Les Train Twins

Chapitre 39 : Déclaration d'amour

12144 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/04/2022 15:24

Chapitre 39

 

Déclaration d’amour

 

Il ne restait que quelques jours avant le concours de talent de Lavandia, il était désormais temps pour les Train Twins de plier bagages. Jessy était en train de vérifier pour la troisième fois les malles des instruments de musique.

« C’est bon Jess, il y a tout je t’assure, tenta de la rassurer Fry.

- Je préfère être prudente.

- Ouais mais là c’est un brin excessif.

- Okpin pin…

- Gali… Grommelèrent les deux pokémon de Jane.

- Arrêtez de vous plaindre vous deux ! Où est Jenny ?

- Elle est partie chercher Scott.

- Il sait qu’on doit partir ! Il n’est quand même pas encore en train de bricoler ?

- Je ne sais pas, c’est pour ça qu’elle est partie le chercher. Relax Jess ! »

Il tenta un sourire à la Reese Morgan pour la détendre et posa sa main sur son épaule. Il l’avait à peine effleurée quand Scott arriva avec son bazar électronique attaché sur le dos et Jenny sur les talons.

« Ah enfin !

- Dé… Désolé… Couina Scott.

- On est prêts à décoller ! » Annonça Jenny à sa sœur en désignant Scott d’un mouvement de tête.

Elle avait hissé son sac en bandoulière sur son épaule et Chu poussa sa petite valise à roulette jusqu’à Loki qui le fusilla du regard.

« Rai rai !

- Kpin…

- Merci Loki chéri ! » Dit gentiment Jane en caressant son Lockpin alors qu’il prenait la hanse de la valise à contrecœur.

Scott lui jeta un bref regard envieux, il n’avait pas de pokémon costaud pour porter ses affaires.

Flora et Drew attendaient le groupe à la sortie du bâtiment, le coordinateur tenait deux roses rouges entre ses doigts. Avec un petit sourire en coin plein de charme, il adressa un clin d’œil discret à Jenny en lui offrant une rose.

« Bonne chance les Train Twins. »

Jenny prit sa fleur et fixa sa sœur jusqu’à ce qu’elle se décide à faire de même. Jessy était perplexe, mais pas autant que Fry et Scott.

"Je suis presque jaloux là…" Songea Fry en se rappelant de leur cadeau d’anniversaire de l’année précédente.

« Euh, merci, répondit finalement Jessy.

- Allez-y à fond ! Vous allez gagner ! » Les encouragea joyeusement Flora.

Lorsque le quatuor fut suffisamment loin, Flora regarda son mari en haussant un sourcil moqueur.

« Tu ne peux vraiment pas t’en empêcher hein ? Monsieur-j'aime-les-roses … »

Drew ignora sa remarque et fit demi-tour l’air de rien. Une fois le dos tourné, il esquissa un sourire filou.

 

Depuis l’embarcadère, les Train Twins longèrent la côte à l’est de la route 110. Fry assis contre les malles de sa batterie regardait défiler au-dessus de sa tête la piste cyclable surélevée reliant Poivressel à Lavandia. Cette fois et comme à Kanto, le décor n’avait plus rien à voir avec la région de son enfance. Il souriait béatement en apercevant des gloupti roupillant près de la rive au pied des piliers de métal. Un petit groupe de pokémon poison fut dérangé par un posipi et un negapi qui faisaient la course à la lisière des hautes-herbes.

« On te cause Fry !

- Pardon Jess, j’étais dans mes pensées, répondit Fry en secouant la tête.

- Oui, j’me doute bien que t’étais pas dans les miennes.

- Ça dépend, je parie que tu me parlais du concours ?

- C’est ça, fais le malin…

- Je ne fais pas le malin : je suis malin et t’adore ça en plus, lança Fry avec son sourire charmeur.

- Mouais, justement Monsieur Malin, donne-nous ton avis.

- Sur quoi ? »

Les jumelles se tournèrent vers Scott penché sur son téléphone. Il attendait sans broncher avec son air coincé que Fry et Jessy aient fini de badiner. Jenny l’encouragea de sa voix douce.

« Scott ?

- Hem, oui. Alors si je me fie au nombre de like et aux réponses au sondage que tu as lancé, les internautes préfèrent "Stop !".

- Donc on devrait jouer celle-là pour le concours.

- Ils préfèrent "Stop !" simplement parce que la vidéo a été tournée à l’arène d’Azuria et qu’on voit des filles en maillot de bain, intervint aussitôt Fry.

- Ah ! Tu vois qu’on aurait dû tourner d’autres vidéos en bikini ! Je te l’avais dit ! » Fit Jenny en se tournant vers sa sœur.

Scott souleva ses lunettes avec deux doigts pour se masser l’arête du nez, il était affligé autant que gêné.

« Il n’y a pas beaucoup de votants non plus, précisa-t-il.

- Les Irish Japanese préfèrent toujours "Problème de statut", enfin sauf Loyd qui adore "Stop !" parce que, je cite le message de Rem : il y a des percussions de ouf là-dedans c’est énorme, Fry est un génie. Avec trois points d’exclamation.

- Il a vraiment dit que tu étais un génie ? Releva Jenny en haussant un sourcil.

- Pourquoi je vous mentirais ? Répliqua Fry en rigolant.

- Et personne n’aime "La chance de ma vie" ? »

Fry cligna des yeux, un bref instant, il avait eu l’impression de capter de la tristesse et de la déception dans la voix de Jessy.

« Si, les gens l’adorent, mais moins que "Stop !", dit gentiment Scott pour tenter de la consoler.

- On répète laquelle alors ?

- On va continuer de suivre l’avis des Irish Japanese et jouer "Problème de statut".

- Tu écoutes vraiment l’avis de Bill et Rem ? S’étonna Jenny en regardant sa sœur.

- Et de Shoko, oui. »

Jessy donnait l’impression qu’on lui arrachait la langue et Jane grimaça. Fry, lui, était très impressionné, son amie faisait un énorme travail sur elle-même et sur son orgueil pour accepter les recommandations d’autres personnes que Jenny et lui.

« Et tu as jeté un coup d’œil à ce que faisaient les Dark Love ?

- On s’en branle des Dark Love ! »

Le sourire de Fry se crispa quelque peu, Jessy faisait des progrès, mais il y avait encore du chemin à parcourir visiblement.

« Où se déroule le concours ?

- A l’Alpha et l’Omega.

- C’est quoi ça l’alpha et l’oméga ? Répéta Fry circonspect.

- Une célèbre salle de concert de Lavandia. Il existe une salle identique à Illumis, encore plus connue. Jess et moi on rêve d’y aller.

- Je rêve d’y jouer oui ! » S’exclama Jessy.

L’Alpha et l’Omega d’Illumis faisait depuis longtemps partie des étapes du voyage qu’elles imaginaient à Kalos, mais avec la création des Train Twins, Jessica commençait à caresser l’espoir fou de continuer l’aventure musicale à Kalos.

« On va déjà commencer par l’Alpha de Lavandia si tu veux bien… Dit doucement Jenny.

- Et on crèche où ?

- Il n’y a pas grand-chose qui t’intéresse à par dormir, se moqua Jessy.

- Quoi ? Répliqua Fry faussement vexé. Je me préoccupe de mon sommeil pour être certain d’être au top de ma forme le jour J... C’est à notre victoire que je pense, rien d’autre.

- C’est ça… »

Jessy réprima un rire et Jenny répondit à la question de Fry.

« On va à l’établissement de concours de la ville. Flora a appelé sa collègue, elle est d’accord pour nous héberger et nous laisser répéter. Je pense qu’on pourra rester plus longtemps une fois qu’elle aura vu de quoi on est capable. Je ne la connais pas, mais elle ne peut pas être plus grincheuse que Drew. »

 

L’établissement de concours de Lavandia se trouvait dans le quartier culturel à l’ouest de la ville, s’y trouvait également, entre autres : le casino, l’arène pokémon et la salle de l’Alpha et l’Oméga. Les Train Twins débarquèrent par l’est et furent obligés de traverser toute la ville à pieds. Après plus d’une heure et demi de marche urbaine, Gali, Loki, Wal, John et Galop étaient soulagés d’arriver enfin à destination, mais ils redoutaient que ce ne soit que le début d’un long calvaire de plusieurs mois.

