Les Train Twins

Chapitre 38 : L’homme qui aimait les roses et celui qui aimait leurs épines

8966 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/04/2022 23:42

Chapitre 38

 

L’homme qui aimait les roses et celui qui aimait leurs épines

 

L’équipe marchait le long du quai. Chargés de leur matériel, ils passèrent sans s’arrêter devant le centre pokémon situé à l’entrée des docks. Scott se retourna vers Jenny, il paraissait perplexe.

« On ne va pas au centre pokémon ?

- Non, nous devons d’abord rendre visite à quelqu’un.

- Vous comptez nous installer où en attendant le concours ? Demanda Fry, contaminé par l’étonnement de Scott.

- C’est maintenant que tu t’en inquiètes ? Fit Jessy en haussant un sourcil critique.

- J’ai confiance en vous deux. » Répliqua Fry avec son sourire de lover et un clin d’œil pour Jessy.

La réflexion amusa beaucoup Jenny, elle l’affligeait un peu aussi.

« On va aller voir Flora, une vieille amie de notre grand père.

- Heureusement que Sacha Ketchum a plus d’amis que vous, ça dépanne.

- T’as fini d’être désagréable ? Râla Jessy.

- Pourquoi ? Ça nous rend bien assortis. »

Elle donna une petite claque dans le ventre de Fry en train de ricaner.

A cause des immeubles et des entrepôts, la vue était bouchée depuis le port, mais lorsque les Train Twins arrivèrent dans le quartier des divertissements, plus dégagé, avec de nombreux espaces verts et des bâtiments de plein pied, le paysage vallonné d’Hoenn qui s’étalait au nord de la ville apparut devant leurs yeux.

« Wouaoh… Géant… »

Les yeux de Fry brillaient comme ceux d’un enfant en apercevant la forêt fendue par la route et la piste cyclable de la route 110, avec en arrière-plan le volcan du Mont Chimnée, brun, fumant et dominant toute l’île d’Hoenn.

« Ce paysage me rappelle mon île natale, commenta Scott avec un petit sourire nostalgique.

- C’est vrai, maintenant que tu le dis. »

Jessy ne faisait que rarement attention au décor. Il fallait admettre que depuis ce point de vue, le Mont Chimnée ressemblait beaucoup au Mont Braise, mais le volcan d’Hoenn était beaucoup plus grand, tout comme la cité de Poivressel était bien plus vaste que le village de l’île rouge, malgré son aspect authentique et romantique.

L’établissement de concours pokémon de Poivressel formait un grand pentagone rouge avec un toit noir. De par son emplacement, dans la ville la plus touristique de la région, les spectacles qui s’y déroulaient étaient nombreux, hiver comme été, malgré une légère baisse de cadence en janvier-février, ils étaient aussi extrêmement populaires. Le niveau des concurrents était élevé, les concours de Poivressel étaient diffusés en streaming sur internet et sur Pokéchannel, la chaine de télévision la plus regardée du pays. Ce centre de concours internationalement reconnu était désormais dirigé par Flora et son mari.

Les jumelles entrèrent en grandes pompes dans l’établissement sans prendre la peine de laisser leurs pokémon et leurs instruments devant la porte. Jenny avait prévenu Flora de leur arrivée, ses coordonnées étaient dans le carnet de Kelly et elle savait que la mention de Sacha suffirait à la convaincre, ou à lui forcer la main, au choix.

Il y avait très peu de visiteurs ce jour-là, les rares personnes présentes étaient principalement de jeunes coordinateurs venus simplement s’entrainer avec les maîtres du domaine. Des éclats de voix s’élevaient de la salle de spectacle et attirèrent l’attention des jumelles.

« Restez-là les garçons, on revient ! » Déclara Jenny avant d’entrainer sa sœur vers la porte menant aux gradins VIP.

L’amphithéâtre était désert ou presque, seuls quelques coordinateurs exécutaient des démonstrations au centre du terrain. Deux garçons d’environ treize ans se faisaient face avec leurs pokémon plante.

« Fragilady feuille magik !

- Sucreine tranch’herbe ! »

Le sucreine et la fragilady dansèrent avec grâce en tournant sur elles-mêmes avant de lancer leurs attaques qui n’en étaient pas réellement. Les feuilles de Fragilady scintillaient en traversant le terrain. Elles se perdirent dans le vide, tandis que la tranch’herbe de sucreine manqua d’éborgner une femme en longue robe orange et blanche debout près de la table du jury. Dans un mouvement vif et sans retirer les poings de ses hanches, elle se pencha légèrement sur la droite et laissa filer les feuilles acérées jusqu’aux premières rangées de sièges.

« Non-non, vous pouvez faire mieux que ça ! »

Comme Sacha, Ondine et Jacky, Flora avait bien entamé sa soixantaine. Elle avait les cheveux gris et un peu plus longs qu’autrefois. Elle avait aussi remplacé son bandana par un ruban vert maintenant sa chevelure en arrière, un peu à la manière de Jacky. Malgré les ravages du temps sur son visage et son corps, elle avait gardé une certaine allure athlétique.

« Vous misez trop sur la beauté de vos pokémon. C’est vrai qu’ils sont très élégants, mais même un gros mastoc comme florizarre peut être plus gracieux qu’une fragilady ou une sucreine. »

Flora désigna sa vieille amie à la fleur dorsale un peu plus loin sur le terrain.

« Montre leur Florizarre : danse fleur !

- Floor… »

De son énorme pistil jaune jaillirent des milliers de pétales incarnadins ressemblant à des fleurs de cerisier. Ils s’élevèrent en tornade dans les airs. Le tourbillon floral atteignit le plafond, la trajectoire était si bien calibrée qu’une fois tout en haut, les pétales commencèrent à retomber lentement en colonnes tournantes telle une pluie rose délicate.

Les deux jeunes coordinateurs aux pokémon plantes étaient émerveillés. Depuis leur point d’observation, les jumelles étaient bien obligées de reconnaître la maîtrise exceptionnelle de cette technique de type plante, elles avaient rarement vu une danse-fleur aussi puissante.

« Quel gâchis… » Souffla Jessy.

