentiment d’un voltoutou, s’agenouilla et tendit la main vers lui. Il renifla ses doigts avant d’aboyer avec bonne humeur, elle sentait le raichu.

« Ça vous dirait qu’on les entraine un peu ? » Lança Jessy à la petite foule.

Elle fit signe à Pit d’aller saluer ses nouveaux camarades. Chu s’empressa de le rejoindre, il y avait quelques jolies femelles aux doux parfums dans le lot, ça lui plaisait. Et puis il avait envie de se défouler.

« Rai rai !

- Rai ! »

Un concert de piaillement de toutes les espèces s’éleva, tandis que les raichu se lancèrent dans une course ressemblant à une double vive-attaque.

« Rai rai ! »

Ils encourageaient les autres pokémon à les suivre. Le troupeau désordonné commença à s’agiter, Jessy attendit que son raichu revienne dans sa direction pour lui demander :

« Pit, montre au voltoutou comment on fait des étincelles.

- Rai ! »

Raichu invita son nouvel ami à l’imiter. L’enthousiaste voltoutou fit grésiller son pelage.

Motivée par l’attitude de ses copains électriques, la pashmilla de Fry s’avança pour les aider, pendant que Chu faisait son intéressant devant les femelles en leur montrant la vitesse prodigieuse de sa hâte. Certaines téméraires tentèrent de le suivre.

Comme l’idée de Jessy avait l’air de fonctionner, Jenny décida d’aller en parler à leur patron. Le sourire de Jessy s’élargissait, elle libéra Lucario, Fry lui jeta un regard en biais préoccupé, mais la rouquine avait désormais pleinement confiance en Lucario.

« Bon lucario, interdiction d’utiliser l’aurasphère.

- Luc luc…

- Sous aucun prétexte, on va éviter de couler le bateau.

- Luc ?

- Un bateau ? Je te montrerai tout à l’heure. Tu veux bien t’entrainer aux arts martiaux avec tes petits copains ? Vas-y mollo surtout ! »

Jessy sélectionna parmi les pokémon présents les seuls qui avaient l’air d’avoir déjà combattu. Son œil expert de maîtresse pokémon lui permettait de les repérer facilement, même s’ils avaient un niveau très faible.

Lucario ressemblait à Jessy sur certains aspects, il avait du mal à faire dans la demi-mesure, alors même à l’entrainement il était assez brutal. A coup de poings boost, il envoya valdinguer dans les airs un pauvre miradar qui tentait d’apprendre la technique détection. Sa dresseuse affolée se précipita vers lui, Jessy grimaça un peu, Fry alla rassurer la jeune fille pour éviter qu’elle ne panique. Lucario sentit les auras angoissées des autres pokémon et leurs regards inquiets posés sur lui. Il était fier de sa force, même si en l’occurrence elle constituait un inconvénient. Soudain, une brusque nausée monta dans la poitrine du pokémon, ses joues bleues passèrent par toutes les teintes de vert et il se pencha brutalement sur le côté pour vomir.

« Lucario ? » Fit Jessy les yeux écarquillés.

Le pokémon était obligé de se tenir à la barre de danse pour tenir debout.

« Luc luc… »

Il ne se sentait vraiment pas bien et après avoir vomi une deuxième fois, il s’étala sur le dos par terre.

« Lu…

- Merde, mais qu’est-ce que t’as ?

- On dirait qu’il a le mal de mer. » Intervint timidement Scott.

Il n’était pas dresseur, mais des humains avec le mal de mer, il en avait vu beaucoup vu dans les îles Sevii.

Affalé sur le parquet en gémissant, Lucario malade était beaucoup moins impressionnant. Discrètement, plusieurs jeunes filles et leurs partenaires pokémon étouffèrent des rires. Jessy le renvoya dans son hyperball, le laisser sorti plus longtemps aurait été cruel.

« Prends le relais Momo. »

La moitié de l’assistance tomba en pamoison, le beau gosse venait de parler. Ce fut la bousculade pour s’approcher du colhomard, le pokémon-crustacé n’avait pas l’habitude de faire l’objet d’autant d’attention. Les touristes avaient l’air heureuses, leur pokémon doublement. Satisfaite, Jessy s’avança vers Fry avec un sourire conquérant.

« Alors ?

- J’avoue, perso j’y aurais jamais pensé, reconnut-il impressionné.

- Normal, tu n’es qu’un wattouat docile. Tu suis les ordres sans rechigner, même lorsqu’ils ne te plaisent pas.

- T’es dure. J’suis pas si docile que ça. Toi par contre t’es vraiment une sacrée tête de tarinor.

- Pt’être bien, mais en attendant, grâce au tarinor, tu n’auras pas à faire semblant de perdre, Monsieur le Champion.

- J’ai jamais dit le contraire… Répondit Fry en affichant un sourire à la Reese Morgan.

- Au fait, tu m’aurais vraiment abandonnée toute seule à Oliville ?

- Oh moi oui, sans hésiter, mais Jenny et Scott ne m’auraient jamais laissé faire. »

Vexée, Jessy grogna comme un grandbull avant de s’éloigner, d’un pas lourd chargé de rancœur. Fry se mit à ricaner, il lui avait menti bien sûr, il n’aurait jamais eu le cœur de la laisser tomber, surtout après l’épisode de la Forêt de Jade, mais pour une fois qu’il pouvait avoir le dernier mot avec Jessy, il en profitait.

 

Une demi-heure plus tard Jenny était de retour parmi eux.

« J’ai refait le planning, annonça Jenny, Becket semble d’accord. On a le droit de maintenir le club d’entrainement mardi, jeudi et le week-end, les autres jours il exige de nous que l’on combatte normalement.