L’édifice était plus petit que celui de Poivressel, en revanche il était beaucoup plus classieux. Le décor raffiné s’inspirait de l’architecture kalosienne dite "Chaydeuvre", en référence au palais construit au début du dix-huitième siècle. Bien évidemment, la construction du bâtiment était beaucoup plus tardive et remontait aux années 1960.

Jessy alla se présenter au guichet d’accueil et laissa ses amis, leurs pokémon et leurs instruments sur le côté, près du mur de la gloire. Sur ce wall of fame étaient accrochés les portraits des coordinateurs les plus récompensés depuis la création de l’établissement de concours, certaines rares photos étaient encore en noir et blanc. Encore une fois, ils reconnurent les visages de Flora et Drew parmi les clichés.

Fry s’arrêta plus longuement sur la photographie d’un jeune homme brun, extrêmement beau et distingué qui posait avec un grahyèna au poil soyeux. Il avait rarement vu un pokémon de cette espèce aussi soigné et élégant. Le coordinateur et son pokémon portaient tous les deux un grand ruban jaune, récompense attribuée lors des concours en catégorie robustesse.

« Dis-moi Jane, ce type ce n’est pas le même que sur la photo du laboratoire ?

- Si, c’est tonton Greg.

- Tu veux dire Grégôâre ! Se moqua Jessy en revenant près d’eux.

- Et ne m’appelez pas tonton ! » Renchérit Jenny avec le même genre d’intonation.

Les deux rouquines éclatèrent de rire. Fry attendit qu’elles se calment pour réclamer des précisions.

« C’est un coordinateur ?

- Il l’était oui, maintenant il s’occupe surtout de la gestion de son établissement à Oliville et de la SPP. Il a été nommé président de l’antenne régionale de Johto il y a quelques années.

- Sérieusement ? S’étonna Fry.

- Ouais, il essaye de cacher son égo démesuré en faisant croire qu’il est altruiste.

- Il n’y a bien que sa femme qui est assez naïve pour se laisser berner.

- Mais quelles langues de vipélierres ! »

Fry riait à gorge déployée, mais il ne les trouvait vraiment pas sympa. Il se souvenait de ce que Sébastien lui avait raconté à propos de Grégoire, il avait vanté sa loyauté sans faille envers lui et Florine. Son altruisme ne devait pas être feint.

« A ce que j’entends, vous connaissez bien Grégoire. » Lança une voix derrière eux.

Une très belle femme d’une petite quarantaine d’années avec de longs cheveux bruns aux reflets violacés et une fleur de lys accrochée à l’oreille se tenait derrière eux. Vu sa tenue élégante, il ne s’agissait pas qu’une coordinatrice ordinaire.

« Oh, bonjour. Oui c’est un ami de nos parents, répondit Jenny en retrouvant brutalement son air poli. Êtes-vous Mégane Fritz ?

- Elle-même. Je suppose que vous êtes les Train Twins ? Suivez-moi, je vais vous montrer où vous installer.

- Merci beaucoup !

- Un petit conseil amical : ne critiquez pas trop Grégoire ici, c’est un peu une star locale et l’établissement appartient toujours à sa mère.

- Ce n’est pas le vôtre ? S’étonna Jessy.

- Non, j’en suis la directrice et responsable artistique, mais il ne m’appartient pas. La famille De Richemensueur reste propriétaire de la plupart des établissements de la région, celui de Flora et Drew est l’une des rares exceptions.

- Nous sommes navrées, s’excusa platement Jenny. Nous ne voulions pas nous montrer désobligeantes… »

Dans leur dos, Jessy fit les gros yeux en hochant frénétiquement la tête, bien sûr que si elles voulaient se montrer désobligeantes, Grégoire était un personnage haut en couleur. Fry pinça les lèvres pour ne pas se mettre à rire.

« Inutile de paniquer, s’il y a bien une personne dans cette ville qui n’est pas dupe au sujet de ce cher Grégoire c’est moi. Nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler, mais pour l’heure, je crois que vous avez des affaires plus urgentes à gérer. »

Ils déposèrent leurs instruments dans une vaste pièce exclusivement dédiée au stockage du matériel et des accessoires, Mégane leur assura qu’ils ne couraient aucun risque et que Jessy n’avait pas besoin de laisser des pokémon pour les surveiller. Loki et Gali s’étaient regardés, horrifiés à l’idée de passer plusieurs nuits à camper dans une pièce close devant ces maudites malles.

Comme à Poivressel, l’établissement de Lavandia était équipé de quelques chambres attenantes aux loges. Après le diner, Fry décida de faire une balade digestive nocturne, il était toujours aussi avide et impatient de découvrir la région. Il réclama à cor et à cris la compagnie de ses camarades dans un enthousiasme débordant. Jenny accepta de bonne grâce et, avec l’aide de Fry et de leurs sourires enjôleurs, ils forcèrent Jessy et Scott à les suivre.

 

La capitale d’Hoenn était jumelée avec Illumis. Ce n’était pas la ville la plus vaste de la région, mais elle restait la plus peuplée. Les jumelles aimaient beaucoup cette cité dont l’atmosphère était très kalosienne. De nombreux investisseurs étrangers étaient venus y installer des commerces, des restaurants, des cafés et des immeubles à l’architecture audacieuse mais éco-responsables, dont la très sophistiquée Résidence Lavandia. Fry avait des étoiles plein les yeux. Il avait toutefois du mal à intégrer le fait que Jessica ou même Jane soient heureuses dans ce type de lieu. Elles avaient grandi dans la campagne du Bourg Palette, elles étaient les filles d’un célèbre explorateur et pendant leur voyage initiatique elles avaient campé dans les coins les plus sauvages du pays, pourtant elles s’épanouissaient en citadines branchées. Fry avait beau détester l’Archipel Orange, dès qu’il voyait une plage quelque part, comme à Poivressel, il se sentait dans son élément et il projetait son propre fonctionnement sur ses amies.

« La colonne de Kalos… Elle est vraiment magnifique. » Souffla Jenny, heureuse de la revoir en vrai après toutes ces années.

Fry ne disait rien, mais il trouvait que cette structure bizarre en métal et en verre ressemblait à un phallus lumineux géant.

« C’est une reproduction miniature de la tour prismatique ? Demanda Scott.

- Oui, l’arène pokémon d’Illumis. J’ai toujours rêvé de la visiter.

- Et d’y combattre ! Renchérit Jessy.

- J’aimerais bien y aller aussi, avoua Scott avec un petit sourire rêveur. Maman m’a dit que c’était l’arène la plus high-tech qu’elle a visité dans sa vie et Papa est un grand admirateur du travail de Lem, moi aussi de fait. L’arène de Lavandia est aussi une arène de type électrique, je ne dis pas de bêtise ?

- Exact. C’est d’ailleurs Voltère qui a fait installer cette tour ici, il l’a inauguré juste avant de partir en retraite.

- Je trouve ça génial. J’ai hâte d’aller la voir de plus près ! Le système d’éclairage prismatique d’Illumis créé par Lem et son père a révolutionné l’optique et réduit de plus de cinquante pourcents la consommation d’énergie de la capitale de Kalos. Dans le cas de Lavandia, le système est aussi couplé avec la surveillance de tout le réseau électrique de Lavandia et de New Lavandia. Je ne crois pas qu’il existe de plus grosse infrastructure électrique dans le pays, même à Larousse City. Elle a été conçue comme une expérience à l’échelle grandeur-nature. Il me semble qu’il y a un projet similaire à Safrania, mais la Sylph Sarl n’a pas le….

- Ça y est, il est parti. On va en avoir pour une heure… Marmonna Jessy, assommée par la voix de Scott dans son dos.

- C’est plutôt bon signe, ça veut dire qu’il se sent de nouveau en confiance. » Répondit Fry avec un petit sourire bienveillant.

Le quatuor croisa par hasard les Dark Love en train de sortir du casino avec leur matériel, visiblement ils avaient donné un concert là-bas.

« Tiens-tiens ! Mais qui voilà : les Train Twins ! » S’écria Matthieu.

Il s’avança vers Scott pour lui serrer chaleureusement la main, avant de se tourner vers les jumelles. Corentin dans son dos leur adressa un petit signe de main.