La rouquine savait que Flora ne combattait jamais en arène ou en ligue, elle ne faisait que des concours pokémon, malgré le niveau exceptionnellement élevé de ses partenaires. Comme elle se sentait observée, la sexagénaire se tourna vers les gradins et aperçut les deux têtes rousses au milieu des gradins. Elle sourit de loin aux jumelles, elles lui adressèrent un petit signe de main en retour.

Pendant ce temps, Fry et Scott admiraient les cadres photos sur le mur de la gloire. Flora était sur plusieurs d’entre elles, dans toutes sortes de tenues excentriques. Il y avait aussi un jeune homme aux cheveux verts avec une rose à la main qui revenait souvent.

Les pokémon des Train Twins avaient empilés les instruments dans un coin du hall d’entrée et s’étaient assis en cercle par terre en attendant le retour des jumelles.

« Il y a beaucoup d’évolitions sur ces photos, constata Scott à voix haute pour faire la conversation.

- C’est vrai. On devrait peut-être inscrire Friday. T’en pense quoi mon grand ?

- Evovo ! Jappa joyeusement le pokémon perché sur l’épaule de Fry.

- Ouais carrément, on raflera tous les rubans avec nos belles gueules !

- Je peux savoir qui vous êtes et ce que vous venez faire avec votre attirail ? » Lança une voix masculine acerbe dans leur dos.

Scott sursauta en poussant un cri étranglé de surprise. Le souffle coupé, le technicien nerveux fut obligé de sortir sa ventoline. Fry se retourna beaucoup plus calmement, mais l’évoli grogna, il n’aimait pas que les gens fassent peur à son Scotty.

Drew le coordinateur, avec son éternel pull noir à col roulé, se tenait derrière eux les bras croisés, aux côtés de son rosérade. Il toisait les nouveaux venus de son regard inquisiteur et un poil dédaigneux. Il avait les cheveux blancs et le visage beaucoup plus ridé que celui de Flora, ce qui durcissait ses traits. Il était loin le temps du jeune premier aux roses rouges, Drew était désormais un vieux beau aigri.

« Bonjour… Nous sommes les Train Twins.

- Vous ne ressemblez pas à des sœurs jumelles rousses, répliqua le dandy décrépi en haussant un sourcil.

- Je suis leur batteur, Fry Morgan.

- Fry Morgan ? Le champion de la Ligue Orange ? » S’écria une voix beaucoup plus légère.

Flora revenait dans le grand hall en compagnie des sœurs Ketchum.

« Lui-même.

- Eh bien, quelle équipe ! » S’exclama la coordinatrice en regardant à tour de rôle Jessy, Jenny et Fry avant de poser les yeux sur Scott.

« Et toi, comment tu t’appelles ?

- Scott Network madame.

- Ouh là, pas de madame voyons ! Tu peux m’appeler Flora.

- Tu ne m’avais pas dit qu’ils étaient quatre, fit Drew avec une intonation contrariée.

- Et qu’est-ce que ça change ?

- Ce n’est pas un hôtel ici.

- Non, c’est un établissement qui accueille des artistes et comme tu le vois ce sont des artistes ! Répliqua Flora.

- Des coordinateurs, pas des artistes… » Ronchonna Drew avant de s’éloigner avec son pokémon, signe qu’il laissait le dernier mot à Flora.

Satisfaite, elle agrandit son sourire chaleureux et reposa ses yeux bleus pétillants sur les Train Twins.

« Ne faites pas attention à lui, il devient de plus en plus grincheux avec le temps.

- Je t’ai entendu ! Cria Drew en passant la porte menant aux coulisses.

- Alors, Jane me disait dans son mail que vous aviez besoin d’un pied-à-terre jusque début avril ?

- On a surtout besoin d’un endroit où répéter. Jenny et moi on pensait qu’on pourrait se rendre utile pendant les concours et jouer de la musique.

- Je trouve que c’est une excellente idée ! Drew et moi on ne savait plus quoi faire pour rendre le festival plus attrayant.

- On peut rester ici alors ? Demanda timidement Jenny avec un petit sourire mignon, ça marchait aussi bien sur les mamies que sur les hommes normalement.

- Évidemment ! Et vous pouvez aussi dormir ici si vous le souhaitez, on a quelques chambres de libres dans les loges.

- On ne voudrait pas abuser, on peut…

- Ouais ! Carrément ! » Cria Jessy, rayonnante en coupant la parole à sa sœur.

Jenny la trouvait sans-gêne, comme toujours. Dans l’esprit de Jessica, dormir sur place signifiait qu’ils pourraient répéter toute la nuit sans déranger personne. Jenny et Fry avaient un mauvais pressentiment, ils devinaient trop bien les pensées de Jessy. Scott, lui, n’avait pas son mot à dire.

« Vous êtes sûre que ça ne dérangera pas votre… Compagnon ? Demanda malgré tout Fry.

- Drew ? Faites vos preuves et il vous mangera dans la main comme un chevroum.

- Faire nos preuves ? Comment ?

- Avec la musique ou vos pokéballs, au choix, répondit Flora dans un clin d’œil.

- Alors justement, en parlant de ça… »

Mine de rien, Jessy avait beaucoup réfléchi aux avantages et inconvénients de squatter dans un établissement de concours pokémon. La salle de spectacle de Poivressel était équipée pour capter des vidéos d’excellente qualité et pour enregistrer des morceaux, c’était le motif principal de leur venue. Jessy avait eu l’idée, Jenny s’était occupée des relations diplomatiques et de la communication avec Flora.

La vieille coordinatrice les conduisit jusqu’au studio vidéo de son centre. Jessy furetait partout comme si elle était chez elle dans ce local technique. Jenny et Fry étaient un peu stressés, mais Flora semblait presque plus enthousiaste que Jessy.

« On va enregistrer nos quatre chansons et les poster sur internet. On n’aura sans doute pas le temps de se décider avant Lavandia, mais pour le "Son des Forêts" on pourra jouer celle qui aura eu le plus de vues, annonça Jessy à ses amis.

- C’est génial ! Bravo ! L’encouragea Flora.

- Scotty tu peux gérer ça ?

- Euh… Bah je… Je pense, oui… » Répondit le petit prodige de l’électronique en se grattant la tête.

