Les Train Twins

Chapitre 36 : Murder on the dancefloor

8228 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/03/2022 10:40

Chapitre 36

 

Murder on the dancefloor

 

« Enfin une vraie soirée ! » S’écria Fry.

Le thème du diner-dansant du samedi soir était "Rétro 100", écrit en chiffres et en gros sur l’affiche de l’entrée et sur le programme. Il s’agissait de jouer des musiques vieilles d’environ cent ans, en gros tout le répertoire principalement américain des années 1950 et 1960.

« La seule chose qui me manque vraiment de l’Archipel Orange c’est les soirées avec les potes.

- Genre t’allais faire des soirées disco et des thés dansants avec tes copains ? Se moqua Jessy.

- Non, mais on s’incrustait dans les fiestas d’étudiants du spring break.

- M’est avis que l’ambiance de ce soir ressemblera plus à un bal de promo de teenage movie qu’à une orgie tropicale, objecta Jane.

- C’est mieux que rien. »

Depuis la catastrophe de Lucario à Verchamps, les filles avaient perdu la quasi-totalité de leur garde-robe, alors elles s’étaient faites plaisir en louant une paire de robes vintage à pois rouges et noires pour être dans l’ambiance. La blanchisserie du Nymphéa avait été dévalisée pour la soirée rétro, les filles n’avaient réussi à récupérer des robes que parce qu’elles rentraient dans un trente-six, toutes les autres tailles avaient disparu, y compris du rayon enfant. Les garçons, eux, n’avaient fait aucun effort vestimentaire. Fry eut toutes les peines du monde à trainer Scott avec lui. Le jeune homme avait faim et il voulait voir Jenny, son enthousiasme modéré pour la soirée s’arrêtait là. Fry en revanche était bien décidé à profiter de cette illusion de vacances.

 

En pénétrant dans la salle de réception, Scott aperçut Artus et Corentin en tenues rétro, Artus portait élégamment un costume en feutre avec un petit nœud papillon et Coco se la jouait badboy et veste en cuir. Ils étaient en train de bavarder avec deux jeunes femmes, des membres du fan-club de Fry d’ailleurs. Scott n’osait pas aller les saluer, d’abord parce que Jessy l’avait menacé, ensuite parce qu’il ne voulait pas interrompre leur conversation ressemblant beaucoup à de la drague ouverte. Sur scène, Stéphane et André étaient accompagnés d’un autre groupe de musique, composé exclusivement d’hommes autrement plus âgés que les Train Twins. Le gang de quinquagénaires semblait dans son élément et les couples de danseurs avaient déjà envahi les lieux. Les jumelles trépignaient d’impatience dans leurs robes de pin-up. Elles étaient si jolies que Scott avait du mal à les regarder sans rougir, elles semblaient tout droit sorties d’un vieux film de Pokéwood.

Fry et les rouquines se défoulèrent sur le "Jailhouse Rock" d’Elvis Presley. Sage et en retrait, Scott regardait ses trois amis avec un sourire absent près du buffet. Ils continuèrent de danser sur "Da Doo Run Run" par The Crystals. Les filles chantaient avec enthousiasme par-dessus les musiciens en se faisant face et en riant à moitié. Fry, contaminé par leur bonne humeur, ne détachait ses yeux des belles rouquines que pour jeter de brefs regards à Scott, tout seul sur le côté. Le timide technicien affichait la mine tristounette et incommodée d’une personne qui s’ennuie fermement, mais n’ose pas partir pour ne vexer personne.

« L’une de vous devrait inviter Scott à danser, ce serait plus sympa. » Déclara Fry à la fin du morceau.

Les jumelles se questionnèrent du regard.

« Je vais m’y coller, ne t’en fais pas Jane.

- Non, je vais le faire, répondit Jenny avec un sourire amusé. Tu lui fais peur, ça ne servirait rien.

- Mais arrêtez de dire que je fais peur aux gens ! Et n’te marre pas toi ! » S’offusqua Jessy.

Elle donna une claque dans le ventre de Fry, parti dans un gros fou rire. Jenny s’éloigna d’eux pour aller parler à Scott. Jessy et Fry se retrouvèrent en binôme dans la foule de danseurs. Les musiciens étaient vraiment chauds, ils se concertèrent pour entamer les choses sérieuses et, avec la nostalgie d’un temps qu’ils n’avaient pas connu, ils se lancèrent dans un "Johnny B. Goode" de Chuck Berry.

Fry essuya une larme de fou rire au coin de son œil, puis il tendit les mains pour prendre celles de Jessy. Cette dernière plissa les yeux avec un petit rictus avant d’accepter l’invitation en posant ses paumes dans celles de Fry. Le couple se lança dans un rock à six temps, équilibré et rythmé. Fry essaya de jouer son rôle de cavalier, mais c’était difficile avec Jessy, pourtant il s’accommodait bien de sa liberté de mouvements. Il se disait qu’elle avait dû apprendre avec sa sœur et que c’était sans doute elle qui endossait le rôle du cavalier. Dans sa robe vintage, Jessy virevoltait sur elle-même dans une rotation hypnotique. En confiance, Fry la saisit par les hanches, la souleva, tourna sur lui-même et la reposa sur la piste de danse avant d’enchainer avec les autres mouvements, la rouquine était à fond dans sa danse et suivait la cadence sans problème.

Les passagers étaient fans de Johnny B. Goode et tout le monde applaudit les musiciens à la fin de la chanson. Des sifflets d’encouragement s’envolaient dans la salle. Fry libéra les mains de Jessy, les deux ados avaient le sourire jusqu’aux oreilles.

« Je ne savais pas que tu aimais danser, dit finalement Fry.

- Ça bouge et ça défoule, répondit simplement Jessy.