« Alors les filles, prêtes pour samedi ?

- Bien sûr et vous ? Lança Jessy avec beaucoup de difficulté pour desserrer les dents.

- Évidemment ! »

Fry regardait alternativement Jessy et Matt, il régnait entre eux une tension monstrueuse. Le musicien avait toujours son sourire détendu et jovial, quant à Jessy, elle avait l’air très calme en apparence et le léviator dormait bien tranquillement dans son antre. Pourtant, l’ambiance était lourde et oppressante, Fry avait l’impression d’être sous l’emprise d’une dévorêve de spiritomb. Scott s’était brusquement refermé comme une coquiperl, il n’arrivait plus à parler à Matt devant Jessy. Jane se sentit obligée de prendre le relai pour faire la conversation.

« Vous donniez un concert au casino ?

- Ouais, c’était plutôt cool. Toute cette ville est cool. Artus et Coco sont dans leur élément ici, plus que nous, dit Matt en tapant brièvement dans le bras de Cyril qui passait près de lui avec sa basse.

- L’élégance et l’art de vivre kalosien c’est toute une philosophie ! Renchérit Corentin.

- Je suis bien d’accord avec toi ! » Déclara Jane avec un grand sourire.

Coco allait se lancer dans un joyeux bavardage avec Jenny, quand Artus fut pris d’une quinte de toux. Cyk lui jeta un regard en biais, ce n’était pas la première de la journée. C’était à peine perceptible, mais l’espace d’une demi-seconde, le regard pétillant de Matt fut traversé d’une lueur d’inquiétude. Il posa une main sur l’épaule de Corentin.

« Bon aller, c’était sympa de vous voir, mais on doit se rentrer ! Tu joueras les jolis cœurs un aut’jour Coco.

- Eh ! Vous avez fini de me chambrer tout le temps ?

- Le patron a parlé Casanova, bouge tes fesses ! Lança Cyril d’une voix autrement moins aimable que Matt.

- On se retrouve samedi les Train Twins ! »

 

A peine rentrés dans leur gite, Artus se remit à tousser en enlevant sa veste et son écharpe.

« Artus, t’es sûr que ça va ? Demanda Matt en fixant son ami.

- Ne t’inquiète pas, je vais prendre une tisane et me coucher tôt ce soir, ça ira.

- Toi et tes manies d’vieux…

- Arrête Cyk, c’est pas drôle. » Intervint Matthieu.

Ses trois partenaires se tournèrent vers lui, il ne souriait plus du tout. Matt s’approcha d’Artus, il souleva son pull et son maillot de corps sans lui demander son autorisation, avant d’enfiler sa main sous le tissu pour la poser sur son sternum.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Matthieu ne répondit pas, il avait le regard dans le vide et se concentrait sur la respiration d’Artus, sur sa cage thoracique qui se soulevait lentement et sur le vrombissement de ses bronches sous ses doigts. Il n’aimait pas ce qu’il ressentait. Il finit par retirer sa main.

« Tu ne répètes pas demain et t’arrête de parler.

- Bien chef… » Soupira Artus en réajustant ses vêtements.

Corentin et Cyril avaient compris en voyant l’expression de Matthieu qu’il était vraiment préoccupé, ça n’arrivait pas souvent et normalement quand ça se produisait, il gardait son sourire rassurant pour tout le monde et ne laissait rien transparaître. Artus le savait mieux que quiconque.

« Inutile de paniquer Matt… Murmura Artus à voix basse pour que les deux autres n’entendent pas.

- Je t’ai dit de ne plus parler et remet ton écharpe aussi. » Insista le leader des Dark Love.

Quand Artus eut remis son écharpe, Matthieu ne put s’empêcher de vérifier que le cou de son chanteur était bien couvert. Artus ne disait rien, comme promis, mais il était mal à l’aise quand Matt se comportait en papa galifeu de la sorte et le tripotait sans retenue devant témoin. La voix d’Artus était le trésor du groupe, un outil de travail irremplaçable, Matthieu ne prenait aucun risque avec ça, il était plus méticuleux qu’Artus lui-même. Or, ce soir-là, il avait un mauvais pressentiment.

Comme il n’y avait que trois chambres dans le gite des Dark Love à Lavandia, Matt dormait normalement avec Cyril, mais il avait besoin d’être seul pour réfléchir. Il s’était allongé sur le canapé dans le salon, avec un plaid en guise de couverture. Le malosse de Corentin dormait sur le tapis à côté de lui et Matt, les yeux rivés vers le plafond, faisait rebondir la pokéball du canidé dans sa main. Il n’était pas du genre à s’inquiéter facilement, mais il avait un excellent instinct et son instinct lui hurlait qu’il fallait trouver un plan B, très rapidement.

 

Côté Train Twins, Jessy commençait à monter en pression. Fry s’efforçait de trouver des petites combines pour la détendre ou du moins éviter qu’elle n’explose. Elle paraissait plus tendue que pour le concours de la Voix des forêts et celui de l’île Gélatine. Jane et Fry ne savaient pas pourquoi, ils se disaient qu’ils avaient peut-être passés trop de temps au Bourg Palette.

Jessy elle-même ne comprenait pas ce qu’elle ressentait, ou plutôt elle arrivait à identifier ses sensations, mais elle ne savait pas d’où elles venaient. Elle se sentait comme dans la Forêt de Jade, quand cornèbre avait débarqué en panique. Elle avait senti la menace en voyant l’oiseau noir, elle ne savait pas quelle était la nature de la menace, mais elle savait qu’elle était là. C’était la même sensation. Elle avait l’impression que quelque chose lui échappait, qu’elle avait loupé un truc important, ça l’obsédait et ça la stressait. Pour compenser, elle jouait et jouait encore, et elle forçait ses partenaires à jouer aussi, jusqu’à atteindre la perfection.

Le groupe passa la journée à répéter dans l’établissement de concours pokémon de Lavandia. Scott s’occupait dans son coin en attendant, Mégane lui avait trouvé des choses à réparer. Il reçut un texto en début d’après-midi.

[Salut Scott ! Tu peux passer demain matin de bonne heure stp ? DSL de te faire chier avec ça, mais c’est important et c’est urgent. Merci vieux ! A demain ! Matt]

Les sourcils du petit technicien se froncèrent imperceptiblement, ce type de message l’angoissait facilement. N’importe qui aurait senti les embrouilles à des kilomètres, mais Scott était facile à manipuler.

Le lendemain, Jessy était dans tous ses états et affolait tout le monde, si bien que ni Jane ni Fry ne remarquèrent le départ de Scott après le petit-déjeuner.

« Ah ! Scott ! On est sauvé ! Cria Matthieu, visiblement soulagé en voyant le petit blond débarquer au gite.

- Euh… Pourquoi ?

- Artus est malade, il n’a plus de voix du tout. » Expliqua Corentin.

Scott se tourna Artus assis sur le canapé, il portait encore son écharpe et était enveloppé dans le plaid de Matthieu. Le chanteur ouvrit la bouche pour ne sortir qu’un son rauque à peine compréhensible.

« On est dans la merde… Murmura-t-il avec sa voix enraillée.

- Ah, oh… Je suis désolé pour vous, c’est terrible… » Compatit Scott.

Il les aimait suffisamment pour souhaiter leur victoire tout autant que celle des jumelles, mais il n’avait pas vu le regard luisant d’espoir de Matthieu.

« Tu dois le remplacer.

- PARDON ?!? »

Scott n’avait jamais crié aussi fort de toute sa vie, même dans le bureau de Monsieur Becket quand il lui avait proposé un pot-de-vin. Il regarda Matthieu comme s’il était devenu fou.

« Ça va être trop galère à trois, tu connais la chanson mieux que quiconque vu que c’est la tienne et tu n’appartiens à aucun groupe, t’es le seul à pouvoir remplacer Artus.

- Mais… Mais non ! Non, non-non-non ! Bien sûr que non ! Je n’y arriverai jamais, d’abord je ne suis pas chanteur, ensuite je ne suis jamais monté sur scène et puis les filles vont me tuer !

- Arrête, tu sais chanter ! Je t’ai entendu ! Quant aux Train Twins, elles n’ont rien à dire : tu ne fais pas partie de leur groupe, c’est toi-même qui me l’as dit ! » S’emporta Matthieu.