Ce n’était pas qu’un caprice de Jessy, pour les inscriptions aux concours et leur publicité ils avaient impérativement besoin de vidéos de leurs concerts, or pour l’instant ils n’avaient sous la main que celle de Shamouti et une autre filmée à l’arène d’Azuria, ce n’était pas suffisant, et pour gérer cela, ils avaient aussi besoin d’une paire de mains libres.

Scott n’osait pas dire non à Jessy, mais il était perturbé qu’on lui demande de faire des choses qu’il n’avait jamais tentées auparavant. Il pensait à tort une fois de plus que c’était hors de son champ de compétence. Pourtant, il commençait d’ores et déjà à se creuser les méninges pour répondre à ses sollicitations.

La leader des Train Twins continua longuement de le harceler à propos de leurs réseaux sociaux. Elle avait bien remarqué que ça saoulait Jenny et Fry de s’en occuper, alors maintenant que Scott était revenu, elle devait en profiter. Jenny les regardaient avec un petit sourire figé, intérieurement elle soupirait de désolation. Quand ce n’était pas sa mère, c’était sa sœur qui le traitait comme son larbin…

 

Après avoir déposés leurs valises et leurs instruments à l’établissement de concours de Flora et Drew, les Train Twins partirent en balade dans les rues de Poivressel. C’était une ville très agréable, elle ressemblait beaucoup aux cités que l’on pouvait trouver dans les îles Orange, à un détail majeur près : l’hiver était froid à Hoenn. Pour Fry, c’était comme voir son archipel sous la neige et le givre, c’était inattendu et atypique, ça lui plaisait beaucoup.

Le grand marché de Poivressel était réputé dans tout le pays, à ce stade de développement on pouvait même parler de foire. On y trouvait tout et n’importe quoi : des herbes médicinales aux peluches kawaï importées de Kalos, du vieil encens d’Hisui aux capsules techniques rarissimes et hors de prix. Il était à la fois moderne et pittoresque, tout dépendait de l’allée que l’on empruntait.

Les finances du groupe étaient encore fragiles, ils ne pouvaient pas se permettre de dilapider la grosse paye de leur croisière. Fry étant majeur depuis le trois janvier, il ne touchait plus sa bourse de dresseur et c’était un sacré handicap pour lui. Jessy et Jenny en tenaient compte, elles avaient démarché dans tous les sens pour trouver des contrats pour des concerts à Hoenn, mais en hiver les opportunités étaient rares, même dans les bars et les restaurants, et elles n’avaient pas la réputation des Dark Love encore. Les jumelles espéraient que leur séjour dans l’établissement de Flora et leur participation au concours prévu pour le mois d’avril leur feraient de la publicité.

Jenny en venait même à se dire que son agression était tombée à pic ; elle avait obligé Becket à se montrer plus généreux que prévu. Elle devait retenir son rictus désabusé en y pensant. La phrase qu’elle avait sortie à Scott lui revenait en mémoire : "Dans un monde pas toujours joli…" et Jenny ne pouvait s’empêcher de rajouter derrière un "mais à toute chose malheur est bon" très cynique. Inconsciemment, Jane se collait toujours à l’un de ses trois compagnons de voyage.

La croisière avait permis à Scott et Jenny de renouer un peu les liens. Même si cela ne transparaissait pas de manière transcendante, la dresseuse était très reconnaissante envers Scott pour l’avoir sauvé des griffes du violeur à l’ortide. Elle allait plus volontiers vers lui et les détails de son caractère commençaient à lui revenir : sa courtoisie timide et maladroite, sa manie de se mettre à monologuer pendant de longues minutes quand un sujet l’intéressait, son enthousiasme enfantin quand il tombait sur un nouveau gadget de technologie... Scott était intéressant, à sa manière il était distrayant. Elle avait besoin de ça pour ne plus penser à l’autre dégueulasse et pour éviter d’être engouffrée par la folle passion musicale de sa jumelle. Ses sombres pensées la firent frissonner.

« Tu as froid Jane ? Tu veux que je te prête mon écharpe ? Demanda Scott avec galanterie.

- Je te remercie Scott, mais non ça ira. Je n’ai pas froid, tu peux la garder. »

Il y avait dans le sourire de Jenny une faille qu’il arrivait à percevoir mais qu’il ne pouvait expliquer. Confus, il n’insista pas.

 

Scott était un petit génie avec des doigts magiques, il savait tout réparer ou presque. Ses compétences allaient bien au-delà de l’électronique et c’est ce qui permit à Drew de s’adoucir rapidement face à la présence des Train Twins, incrustés brutalement dans son établissement. Après avoir passé sa première semaine à réparer tous les appareils qui pouvaient l’être dans le centre pokémon de Poivressel et le centre de concours de Drew, le jeune technicien avait entreprit quelques travaux de menuiserie dans les coulisses jusqu’à ce qu’il annonce à Flora qu’il savait coudre. Aussitôt, la coordinatrice lui avait confié une pile de costumes à retoucher. Ça lui prenait un peu plus de temps, il était moins à l’aise sur du tissu que sur le métal et surtout l’esthétique restait le plus important. Une soudure globuleuse dans un circuit intégré perdu au cœur d’une machine à transfert ça n’avait aucune importance, mais un ourlet disgracieux et la chorégraphie des coordinateurs serait sous-notée par le jury.

Les Train Twins se changeaient dans les loges pour leur première représentation hoennienne. Un concours pokémon en section hyper était organisé et ils jouaient pendant les entractes entre les duels. En ajustant son bustier, Jenny regardait du coin de l’œil, avec un petit sourire amusé et attendri, Scott s’atteler à sa couture au fond des vestiaires.

« Je l’avais prévenu qu’un jour il se retrouverait à repriser nos chaussettes… »

A la nuit tombée, Scott était toujours dans les coulisses en train de coudre. Fry au contraire dormait déjà, les filles en pyjama se préparaient à faire de même dans leur chambre commune à quatre lits parallèles.

« Je suis étonnée : tu n’es pas encore allée à la bibliothèque de la ville depuis qu’on a débarqué. » Dit Jessy en s’asseyant sur son matelas.

Jenny jeta un bref regard vers Fry pour vérifier qu’il dormait avant de répondre à sa sœur. Elle avait honte d’avouer sa faiblesse.