- Mais quel sale c…

- Du coup, je lui ai proposé une nouvelle formule. Des combats à trois niveaux : facile, intermédiaire et difficile. Je te précise tout de suite que c’est toi le niveau difficile, lança Jenny à sa sœur. Scott et moi on se chargera du niveau facile et Fry du niveau intermédiaire. C’est lui qui a la meilleure maitrise de nous tous, donc c’est aussi le plus flexible.

- C’est un joli compliment ça ! Apprécia Fry sous le regard jaloux de Jessy.

- On pourrait aussi organiser des jeux avec des pokémon, un peu comme au pokéathlon et créer une fausse ligue pokémon pour la croisière, Jessy serait un peu comme le boss final.

- Je sens que ça va être chiant… Grommela Jessy.

- C’est bon Jess, on n’a que deux semaines à tenir, ça ira.

- C’est une éternité oui !

- Il faut toujours que tu exagères…

- Ouais bon, admettons. » Abdiqua Jessy face à sa sœur.

Elle avait fini par comprendre qu’ils n’avaient pas le choix. Elle se tourna brusquement vers Scott.

« Aller Scotty, on s’y met.

- Euh pardon, se... Se mettre à quoi ? Demanda le jeune homme après un léger sursaut.

- T’as entendu Jane ? Tu vas combattre avec nous, alors hop ! A l’entrainement !

- Mais je...

- Aller vieux ! On va voir ce que Friday a dans le ventre ! » Lança Fry en posant une main amicale sur son épaule.

Soumis, Scott porta sa main à sa ceinture et se saisit de la copainball de Friday. Il libéra l’évoli foufou, il se mit à sautiller autour de ses deux dresseurs. Jessy appela son raichu près d’elle et Jenny, avec son sourire angélique, prit le relais auprès des dresseuses venues s’entrainer dans la salle. Elles lui laissèrent presque toutes le champ libre avec leurs pokémon, pour se concentrer sur la démonstration de Jessy ; le freluquet à lunettes avait sorti un évoli trop mignon, et puis Fry était à côté.

Jessy se plaça sur un côté du terrain avec Pit et Misdy. En face, Scott épaulé par Fry venait de sortir Magnet.

« Euh... Je... Je dois faire quoi ? Demanda maladroitement Scott qui n’avait pas combattu depuis des années.

- Bah déjà qu’est-ce que tu vois ? Lança Jessy les bras croisés.

- Ce que je vois ? Euh... Peux-tu développer euh... La question ?

- Rah, devant toi. Quels pokémon tu as sous les yeux ? Râla Jessy en levant les yeux au plafond, ils partaient vraiment de loin avec Scott.

- Ah, euh... Ton raichu et ta mysdibule. Et évoli et magnéti.

- Bien. Qu’est-ce que ça t’inspire ? Qu’est-ce que tu sais sur ces quatre pokémon ?

- Raichu et magnéti sont de type électrique, évoli de type normal et mysdibule de type acier.

- En fait ton magnéti a un double type, électrique-acier. Du coup, tu procèderais comment pour attaquer ?

- Honnêtement, je ne vois pas l’intérêt d’attaquer, tu as un niveau beaucoup trop élevé pour moi, c’est ridicule. »

Jessy se massa les paupières, l’esprit cartésien de Scott était parfois fatiguant.

« Oublie l’écart de niveau Scotty, intervint Fry avec gentillesse. Quelle cible dois-tu choisir ?

- Hem.... Eh bien raichu absorbe l’électricité de magnéti et évoli ne peut pas faire grand-chose contre les types acier, alors je suppose qu’il faut utiliser Magnet contre mysdibule et Friday contre raichu. Euh... C’est ça ?

- C’est bien, t’es déjà moins con que Robin.

- Jess ! Qu’est-ce que je t’ai demandé à l’hôpital ? La sermonna Fry.

- Evo evovo !

- Qu’est-ce qu’il a ? S’étonna Scott en voyant l’évoli sautiller sur place avec excitation.

- Il a envie de combattre, lui expliqua Fry.

- Euh, mais il est conscient qu’il n’a pas le niveau ?

- C’est comme ça avec les jeunes pokémon, parfois ils ont besoin de se défouler, pour lui c’est juste un jeu.

- Il vaut mieux que Magnet et Misdy lui fassent une démonstration d’abord, dit Jessy.

- Ouais ok. »

Fry s’agenouilla près de l’évoli et lui caressa la tête.

« Tu regardes bien ce que fait grand-frère Magnet et ensuite tu y vas d’accord ?

- Vovo !

- Magnéééti ? »

Le pokémon électrique interrogeait son dresseur du regard avec son œil unique, il ne comprenait pas ce qu’on attendait de lui.

« C’est quand tu veux Scotty ! » Déclara Jessy.

Sa mysdibule patiente et pédagogue se tenait prête. Scotty réfléchit, instinctivement il aurait utilisé une attaque électrique, mais s’il fallait servir de modèle à évoli, il fallait privilégier les attaques physiques.

« Bon ben euh... Charge. »

Après un instant d’hésitation, Magnéti vola vers mysdibule et la heurta. La charge n’était vraiment pas puissante, ce n’était pas tant à cause du niveau assez faible de magnéti, mais plutôt qu’il n’y mettait pas d’ardeur. Contrairement à évoli, Magnéti n’avait pas envie de se battre.

« Il faut y aller plus fort Magnet, dit Fry.

- Magnééé ?

- Ce n’est qu’un entrainement Magnet. Ne t’en fais pas, Misdy ne te fera pas de mal, tenta de le rassurer Jessy.

- Mysdi, confirma la pokémon.