C’était la première fois que Scott le voyait tendu et énervé, c’était aussi la première fois pour Corentin d’ailleurs. Le batteur réfléchit un instant avant de soutenir son ami guitariste.

« Matt a raison. Quand on a un pokémon légendaire dans son équipe on le sort, on ne le laisse pas sur le banc de touche.

- Je n’y arriverai jamais ! Geignit Scott avec insistance.

- Sans toi on est fichu. » Dit sobrement Cyk.

Matt soupira avant d’ajouter :

« Sans Artus ou sans toi, on déclare forfait. C’est tout. »

Les quatre membres des Dark Love le regardaient avec des yeux de remoraids frits. Artus n’était pas responsable de son rhume, mais il ne pouvait s’empêcher de culpabiliser. En six ans de duo avec Matthieu, il n’était jamais tombé malade la veille d’un concert et pour une première fois, il fallait que ça arrive un jour de concours.

Scott aurait voulu se transformer en dedenne et filer se cacher dans un trou du mur. Il couina d’une voix à peine audible.

« Je… Je voudrais bien vous aider mais… Je n’y arriverai jamais. »

Matthieu l’attrapa par les épaules.

« Si, tu vas y arriver. Tu restes avec nous aujourd’hui. On va répéter avec toi. Si par miracle Artus récupère sa voix, on pourra se passer de toi ce soir. »

Corentin se tourna vers Cyril et Artus, il mit sa main contre sa tempe en faisant le signe que Matthieu était devenu zinzin s’il pensait qu’Artus pouvait se rétablir aussi vite. Les deux autres n’étaient pas dupes, ils connaissaient les petites manigances de Matt, leur ami disait cela uniquement pour forcer la main de Scott en le rassurant un peu.

« Mais dans le cas contraire… Tu es notre seul espoir. »

Scott était serviable, Scott était gentil, Scott ne savait pas dire non quand une personne qu’il appréciait lui demandait un service.

 

*Votre correspondant est injoignable.*

Fry regarda son smartphone avec l’œil terne d’une écrémeuh devant un train et Jessy se mit à râler.

« Bon ben merde, il nous rejoindra plus tard, on ne va pas l’attendre plus longtemps on est déjà à la bourre !

- C’est quand même bizarre… » Insista Jenny en croisant les bras et en les resserrant fermement contre elle.

Scott était injoignable, comme lorsqu’il avait disparu pendant le festival des ruines Tanoby, sauf que là il n’y avait aucune raison pour qu’il s’enfuit. Jane avait beau retourner le problème dans tous les sens, rembobiner le film de leurs vies en marche arrière, elle ne voyait rien qui aurait pu le braquer. Depuis des jours, tout se passait au mieux entre les quatre adolescents. Jenny repensa à l’attaque du Bourg Palette et à son agression sur le Nymphéa. Scott n’était pas un dresseur, le taux de délinquance était faible à Hoenn, mais s’il se faisait attaquer il ne pouvait pas se défendre efficacement. Peut-être que le salopard qui avait tenté d’abuser d’elle avait découvert le pot-au-rose au sujet de ses pokéballs piratées.

« Tu t’inquiètes pour lui ? Demanda Fry.

- Il y a de quoi, admet-le.

- Pfff… Ça suffit. A tous les coups il est déjà à la salle de concert avec ses abrutis de copains.

- Et s’il n’y est pas ? Objecta Jenny.

- On avisera ! Mais là on bouge ! Maintenant ! »

La voix de Jessy se rapprochait du grondement, le léviator s’agitait dans le Lac Colère de son esprit, il ne fallait plus trainer. Fry jeta un coup d’œil à son écran de téléphone. En effet, ils étaient presque en retard. D’un signe de main, il demanda à Scarhino et Ramboum de commencer à avancer. Jessy et Tengalice suivirent le mouvement. Jessy était au bord de la crise de nerfs, mais tant que sa conversation avec Jane n’était pas terminée, elle n’aurait pas bougé, Fry estimait que c’était à lui de faire le premier pas. Gali et Loki regardaient fixement leur dresseuse, les bras chargés d’instruments. Ils tiraient toujours une tronche de snubbull, mécontents de jouer les porteurs, mais pour une fois ce n’était rien à côté de la mine contrariée de Jenny. Elle finit par hocher la tête et ses pokémon emboîtèrent le pas à Marvy, John et Wal. Ils devaient vraiment se dépêcher sur le chemin de la salle de concert.

« Qui êtes-vous ? Lâcha le type en noir avec une oreillette et une tablette numérique dans la main qui gardait l’entrée des artistes.

- Les Train Twins.

- Enfin ! On n'attendait plus que vous ! Entrez, vite !

- Les Dark Love sont là ? Demanda Jane avant de pénétrer dans le bâtiment.

- Ils ont eu un problème technique, ils arrivent. Dépêchez-vous. »

Dans les coulisses, c’était l’effervescence. Les organisateurs faisaient le pointage et revoyaient visiblement l’ordre de passage. Une femme cria d’une voix aiguë et stridente par-dessus l’agglomérat de musiciens dans le couloir.

« Les Train Twins sont là !

- Parfait ! »

Bloqués dans le corridor avec leurs pokémon et leurs instruments, le trio fut obligé d’attendre que la foule se décante pour atteindre à leur tour le comité d’organisation et régler les détails avec eux.

« Vous passez en troisième, si vous êtes prêts rendez-vous directement avec vos instruments jusqu’à l’arrière-scène. » 

Jenny allait poser une question à propos des Dark Love, mais elle fut entrainée par Jessy qui la tirait par la main vers le chemin indiqué par l’organisateur. Pour une fois, ils n’étaient pas les seuls à avoir des pokémon : des machopeurs et des ouvrifiers faisaient des aller-retours entre les loges, les coulisses et le sous-sol pour porter d’autres instruments. Ils croisèrent même un ursaring.

Tandis que le premier groupe pop-rock jouait son morceau inédit sur la grande scène, le second groupe et les Train Twins déballaient leurs instruments derrière le fond-de-scène cachant les coulisses. Fry jeta un coup d’œil en biais depuis le mince interstice du rideau.

La salle ressemblait à un théâtre, presque à un opéra. Les gradins composés de sièges en velours pourpre n’étaient remplis qu’au tiers, mais la fosse était pleine d’une foule impatiente de danser et de crier après les candidats. Ils avaient loupé la présentation du concours et les discours, le jury était déjà installé sur l’un des balcons d’honneur aux dorures rococo. De loin, Fry apercevait les quatre silhouettes.

 « C’est à vous les Train Twins !

- Ram ram ! »

John fila sur la scène avant que Fry ou Jessy lui dise quoi que ce soit. Les techniciens du son les aidèrent à régler leurs trois instruments. De temps en temps, ils lançaient des regards curieux et perplexes au ramboum. En tant que professionnels du monde de la musique, ils avaient déjà vu des pokémon jouer, mais pas souvent et rarement avec des musiciens aussi jeunes. Pit et Chu se mirent en position côte à côte au premier plan, prêts à exécuter leur chorégraphie.

« T’es prêt champion ?

- Ram ram ! » Répondit John.

Jessy réprima un rire, ce n’était évidemment pas à lui qu’elle s’adressait, mais elle trouvait ça drôle.

« Ok, et ton dresseur ?

- C’est quand tu veux Jess, lâcha Fry avec un sourire à la Reese Morgan.

- Jane ? »

Jenny jeta un coup d’œil à la foule, une autre au balcon, elle avait du mal à penser à autre chose qu’à Scott qui ne répondait pas au téléphone, mais coincée sur scène avec sa guitare à la main et des centaines de paires d’yeux fixées sur elle, elle ne pouvait pas faire grand-chose. Elle se contenta d’hocher positivement la tête en direction de sa sœur.

« Bonsoir ! Déclara Jessy d’une voix forte avec son sourire plein d’assurance. Nous sommes Jessy et Jenny Ketchum : les Train Twins ! Avec nos partenaires : John, Pit, Chu et Fry Morgan à la batterie, nous allons vous interpréter "Problème de statut". Je vous préviens : c’est plus efficace qu’une cage-éclair ! »

Jessy était moyennement satisfaite de sa réplique, mais il fallait bien trouver un truc. Pit fit grésiller ses joues, Chu l’imita en y allant plus franchement. Le crépitement des éclairs ne rassurait pas vraiment les spectateurs agglutinés devant l’estrade, certains eurent un mouvement de recul et bousculèrent ceux derrière eux.