- J’en conclus que tu ne danses pas les slows, renchérit Fry avec un sourire filou.

- Nan, et de toute façon on ne m’invite jamais pour ça. »

Fry rit silencieusement, face à Jessy tous les garçons devaient être un peu comme Scott au fond.

« Tu te débrouilles bien aussi d’ailleurs.

- Tiens donc ! Un compliment du léviator rouge, c’est jour de fête ! Plaisanta Fry, mais il était réellement et agréablement surpris.

- C’est ça fais le malin… »

Jessy avait une lueur étrange dans son regard bleu électrique, l’instinct de champion de Fry capta quelque chose.

« Toi, t’as une idée derrière la tête. »

Jessy agrandit son sourire.

« Tu te sens d’attaque pour un rockabilly ? »

Pendant ce temps, sur le "Let's Twist Again" de Chubby Checker qui avait commencé après le morceau précédent, Jenny essayait d’entrainer Scott à bouger sur la musique. En toutes circonstances, la rouquine évitait à tout prix de toucher Scott pour ne pas le perturber, elle était donc soulagée de lui apprendre le twist, cette danse ne nécessitait aucun contact direct.

« Regarde bien mes jambes et mes bras d’accord ? Tu verras c’est très simple. »

Jenny secoua les reins et les bras, elle avait une grâce indescriptible, malgré le fou rire qu’elle tentait de réprimer parce qu’elle avait l’impression de se dandiner comme un canarticho. Avec sa silhouette divine et ses mouvements délicats, elle ressemblait davantage à un gracieux gardevoir tentant d’imiter un gallame. Scott la trouvait absolument magnifique. Il suivait ses gestes, essayait de les imiter avec une certaine maladresse, cela la fit sourire davantage. Scott entrait peu à peu dans une sorte de transe. Il avait mal au cœur et ce n’était en aucun cas une métaphore pour parler du mal de mer. Jenny finit par le remarquer, son doux sourire s’ébranla dans une légère inquiétude.

« Ça va Scott ? Tu t’es fait mal quelque part ?

- Non non ça va, j’ai juste… Je-je crois que je ne suis pas très doué.

- Mais si, tu t’en sors très bien.

- C’est gentil, mais je ne suis pas convaincu…

- Attends, on va faire autrement. »

Elle se mit à côté de lui, cela le troubla un peu et elle lui demanda de l’imiter en mode krabby, avec des pas sur le côté. Scott voulait faire plaisir à Jenny, alors il fit des efforts pour suivre le rythme, mais au bout d’un moment leurs mouvements s’emmêlèrent et ils se bousculèrent. Scott manqua de s’étaler par terre et Jenny dut se rattraper à une danseuse sur leur gauche. La cavalière sursauta lorsqu’elle sentit une main s’agripper à son coude. Jenny s’excusa avant d’éclater de rire devant Scott. Le blondinet n’eut pas le temps de paniquer, elle l’incita à continuer son twist. De jeux de jambes en jeux de jambes, Scott finit par se détendre et retrouver le sourire, même si pour une obscure raison il avait désormais à l’esprit l’image d’un kicklee en train de faire un twist accordéon avec ses jambes.

Le morceau avait encore changé et Jenny et Scott continuaient leurs tentatives de twist. Au bout d’un moment, ils s’arrêtèrent de danser en s’apercevant que la plupart des autres couples ne dansaient plus non plus. Les danseurs, amusés presque excités, jacassaient entre eux et commençaient inconsciemment à former un cercle de spectateurs. Jenny et Scott échangèrent un regard intrigué.

« Il se passe quoi ? » Demanda Scott.

Jenny haussa les épaules en guise de réponse et s’avança vers le cercle pour trouver un bon point d’observation. Scott lui emboita le pas. Les deux ados furent stupéfaits de voir au milieu de la piste, Fry et Jessy en train de danser un rockabilly jive sauvage sur le rythme endiablé de "Hound Dog". Leur rapidité et leur agilité étaient impressionnantes, fascinantes même. Scott était scotché, il suivit d’un mouvement de tête le saut de Jessy par-dessus le crâne de Fry, juste après qu’il l’ait fait pivoter sur son bras. La liberté de mouvement que leur offrait cette danse les poussait à se dépenser et à monter dans la surenchère des acrobaties, sans jamais se lâcher, ils gardaient toujours au moins une de leur deux mains dans celle de l’autre. Jenny, les yeux écarquillés, affichait un sourire bluffé.

« Ils… Ils avaient déjà dansé ensemble ? Demanda Scott alors que sa tête se levait et s’abaissait au rythme de leurs prouesses sur le dancefloor.

- Non, jamais. » Répondit Jenny en suivant des yeux la pirouette de Jessy par-dessus le dos de Fry, il s’était spontanément baissé pour lui faciliter la tâche.

Jenny devait le reconnaître, pour deux personnes qui n’avaient jamais pratiqué de rock acrobatique ensemble, ils étaient tout bonnement sensationnels. Scott et Jenny tournèrent lentement la tête l’un vers l’autre, ils avaient la même expression de surprise sidérée face à ce spectacle improbable. En voyant mutuellement leurs visages hébétés, ils éclatèrent de rire ensemble.

Les musiciens firent une pause pour reprendre leur souffle. Les passagers applaudirent vigoureusement la prouesse technique de Jessy et Fry, essoufflés mais contents. Main dans la main, ils échangèrent un sourire plein d’assurance avant de remercier plus modestement les gens autour d’eux. Jessy ne crachait jamais sur une ovation, mais elle était tellement à fond dans sa danse qu’elle en avait oublié la présence des autres passagers. Scott aussi les applaudissait avec entrain.