« En fait… Je ne suis pas tranquille à l’idée d’y aller toute seule. »

Un silence consterné lui répondit, Jessy mit quelques secondes à analyser sa phrase, puis quelques-unes de plus à accepter l’idée que l’agression de sa sœur l’avait marquée au point de la bloquer. Le léviator était sur le point de s’éveiller, mais en l’absence de cible définie, Jessy prit sur elle et fronça simplement les sourcils.

« Jane, tu ne risques rien avec tes pokémon, tu le sais. Combien de connards as-tu broyé avec Chu et Myria ?

- Trop pour que je les comptes, répondit Jenny avec un léger sourire fatigué. Je sais que ça doit te paraître irrationnel, mais il n’y a pas que le Nymphéa. J’ai fait l’erreur d’oublier mes pokémon cette fois-là, c’est de ma faute, j’en suis consciente, mais il y a aussi eu le Bourg Palette... Je n’ai rien pu faire pour protéger maman et le laboratoire alors que j’étais équipée. Je m’en veux.

- Jane ! »

Jessy se jeta sur sa sœur et se cramponna à ses épaules, Jenny fut un peu surprise par sa réaction. Les regards bleu vifs des jumelles fixés l’un sur l’autre formaient un pont électrique.

« L’autre malade au labo, il a mis des années à mettre son plan au point et ils étaient quatre armés jusqu’aux dents ! Toi et moi on a gagné toutes nos ligues, absolument toutes. Nous sommes les dresseuses les plus puissantes du pays. Jane : TU es la plus puissante dresseuse du pays. Personne ne t’arrive à la cheville à part moi. »

Jessy retira sa main pour attraper la copainball de Chu posée sur la table entre les lits des jumelles. Elle lui colla sous le nez.

« Tant que tu auras ça entre les doigts, il ne t’arrivera jamais rien. »

Elle prit la main de sa sœur et déposa la pokéball verte et blanche dans sa paume. Elle la força ensuite à replier ses phalanges autour.

« Ne laisse pas une sombre merde bousiller ce que tu es. »

Jenny finit par sourire avec reconnaissance à sa jumelle.

En réalité, Fry ne dormait pas, il végétait simplement sous les draps. Il avait profité des moindres détails de la conversation, elle lui avait remué les tripes. Il avait de la peine pour Jenny, c’était la première fois qu’il l’entendait faillir. Même quand la foule les avait chassés de la septième île Sevii, elle n’avait rien dit. Elle était ébranlée, certes, ça se voyait, mais elle était restée silencieuse et droite dans ses bottes, puis quelques jours plus tard elle allait déjà mieux. Cette fois, son malaise durait depuis des semaines. Fry n’avait jamais entendu non plus Jessy parler à quelqu’un sur ce ton-là, avec cet amour inconditionnel transcendant de sa voix si sûre d’elle.

Le lendemain matin, Fry regardait son petit-déjeuner avec un manque d’appétit qui ne lui ressemblait pas. Il avait envie d’aider Jane. Scott somnolait à moitié au-dessus de son bol de lait, personne ne savait à quelle heure il était allé se coucher, car le trio dormait déjà. Fatalement après vingt-trois heures, mais quand exactement cela restait un mystère.

« Scott ! » Cria Jenny avant que les lunettes du jeune homme ne tombent dans le liquide blanc, son nez était déjà en train de tremper dedans.

Il sursauta et ses lunettes se décrochèrent malgré tout de son visage pour atterrir au milieu des couverts.

« Sérieux, t’as pas dormi ou quoi ? Demanda Jessy.

- Si, si… Répondit Scott en se massant les paupières. Je voulais juste finir les robes… Mais il m’en reste encore trois. Je vais…

- Scott, va te recoucher. » Ordonna Jenny d’une voix douce mais ferme.

Les jumelles le regardèrent se trainer jusqu’à la chambre en hochant lentement la tête dans la sidération la plus totale. Ses parents n’avaient pas menti : quand il était concentré sur quelque chose, il en oubliait de manger et de dormir.

Le champion de la Ligue Orange profita de l’absence de Scott et se pencha vers Jane avec son beau sourire de lover hérité de son paternel.

« Jenny, tu viens te balader avec moi aujourd’hui ? »

La rouquine regarda Fry avec une surprise non dissimulée. De mémoire, c’était la première fois qu’il lui proposait un truc comme ça, ça ressemblait presque à un rancard. Ils se connaissaient depuis un an maintenant, elle devinait aisément que si Fry lui parlait avec cette voix et ce regard-là, c’est qu’il avait une idée particulière derrière la tête. Il avait le même genre d’attitude que lorsqu’il essayait d’amadouer Jessy. Jessy justement ne réagit pas, elle ne protesta pas et ne réclama pas à corps et à cri que ses musiciens restent avec elle. Jane en conclut que Fry et elle s’étaient arrangés en amont.

 

Scott ouvrit ses yeux myopes et chercha ses lunettes du bout des doigts sur la petite table entre son lit et celui de Fry. Il les enfila et regarda aussitôt son téléphone. Onze heures, il grimaça. Il n’avait pas l’habitude de faire la grâce matinée et il avait horreur de ça. Techniquement, ce n’était pas une grâce matinée vu qu’il s’était déjà levé une première fois à sept heures-et-demi après n’avoir dormi que quatre petites heures. Il était toujours habillé, il ramassa ses trois pokéballs restantes en constatant que la copainball de Friday n’était plus là, puis il fila à toute vitesse jusqu’au hall.

Il arriva juste à temps pour voir Jenny sortir du bâtiment avec Fry, le sourire aux lèvres. Un peu déstabilisé, il ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Il hésitait à crier, pourquoi faire au fond ? Que pouvait-il dire ou demander ?

« Eh Scotty ! »

Il sursauta, il n’avait pas vu Jessy s’approcher de lui.

« Si tu me cherches, je suis sur le terrain avec Flora.

- Ah euh, oui, d’accord… » Répondit-il d’une petite voix.

Il la regarda rejoindre l’amphithéâtre avec des yeux de caninos battu, il se sentait abandonné par ses amis et totalement démotivé.