Ramboum cracha les premières percussions, obligeant Jane à entamer le morceau et Fry les assista aussitôt avec sa batterie. Agrippée à son micro, Jessy se lança, bien décidée à y aller à fond.

« Parfois je me demande ce que tu m’as fait

Et l’effet que tu me fais…

Dans quel état je me retrouve à chaque fois

Que je fais face à toi…

Une technique secrète ou un combo parfait,

Drôle de combat que je perds à chaque fois.

Tout devient flou, je suis éblouie.

Une onde folie m’envahit,

Tu es mon pire ennemi…

Et je suis paralysée par tes mots !

Je suis empoisonnée par ta peau !

La brûlure sur mon âme c’est ta faute !

Prisonnière de tes flammes bien trop hautes !

Je suis totalement gelée !

Confuse et apeurée !

Endormie par ton chant singulier,

Je me sens paralysée…

Et quand j’essaye de me soigner,

C’est souvent là que tu réapparais…

Une vampigraine aspire mon cœur,

Elle aseptise toute ma douleur…

Sournois comme une ombre portée,

Je suis à bout, essoufflée,

Je devrais abandonner.

Mais c’est pire qu’une malédiction !

Une provoc, une attraction

Et c’est reparti pour un tour de chanson…

Et je suis paralysée par tes mots !

Je suis empoisonnée par ta peau !

La brûlure sur mon âme, c’est ta faute !

Prisonnière de tes flammes bien trop hautes !

Je suis totalement gelée !

Confuse et apeurée !

Endormie par ton chant singulier,

Je me sens paralysée…

Prise dans ton magnépiège,

Ou dans une tempête de neige,

Je t’aime trop, je te déteste ou bien les deux !

Je ne fais plus la différence entre les deux !

Et je suis paralysée par tes yeux…

Il n’y a plus d’issue pour nous deux…

Et je suis paralysée

Par tes mots !

Je suis empoisonnée

Par ta peau !

La brûlure sur mon âme,

C’est ta faute !

Prisonnière de tes flammes

Bien trop hautes !

Je suis totalement gelée !

Confuse et apeurée !

Endormie par ton chant singulier,

Je me sens paralysée !

Je me sens paralysée !!!

Je me sens paralysée…

Je suis totalement gelée !

Confuse et apeurée !

Endormie par ton chant singulier,

Oui tu m’as paralysée ! »

Les poumons éclatés, les joues rouges et en sueur, Jessy regarda la foule qui les acclamait. "Problème de statut" était beaucoup plus rock que les deux premières chansons jouées par leurs concurrents et désormais ils la maitrisaient parfaitement tous les quatre. C’était un vrai succès. Jessy leva le bras en l’air en faisant le signe des cornes dans un geste triomphal. Ramboum et les raichu l’imitèrent, même si avec leurs pattes à trois doigts le rendu n’était pas vraiment le même. Fry souriait en les regardant et il leva ses baguettes à son tour. Jane saluait la foule elle aussi. Elle avait retrouvé son beau sourire charmeur de façade, elle donnait le change, mais son esprit était toujours ailleurs.

Un membre du staff leur indiqua le chemin à prendre pour sortir de scène. Braségali, Lockpin et Tengalice, restés sagement en coulisse pendant la représentation, vinrent chercher les instruments. Tandis que Jessy et Fry remballaient le matériel dans les malles de transport à l’entrée des loges, Jenny se faufila dans le couloir pour voir si elle apercevait un membre des Dark Love. Coup de bol, elle aperçut la toison blonde de Corentin, il était si grand qu’il dépassait la plupart des musiciens d’une tête. Elle cria après lui et réussit à lui attraper le poignet au passage, il avait l’air pressé.

« Corentin !

- Oh salut Jenny ! Désolé je n’peux pas te causer là, c’est le rush !

- Tu as vu Scott ?

- Ouais, il est dans le coin. A plus ! »

Jenny était soulagée, perplexe mais soulagée. Elle rejoignit ses partenaires jusqu’à la grande loge numéro une, où se reposaient déjà les deux premiers groupes de musique. Ils n’étaient pas au complet en revanche.

« C’est génial ce que vous faites avec votre ramboum ! S’extasia un batteur aux bras recouverts de tatouages représentant des pokémon feu.

- Merci ! Répondirent en cœur Jessy et Fry.

- Ramb ! Ajouta John, flatté.

- Vous n’étiez pas cinq toute à l’heure ? Demanda Jenny.

- Si, Pierre et Erwan sont dans la fosse, y a du lourd ce soir. La concurrence va être rude les pichu, j’vous le dis.

- On y va aussi ? »

La curiosité de Fry était piquée à vif. Les jumelles ne se firent pas prier davantage ; elles laissèrent leurs instruments sous la surveillance de Pit et Chu, avant de filer dans la salle, pendant que John faisait une démonstration privée aux autres musiciens émerveillés.

Le batteur amoureux des typhlosion n’avait pas menti : les autres groupes étaient très bons. Jane et Fry ne savaient pas s’ils étaient réellement objectifs, mais ils avaient quand même l’impression que la chanson de Jessica était la meilleure.

Les candidats défilaient les uns après les autres. Jane cherchait Scott des yeux dans la foule mais ne le trouvait pas. Elle jetait régulièrement des regards à son téléphone, Fry avait renoncé à l’appeler, alors elle avait pris le relais. Jessy se fit harponner par deux adolescentes fan de raichu, elles lui posaient des tas de question sur la chorégraphie.

 

La soirée avait laissé la place à la nuit, il ne restait que deux groupes à passer. Fry vit débarquer Corentin et Cyril sur la scène.

« Eh les filles ! Regardez : ce sont les Dark Love… » Appela Fry avant de se retourner à nouveau et de voir l’impensable.

« Oh bordel de merde ! »

Les deux jeunes filles arrivèrent au petit trot près de Fry, intriguées par sa voix inhabituelle. Leur ami ne jurait jamais de la sorte, sauf quand il était vraiment très énervé, or son intonation résonnait plutôt comme une sidération absolue. Fry fixait la scène avec un air ahuri, les jumelles suivirent son regard hébété et Jessy plissa les yeux dans une drôle de grimace en regardant le chanteur régler son micro.

« Pincez-moi je rêve... C’est quand même pas… »

Fry, le regard toujours vissé sur la scène pinça vraiment Jessy. Elle émit un "aïe !", mais elle était trop perturbée par ce qu’elle voyait pour râler après son camarade qui se prenait pour un krabby.

« Si, c’est lui… » Dit Jenny avec la même expression que Fry, mais le champion fut obligé de le dire à voix haute pour y croire.

« C’est Scott.

- Il… Vous êtes sûrs ? Il est… Il est… »

Le mot que cherchait Jessy était "méconnaissable".

En effet, le jeune homme n’était pas du tout habillé comme à son habitude, vraisemblablement quelqu’un lui avait prêté des vêtements plus élégants que ce qu’il devait posséder dans sa garde-robe, même au Cap d’Azuria. Au lieu de son horrible chemise à carreaux bleus, il portait une chemise blanche épousant sa silhouette menue mais élargissant ses épaules. Elle était légèrement trop grande pour lui, pourtant il restait très classe dedans. Elle était assortie à un pantalon noir à effet velours qui remplaçait son vieux jean. Sa coiffure était changée, il était peigné de près et ses cheveux étaient tirés en arrière et fixés avec du gel. Il ne portait pas ses lunettes, par intermittence il plissait des yeux à cause de sa myopie, il ne voyait absolument rien, mais cela lui permettait au moins de ne pas distinguer la foule et limitait considérablement son trac.

Alors que le leader des Dark Love commençait son petit speech de présentation, Jessy secoua vigoureusement la tête. Elle sortit de sa rêverie et se mit à aboyer dans la démesure, elle était en train de péter un plomb.

« J’y crois pas ! C’est pour ça qu’il n’est pas avec nous ?!? Fry ! Dis-moi ce qu’il fait là-haut ! Dis le moi ! »

Fry fixait toujours Scott avec un air abasourdi. Jessy complètement hystérique le secoua comme un arbre à noigrumes pour qu’il lui réponde.