« Ils sont géniaux. »

Afin de récupérer un peu d’énergie, les musiciens se décidèrent à jouer un morceau plus soft, Jane reconnut la chanson "The Great Pretender". Danser là-dessus, c’était faire du collé-serré, or ce n’était pas du tout une option pour Jenny et Scott. La gêne chassa leur bonne humeur, ils n’osaient plus se regarder.

De leur côté, Jessy et Fry réagirent à leur manière. Jessy râla et lâcha enfin la main de Fry, ce n’était pas son style de musique, il n’y avait rien d’intéressant à faire là-dessus. Fry la regarda avec amusement. Comme elle refusait obstinément sa main qu’il gardait tendue vers elle pour l’inviter, il se dit que c’était le bon moment pour faire une pause. Il était lessivé, mais en apercevant Jenny et Scott immobiles en train de fixer le plafond avec des yeux de froussardines, il crut bien faire en allant proposer une danse à Jenny. Reconnaissante, elle accepta l’invitation avec un beau sourire amical. Elle fit un petit signe à Scott.

« A tout de suite Scott ! »

Scott regarda la rouquine s’éloigner de lui en prenant la main de Fry. Les deux amis se mirent en position pour danser le slow de The Platters. Blottis l’un contre l’autre, Jenny sentit la sueur et la fatigue physique que Fry essayait de dissimuler après son rockabilly de folie avec Jessy. Elle pinça les lèvres en riant intérieurement, en fait même Fry jouait les fiers à bras quelques fois. Elle passait une bonne soirée en compagnie de sa sœur et de ses deux compagnons de voyage. Scott, lui, sentit son cœur se serrer tellement fort en voyant Jenny dans les bras de Fry qu’il pensa un instant qu’il allait s’écrouler sur place.

Après un rapide détour par le buffet, Jessy revint dans le secteur de Scott, décidée à se montrer sympa avec lui et à discuter le temps que Jenny et Fry terminent leur danse. Elle n’avait toujours pas digéré les propos de sa sœur, comme quoi Scott avait peur d’elle. Malheureusement, il était trop tard : le jeune technicien s’était enfui de la salle de réception.

A l’extérieur, Scott appuya sa tête sur le premier bastingage venu. Il serra les poings, les dents, les paupières, tout ce qu’il pouvait. L’air frais marin lui brûlait les poumons, mais il s’en fichait, il ne prit pas la peine de sortir sa ventoline.

« Je n’y arriverai pas ! C’est trop dur ! » Cria-t-il seul sur le pont, des larmes de rage et de chagrin bloquées au coin de ses yeux clos.

Il pensait pouvoir prendre sur lui et voyager avec les jumelles tranquillement pour essayer de soigner les plaies du passé, renouer avec elles et repartir sur des bases saines… Mais chaque fois qu’il posait les yeux sur Jenny, c’était comme être lacéré par une dizaine d’insécateurs. Il avait mal, mal à en crever. Il se sentait stupide, pathétique, faible… Il avait envie d’hurler qu’il l’aimait, quitte à se faire humilier une deuxième fois, il se retenait uniquement pour ne pas la déranger, comme il lui avait promis. Cette promesse était un véritable calvaire pour lui, un acte presque contre-nature, il l’aimait à la folie. Il voulait retourner chez lui se cacher dans son atelier comme un rattata dans son trou.

« Chagrin d’amour ? » Lança une voix derrière lui.

Scott sursauta et faillit passer par-dessus bord. Son interlocuteur s’approcha rapidement pour voir si Scott allait bien, il regrettait déjà sa boutade.

« Désolé vieux, j’voulais pas te faire peur… »

Scott essaya de soupirer en reconnaissant Matthieu, il réalisa alors qu’il avait du mal à respirer et prit son inhalateur. Après une bouffée de médicament, il se laissa lentement glisser jusqu’à s’asseoir par terre. Il s’adossa au bastingage et réussit à souffler un soupir malheureux. La douleur était toujours là, mais il se sentait plus calme. Matt s’installa à côté de lui avec compassion.

« Tu veux en parler ?

- Y a… Y a rien à dire…

- Y a toujours quelque chose à dire. » Répliqua Matthieu, il avait soudainement envie d’une bière.

Scott soupira à nouveau en regardant les étoiles, Matt l’imita. Après un moment de silence, il tenta de sourire à son nouveau pote.

« Ça ira mieux demain.

- Non. Non c’est bien ça le problème. Demain elle aura toujours le même visage, toujours la même voix, toujours le même esprit brillant, et moi je serai toujours moi.

- Je crois que tu te sous-estimes mon gars. Tu lui as dit ce que tu ressentais ?

- Oui. Je me suis pris le pire râteau de la terre.

- Oh. Désolé… »

Matthieu ne savait plus comment aborder le sujet sans faire plus de mal au pauvre Scott, mais en réalité ça soulageait le jeune homme d’enfin en parler à quelqu’un.

« J’ai écrit une chanson pour elle… En fait, j’en ai écrit plein, ajouta Scott avec un sourire d’autodérision.

- T’es un vrai romantique Scott Network, dit Matt avec une sincère admiration dans la voix et beaucoup d’empathie.

- Et à quoi ça sert ? Je voudrais me jeter à la flotte et rentrer à la nage au Cap d’Azuria... » Lança Scott en haussant les épaules.

Matthieu se leva avec un air décidé.

« Eh tu sais quoi ? T’as pas besoin d’aller jusque-là. J’sais que c’est dur sur un bateau, mais prend du recul. Et si tu veux, moi je la chanterai ta chanson.

- Quoi ?

- Enfin pas moi, mais Artus, et moi je l’accompagnerai à la guitare.

- Je ne… C’est gentil mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée…

- Pourquoi ?

- Je lui ai promis de ne plus la mettre dans l’embarras.