Quand il n’allait pas bien, il avait à peu près les mêmes réflexes que Jessy ; elle était du genre pokéball ou guitare, lui c’était plutôt tournevis ou piano… Au lieu de prendre une guitare pour chanter la vie aventureuse des dresseurs pokémon, Scott se collait à un clavier et composait une chanson triste. Il pensa subitement aux Dark Love, Matthieu lui avait dit qu’il pouvait passer quand il le désirait et le groupe masculin allait bientôt quitter Poivressel. Scott soupira avant d’envoyer un sms à son nouvel ami.

Jenny et Fry flânaient désormais côte à côte dans les rues pittoresques de Poivressel. L’air était encore très frais, Fry marchait les bras serrés contre son torse pour se protéger du froid, en essayant d’avoir l’air décontracté malgré tout, c’était tout un art. Son évoli perché sur ses épaules l’aidait à garder son allure de beau gosse inébranlable.

Ils se dirigeaient l’air de rien vers le quartier du musée. Jenny était un peu étonnée, elle s’attendait à ce qu’il l’emmène à la plage, au phare ou sur les chemins boisés du nord, pas au musée océanographique. Avant d’atteindre les remparts et le fameux musée, les deux adolescents arrivèrent devant une façade monumentale pleine de fenêtres, doublée d’une colonnade. Elle n’était pas revenue à Hoenn depuis des années, mais il était facile pour Jenny de deviner où ils se trouvaient.

« Tu veux aller à la bibliothèque ? » Demanda gentiment Fry.

Jenny lui rendit son sourire charmant, elle se doutait désormais qu’il avait surpris sa conversation avec Jessy.

« Je comprends ce que tu essayes de faire… Mais tu vas t’ennuyer comme un parecool si on y va.

- T’en fais pas pour ça, je prends le risque. »

Jenny agrandit son sourire mignon avant de pouffer silencieusement, elle était contente. Ce n’était pas le genre de rencart qu’elle aurait imaginé avec Fry et il faisait tâche dans le décor, mais elle était vraiment très heureuse. Elle le prit par la main et commença à grimper les marches de pierre en l’entrainant avec elle. Évoli sauta par terre et se mit à courir dans les escaliers.

« Friday, tu es sage, sinon tu retournes dans ta pokéball.

- Evo vo ! Protesta le jeune pokémon.

- C’est pas négociable Friday.

- Sois gentil Friday chéri, Scott te fera un câlin en rentrant. » Dit Jane en le grattant derrière les oreilles avant d’ouvrir la porte de la grande bibliothèque.

Ils ne devaient pas rester très longtemps à Poivressel, cependant Jenny prit la décision de créer une carte de bibliothèque pour pouvoir emporter des livres avec elle jusqu’au centre de concours. Les frais d’inscription ne coutaient pas grand-chose, mais Fry insista tout de même pour les payer, c’était symbolique. Il voulait que Jenny se détende. En plus, il n’était pas très à l’aise non plus à l’idée que sa grosse paye soit liée à la mésaventure de Jenny. Il n’en était pas au stade de Scott qui avait catégoriquement refusé le dessous-de-table, mais il n’en était pas moins contrarié par cet argent sale.

Après leur passage à la bibliothèque, les adolescents poussèrent jusqu’à la plage. Elle était absolument magnifique. Emporté par son dépaysement, Fry la trouvait plus belle que toutes les plages qu’il avait connu dans sa jeunesse, pourtant en hiver, elle avait le même aspect mélancolique que toutes les plages désertes du nord du pays. Fry et Jenny déjeunèrent ensemble et tardivement dans un petit restaurant de la plage, encore une fois Fry avait insisté pour payer. Jenny savourait son gratin de la mer en regardant les vagues derrière la vitre.

« C’est surtout Jess que tu devrais inviter au resto, après toutes les fois où elle t’a payé ta nourriture.

- Je le ferai le jour où je serai certain de ne pas devoir la taxer immédiatement derrière, sinon ça n’aurait pas de sens. »

Encadrés par Friday, Myria, Loki, Gali, Chu, Mozart et Katy, Jenny commençait à se sentir vraiment bien, malgré les basses températures, elle avait un peu l’impression de retrouver l’ambiance de l’Archipel Orange qui lui manquait plus qu’à Fry. Le champion la regardait marcher sur le sable le pas léger au milieu de leurs pokémon. En gentleman, il portait son sac de livres. Il posa par hasard les yeux sur lockpin, contrairement à sa dresseuse, il n’avait pas l’air très joyeux.

« Jane ? »

Elle se retourna.

« Oui ? »

Un autre sourire à la Reese Morgan lui fendit le visage.

« Ça te dirait un petit match amical ? Deux contre deux. »

Jenny cligna des yeux, elle ne s’y attendait pas. Elle fut extirpée de sa torpeur perplexe par le trépignement des pieds de Loki. Encore une fois, la pommette de Jenny se releva dans un sourire gracieux, Fry Morgan était décidément un malin en plus d’être un vrai charmeur…

« Pourquoi pas, je vais essayer de te ménager.

- Quelle drôle d’idée ! » Rit Fry en décrochant la pokéball de Marvy.

D’un simple regard chaleureux, Jenny fit comprendre à son lockpin qu’il pouvait y aller. Fou de joie, le lagomorphe géant fit deux pas en avant, tandis que Fry reculait. Katy fut obligée d’attraper Friday par la peau du cou pour qu’il fasse de même. Gali supplia sa maitresse du regard et elle hocha positivement la tête en retenant un petit rire. Braségali tapa dans la paume de lockpin, les partenaires étaient hyper motivés.

« Rai rai ! Râla Chu déçu de ne pas se joindre à eux.

- Momo, va aider Marvy.

- Pas de Riha, ni de Katy ? Tu ne vas pas utiliser tes petites combines habituelles ? Susurra Jenny d’une voix malicieuse.

- J’en ai plein d’autres en stock. Je ne serais pas devenu le champion de la Ligue Orange juste avec de l’attraction et du charme.

- Je crois que si justement. »

Fry tiqua sur cette provocation. Alors c’était sa Jenny la topdresseuse ? Un peu sournoise, un peu vicieuse, beaucoup de charme et d’assurance, ça ne l’étonnait pas. Il agrandit son sourire.

« Pistolet à ô ! Dard nuée ! »

Jenny fut surprise qu’il commence aussi brutalement le combat, Fry dévoila ses dents comme dans une pub pour dentifrice. Pas de doute, le champion de la Ligue Orange était de retour. Jenny n’eut pas besoin de parler à ses pokémon, Gali échappa au pistolet à ô avec agilité, seules les épines empoisonnées de scarhino l’atteignirent. Pirouette sur pirouette, Loki, lui, esquiva la salve de dards.