« Arrête Jess ! Lâche-moi ! J’en sais rien ! »

Jenny tira sur la manche de sa sœur.

« Chut ! Écoute ce que dit Matthieu !

- Pourquoi ? Il raconte quoi encore ce con ? Lâcha Jessy avec mauvaise humeur.

- ...son très personnelle écrite par mon ami Scott Network, ici présent. Elle s’intitule : "Déclaration d’Amour". Il a eu la gentillesse d’accepter de la chanter à la place d’Artus qui est malheureusement malade aujourd’hui. Merci d’être là pour nous vieux ! »

Matt présenta son tout nouvel acolyte en lui tapotant gentiment l’épaule, Scott fut applaudi poliment. Artus leva le pouce et sourit à Scott qui ne vit absolument rien sans ses lunettes. Artus était installé devant le piano, il n’avait pas grand-chose à faire avec cet instrument, mais l’ancien duo de Mate le jukebox restait soudé envers et contre tout. Matt ne pouvait pas se résoudre à jouer sans Artus et Artus ne pouvait pas se résoudre à rester en coulisse.

Sans se départir de son sourire jovial, Matthieu soupira intérieurement, ça n’allait pas être de la tarte d’enflammer ce public avec une seule chanson et sans la voix magique d’Artus. Il croisait les doigts pour que la chanson de Scott leur fasse autant d’effet qu’à lui et ses amis sur le Nymphéa. Scott semblait nerveux, alors Matt se pencha à son oreille.

« T’inquiète, ça va aller vieux. A la répet t’as assuré comme un chef, ne pense à rien d’autre qu’à ta chanson et ça ira comme sur des roulettes. On compte sur toi. T’es ready ? »

Scott regarda la foule sans vraiment la voir dans le grand flou de sa myopie et prit une profonde inspiration. Sa ventoline faisait toujours effet, il avait les bronches dilatées.

« Oui…

- Ok… »

Matthieu se raccrocha à sa guitare, remua légèrement les doigts et fit un signe de tête à ses partenaires. Scott se cramponnait fermement à son micro, Cyk le bassiste l’observait du coin de l’œil, il se demandait s’il n’allait pas casser le trépied tellement il était tendu. Artus adressa une prière au néant, tout reposait sur Scott désormais.

Les premières notes de leur compère guitariste les ramenèrent tous à la réalité et ils commencèrent à tour de rôle leurs propres partitions. La chanson débutait par un solo de guitare électrique très doux par Matt, c’était presque comme un slow, mais on sentait qu’elle promettait une envolée lyrique. Très discrètement, Corentin ajouta les percussions et soudain, le morceau démarra sérieusement avec Cyril à la basse en supplément. Artus ajoutait quelques notes au piano, il avait une mine extrêmement sérieuse et concentrée. Il ne jouait pratiquement jamais, ces quelques accords lui demandaient un effort énorme.

Sans quitter Scott des yeux, Fry secouait légèrement les pieds. Cette mélodie lui plaisait… Jessy était au bord de la crise de nerfs, mais quand Scott commença à chanter, elle crut qu’elle allait basculer en arrière, heureusement il y avait la masse compacte de la foule pour la retenir.

« Je n’ai jamais beaucoup voyagé,

Des pokémon j’en ai capturé

Un ou deux, peut-être trois,

Pas plus que ça je crois.

J’ai appris à les connaître

Tous ces dresseurs et tous ces maîtres,

Je n’en suis pas mais ça me va,

Je me contente de mon yanma. »

Jessy écarquilla les yeux : ce minus, cet enfoiré de fils de poulpaf chantait divinement bien ! Dans sa poitrine, les émotions se fracassaient les unes contre les autres : la colère, la surprise, la stupeur et même l’engouement pour cette jolie musique. Fry était hypnotisé par ce son mélodieux et tanguait doucement. Seule Jenny gardait son sang-froid et elle seule faisait vraiment attention aux paroles de la chanson et à ce qui se passait sur la scène.

« Pourtant il y a une seule fois

Où j’ai regretté de n’être que moi.

Quand j’ai cru mais n’ai pas su

Me mettre à la hauteur de ta vue… »

Et le refrain commença, plus fort, plus violent, plus dramatique, les musiciens commencèrent à accompagner Scott en guise de chœurs, à l’exception du pauvre Artus aphone.

« Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

A ma façon à moi,

Avec mes mots parfois,

Mais ton cœur s’attend à

Ce que je ne suis pas ! »

Fry jusqu’alors subjugué cligna des yeux, il venait de se réveiller de son rêve musical. Il regarda autour de lui, le public commençait à être conquis. Il regarda Jessy, elle s’était à peu près calmée. Elle regardait la scène, elle essayait de décortiquer la musique et sa qualité. Puis Fry voulut regarder Jenny, mais elle n’était plus là. Il la chercha des yeux et finit par la trouver un peu plus loin. Lentement, elle se frayait un chemin pour rejoindre le devant de la scène. Il était en train de se demander s’il allait la rejoindre ou pas quand, à cet instant, les paroles de la chanson de Scott effacèrent la mélodie dans l’esprit de Fry. Le jeune dresseur commença tout juste à écouter et à analyser le texte et il releva les yeux pour regarder Scott.

« J’ai pourtant bien essayé

D’être digne de me faire aimer,

Par une championne telle que toi,

Si belle et forte à la fois.

Toutes mes maladresses,

Mes peurs, mes faiblesses…

J’ai voulu combattre tout ça.

Je sais aujourd’hui que je ne t’égalerai pas.

Je sais aujourd’hui que je ne conviens pas…

Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

A ma façon à moi,

Avec mes mots parfois,

Mais ton cœur s’attend à,

Ce que je ne suis pas ! »

Ça y est, Fry venait de comprendre la chanson, il comprenait le message. Il était impressionné, estomaqué et il ne pouvait s’empêcher de se laisser porter par la musique, comme le reste des spectateurs. Il regarda Jenny près de la scène, elle lui tournait le dos. Dans son coin, Jessy envahie par la rage et le désespoir avait désormais les larmes aux yeux, même si elles ne coulaient pas. Le groupe reprenait le refrain une deuxième fois.

« Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

A ma manière à moi,

Avec mes talents parfois,

Mais ton cœur s’attend à

Ce que je ne suis pas ! »

Pendant la partie instrumentale Jessy se mit à répéter furieusement au milieu de la foule :

« Pourquoi il n’est pas avec nous ? Pourquoi ? Pourquoi ?!? »

Elle savait qu’ils ne pouvaient pas battre cette chanson, elle était tellement enivrante, tellement belle, tellement puissante, tellement sincère et unique…

« Aujourd’hui je t’inspire la pitié,

Je pense l’avoir bien mérité,

A perdre à chaque fois

Comme mon vieux poissoroy.

Je suis juste bon à chanter cette chanson,

Dernier espoir, avant l’abandon !

Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

A ma façon à moi,

Avec mes mots parfois,

Mais ton cœur s’attend à

Ce que je ne suis pas !

Mais je t’aime !

Oui je t’aime !

A ma manière à moi,

Avec mes talents parfois,

Mais ton cœur s’attend à,

Ce que je ne serai pas. »

Jessy retenait toujours ses larmes. Elle qui n’avait pleuré que deux fois en dix ans, une fois pour le divorce de ses parents et l’autre fois dans la Forêt de Jade, elle avait de nouveau envie de pleurer… Cet échec-là allait lui rester longtemps en travers de la gorge. Ce n’était pas de la tristesse, ce n’était pas de la rage, mais bel et bien du désespoir et elle était en train de s’arracher, littéralement, les cheveux.

Fry, profondément ému, applaudissait aussi fort que les autres spectateurs. Il lâcha même dans un souffle :

« Punaise… »

Son sœur battait la chamade, il n’avait pas été transporté comme ça par une chanson depuis des années. Toutefois, il avait encore du mal à percuter que Scott était bien sur scène avec les Dark Love et que les Train Twins avaient d’ores et déjà perdus la compétition. Tous les autres groupes aussi de fait, plus personne ne se faisait d’illusion.