- N’aie pas peur, ça va aller... » Reprit Fry sur un ton encore plus doux.

Scott se sentait gêné de laisser ses amis gérer son pokémon à sa place, alors il intervint à son tour.

« S’il-te-plaît Magnet, recommence, vas-y : charge. »

Magnet y alla plus frontalement. Misdy para simplement l’attaque en plaçant sa grande mâchoire devant son visage. Elle ne riposta pas.

« C’est bien, tu peux continuer un peu Magnet, il faut que tu te renforces, l’encouragea Jessy.

- Aller, à ton tour Friday ! »

L’évoli s’élança aussitôt devant lui. Il voulait visiblement charger mysdibule, alors Pit s’interposa pour qu’il comprenne que c’était lui son adversaire.

« Non Friday, laisse Misdy tranquille, concentre toi sur le raichu.

- Rai rai ! »

Pit fit grésiller ses joues pour exciter l’évoli, ce n’était pas vraiment nécessaire le jeune pokémon était déjà survolté.

Friday était encore très faible, il avait beau frapper encore et encore, le pokémon électrique ne sentait pas grand-chose, mais Pit et sa dresseuse devaient bien reconnaître qu’il était motivé.

Fry et Jessy n’avaient pas eu de pokémon aussi faible à gérer depuis leur enfance. Toutefois, pour les spectatrices, ce duel insipide entre raichu et évoli était le summum de la mignonnerie. Des « Ooooh ! » et des « Kyaaaaah… » résonnaient dans l’arène de fortune. Jenny, encerclée par la trentaine de chacripan et autres skitty ou miaouss, leur jetait des regards en biais affligés. Fry gardait son sourire de lover, mais le coin de sa bouche tremblotait légèrement, en trahissant son amusement. Une idée lui vint à l’esprit, histoire d’épater un peu plus la galerie, il se tourna vers Scott.

« Tu as appris météores à ton magnéti ?

- Ah, non, non pas du tout.

- Bon ben on va s’occuper de ça. » Déclara Jessy.

 

Jessy consacra son mardi après-midi à apprendre à Magnet et Friday l’attaque météores avec l’aide de son aquali. Al apprenait météores à tous ses évoli, mais le jeune Friday manquait encore d’expérience. S’entrainer avec magnéti le motivait et l’aidait à progresser plus vite et vice-versa.

Scott était hyper serviable, il voulait aider ses amis, mais il pensait que les combats pokémon étaient hors de son champ de compétence. A la demande des jumelles pourtant, il affronta avec clic et pijako les enfants débarquant avec leurs pokémon domestiques pour faire un petit match. Cela rassurait Fry, il s’imaginait toujours Jessy en train de détruire l’égo d’un pauvre gamin innocent, son affrontement contre Robin l’avait pas mal échaudé. Jessy ne pensait pas être un monstre, mais même face à un enfant, elle n’accepterait jamais de faire semblant de perdre, il était donc hors de question qu’elle s’en occupe. C’était une mission à la portée de Scott et il se débrouillait plutôt bien, même s’il avait le sentiment inverse. Le contact avec les enfants était toujours difficile pour lui. Fry lui avait affirmé le contraire, il avait bien vu qu’il s’en sortait merveilleusement bien avec Robin, mais Scott n’était jamais à l’aise. Le ridicule de la situation ne l’aidait pas à se détendre ; régulièrement, c’étaient les enfants qui lui apprenaient des choses en matière de combat pokémon et non l’inverse. Scott le vivait mal, alors que Jenny et Fry trouvaient cela touchant.

Pendant leurs heures de repos, Fry se baladait avec l’évoli sur les épaules. Toutes les filles et les femmes du navire, de dix à soixante-dix ans, craquaient complètement devant ce duo d’une beauté à couper le souffle. De temps en temps, Friday changeait de porteur et grimpait sur les épaules de Scott. Là encore, l’effet évoli était magique. Scott passait inaperçu la plupart du temps, mais avec Friday, la gente féminine se faisait beaucoup plus avenante et souriante à son égard. Malheureusement pour Scott, avec son physique de petit garçon, il attirait surtout les gamines et les adultes en mal d’amour maternel, ce qui le mettait profondément mal à l’aise une fois de plus.

 

Mercredi soir devait avoir lieu le premier concert des Train Twins. Le navire mouillait à Oliville pour la nuit, ils avaient intérêt à assurer pour ne pas être éjectés du bateau. Scott s’était proposé pour installer les instruments et faire les balances avant le diner, pendant que ses amis affrontaient les passagers qui le demandaient. Jenny lui emprunta ses pokémon pour combattre les dresseurs faibles et en échange elle lui prêta Loki. Jessy lui confia Walkyrie et Fry Ramboum, pour qu’ils déplacent le matériel tous les trois.

Une fois les instruments des Train Twins réglés et prêts au service, Scott, parti dans sa lancée de bidouilleur frénétique, entreprit de vérifier si le piano à queue de Stéphane était bien accordé. Le musicien ne lui avait pourtant rien demandé. Le blondinet s’assit pour jouer quelques notes et vérifier le son en détail. Satisfait de la sonorité délicate du piano, il se laissa aller à jouer un petit morceau de sa composition. Après avoir enchainé les deux premiers couplets et le refrain, il reprit du début avec un léger sourire de détente et se mit à chanter de sa voix discrète de ténor.

« Nous vivons dans notre illusion,

Depuis si longtemps que nous l’oublions.

J’ai abandonné mes rêves, mes amis,

Tu as renoncé à ta liberté, à ta vie.

Où en sommes-nous à présent ?

Rien ne paraît plus brillant.