« Abri ! »

Fry était rapide et malin, il avait anticipé la réaction de Jenny qui cria en même temps que lui :

« Pied voltige ! »

Dans un mouvement parfaitement synchronisé, Gali et Loki abattirent leurs pieds voltiges sur leurs adversaires. Marvy s’envola avant l’impact et colhomard se roula en boule pour former une armure avec sa carapace juste à temps avant que Loki ne frappe. Gali, agacé par le pokémon insecte qui venait de lui échapper, cracha un lance-flamme sans attendre l’ordre de Jenny. Marvy sentit les flammes lui lécher la plante des pieds.

« Scarhi sca ! Pesta-t-il à l’intention de braségali.

- Gal gali ! »

Les combats lui manquaient trop, il voulait se donner à fond et il attendait que Scarhino fasse de même. Marvy n’était pas du genre à se faire prier deux fois, surtout depuis son affrontement contre lucario, il était toujours fébrile. Allongées dans le sable, Myria et Katy regardaient attentivement le combat de leurs amis. Chu assis sur son derrière battait des pieds avec impatience, tout comme Friday coincé entre les pattes de Katy, lui aussi aurait voulu se battre pour se dépenser.

« Rapace et uppercut ! Ordonna Jenny.

- Esquive Marv’ ! Force poigne ! »

Fry s’inquiétait plus pour Marvy que pour Mozart, Loki avait beau être fort, la carapace de son colhomard était épaisse et il faudrait plus que quelques coups de poings et de pieds pour en venir à bout. En revanche, à force égale, Marvy était moins rapide que Gali et avait un désavantage de type majeur. Le grand scarabée noir effectua une vrille sur le côté pour échapper de justesse à l’attaque rapace.

« Riposte ! »

Scarhino coinça les pattes de Gali et essaya de lui faire une prise ressemblant presque à du judo, mais le braségali résistait et Jenny le guida dans sa stratégie offensive.

« Flammèches ! »

Le pokémon ouvrit le bec, une lueur inquiétante au creux de sa gorge. Aussitôt, scarhino lâcha son adversaire et s’envola. Il passa entre lockpin et colhomard en train de se battre en corps à corps et manqua de peu de se prendre une pince-masse de Mozart sur la corne.

Fry n’avait vu Jenny combattre que deux fois : à la Tour Dresseur sur la septième des îles Sevii et face à Shoko près de Verchamps. Des deux représentations, il avait enregistré que Jenny était méthodique, qu’elle ne retenait pas ses coups et qu’elle était fourbe, de fait elle était dangereuse. En matière de force brute et de ruse, Fry savait qu’il était à la hauteur, mais il n’était pas forcément à l’aise à l’idée de se donner à fond face à une amie et ses pokémon. Cependant, Gali semblait fulminer, il avait un besoin impérieux de se défouler, Jenny et Fry le sentaient.

« On peut passer à la vitesse supérieure ? Demanda Jenny avec un air coquin.

- J’ai toujours l’impression que tes phrases ont un double sens.

- Tu me connais bien… Boutefeu !

- Oh p’tain, abri !!! »

Scarhino se protégea au mieux de la monstrueuse attaque de feu, braségali fonçait vers lui comme un boulet de canon enflammé. Jenny profita de la démonstration de force de son braségali pour crier après son lockpin.

« Loki pied sauté !

- Sabotage Mo ! Attrition ! »

Fry jeta un rapide coup d’œil à lockpin et colhomard avant de se concentrer sur son scarhino qui utilisait son attrition, sa peau n’avait pas l’air brûlée, il enchaina aussi vite qu’il put.

« Aéropique !

- Pied brûleur !

- Météores ! » Cria Fry pour son colhomard.

La pluie d’étoiles filantes s’abattit sur Loki et sur Gali. Le lockpin en fut à peine ému, mais ce n’était pas lui que Fry visait en priorité avec cette attaque. Il espérait que les quelques météores réussiraient à déstabiliser un bref instant braségali pour donner une opportunité de frappe à scarhino.

« Loki la même chose ! »

Une nouvelle volée de météores traversa leur terrain de fortune, cette fois pour attaquer Marvy et Mozart et Jenny cria après son braségali :

« Flammèches ! »

Marvy voltigeait dans tous les sens, il ne savait plus où donner de la tête, c’était impossible d’esquiver à la fois les météores et les flammèches. Mozart était plus tranquille avec sa solide carapace.

« Mo pistolet à ô sur Gali !

- Uppercut ! »

Fry voulait protéger son scarhino et il avait besoin de l’aide de colhomard pour ça. Jenny saisit sa chance, ça laissait de la latitude à Loki pour cogner colhomard sans qu’il ne se défende.

Exalté par ce combat autrement plus féroce que les petits affrontements sur le Nymphéa, Friday profita d’un moment d’inattention de luxray pour filer entre ses pattes et foncer tête baissée dans la mêlée.

« Evovo !

- Lux-graw !

- Friday non !!! » Beugla Fry.

Friday se dressa fièrement devant Loki en bombant son torse recouvert de fourrure beige. Lockpin sur sa lancée ne pouvait pas s’arrêter, il ne put que dévier sa trajectoire au dernier moment et son uppercut atterrit dans le sable au lieu de frapper l’évoli. A genoux et en équilibre, Lockpin était à la bonne hauteur pour Friday, alors le jeune et téméraire évoli balaya la plage pour expédier un jet de sable en plein dans sa face. Le pokémon de Jane se redressa brusquement en se frottant les yeux. De sa propre initiative, Mozart cracha un hydrocanon sur Loki, la cible était trop belle et trop évidente pour qu’il résiste à la tentation. Lockpin fut propulsé à plus de trente mètres et termina son vol plané étalé sur le dos. Il avait mal aux côtes et le souffle coupé après s’être pris le puissant jet d’eau dans le ventre à bout portant.

Evoli était en pleine jubilation et sautillait sur place. Il se tourna vers son dresseur espérant des félicitations, mais il tomba museau contre museau face à Katy qui l’agrippa à nouveau par la peau du cou, elle tirait plus fort que d’habitude, elle était vraiment mécontente.