- Mais quel embarras vieux ? S’exclama Matthieu. Si c’est Artus qui s’en charge y a pas de blem, t’as quand même pas écrit une chanson pour rien ! Si elle ne veut pas l’entendre, d’autres filles l’entendront cette chanson. Moi j’ai grave envie de l’écouter en tout cas ! »

Scott se sentait flatté, intimidé mais flatté. Matthieu agrandit son sourire bienveillant.

« J’veux pas être méchant avec la fille que tu aimes, mais je pense qu’elle n’est pas si brillante que ça si elle n’a pas vu ce que moi j’ai vu en toi. T’as un talent fou, ce serait con de le gâcher, tu ne crois pas ? »

Les mots et le sourire confiant de Matt avaient un pouvoir hypnotique sur Scott. Le blondinet finit par hocher la tête positivement. Il accompagna Matthieu jusqu’à sa cabine pour lui montrer son carnet de chansons. Les jumelles attendirent son retour dans la salle de réception, en vain.

« Il aurait quand même pu nous dire bonne nuit, ronchonna Jessy vexée.

- Je suppose que c’est mon slow avec Jenny qui… »

Fry ne termina pas sa phrase, il était fatigué et euphorique, alors il n’avait pas réalisé que son commentaire allait déranger son amie, même si la rouquine n’était pas dupe, il était malvenu d’enfoncer des portes cassées. Jane leur tournait le dos, elle ne fit aucun commentaire et ni Jessy, ni Fry ne purent voir son visage avant qu’elle ne reprenne son sourire des bons jours.

« Moi je n’ai pas sommeil du tout, chantonna Jenny. On s’en refait une ?

- Ouais ! » S’écria Jessy.

Après avoir récupéré son carnet, Scott suivit Matthieu jusqu’au pont supérieur. Il écarquilla les yeux en découvrant la suite de luxe occupée par les Dark Love. Il entra dans un salon bleu-blanc-brun doté d’une immense baie vitrée offrant une vue splendide sur l’océan et, beaucoup plus étonnant, d’un piano à queue. Un escalier courbe menait à une mezzanine sur laquelle se trouvait un lit double très large. Le vaste appartement était désert, il ne semblait y avoir personne dans la seconde chambre à la porte entrouverte, ni personne dans la salle de bain. Scott en conclut que les trois autres musiciens devaient encore se trouver à la soirée rétro.

« Wouah…. Vous avez les moyens. Rien à voir avec ma cabine. » Souffla le blondinet, impressionné.

En admirant le décor, il remarqua deux guitares acoustiques posées dans un coin du salon.

« On a gagné ce voyage dans un concours de musique à Safrania, expliqua Matthieu. Notre petit séjour sur l’île Gélatine nous a motivé avec Artus, on a suivi l’exemple des Train Twins.

- Comment ça ?

- Au départ, il n’y avait qu’Artus et moi, on s’est dit que ce serait plutôt pas mal d’étoffer notre équipe et de fonder un vrai groupe. Cyk est un vieux copain et on a recruté Coco après que les Train Twins l’aient rembarré.

- Je ne comprends pas tout… » Couina Scott.

Matthieu invita sa nouvelle connaissance à s’installer sur le canapé. Il sortit une limonade du minibar pour Scott et prit une bière pour lui. Le guitariste s’assit à côté de Scott sur le sofa et lui raconta le déroulement du concours sur l’île Gélatine. Il lui parla évidemment de l’annonce de Jessy à la fin. Il révéla ensuite à Scott qu’Artus et lui étaient venus assister aux auditions, les jumelles ne les avaient pas remarqués dans la foule masculine des candidats, c’est là qu’ils ont repéré Corentin. Comme les filles l’avaient finalement planté, lui préférant Fry, ils l’avaient embauché dans la foulée, avant d’aller récupérer Cyk à Doublonville. C’est ainsi que Mate le jukebox était devenu Dark Love.

Scott était quelqu’un de gentil, candide sur plusieurs aspects, quelqu’un de "pur" d’une certaine manière. En écoutant le récit de Matthieu, il réalisa que Jessy avait raison quand elle disait que c’était un type malin et surtout opportuniste. Cependant, aux yeux de Scott ça ne le rendait pas antipathique pour autant, il ne voyait aucun mal à ce que faisait Matt. Au contraire, il trouvait le jeune guitariste très avenant et aussi doux à son égard que pouvait l’être Jenny.

Matthieu écouta patiemment à son tour l’histoire de la rencontre de Scott avec les jumelles dans l’Archipel des Sevii, puis de leur séparation et de leurs retrouvailles au Cap d’Azuria. Scott ne s’attarda pas trop longuement sur sa déclaration maladroite et l’humiliation publique qui avait suivi, le souvenir était encore très douloureux, mais le musicien avait saisi l’essentiel.

Matthieu gardait en permanence un sourire énigmatique, il mettait Scott en confiance autant qu’il l’intriguait. Scott était observateur et bon analyste d’habitude, pourtant il n’arrivait pas à deviner ce que Matt avait dans la tête, ça le perturbait beaucoup.

« Tu disais que tu avais écrit une chanson pour Jenny ?

- Oui… Fit Scott d’une voix faible en terminant tristement sa limonade.

- Tu veux bien me la jouer ? » Demanda Matthieu en penchant la tête en direction du piano.

 

 

Le lendemain matin fut un peu difficile pour les jumelles, elles s’étaient couchées bien plus tard que d’habitude. Ce furent leurs raichu qui vinrent les sortir du lit. Pit et Chu sautaient sur leurs dresseuses respectives. Jenny fut réveillée brutalement et Jessy grommela en repoussant son pokémon. Pit se rattrapa au rebord du lit et pesta bruyamment.

« Rai rai !