On a essayé et on a échoué,

Assez de mensonges entre nous :

Tu sais bien que les dodrio ne savent pas voler.

Je ne sais pas si ça valait le coup,

Mais assez de mensonges entre nous,

Tu sais bien que les dodrio ne savent pas voler. »

Il s’interrompit brusquement en percevant une présence près de lui. Il se retourna et découvrit avec angoisse qu’un jeune homme dans la vingtaine l’écoutait et l’observait. Il descendit du tabouret en panique et avec maladresse il manqua de s’étaler sur le sol.

« Pa… Pardon ! Désolé ! Je vérifiais juste que… Je n’avais pas vu que… » Tenta-t-il de se justifier comme s’il venait de commettre un délit passible de cinq ans de prison ferme.

Le gars leva les bras dans un geste pacifique, il avait une bière en bouteille à la main, il devait probablement venir de la mezzanine du bar situé au fond de la salle, voilà pourquoi Scott ne l’avait pas remarqué.

« Eh relax vieux, c’était cool ce que tu jouais.

- Ah, euh… Merci.

- T’es musicien ? Tu joues dans un groupe ?

- Moi ? S’étonna Scott. Ah, non-non ! Enfin, je voyage avec les Train Twins mais je ne fais pas partie de leur groupe, je… Je suis gestionnaire du système de transfert pokémon… Et technicien du son à mes heures perdues.

- Technicien du son ? » Rigola le nouveau venu.

Il s’approcha de l’estrade et grimpa dessus d’un pas léger pour saluer Scott. Les cheveux châtains en bataille plus courts et beaucoup plus clairs que ceux de Fry, il devait mesurer entre un mètre soixante-quinze et un mètre quatre-vingt. Il portait des tongs, un vieux pantalon noir déchiré et une chemisette violette grande ouverte, dévoilant son torse sec avec une unique ligne de poils bruns remontant le long de son nombril jusqu’à ses pectoraux. Pour le coup, ce jeune homme était vraiment en mode touriste.

« Tu joues mieux que bien des pianistes que j’ai connu. Si je voulais m’la jouer provoc, je dirais même que tu joues mieux que le pianiste de ce navire de gros bourges. Je m’appelle Matthieu, Matthieu Paris. »

Il tendit chaleureusement la main à Scott qui la serra avec timidité.

« Ah, euh… Scott Network.

- Ravi de faire ta connaissance Scott Network. Les Train Twins hein ?

- Tu les connais ?

- De nom, ce sont les jumelles rousses ça ?

- Oui, ce sont elles.

- Ah ah, elles n’ont pas la réputation d’être faciles. Mon pote Coco les a rencontrées une fois. Tu sors avec l’une des deux ?

- Quoi ?!? Non ! Les joues de Scott s’empourprèrent en une demi-seconde.

- Ok, ok… Je ne sais pas si je dois te dire pas de bol ou tant mieux pour toi, ah ah ! »

Scott peinait à se détendre malgré toute la sympathie que dégageait Matthieu.

« Au fait, comment s’appelle le morceau que tu jouais ? Je ne le connais pas, il était sympa, je vais l’ajouter à ma playlist.

- En… En fait c’est une de mes créations… Je l’ai appelé "les dodrio ne savent pas voler", mais elle n’est pas encore terminée.

- Sérieux ? »

Cette fois, les yeux ronds écarquillés du jeune homme traduisaient bien plus que de l’étonnement, il y avait du respect et de l’admiration dans son regard brun-noisette, Scott en fut tout retourné. Il ne savait quoi répondre, alors il se contenta d’hocher positivement la tête. Matthieu mit un moment pour s’en remettre, Scott avait l’impression qu’il avait le souffle coupé, il se demandait bien pourquoi.

« C’était… Woh, très impressionnant. Vraiment.

- M… Merci…

- Ecoute Scott, si ça te dis, viens prendre un verre avec mes potes et moi ce soir au bar.

- Euh, j’ai dix-sept ans, je ne bois pas d’alcool.

- On sert aussi de la limonade sur ce paquebot tu sais ? Te prends pas la tête, nous on se la prend jamais. A plus Scott ! Eh ! Et encore une fois : bravo pour ton morceau, il est super. J’espère que tu m’le feras écouter en entier ! » Lança Matthieu en levant le pouce avant de filer.

Scott soupira de soulagement, il ne savait pas quoi penser de cette rencontre.


Jessy était impatiente de jouer à nouveau en public, le spectacle à l’arène d’Azuria l’avait remise en confiance. Jenny, elle, angoissait un peu. Après l’esclandre de dimanche, elle redoutait un échec musical et la colère de Monsieur Becket. Fry, égal à lui-même, se laissait porter avec un fond d’insouciance.

Stéphane et André avaient regardé quelques vidéos des Train Twins qui trainaient sur internet, ils étaient confiants, ils trouvaient que ce trio avait du potentiel. Le pianiste, dans son élégant smoking hors du temps, sourit à l’assemblée.

« Mesdames et messieurs, pour la première fois sur le Nymphéa, voici les Train Twins ! »

Les filles arrivèrent sur scène avec leurs tenues assorties offertes par Madame Marlyn, Jessy en robe noire avec top et short rouges, Jenny en robe rouge avec top et short noirs. Alors que Fry s’installait sur sa batterie, il chuchota à l’oreille de son évoli toujours accroché à son épaule. Le pokémon frétilla avant d’obéir à son dresseur : il sauta à terre, puis galopa jusqu’à Jenny. Il grimpa le long de sa guitare pour se nicher contre sa nuque. La rouquine sourit avec une certaine malice et Jessy fit signe à son raichu d’approcher. L’agitation des trois pokémon sur scène piqua la curiosité des spectateurs.