« Evo ! » Protesta le jeune pokémon alors qu’elle l’éloignait du combat.

Jenny et Fry s’étaient désintéressés de l’affrontement entre Braségali et Scarhino, trop perturbés par l’intrusion d’évoli dans le match amical, alors les deux combattants échauffés en profitaient pour se laisser aller, guidés par leur instinct belliqueux.

Braségali cracha un puissant lance-flamme à l’encontre de Marvy, l’insecte esquiva en volant autour de son adversaire, ses petites ailes vrombissant à toute vitesse, puis il bombarda le dos de braségali avec des balles graines. Seules les premières réussirent à l’atteindre, les autres furent calcinées par une nitrocharge.

Loki revint près de sa dresseuse en boitant, il jeta un regard un peu rancunier à colhomard et évoli, puis Jenny lui frotta le dos. S’il avait été engagé dans un vrai match, il serait retourné au combat, mais comme il avait mal aux lombaires, il renonça à provoquer à nouveau Mozart. Il n’allait pas se ruiner la santé juste pour une bagarre entre copains. 

En voyant le puissant jet de flammes de Gali frôler les pattes de Marvy, colhomard se mit à trépigner. Il avait envie de rejoindre la rixe et d’aider son ami. Il claqua des pinces avec frénésie et de l’écume moussait autour de sa bouche.

« Non Momo, ne t’en mêle pas, laisse-les.

- Colho colho ! Objecta Mozart pour signifier que son dresseur prenait une mauvaise décision.

- Gali stratopercut ! »

Le braségali réussit à prendre par surprise scarhino en plein vol. Fry ne s’y attendait pas à celle-là.

« Koud’korne ! »

Fry regarda son pokémon riposter avec sa grosse corne frontale noire, mais il constata que Marvy avait lancé une mégacorne, beaucoup plus puissante que l’attaque qu’il lui avait ordonné.

Le duel entre Gali et Marvy était intense, les deux adversaires se donnaient à fond, au point que leurs dresseurs étaient un peu inquiets. Braségali enchaina trois poings de feu, coup sur coup. Scarhino évita le premier, il tenta de répliquer avec un casse-brique, avant de se prendre le deuxième coup dans le ventre. Ensuite il préféra reculer pour échapper au troisième poing. Face au quatrième poing de feu, Marvy utilisa un contre bien cadré et violent.

« Euh… Doucement Gali, calme-toi.

- Sca sca !

- Braaa !

- Marvy relax ! Vous y allez trop fort là !

- Rai rai ! Braillait Chu en sautillant sur place, ses joues grésillant d’excitation.

- Arrête de l’encourager ! Le sermonna Jenny. Gali du calme ! Contente-toi d’un double-pied ! »

Braségali exécuta son double pied, mais ensuite il poursuivit avec un pied brûleur que scarhino esquiva de peu.

« Gali je t’ai dit double-pied ! »

Braségali obéit et revint à sa première attaque. Il était galvanisé, alors il enchaina une série de double-pieds  de plus en plus rapides et puissants.

« Ténacité ! »

Marvy encaissa, encore et encore, mais il commençait à fatiguer. Cet affrontement lui rappelait son combat contre Lucario dans la forêt de Verchamps. Il côtoyait Gali depuis quasiment un an maintenant, il n’avait jamais réalisé qu’il était aussi puissant.

Gali perçut la fatigue de son adversaire, les mouvements de Scarhino étaient moins vifs, son esquive était réduite, c’était le moment de l’achever. Débridé par son combat acharné, il se laissait emporter par sa propre violence et son désir d’annihilation. Il gonfla sa poitrine, de la fumée sortait de ses narines sur son bec, il préparait une attaque déflagration.

« Non Gali ! Tu ne fais pas ça ! » Cria Jenny d’une voix inhabituellement féroce.

Gali entendit la voix de sa dresseuse, mais cette fois il ne l’écouta pas. Il cracha son pentacle de flammes d’une puissance hors du commun. Marvy ne s’y attendait pas et pour la première fois depuis des années, il eut peur, peur pour sa vie et cette brutale angoisse le tétanisa.

« Momo !!! » Beugla Fry dans un instant de panique en arrachant la pokéball de scarhino de sa ceinture.

Mozart toujours aux aguets réagit juste à temps avec un hydrocanon et Fry jeta sa pokéball sur Marvy pour le protéger. C’était quelques secondes trop tard, sans l’intervention de colhomard, Marvy aurait été touché avant d’entrer dans sa capsule protectrice. La pokéball de Marvy tomba mollement dans le sable, colhomard rampa rapidement devant la boule recroquevillée et fit face au braségali forcené.

« Gali tu as perdu la raison ?!? C’était Marvy ! Tu aurais pu le tuer ! S’exclama Jenny avec une colère nettement audible dans sa voix.

- Brae… Bra… »

Le pokémon feu éreinté reprenait lentement son souffle et ses esprits. Il était plutôt serein de nature et obéissant en temps normal, mais tous ces mois passés sans combattre l’avaient frustré au point de le rendre à moitié fou.

Le regard accusateur de colhomard posé sur lui n’était guère plus plaisant que le ton de sa dresseuse. Le crustacé fit claquer ses pinces avec un air menaçant.

« Momo du calme. » Insista Fry.

Le pokémon décida de lancer une danse-lames pour faire comprendre à braségali qu’il était prêt à en découdre. Braségali s’était calmé, mais il voulait encore combattre. Il utilisa sa puissance pour booster son attaque avant de s’élancer contre Mozart dans un pied voltige.

« Coqui-lame ! »

Cette attaque eut raison de braségali en le fauchant en plein vol. Il tomba sur le dos dans le sable, il tenta de cracher quelques dernières flammèches vers colhomard, mais le pokémon de Fry riposta avec une petite écume. Les bulles lui éclatèrent sous le bec et finalement Gali s’évanouit d’épuisement. Colhomard poussa un long gémissement de soulagement avant de se tourner vers Fry avec un regard implorant, il avait envie de retourner dans sa pokéball. Loki, assis dans le sable, leva aussi les yeux vers sa dresseuse.