- Ouais ouais c’est bon… »

Jessy entrouvrit l’œil et fusilla son raichu du regard. L’espace d’un instant, elle compatie avec Fry pour toutes les fois où elle l’avait levé de force, mais très vite son empathie fut chassée par l’envie d’aller l’extirper des bras de Morphée et elle bondit hors de son lit pour s’habiller.

Les filles toquèrent à la porte de la cabine de Scott. Le jeune homme ouvrit et sourit timidement aux jumelles. Il avait des cernes sous ses verres de lunettes, lui non plus n’avait pas beaucoup dormi. Par-dessus l’épaule du blondinet, elles aperçurent Fry encore enroulé dans les draps et en train de dormir. Il était au bord du lit vers la porte, Jenny se demandait comment Scott avait réussi à s’extirper du lit conjugal sans déranger Fry. Cette pensée l’amusa beaucoup.

« Debout champion ! On a encore du travail aujourd’hui ! Cria Jessy en tirant sur les draps pour réveiller Fry.

- Humf qumf hurf ?

- Hein ?

- Il est quelle heure ? Répéta Fry en soulevant lourdement sa tête de l’oreiller.

- L’heure de bouger vos fesses Monsieur Morgan !

- C’est-à-dire dix heures et demi.

- Roh c’est bon, c’est large… Revenez me chercher pour le déjeuner… »

Il voulut s’enrouler à nouveau dans les draps, mais Jessy lui sauta dessus en tirant à l’autre bout du tissu. A genoux dans le lit, Pit et Chu trouvaient que la rouquine se comportait comme eux et ils prirent son attitude comme un encouragement de sa part. Ils se jetèrent à leur tour sur la literie, Chu écrasa au passage la tête de Fry.

« Mais foutez moi la paix, merde !

- Rai rai !

- Rai !

- Par pitié doucement, c’est ma cabine… » Chouina Scott en voyant l’anarchie de cette bagarre improbable sur son matelas. En riant à moitié, Jenny alla récupérer sa sœur.

« Habille toi Fry, on t’attend dehors ! Je te laisse Chu pour être sûre que tu ne te rendormes pas. »

Scotty avait chaud en se levant. Il avait mis ça sur le compte de la soirée de la veille, et puis il dormait dans le même lit que Fry, or le jeune champion réchauffait les draps comme un radiateur, parfois Scott avait l’impression de dormir avec un roussil. Mais ce matin-là, il suffoquait presque sous sa chemise à carreaux.

« Qu’est-ce qu’il fait chaud… » Souffla Scott en tirant sur son col pour l’aérer.

Le jeune homme originaire des îles Sevii était plutôt du genre à craindre le froid plutôt que les fortes chaleurs, mais le changement de température était un peu trop brutal pour lui. En sortant de la cabine, Fry huma l’air et s’avança le buste dressé vers le bastingage. Il grimaça.

« Arf… Je reconnaitrais ce climat entre mille… On est de retour dans l’Archipel Orange. »

Jenny posa une main réconfortante sur son épaule et lui sourit.

« Ce n’est que temporaire rassure toi, dans une semaine tu poseras le pied à Hoenn.

- Rai ! » Geignit Chu en tirant sur la jupe de sa dresseuse.

Il mourait de faim, comme son frère et les quatre humains. Il était temps pour eux d’aller bruncher. Scott et Fry, son évoli sur les épaules, marchaient côte à côte derrière les jumelles et leurs raichu.

« Au fait, t’étais où hier soir ? »

Fry était parti de la soirée dancing à deux heures et demi du matin, pensant trouver Scott endormi dans sa cabine, mais au lieu de ça ils s’étaient croisés sur le seuil de la porte au moment où Scott rentrait lui aussi.

« Oh, euh… Je suis allé voir Matt.

- Matt ? Répéta Fry pour signifier qu’il n’avait pas compris.

- Euh Matthieu. Le guitariste des Dark Love…

- Ah oui, le musicien à qui Jessy t’a interdit de parler.

- Euh… Oui… Oui… » Fit lentement Scott dont le visage palissait.

Il se mit à triturer nerveusement ses doigts.

« Euh… Tu ne vas pas lui dire hein ? »

Fry se retint de rigoler.

« Bien sûr que non ! Comme te l’a dit Jane tu parles à qui tu veux. »

Pour leur deuxième soirée à thème, Jenny avait proposé de reprendre le même concept que sur l’île Shamouti. André et Monsieur Lee avaient adoré l’idée, ils la trouvaient parfaite pour marquer le passage du Nymphéa dans la mer Orange et l’avaient donc planifiée en conséquence. Jessy avait trouvé des robes et un costume adaptés à la mise en scène à la boutique de location de vêtements du navire. En tant qu’employés, ils avaient le droit de les emprunter gratuitement tant qu’ils ne les abimaient pas. Jenny avait enfilée une robe bleue imitant le plumage d’artikodin. Elle portait un épais tour de cou en plumes grises qui lui tenait chaud. Malgré le froid de l’hiver de Kanto au départ, la température avait brutalement augmentée lorsqu’ils étaient passés sous les tropiques et Jane s’était vite réhabituée à ne porter qu’une petite robe légère. En outre, ce n’était pas pratique pour jouer de la musique, mais elle avait été conquise par cette belle robe scintillante fendue aux jambes jusqu’en haut de la cuisse. Elle se trouvait très séduisante dans cet accoutrement et puis la robe sulfura, bien que plus légère, était plus adaptée à Jessy. Le corps de sa robe, d’un rouge vif, couvrait sa poitrine et son entre-jambe, mais le bustier et ses membres se voyaient à travers des lambeaux mal taillés de tissus jaunes et orangés transparents. Le tout imitait les flammes des ailes d’un sulfura sur ses bras. Les jumelles portaient aussi toutes les deux des bottes en cuir noir.