Le groupe avait décidé de commencer leur concert par leur nouvelle chanson, celle que Jessy avait intégralement composé au Bourg Palette. C’était la situation idéale pour la tester. Jessy, sa guitare acoustique entre les mains, débuta le premier couplet avec pour seul accompagnateur Ramboum.

« J’ai ouvert un livre,

Pour écrire mon histoire,

C’est ma soif de vivre,

Qui nourrit tous mes espoirs.

Je m’épanouie comme une fleur

Je brûle comme une flamme,

Je rêve des grands espaces

Et des rivières de glace. »

Pour le refrain, toujours chanté par Jessy, Fry et sa batterie remplacèrent John, la percussion restait soft.

« A dix ans et demi,

Je m’apprête à faire

Le choix de ma vie.

Mon cœur en feu,

Mes émotions en cascade…

J’en ai envie,

Je vais le faire,

Le choix de ma vie.

Mon cœur heureux,

Mes sentiments s’évadent. »

Une partie instrumentale débuta, plus rock et plus rythmée. Cette fois les trois adolescents et le ramboum jouaient tous ensemble. Entre la guitare électrique tenue par Jenny et la double percussion John-Fry, la guitare acoustique de Jessy s’entendait à peine, mais elle restait le guide de la mélodie. Jessy chantait par-dessus la musique avec sa sœur en guise de chœur :

« Et il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… »

Jenny se chargea du prochain couplet, avec sa voix plus grave et son minois enjôleur. Elle ne jouait plus, Fry non plus, il n’y avait que la guitare de Jessy et Ramboum.

« On m’a mille fois conseillée,

Et j’ai bien cogité,

Mais il est enfin l’heure

Et je ne sais pas me décider.

Je crois que j’ai trop peur

De ce qui pourrait arriver.

Mais toi tu es là,

Avec ton pelage chocolat. »

Jenny gratouilla sous le menton d’évoli pour attendrir la foule avant de reprendre le morceau à la guitare pour accompagner sa jumelle et Fry. Ce deuxième refrain était chanté par les deux jumelles ensemble :

« A dix ans et demi,

Je m’apprête à faire

Le choix de ma vie.

Mon cœur en feu,

Mes émotions en cascade…

J’en ai envie,

Je vais le faire,

Le choix de ma vie…

Mon cœur heureux,

Mes sentiments s’évadent. »

Le quatuor reprit dans son intégralité avec la voix des jumelles chantant dans l’allégresse :

« Et il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… »

Pour le dernier couplet, seule Jessy jouait de son instrument, mais les trois humains chantaient ensemble. Les filles croisaient les doigts pour que les spectateurs ne se rendent pas compte que Fry chantait faux, Jessy trouvait que la chanson marchait mieux avec une voix masculine en plus. Pit exécuta la petite chorégraphie que Jessy lui avait apprise.

« Tes oreilles aux pointes noires,

Ton petit museau jaune,

Tes joues brillent dans le soir,

Et moi je deviens stone.

Ma grande aventure,

La chance de ma vie,

L’amour le plus pur,

C’est toi que je choisis ! »

Ils reprirent tous ensemble pour le troisième et dernier refrain en apothéose.

« A dix ans et demi,

Je m’apprête à faire

Le choix de ma vie.

Mon cœur électrique,

Mes émotions me foudroient.

Mon meilleur ami,

Faut pas t’en faire,

Tu illumines ma vie.

Tu es ma musique,

Tes éclairs sont ma voix.

Et il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… *temps*

Il est temps… »

Pit salua son public avec une fierté digne de celle de sa dresseuse et évoli descendit des épaules de Jessy pour l’imiter. Il ne savait pas trop pourquoi, mais cela l’amusait beaucoup. Le public était conquis, les applaudissements étaient généreux et enjoués. Jessy sourit avec un certain soulagement, elle appréhendait toujours lorsqu’elle jouait ses chansons pour la première fois sur scène. John sautillait sur place, il semblait au comble du bonheur. Plus qu’aux trois humains, les concerts lui avaient manqué.

Les Train Twins changèrent leurs instruments pour préparer "Stop !" et Friday partit se hisser sur le crâne de ramboum. Lui aussi avait l’air de s’amuser comme un fou.

 

Au fond de la salle se trouvait un bar sur deux étages. Le comptoir du rez-de-chaussée donnait sur la salle de réception et un double escalier courbe le reliait à une mezzanine vitrée avec un deuxième bar, plus large, dans une ambiance style fumoir. Un jeune homme brun, plutôt épais, descendait les marches d’un pas élégant avec deux verres à la main. Il se dirigea vers Matthieu Paris adossé contre le mur, il observait les Train Twins, les bras croisés avec un petit sourire absent sur les lèvres. Son ami lui tendit sa margarita avant d’enfoncer sa main libérée dans sa poche de pantalon.

« Merci Artus.

- Alors, qu’est-ce que tu en penses ?

- Elles se sont améliorées, y a pas de doute… » Répondit Matthieu sans quitter la scène des yeux, son pied tapotait le parquet au rythme des percussions.

« Comment s’appelle le pokémon sur scène avec elles ?

- Je crois que c’est un ramboum.

- Le son qu’il produit est atypique, j’adore. Elles pourraient presque se passer de batteur, déclara Artus avec une pointe d’admiration dans la voix.

- Je dois admettre que c’est une idée brillante. J’comprends mieux pourquoi elles ont rembarré Coco. »

Matt agrandit son sourire avant de balayer la salle du regard, il trouva rapidement la personne qu’il cherchait, sur le côté de la scène. Scott était facilement reconnaissable avec sa chemise à carreaux, elle tranchait avec les polos hors de prix, les pulls en cachemire et les chemises de marque unies des autres passagers. Il était aussi plus petit que la plupart des hommes présents et il faisait gamin.