En entendant les hurlements de liesse du public, Scott se mit à sourire, essoufflé mais comblé. Il inclina légèrement la tête pour saluer les spectateurs. Il n’avait jamais chanté en solo lors d’un spectacle, il n’avait jamais participé à un concert en dehors des rares récitals quand il était encore à l’école primaire.

Timidement, il retira de sa poche de pantalon sa boîte à lunettes et il sortit ses verres qu’il posa sur son nez. Avec appréhension, il osa enfin regarder les spectateurs. Son visage s’embrasa aussitôt, il y avait vraiment beaucoup de monde… Il vit des mines réjouies accompagnées de cris guillerets, de bras levés et de mains qui frappaient les unes contre les autres à s’en briser les phalanges.

Avec son sourire soulagé et reconnaissant, les joues rouges de plaisir autant que de gêne, il regarda les gens plus attentivement. Il balaya la foule des yeux. Son nouvel ami guitariste vint à côté de lui, attrapa son bras droit et le leva bien haut, lui-même avait le sourire jusqu’aux oreilles et les spectateurs applaudirent de plus bel, Fry y compris. Scott le reconnut dans le public avec son t-shirt jaune vif et il se sentit encore plus soulagé. Puis, son regard se posa par hasard sur Jenny près de la scène, elle était bien reconnaissable par sa chevelure rousse et rare. Elle aussi le regardait, intensément.

Le sourire de Scott vacilla pour disparaître sous le poids de ce regard bleu et luisant comme la peau d’un aquali. Il ne pouvait détacher ses yeux d’elle et elle ne pouvait détacher ses yeux de lui. Les cris de la foule devenaient lointains, il ne les entendait quasiment plus. Les visages redevenaient flous, il ne voyait plus que Jenny et son silence. Elle restait impassible, elle ne souriait pas, elle n’applaudissait pas, mais ses yeux brillaient, étaient-ils humides ? Scott ne saurait le dire.

Ils se fixèrent longuement ainsi, tous les deux, de loin, immobiles et stoïques.

"Tu sais que c’est pour toi que je l’ai écrite n’est-ce pas ? Tu as compris…" Pensait-il.

Les membres de Dark Love le harponnèrent par les bras et le tirèrent en arrière pour qu’il sorte de scène, laissant les techniciens du son gérer leurs instruments.

Dans les coulisses, ils se jetèrent tous les quatre sur lui, fous de joie, et le portèrent fièrement à bout bras. Il ne s’y attendait pas.

« T’as été extraordinaire !!! S’extasia Corentin.

- Ta chanson mon gars… J’ai cru que j’allais chialer au milieu du morceau, merde ! Cria Cyk, enfin débarrassé de son air renfrogné.

- Moi aussi ! Il faut absolument que tu en écrives d’autres !

- Et tu peux devenir mon partenaire de chant ! » Renchérit Artus de sa voix cassée, il était complètement sous le charme comme ses trois partenaires.

Cyril était beaucoup plus loquace que d’habitude, Corentin jubilait, mais le plus heureux de tous restait Matthieu.

« Comme auteur j’crois qu’on ne trouvera pas meilleur que toi dans tout Kanto ! S’exclama-t-il.

- Et dans tout Hoenn !

- Dans tout le pays sans déconner !

- Mer… Merci les gars mais vous exagérez…Dit Scott avec un sourire gêné.

- Ah certainement pas ! T’es un pur génie Scotty ! Et je m’y connais dans le domaine, fit Matthieu avec son sourire futé et enjoué.

- On a tout défoncé les mecs !!! » Hurla Corentin.

Les quatre musiciens laissèrent exploser leur joie tous ensemble, mais Scott n’était pas sur le même petit nuage que ses nouveaux copains. Il venait de se rappeler que c’était un concours et que, maintenant, il devait affronter la réaction des Train Twins. Il ne prit réellement conscience de ses actes qu’à ce moment précis. L’excitation du concert était retombée et son anxiété naturelle revenait au galop. Il venait de comprendre quelle énorme bêtise il avait commise.

 

Pendant ce temps, dans la fosse, la foule était encore en effervescence et Fry avait rejoint les jumelles, complètement déconfites.

« Tu vois Jess ? Je te l’avais dit qu’il l’aimait encore.

- N’en rajoute pas Fry, râla Jenny.

- N’empêche qu’à cause de vos histoires stupides Scott a écrit une chanson géniale qui a un succès monstre et cet abruti va la chanter avec un autre groupe ! Hurla Jessy. On est fichu, tu les as entendus applaudir ? Et les qulbutokés au premier rang là ! "Une autre ! Une autre !" C’est vraiment n’importe quoi ! Une défaite pareille, j’ai honte merde ! Je lui avais dit de ne pas s’approcher d’eux ! Je lui avais dit bordel !!! Si je croise Scott, je le pulvérise et je le donne en pâtée à mes pokémon après !

- Du calme Jess… »

Fry ne l’avait encore jamais vu dans un tel état de fureur, même au Bourg Palette. Il n’osait pas la toucher de peur de se faire arracher un bras.

« Jessy, est-ce qu’un jour tu arrêteras de ne penser qu’à toi et à tes compétitions idiotes ? » Lâcha sèchement Jenny.

Sur ces mots, elle tourna les talons et s’éloigna du groupe en direction des coulisses. Jessy tomba dénue, la réaction inattendue de sa sœur réussit à apaiser un peu sa colère.

« Bah quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ?

- T’as pas remarqué ? Cette chanson l’a bouleversée. »

Jessy le regarda comme s’il venait de dire la chose la plus improbable qui soit.

« Ah ?

- Décidément t’es pas humaine, t’es trop insensible pour être humaine… »

Sur scène, le dernier groupe terminait de s’installer, les musiciens tiraient des mines de relicanth. Comme les Train Twins, ils avaient compris que les Dark Love avaient déjà gagné. Jenny s’aventurait tant bien que mal au milieu de la marée humaine pour accéder au back-stage envahi par des groupies. Devant la porte des loges, elle finit par repérer un cercle très bruyant avec au centre une touffe de cheveux courts et blonds à peine visible. Une jeune fille admirait une feuille de papier gribouillée.

« Oh merci ! C’était vraiment génial !

- Ah vraiment ? » Fit Scott avec un sourire tordu, c’était la première fois que quelqu’un lui demandait de griffonner son nom sur un papier juste pour le mettre sous cadre.

« Oui !!! Ih ih !

- Oh Scott un autographe pour moi aussi !

- Et moi !

- Euh oui, oui j’arrive euh…

- Dans quelques années je pourrai dire que j’ai vu le fabuleux Scott Network à ses débuts ! Kyah ! »

Jenny restait en retrait les bras croisés et un sourcil haussé. Elle observait la scène avec des yeux ressemblant beaucoup à ceux de son grand père Jacky Léon lorsqu’il se trouvait face à un pokémon peu commun. Scott remarqua enfin la présence de Jenny, ses joues rosirent comme deux baies pêchas.

« Jenny ! Pa… Pardon mesdemoiselles…

- Non ! Scott un autographe !

- Et ton numéro de téléphone !

- Et ta chemise !

- S’il vous plaît…. Laissez-moi passer… » Couina Scott.

Trop timide, le jeune Network ne maîtrisait pas la meute de jeunes filles en adoration, elles l’entouraient comme des lougarocs affamés autour d’un steak de tauros frais. Le regard implorant, il tendit la main vers Jenny, passant le bras du mieux qu’il le pouvait entre ses fans.

« Jane… »

Alors que les groupies commençaient à s’accrocher à sa chemise trempée de sueur et à le serrer d’un peu trop près, une main se saisit de la sienne et l’extirpa du cercle de furies. C’était Jenny, elle avait finalement répondu à son appel au secours.

« Désolée les filles, je le récupère.

- Non…

- Scott ne t’en va pas déjà !

- Et nos autographes alors ?

- Scott vous signera des autographes tout à l’heure, pour l’instant on a besoin de parler entre musiciens et en privé, merci ! »

Son regard très appuyé résigna les jeunes filles à s’en aller en grommelant, désolées de ne pas avoir de signatures de leur nouvelle idole. Scott soupira de soulagement, Jenny profita de ce bref instant de répit pour ouvrir la première porte à leur droite et l’obliger à entrer dans le petit vestiaire mal éclairé, au moins ils ne seraient pas dérangés là-dedans.