« Lockpin…

- Rai rai. » Commenta le raichu en faisant crépiter ses joues, il aurait bien aimé prendre le relai, mais Mozart n’en pouvait plus.

Myria bailla à s’en décrocher la mâchoire et Jane soupira sans perdre son sourire.

« Je crois qu’on est bon pour passer au centre pokémon.

- Je crois bien ouais. »

 

Les deux adolescents déposèrent leurs pokémon blessés auprès de l’infirmière Joëlle. Sur le chemin, Fry acheta des gaufres qu’ils dégustèrent avec un thé en compagnie de Chu, Friday et Katy près de la machine à café du centre pokémon.

« Tu as bien failli perdre ce match.

- Oui j’ai remarqué. Tu es très forte Jane.

- Je ne te dis pas cela pour que tu me lances de fleurs, je te le dis parce que tu n’es pas encore prêt à affronter Jessy… Répliqua Jenny avec son petit sourire filou.

- Ne sois pas méchante comme ça. »

Elle lui donna un coup d’épaule avant qu’ils ne récupèrent leurs quatre pokéballs.

« Une rose sans épine n’est pas une rose.

- Tu parles de toi ou de ta sœur là ?

- De nous deux. Et de toi aussi, beau champion. »

Elle lui adressa un clin d’œil et Fry réprima un rire en accrochant les pokéballs à sa ceinture.

Après cette belle journée passée en tête à tête, les deux amis marchaient en direction du centre de concours sous la lumière des lampadaires, Chu et Friday se dandinaient fièrement à leurs côtés. Fry portait toujours dans un sac la demi-douzaine de livres emprunté par Jenny. Ils étaient presque arrivés à leur pied à terre lorsque Jenny s’arrêta. Fry lui jeta un regard interrogatif. En silence, elle lui adressa un sourire splendide et reconnaissant avant d’enfin lâcher un :

« Merci. »

Il lui rendit son sourire chaleureux, il cherchait un truc sympa à dire et il finit par trouver.

« Tu sais, je suis d’accord avec ta sœur : tu es l’une des dresseuses les plus puissantes que j’ai rencontré dans ma vie. Tu ne devrais avoir peur de rien, ni de personne. Et puis si un jour tu es vraiment dans la merde, tu pourras aussi compter sur moi. »

En regardant son compagnon face à elle dans la lueur des réverbères avec son gros sac plein de livres, elle réalisa qu’il était le meilleur ami humain qu’elle et sa sœur aient jamais eu. Elle s’approcha de lui, posa une main sur sa joue droite et embrassa la gauche avec tendresse.

« Je sais Fry Morgan… » Souffla-t-elle de sa voix suave.

Le jeune homme élargit son sourire, il était presque étonné qu’elle ne tente pas de l’embrasser sur la bouche. Il en était soulagé aussi, il n’avait pas envie de la repousser après ce qu’elle avait vécu. Il avait l’impression qu’elle allait mieux, alors lui aussi se sentait mieux.

Une fois dans le hall du centre de concours, une musique familière arriva jusqu’à leurs oreilles. Au fond de la salle, un petit groupe de personnes était rassemblé en arc de cercle. L’un des mélomanes se décala légèrement pour parler à l’oreille de sa voisine et laissa un espace vide qui permit à Jane et Fry d’apercevoir Jessy. Assise sur le cajon de Fry, sa guitare entre les bras, elle jouait sans chanter la version acoustique des "maitres de demain". L’ambiance était radicalement différente par rapport à sa version rock. Elle était toujours entrainante, mais elle était beaucoup plus douce, elle transpirait l’espoir et la gaité. Bill avait critiqué l’arrogance de cette chanson, mais sans les paroles et sans les guitares électriques, toute cette fierté mal placée avait disparu. Il ne restait que la pureté d’un rêve de petite fille.

Chu aperçut son frère en train de s’ennuyer à quelques mètres de Jessy. Il s’élança dans sa direction et termina sa course en lui sautant dessus par surprise.

Fry bougeait discrètement au rythme de la musique en fixant Jessy de loin. Au bout d’un moment, Jenny finit par lui donner un coup de coude.

« Qu’est-ce que tu attends ? Vas-y. »

Fry lui rendit son sourire charmant et déposa son sac de livres à ses pieds, avant de cavaler jusqu’à la guitariste avec à peine plus de retenue que Chu. Jenny les vit discuter tous les deux alors que Jessy venait de terminer son morceau. Elle se leva du cajon pour le rendre à Fry et elle s’installa debout à côté de lui. Ils se consultèrent brièvement pour savoir ce qu’ils allaient jouer, Fry avait retrouvé son sourire à la Reese Morgan. Jenny regardait la scène avec un air absent et apaisé, tandis que les premières notes de "Pour te voir sourire encore" des Irish Japanese résonnaient dans le grand hall. Elle se disait qu’ils avaient vraiment l’air heureux ensemble quand ils jouaient de la musique.

« Evovo ! » S’écria joyeusement Friday.

Jane se retourna en sentant une présence timide derrière elle. Scott venait d’entrer à son tour et aussitôt Friday lui était grimpé sur les épaules.

« Tiens, bonsoir Scott. Tu étais en balade toi aussi ?

- Euh, oui… »

Scott remarqua tout de suite le gros tote bag rempli de livres par terre, aux pieds de Jenny.

« Vous êtes allés à la bibliothèque ?

- Oui. J’irai les rendre la semaine prochaine. Tu m’accompagneras ? »

Scott cligna des yeux, un peu surpris par la demande. Jenny lui souriait avec sa douceur et sa grâce habituelles, il aimait tellement la voir comme ça, même si ça lui brisait le cœur à chaque fois, il adorait ce visage et cette chaleur qu’elle dégageait.

« Oui bien sûr. »

Elle élargit encore un peu son sourire. Fry s’était montré prévenant pour qu’elle surmonte son appréhension de sortir seule, mais elle ne voulait pas lui imposer de nouvelles sorties intellectuelles, Scott était plus adapté, lui au moins il y prenait un réel plaisir. Elle regrettait qu’il ne soit pas encore suffisamment détendu avec elle pour reprendre leurs conversations d’autrefois, mais avec un peu de patience et un cadre adapté, il dépasserait peut-être son traumatisme, tout comme elle.

« Merci Scott. »

 

A suivre…

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