« Tiens Artus, c’est lui l’gars dont je t’ai parlé. » Fit Matt en désignant discrètement Scott. Son acolyte l’observa attentivement.

« C’est un gosse non ?

- Il a dix-sept ans.

- Ah ouais... Souffla Artus. Il ne paye pas de mine quand on le voit comme ça.

- Fais-moi confiance. » Répondit Matt en posant une main fraternelle sur l’épaule de son ami. Matthieu commanda un jus de baies fraiches au bar et l’apporta à Scott.

« Salut.

- Ah ! Salut...

- Je t’avais promis un verre.

- Mer... Merci ! » Répondit Scott en prenant son jus de baies d’une main tremblante.

Il n’avait pas l’habitude que des inconnus lui offrent à boire. Pourtant, ce geste lui rappela la fois où Fry l’avait remercié avec un soda et un gâteau. Il fixa son verre en se disant qu’il avait plus d’intérêt à sympathiser avec une nouvelle connaissance qu’à rester planté devant la scène pour regarder Jane avec des yeux de remoraids frits. Il suivit Matt jusqu’au bar.

« Scott, j’te présente mon meilleur ami : Artus Borg.

- Ah euh… Bonjour…

- Salut Scott. Matt me disait que tu sais jouer du piano ?

- Oh oui… Oui mais je ne pense pas que ce soit hum… Ma caractéristique principale. »

Artus fut obligé de se retenir de rire, il ne s’attendait pas à une réponse pareille. Scott était un peu mal à l’aise, il ne savait pas trop ce que ces deux hommes attendaient de lui.

« Vous euh… Vous vous intéressez à la musique ? Demanda-t-il timidement.

- Tu ne lui as rien dit ? S’étonna Artus en se tournant vers son acolyte.

- Pas eu le temps. Oui Scott, Artus et moi on est musiciens, nos potes aussi. Viens prendre l’apéro avec nous demain soir, on te présentera au reste du groupe. »

Scott ne se voyait pas poser un laporeille à Matthieu, ça faisait deux fois qu’il lui proposait de boire un verre avec sa bande de copains, il se sentait obligé d’honorer l’invitation malgré sa nervosité.

Lorsque le concert fut terminé, Friday retourna aussitôt sur les épaules de Scott pour lui faire un câlin, le bricoleur dut s’en accommoder alors qu’il débranchait le matériel des Train Twins. Les trois dresseurs-musiciens se congratulèrent entre eux et surtout ils flattèrent John pour sa nouvelle prouesse scénique. Fry et Jessy étaient ravis de le voir s’améliorer à chaque nouveau spectacle. Dans la joie du succès, Scott n’osa pas parler de sa rencontre avec Matthieu, il n’en voyait de toutes façons pas l’intérêt et personne ne lui demandait quoi que ce soit.

 

La température commençait nettement à se réchauffer alors qu’ils naviguaient toujours vers le sud, Fry se sentait beaucoup mieux. Jessy, Jenny et Fry venaient de terminer une nouvelle journée de coaching. Les trois dresseurs soignèrent leurs pokémon à l’aide de quelques potions et pommades, ils s’en allèrent flâner sur le pont en direction de la proue, le repas des pokémon était servi dans une salle et sur la terrasse de la plage avant. Friday se jeta sur sa gamelle avec une fringale pire encore que celle de Chu.

« Ce pokémon te ressemble décidément beaucoup trop… Commenta Jessy avec un sourire en coin.

- Je me demande ce que fait Scotty. » Dit Jenny en jetant un coup d’œil à son téléphone pour regarder l’heure et vérifier s’il ne lui avait pas envoyé un message.

Le jeune homme les avait abandonné un peu plus tôt dans l’après-midi et leur avait promis de les rejoindre à l’heure du diner, mais il n’avait donné aucune explication à son absence.

« Eh Jess, on se la joue Kate et Léo ? Plaisanta Fry en désignant la proue derrière eux.

- Sûrement pas, tu en profiterais pour me jeter par dessus bord ! Répliqua Jessy en réprimant un sourire tordu.

- Tu parles, c'est toi qui me jetterais par dessus bord.

- Je n'ai pas envie de perdre mon batteur et ce n'est pas moi qui t’ai menacé de t'abandonner à Oliville.

- C'était une blague voyons ! Rigola Fry.

- Parce que rejouer la scène du Titanic c'en est pas une ? » Fit Jessy dans un haussement de sourcil.

Fry cherchait quelque chose de spirituel à lui répondre, quand soudain un « Eh ! » sonore les interpella. Le trio se retourna. Un grand jeune homme blond accompagné d’un petit malosse au ventre arrondi par les croquettes qu’il avait englouti leur fit un signe de main avant de s’approcher des jumelles. Jessy plissa le front en essayant de se commémorer où elle avait déjà vu ce visage.

« Salut les filles.

- Tiens, salut ! Corentin c’est ça ? Fit Jenny avec un sourire.

- Alors vous vous souvenez de moi, je suis flatté !

- T’es un bon musicien, ça ne s’oublie pas si facilement, répondit Jessy. Par contre, j’pensais pas que t’étais du genre à faire des croisières de luxe.

- Ah ah ah ! C’est vrai. Moi non plus je trouve que ça ne colle pas trop à votre personnage. On a eu des billets gratuits avec mes potes, alors on en profite. Et vous ?

- On travaille pour se payer la traversée.

- Tes potes ? Tu nous présentes ? Releva Jenny avec un sourire charmeur.