« Ouf, ça fait bizarre de se faire assaillir comme ça…

- C’était très réussi Scott, bravo. Ta chanson est très belle, dit posément Jenny.

- Elle… Elle t’a plu ? J’avais peur que tu… Enfin qu’elle soit trop personnelle et… Tu sais ce n’était pas à moi de la chanter normalement. C’était pour Artus, il…

- Oui elle m’a plu, mais pourquoi tu nous as fait ça ? Franchement, je suis en colère après toi, mais ce n’est rien à côté de ce que pense Jessy.

- Bah c’est que… »

Scott paraissait gêné, mais Jenny attendait une explication, alors elle ne dit rien jusqu’à ce qu’il se décide à articuler trois mots cohérents. Entre le Scott devant elle et celui qui était sur scène quelques minutes plus tôt, il y avait une voire plusieurs galaxies d’écart.

« Je… Je ne savais pas que mes chansons vous intéressaient et les Dark Love avaient besoin d’aide…

- Mais enfin Scott on est une équipe ! Quand l’un de nous fait quelque chose, les autres s’y intéressent ! Dépasse ta timidité bon sang ! C’est grave là ! »

Scott rougit davantage. Jenny était sidérée, mais elle prenait sur elle pour lui expliquer les choses calmement et sérieusement. Elle se doutait qu’un mot de travers et il allait prendre la fuite comme dans l’Archipel Arc-en-Ciel.

« C’est… C’est compliqué de vous faire lire les chansons que j’ai écrite, parce que la… La plupart parlent de toi et je ne voulais pas que l’on se fâche comme la dernière fois.

- Scott, tout ça c’est du passé, j’ai tourné la page. Prends le temps qu’il te faut pour faire pareil, mais à partir de maintenant tu dois me promettre de ne plus jamais nous faire un coup comme ça. Soit tu es avec nous, soit tu es contre nous, et ça Jessy ne te le dira pas deux fois. »

Scott tenta de regarder Jenny, son joli visage lui remuait toujours autant l’estomac même s’il se retenait de le lui hurler. Écrire des chansons l’aidait à gérer ses sentiments depuis leur rencontre.

« Je te le promets Jane.                                     

- Bien. Met une autre chemise, il ne faut pas qu’on te reconnaisse sinon tu ne sortiras pas de la salle en un seul morceau. On va aller tout expliquer à Jessy et Fry. 

- Ok... »

Jenny sortit du vestiaire et se cala contre la porte, Scott se dépêcha d’enfiler sa chemise de rechange avant de retourner voir Jenny. Dans la réalité, tout le monde aurait déjà grillé que Clark Kent était superman avec des lunettes, pas de raison que cela soit différent avec Scott Network, même avec sa chemise de bouseux made-in-Smallville, mais c’était mieux que rien.

Elle préféra continuer de le tenir par la main pour éviter qu’il se fasse alpaguer par de nouveaux fans en délire. Scott essaya de ne pas trop penser à cette main chaude et douce qui le guidait à travers les coulisses. Ce n’était pas évident après avoir chanté une série de "Mais je t’aime ! Oui je t’aime" à sa propriétaire pendant trois minutes. Ils rejoignirent la loge attribuée aux Train Twins et aux deux premiers groupes du concours. Fry donna un coup de coude à Jessy.

« Tiens revoilà Jenny et Scott. Vu la tête de Scott, ta sœur n’a pas trop mal pris la chanson et…

- TOI ! » Gronda Jessy.

Elle s’avança d’un pas raide vers le blondinet en le pointant du doigt avec un air menaçant. Son autre main était resserrée en poing et quand Scott la vit arriver, il s’agrippa à Jenny comme un petit garçon au bras de sa maman. Il voulut reculer pour se cacher derrière elle, mais Jessy fut plus rapide que lui et l’attrapa par le col de chemise. Elle le tira avec violence vers elle. Elle se retenait de lui coller son poing entre les deux yeux, pourtant ça la démangeait férocement. Scott était terrifié, mais elle faisait aussi peur aux autres musiciens présents dans la pièce avec eux.

« Espèce d’aspicot à lunette ! Sale traitre ! Comment oses-tu te ramener devant nous après le coup que tu nous as fait ?!? Tu viens prendre tes claques c’est ça ?!? En fait t’aime ça quand on te fait mal, ça expliquerait ta prouesse de l’an dernier pauv’ crétin de bigleux !

- Calme-toi Jess ! Supplia Fry, effrayé.

- Je ne veux plus le revoir ce connard ! Qu’il dégage d’ici !!! Vosciféra Jessy en le balançant brutalement en arrière.

- Jessy tu te calmes et tu écoutes ! Cria Jenny d’une voix ferme. Scott a fait une bêtise, il le sait et il le regrette, il ne recommencera pas. Essaye de te mettre à sa place une minute : c’est difficile de montrer une chanson aussi personnelle aux personnes concernées.

- Tu le défends maintenant ? C’est nouveau ça ! Ou plutôt c’est comme au début, il n’est toujours pas capable de parler tout seul comme un grand garçon ? Ah ça chanter des niaiseries sur scène il sait le faire, mais avoir les couilles de s’excuser en personne c’est autre chose ! Pauvre con !

- Arrête Jessy, tu vas trop loin ! Intervint Fry.

- Sans déconner y a que moi qui suis vénère ?!? S’emporta la rouquine en fusillant tour à tour Fry et Jenny du regard. Il s’est foutu de nous ! On a perdu par sa faute ! Tous nos efforts depuis des semaines, on a fait tout ce travail pour rien !

- C’est de ma faute de toutes façons, avoua Jenny.

- Oui merci ça on savait ! Cracha Jessy.

- Non, tu ne comprends pas. J’étais au courant qu’il savait chanter, jouer et composer, mais je ne vous ai rien dit. »

Jessy s’immobilisa. Son regard bleu électrique lançait des éclairs contre sa sœur.

« Comment ça t’étais au courant ? » 

Fry paraissait tout aussi étonné que Jessy, mais le plus étonné de tous était Scott lui-même.

« Mais… Pourtant je suis certain de ne t’avoir jamais dit…

- Je t’ai vu à la villa de Léo, sur ton piano. Je ne leur ai rien dit pour ne pas te mettre la pression, je pensais que tu serais mal à l’aise. »

Jessy regardait ses trois compagnons avec un air mauvais. L’aveu de Jenny avait interrompu sa fureur, mais maintenant elle en voulait aussi à sa sœur qu’elle tenait pour responsable de ce fiasco. Scott s’avança timidement et en tremblant. Il s’inclina humblement très bas devant Jessy.

« Je… Je suis profondément désolé. Sincèrement et profondément désolé ! Je te promets que je ne serai plus le parolier d’aucun groupe !

- Ah si hein ! Protesta Jessy. Le nôtre et t’as plutôt intérêt ! Tu n’vas pas nous dire que c’est la seule chanson que tu aies jamais écrite, personne te croira !

- Eh bien, c’est… Euh… »

Les jumelles et Fry fixaient toute leur attention sur Scott, avides de savoir si son âme poétique était suffisement prolifique pour leur permettre de faire un carton au prochain concours. Très nerveusement, il tapota ses deux index l’un contre l’autre.

« Il est possible que j’ai… Quelques autres textes qui pourraient éventuellement convenir… »

Jessy l’agrippa à nouveau violemment au niveau du col avant que Fry ou Jenny n’ait le temps de réagir. Jessy sifflait entre ses dents comme un séviper.

« Écoute moi bien p’tit toudoudou ramolli, tu arrêtes de faire ton mielleux coincé, après ce que j’ai vu sur scène aujourd’hui ça ne marchera plus avec moi, t’entends ? T’as plus de tripes que tu nous le fais croire depuis qu’on te connait. Alors maintenant, si tu ne veux pas que Lucario t’arrache les doigts un à un, tu vas nous parler avec plus d’assurance et tu vas déballer tes chansons !

- Da, dac, dac… D’accord Jessy.

- Okay... »

Elle relâcha Scott, cette fois elle paraissait calmée pour de bon. Fry et sa sœur poussèrent un long soupir de soulagement, tandis que Scott remettait son col à peu près droit.

 

A suivre…

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