Fry complimenta Jenny sur sa tenue, la jeune fille était ravie, mais lorsqu’il vit Jessy sortir à son tour dans sa robe sulfura qui lui allait comme un gant, il eut un déclic.

« Ah c’est la fameuse robe, pensa-t-il à voix haute.

- Hein ? Fit Jessy avec une demi-grimace.

- De quoi tu parles Fry ? » Demanda Jenny.

Fry contempla Jessy, elle était très belle, ou plutôt elles étaient très belles toutes les deux. Elles étaient sexy aussi et même super-super sexy, mais la magie n’opérait pas sur Fry. Il l’avait déjà dit : il n’était pas comme Seb, envouté par Florine dans cette même robe. Jessy le regarda avec un haussement de sourcil et la grâce d’un golemastoc.

« Bah quoi ?

- Non rien, je pensais à un vieux truc. Si je comprends bien, y’a que moi qui ait l’air d’un con ? »

Fry portait un costume gris très foncé et une chemise jaune vif. Jessy lui avait trouvé en plus un nœud papillon bicolore, noir et jaune, pour aller avec. Il symbolisait électhor.

« Moi je te trouve très élégant, dit Jenny.

- Moi aussi, fit gentiment Scott.

- Après t’as toujours l’air un peu con de base. »

Fry jeta un regard en biais à Jessy, elle se marrait toute seule. Il lui donna une petite tape sur l’épaule avec un revers de main. Les deux autres échangèrent un sourire amusé et toute la petite troupe se mit en route pour la salle de spectacle.

Les Train Twins avaient repris les mêmes chansons que lors de la fête de la Légende, à savoir : "Ecoute la terre", "Le pouvoir de l’amour" et "La tribu des lugia". Le concert avait débuté par le chant de Lugia, André avait accepté de les accompagner au saxophone au début. C’était moins classe que l’ocarina, mais l’originalité avait le mérite d’intriguer l’assistance et d’amuser le trio d’adolescents. Ils avaient aussi conservé "Nous les maîtres de demain." pour l’occasion avec son refrain sur Artikodin qui se prêtait bien au thème de la soirée. Pour la clôture du spectacle, Stéphane s’était mis au piano pour reprendre le chant de Lugia avec Jessy à la guitare acoustique.

Le lendemain de leur spectacle sur les oiseaux légendaires, Jessy fut la première levée. Elle tournait souvent comme un hélionceau en cage le matin, elle s’ennuyait ferme sur ce bateau quand elle ne combattait pas ou ne jouait pas de musique, d’où son besoin maladif de réveiller ses camarades pour lui tenir compagnie. Jenny aussi été réveillée, mais elle attendait que l’une des salles de bain communes des employés se libère. Comme la cabine étriquée n’était clairement pas le meilleur endroit pour composer, Jessy était partie guitare à la main à la recherche d’un endroit paisible où se poser. Malheureusement, les plus jolis coins étaient toujours pris d’assaut, même tôt le matin, or elle avait besoin de calme pour se concentrer. Machinalement, elle avait rejoint la cabine de Scott.

« Bonjour Jessy, dit le blondinet en croisant son amie dans le couloir.

- Evo vo ! Cria Friday hissé sur les épaules de Scott pour saluer la rouquine.

- Salut Scotty, j’suppose que Fry n’est pas levé ? »

Scott hocha négativement la tête avec un petit air crispé. Jessy soupira avant de sourire amicalement à Scott pour le mettre en confiance. Toujours obnubilée par la réflexion de sa sœur sur le fait qu’elle effrayait les autres, dont Scott, Jessica essayait de faire des efforts pour parler au technicien. C’était difficile, pour l’un comme pour l’autre, elle n’avait pas l’habitude de se forcer à faire la conversation et lui restait intimidé par le charisme de Jessy. C’était finalement plus simple pour elle de communiquer avec la musique.

La rouquine se hissa sur une chaloupe de sauvetage recouverte d’une toile cirée rouge située près de l’escalier menant à la salle du petit déjeuner et répéta quelques morceaux en attendant que Fry et Jenny pointent le bout de leur nez. Scott l’écouta jouer avec un plaisir non feint mais réservé, sagement adossé contre la cloison. Friday agitait sa queue au rythme de la mélodie et régulièrement le jeune homme se retrouvait avec les poils d’évoli dans le nez. Il n’osait pas réprimander son pokémon, comme il n’osait pas interroger Jessy sur sa musique, pourtant il en mourait d’envie.

Lorsque Fry les rejoignit, Friday se mit à aboyer joyeusement, interrompant Jessy dans son morceau. Le jeune champion portait ses tongs et n’était vêtu que de son caleçon de bain orné de raichu et de noadkoko d’Alola.

« Pourquoi tu te balades torse nu ? » Demanda Jessy.

Scott écarquilla légèrement les yeux, il était impressionné par les larges pectoraux imberbes et les abdominaux magnifiquement dessinés de Fry. Il soupira discrètement, la nature était vraiment injuste.

« Un conseil de Jenny. Elle dit que ces dames apprécient de voir des jolies choses autant que ces messieurs. Je la cite. » Précisa Fry.

Jenny débarqua à son tour et Scott faillit faire un malaise : elle portait le même bikini que sur l’île Citrus. Scott n’avait jamais eu l’occasion de le voir, en dehors de quelques photos sur internet qu’il n’avait aperçues que de brèves secondes, trop gêné de regarder des choses pareilles. Jane avait eu la décence de s’équiper d’un paréo blanc et jaune autour de sa taille. Malgré tout, le tissu restait relativement léger et on devinait facilement la forme de son bas de maillot sous la voilure claire, et surtout ses magnifiques seins ronds et fermes étaient à peine couverts par les deux petits triangles rouges.