- Si vous voulez, mais ça m’étonnerait qu’ils vous intéressent : aucun d’eux n’est dresseur de pokémon, les taquina Corentin.

- Ça c’est le problème de Jessy, moi je ne suis pas difficile !

- Roh ça va ! J’en ai marre à force, Fry et toi vous me faites toujours passer pour un ursaring mal léché.

- Mais tu es un ursaring mal léché ! » S’exclama Fry.

Jessy, bougonne, lui donna un coup d’avant-bras dans le ventre en guise de réponse, le jeune champion se marrait tout seul.

« Dans ce cas, ça vous dit de venir manger avec nous ? Et je paye ma tournée ! Reprit Corentin, jovial

- Avec plaisir ! » Répondit Jenny.

Elle espérait bien découvrir une brochette de beaux garçons, Coco déjà n’était pas désagréable à regarder, et puis elle savait que Fry leur en voudrait si elle et sa sœur refusaient une invitation à la picole.

Après avoir rappelé tous leurs pokémon dans leurs balls, à l’exception de Chu, Pit et Friday, le trio de dresseurs-musiciens accompagna Corentin jusqu’au restaurant panoramique qui jouxtait la salle de réception de l’autre côté du bateau. Sur le chemin, malosse renifla les trois autres pokémon sous toutes les coutures, chacun réagit à sa manière : Pit se montra sympathique, Friday s’agitait en pensant que le malosse voulait jouer et Chu finit par lui envoyer une châtaigne d’électricité. Le raichu de Jane aimait taquiner les autres, mais il n’aimait pas qu’on l’embête lui.

Corentin chercha des yeux la table de ses amis, un vingtenaire brun, assis à côté de trois autres jeunes hommes lui fit des grands signes. Corentin répondit à son appel de la main et se faufila jusqu’à eux, suivi par les Train Twins en file indienne. Jenny cligna des yeux, perplexe, en apercevant Scott au milieu du groupe. Le blondinet à lunettes se leva d’un bond en voyant les jumelles arriver vers lui.

« Scott ?

- Jenny !

- Evovo ! »

Friday aboya joyeusement en apercevant Scott et il sauta depuis l’épaule de Fry pour atterrir maladroitement sur la tête de Scott qui fut obligé de le rattraper, tout aussi maladroitement pour ne pas qu’il tombe par terre.

« Les Train Twins, en chair et en os ! Lança Matthieu avec un sourire radieux.

- On se connait ? Fit Jessy avec un haussement de sourcil.

- Pas encore, ou disons qu’on n’a jamais été présentés dans les règles. J’suis Matthieu et je vous présente Artus et Cyril. Vous connaissez déjà Coco.

- Ouais… Et visiblement vous vous connaissez Scott.

- Il est avec vous ? Demanda Corentin en montrant Scott du pouce.

- Scott voyage avec nous oui, répondit une Jenny perturbée.

- Et moi c’est Fry, au cas où ça intéresserait quelqu’un, plaisanta le jeune champion, malgré tout un peu vexé de passer pour une potiche.

- Tu ne nous remets vraiment pas ? » Fit Matthieu en désignant Artus du doigt, il regardait fixement Jessy.

L’esprit de Jenny carburait à deux cents à l’heure, quand soudain le souvenir du concours sur l’île Gélatine lui revint en mémoire.

« Bon sang mais oui… Mate le jukebox ! C’est ça ? S’écria Jane.

- Yep ! On a changé de nom depuis que Cyk et Coco nous ont rejoints.

- Vous formez un groupe tous les quatre ?

- Oui, nous sommes les Dark Love. »

Le regard de Jessy était insondable, ses yeux bleu électrique lançaient des éclairs en direction du Matthieu tout sourire. Elle qui n’avait perdu que deux matchs pokémon dans sa vie ne savait pas comment se comporter face à un adversaire plus fort qu’elle, or elle sentait que Matt était plus fort qu’elle, musicalement parlant. Elle se contenta de s’asseoir sur la chaise qu’il lui présentait poliment à côté de Scott.

Jenny s’assit en face d’elle pour être au plus près de Corentin et Artus. Ils n’étaient pas particulièrement beaux, mais ils avaient beaucoup de charme l’un comme l’autre. Corentin, le plus jeune, était mince et très grand, ses cheveux longs blonds comme les pétales d’un héliatronc tombaient négligemment sur ses épaules et une petite barbe recouvrait ses joues creuses. Quant à Artus, beaucoup plus trapu, il avait de beaux yeux bleus pénétrant et des cheveux bruns, presque noirs, courts, soyeux et impeccablement coiffés balayés en arrière. Il avait plus de classe que ses trois camarades. Matt aussi était séduisant à sa façon, il y avait dans son regard la même lueur rusée que dans celui de Fry, mais étrangement il semblait captivé par Jessy et Scott, Jane sentit immédiatement qu’elle n’existait pas pour lui. Fry, ignoré de tous ou presque, s’assit en dernier, en bout de table, près de Cyril. Contrairement à ses partenaires, Cyk n’était pas beau, mais en plus il tirait une gueule de nostenfer et ne décrochait pas un mot.

Après ces présentations, à tour de rôle et par petits groupes, tous les musiciens allèrent se servir au buffet. Resté seul avec Jessy et Scott, Matthieu entama la conversation. Il avait un sourire chaleureux, presque insouciant, et une voix enjouée très agréable, mais il dégageait quelque chose qui ne plaisait pas du tout à Jessy, elle était incapable d’expliquer pourquoi.

« Qu’est-ce que vous allez faire de beau à Hoenn les Train Twins ?

- Et vous ? Répliqua la rouquine.

- On a pas mal de concerts de prévu, mais on y va surtout pour participer à un concours de musique au mois d’avril.

- Celui de Lavandia ? Demanda lentement Jessy avec le regard suspicieux d’un archéduc.

- Eh ouais ! Vous aussi vous y participez ? S’exclama Matthieu avec une bonne humeur très agaçante pour Jessy.

- Ouais…

- Cool ! J’ai hâte de vous revoir sur scène. C’était pas mal votre petit concert hier soir. »

Les mots de Matt résonnaient dans la tête de Jessy : "pas mal", "petit concert"… Elle trouvait ses réflexions dédaigneuses, malgré son visage aimable.

« Vous faites beaucoup de concours ? Demanda Scott.

- Pas tant que ça, mais on les gagne tous ! »

Matt éclata de rire et tapota amicalement l’épaule de Scott. Blessée dans son orgueil, Jessy se braquait comme un majaspic et toisait Matt avec un regard sombre. Scott était raide comme un simularbre, il sentait que l’ambiance était bizarre. Matthieu était difficile à cerner et Jessy dégageait une aura hostile à en faire frémir lucario.

 

Après le repas, les jumelles accompagnèrent Fry et Scott jusqu’à leur cabine. Fry avait du mal à marcher droit. Comme il s’était clairement senti délaissé par ses amis et les membres des Dark Love pendant le diner, il avait un peu trop forcé sur la boisson. Jenny devait parfois le rattraper par la manche pour éviter qu’il ne s’approche trop du bastingage. Jessy ne disait rien, elle ruminait en fixant le dos de Scott. Arrivé devant sa cabine, le jeune homme ouvrit la porte et il laissa Fry entrer le premier pour qu’il puisse s’asseoir.

« T’as besoin d’aide pour te déshabiller ? Lança Jenny sur un ton moqueur.

- Ça ira… Au pire Scott m’aidera, répondit Fry en agitant la main en direction de Jane.

- Euh… Non. »

Jenny jeta un œil au visage coincé de Scott en se retenant de rire, elle avait beaucoup de mal à y parvenir. En la voyant se plier en deux contre la cloison, Scott finit par esquisser un léger sourire, il la trouvait tellement belle. Quand elle rayonnait comme ça, il se sentait transporté.

« Bonne nuit les filles… Souffla-t-il sans quitter Jenny des yeux.

- Bonne nuit Scott. » 

Immobile, la main posée sur la clenche, il fut extirpé de sa contemplation de Jane par Jessy.

« Eh ! »

Scott se retourna en sursautant à moitié.

« Je t’interdis de pactiser avec l’ennemi Scott ! Vociféra Jessy.

- L’en… L’ennemi ? Balbutia-t-il sans comprendre.

- Les Dark Love. Tu ne les approches plus.

- C’est un peu exagéré…

- Tu plaisantes ? J’les connais pas ces sablaireaux, sauf Corentin et c’est un super bon batteur.

- Meilleur que moi ? » Brailla Fry avec un pointe d’anxiété dans la voix depuis l’intérieur de la cabine.

Jessy allait répliquer d’un oui franc, mais elle se ravisa et s’étonna elle-même de cette délicatesse envers son ami. Elle se rassura malgré tout comme elle put : contrairement au champion de la Ligue Orange, Coco ne savait pas apprendre aux pokémon à jouer de la musique.

« Il est très bon et donc dangereux, se contenta de dire Jessy avec un ton sérieux. Je n’aime pas trop l’attitude de leur leader non plus. C’est un malin, ça se voit, et il nous a déjà volé la vedette une fois.

- Matthieu ? Je le trouve sympa moi… Couina Scott.

- J’le sens pas du tout. Il va nous donner du fil à retordre et j’ai pas envie que t’aille raconter des trucs sur nous à ces gars-là.

- Ça suffit Jess, laisse-le tranquille. Il a le droit de parler à qui il veut, dit Jenny d’une voix ferme.

- Jane c’est une compétition ! On ne peut pas prendre ce genre de risque ! Protesta Jessy.

- Quels risques ? Objecta Jenny. Je ne leur parlerai pas, tu ne leur parleras pas et Fry non plus visiblement, mais Scott ne joue pas avec nous, il n’y a aucune raison pour que tu le musèles comme ça ! C’est à cause de cette attitude qu’on n’a jamais réussi à se faire de vrais amis pendant nos ligues.

- Ligues qu’on a toutes gagnées. C’est le prix à payer pour être au top. »

Jessy se tourna vers Scott et le pointa d’un doigt menaçant.

« Je t’aurais prévenu. »

Scott se tassa sur lui-même, dans la peau d’un carapuce il se serait recroquevillé dans sa carapace. Jessy s’éloigna d’un pas raide avant de succomber à la colère, elle ne voulait pas se disputer, mais c’était plus fort qu’elle, son tempérament de feu prenait toujours le dessus.

« Ne l’écoute pas. » Dit gentiment Jenny à Scott avec un sourire rassurant.

Elle avait envie de poser une main sur son épaule pour le réconforter, mais elle s’abstint, il était inutile de l’émoustiller avec un geste anodin.

« Fais de beaux rêves Scott.

- Ah euh, oui Jane, merci toi aussi…

- Et un conseil… »

Elle désigna d’un doigt nonchalant l’intérieur de sa cabine et elle lui fit un clin d’œil avant de s’éloigner à reculons.

« Laisse le dormir sur le côté gauche du lit, ça t’évitera d’être sur la trajectoire des toilettes. »

Scott la regarda s’éloigner avec son sourire filou sur le visage. Il resta sur le seuil de sa porte jusqu’à ce qu’elle disparaisse au niveau de l’escalier descendant vers le pont inférieur.

 

A suivre…

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