Avec le beau temps, la plupart des passagers s’étaient rués à la piscine et sur les chaises longues du pont soleil, pourtant les Train Twins constatèrent un pic d’affluence dans leur centre d’entrainement. Le nombre de dresseurs et dresseuses venus les affronter avait quasiment triplé. Jessy ne comprenait pas pourquoi, mais Jenny savait très bien que c’était l’effet maillot de bain. Comme sur l’île Citrus, selon leur inclinaison, les gens venaient pour reluquer les corps parfaits de Jenny et de Fry. Pourtant, aucune des demoiselles venues admirer Fry n’avait encore osé l’aborder, ça le rendait perplexe. Certes, il était rarement tout seul, il savait depuis le temps qu’il voyageait avec elles que la présence de Jessy et Jenny décourageait la plupart de ses prétendantes, mais Fry était en carence d’amour physique, alors il sortait le grand jeu depuis leur départ de Carmin-sur-mer pour attirer la sabelette, sans succès.

Fry venait de terminer son match amical contre une jolie kantosienne. Il l’avait laissé gagner, ça n’avait pas suffi à la séduire. Il s’adressa à Jenny en plein coaching de sapereaux avec son lockpin, Scott et Friday étaient avec elle.

« Tu disais que ça plairait aux nanas, mais depuis notre départ pas une seule de mes groupies ne m’a fait de rentre dedans ouvert et le maillot de bain change que dal. C’est bien la première fois que ça m’arrive. »

Le jeune champion regarda en direction d’un groupe de filles qui le matait intensément depuis un bon quart d’heure dans un coin de la salle. Il afficha son sourire charmeur habituel, quelques gloussements trahirent leur émoi, avant qu’elles ne détournent les yeux en rougissant, pleines de confusion.

Jenny sourit avec malice, elle avait toutes les peines du monde à ne pas rigoler. Elle jeta un coup d’œil à Scott en train de grattouiller son évoli entre les oreilles.

« Je crois que les gens pensent que vous êtes gays tous les deux.

- Quoi ?!? S’écria Fry.

- Euh... Pourquoi ? » Demanda Scott avec un sourire tordu en levant les yeux vers son amie.

Fry n’avait pas besoin de la réponse de Jane pour deviner. C’est un phénomène qu’il n’avait pas anticipé : les passagers avaient remarqué que l’évoli leur appartenait à tous les deux et qu’ils dormaient dans la même cabine. En plus, le contraste entre eux était stéréotypé et iconique : lui était assuré, grand, brun et musclé, Scott était timoré, petit, blond et fluet. C’était facile de s’imaginer qui était l’éraste et qui était l’éromène.

Fry se pinça l’arête du nez, avec toutes les filles qui le suivaient partout sur le navire comme une famille de couaneton derrière leur lakmécygne, il espérait réussir à en séduire au moins une le temps de la traversée. Avec Scott et évoli en faire-valoir, ça aurait dû être du gâteau, même avec la présence intimidante des jumelles Ketchum.

« Je prends une pause… » Marmonna Fry en sortant du gymnase.

La pause de Fry dura longtemps. Il regardait l’océan et les petites îles à l’horizon avec un air blasé, c’était le paysage de son enfance et il n’y avait pas pire décor pour le rendre morose. Deux jeunes femmes passèrent derrière lui avec leurs skitty en laisse. Elles chuchotèrent dans son dos en le dévorant des yeux, puis s’éloignèrent en pouffant. Ensuite ce fut au tour de deux jeunes hommes, l’un d’eux portait un chinchidou dans ses bras. Ils réagirent de la même façon. Fry appuya sa tête sur ses bras, affligé.

« En couple avec Scott… Manquait plus que ça…

- Qu’est-ce que tu marmonnes ? »

Il se redressa, Jessy se tenait derrière lui les bras croisés. Il réalisa qu’il s’était absenté un bon moment et qu’elle devait s’impatienter. Elle était comme la professeure Léon, elle n’aimait pas voir des gens oisifs.

« Rien d’intéressant. T’inquiète, j’y retourne.

- Je te signale que la journée est finie, on libère la salle.

- Ah. Merde… Désolé…

- T’es pas au top de ta forme aujourd’hui champion. »

Jessy vint s’appuyer sur le bastingage avec lui. L’un et l’autre eurent l’impression d’être de retour au Bourg Palette, en train de badiner contre la clôture du laboratoire.

« Dire qu’on n’est qu’à quelques kilomètres de l’île Shamouti et on ne peut même pas aller saluer Azura…

- Elle te manque ?

- Pas vraiment non. »

Fry allait ajouter : "c’est le sexe qui me manque", mais il réalisa qu’il parlait à Jessy, alors il se ravisa.

« Mais c’est sûr qu’avec son ocarina, notre concert sur le thème des oiseaux légendaires aurait eu plus de classe.

- Eh oui… » Soupira Jessy en fixant la mer turquoise.

Fry se mit à la regarder, glissant lentement ses yeux de ses épaules à moitié couvertes jusqu’à ses talons enserrés dans ses nu-pieds. Il repensa à la robe sulfura, avec son dos dénudé et ses voiles translucides qui faisaient tant fantasmer Sébastien dans sa jeunesse. Jessy n’avait pas besoin de ça pour être magnifique. Dans son short en jean négligé et son débardeur mal taillé rouge et noir trop grand pour elle, elle était déjà super sexy. C’était un diamant brut. Le regard de Fry décrocha du corps de Jessy pour se plonger dans le vide d’une réflexion intense. Au bout d’un long silence, il rouvrit la bouche.

« Pourquoi tu ne te mets pas en maillot de bain toi aussi ?

- Il est hors de question que je m’exhibe ! Vociféra Jessy.

- Il fait beau, il fait chaud et ce n’est qu’un maillot. On ne te demande pas de te mettre toute nue.

- Encore heureux ! S’offusqua la rouquine.

- Il faut que tu apprennes à faire des compromis avec ta ligne de conduite, sinon un jour tu seras bloquée.

- Je ne vois pas pourquoi. »

Jessy se décolla de la rambarde. Contrariée, elle tourna les talons en affichant son air hautain. Fry fit la moue, mais il ne lâcha pas l’affaire pour une fois.

« Tu es belle Jessica. »

Jessy se figea et se retourna lentement. Pourquoi il balançait ça soudainement ? Fry la désigna du bras, il avait la même voix que lorsqu’il parlait stratégie pokémon.

« Vraiment très belle. Sers-t-en.

- On dirait Jenny quand tu dis ça.

- Et elle a raison. Tu es une battante, tu veux gagner, eh ben la beauté c’est une arme. C’est idiot de refuser de recourir à un de ses atouts par pudeur, orgueil ou je ne sais quoi. Tu ne veux déjà pas faire exprès de perdre, tu pourrais au moins jouer le jeu là-dessus.

- C’est pas idiot, c’est comme un défi, lança Jessy.

- Alors dans ce cas balade-toi avec un sac à patates sur le dos ou un costume de grodoudou, ça ce serait un vrai défi. Là on voit juste que t’es canon mais que tu t’en fous, et ça c’est con. Tu gâches ton potentiel et tu intimides les gens. »

Fry s’éloigna de Jessy, elle ronchonnait, les joues un peu plus roses qu’à l’ordinaire.

Le lendemain matin, Jenny sortit de la cabine en premier pour se rendre à la salle de bain. Quand elle revint à la petite chambre, elle trouva sa sœur devant la porte, dans son maillot de bain carmin avec un petit gilet noir sur les épaules, elle l’attendait pour aller prendre le petit déjeuner. Jane dévisagea Jessy de la tête aux pieds, très étonnée.

« Jess ? T’es en maillot de bain ?

- J’apprends à faire des compromis. » Dit fièrement la rouquine.

Sa sœur se contenta de hisser un sourcil sans rien ajouter. Tout cela avait l’air trop absurde pour mériter une discussion. Dans la salle à manger, Fry assis devant sa montagne de brioches regarda Jessy venir à lui et lui adressa un rictus satisfait, presque fripon.

« Arrête de sourire comme ça. » Ordonna Jessy.

A l’heure de rejoindre la salle de sport pour leurs matchs pokémon, Scott s’approcha de son colocataire temporaire et l’interpella.

« Fry ? »

Le champion ne répondit pas, il semblait très absorbé par quelque chose. Scott l’appela à nouveau, mais il n’obtint aucune réaction. Intrigué, Scott tourna la tête pour suivre le regard de Fry. Il tomba sur les fesses de Jessy moulées dans sa culotte de maillot de bain. Le jeune technicien exorbita les yeux avant de les détourner précipitamment pour éviter de passer pour un pervers. Fry au contraire avait l’air d’assumer et de profiter pleinement de la vue.

« Ah-hem, Fry ! » Répéta une troisième fois Scott, d’une voix plus forte.

Cette fois son camarade s’intéressa à lui.

« Oui Scott ? Tu me parlais ?

- Euh oui... Tu peux garder Friday quelques heures ?

- Oui bien-sûr. »

Scott leva le bras pour se saisir délicatement du jeune évoli perché sur ses épaules. Le pokémon poussa un cri de joie en sentant les doigts de son premier dresseur se glisser dans son pelage, il avait compris qu’il changeait de porteur. Fry était plus grand que Scott, alors il profitait d’un meilleur poste d’observation depuis son dos.

« Evo vo !

- Où tu vas ? Demanda Fry pour faire la conversation.

- Voir Matthieu.

- Ah d’accord. Bon ben profite bien.

- Oui toi aussi. Euh… Hem… »

La réflexion était sortie toute seule, Scott gêné s’éloigna rapidement pour ne pas avoir à expliquer sa phrase à son ami voyeur.

Fry le regarda filer tout en caressant le menton d’évoli, sans rien dire. Quelque part, dans un coin de sa tête, il se demandait si Jessy n’avait pas raison à propos de Matthieu, mais il trouvait mesquin et aberrant d’empêcher Scott de se faire d’autres amis, surtout que l’ambiance entre Jane et Scott était toujours un peu spéciale. A l’image de leur soirée twist, aucun des deux ne savait sur quel pied danser, ils ressemblaient à deux spinda en pleine confusion tournant l’un autour de l’autre, miraculeusement sans jamais se heurter.

Voir Jenny se balader en bikini toute la journée était éprouvant pour Scott. Depuis son départ de l’Archipel Arc-en-Ciel, il faisait un réel effort pour prendre ses distances avec ses sentiments, il essayait de considérer Jenny comme une amie, et malgré son profond respect pour les femmes, ses hormones rejouaient le choc des titans dans tout son corps à chaque fois qu’il posait les yeux sur la peau claire et parfaite de Jenny, suivant les courbes affolantes de ses atouts féminins à peine couverts par quelques centimètres de tissu. Une bataille épique se déroulait chaque jour entre le Groudon de son cœur, le Kyogre de son cerveau et le Rayquaza de son entrejambe. A cause de ça, il préférait se défiler, une fois de plus, laissant l’évoli à Fry et profitant de cette liberté de mouvement pour rendre visite aux Dark Love.

En son for intérieur, Jessy râlait de son absence, elle ne disait pourtant rien à voix haute. Elle essayait toujours de tenir sa promesse faite à Fry de se montrer plus gentille et ressassait encore et encore les mots de Jenny sur le fait que Scott avait peur d’elle. Jenny et Fry voyaient bien qu’elle était contrariée, mais ils appréciaient ses efforts.

 

A suivre…

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