Ciléo (ou ma vie de PNJ)

Chapitre 6 : Ciléo - 27 ans

3014 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/01/2022 22:11

Les verres tintèrent dans le restaurant et les rires fusèrent d’un bout à l’autre de la table pour cette réunion des anciens élèves du secondaire. Chaque île de l’Archipel Sevii possédait sa propre école primaire, mais le lycée du Bois Baies était le seul disponible pour les adolescents des îles une à trois. Ciléo fixait le fond de son verre, les effluves du champagne qu’il avait bu lui embrumaient la tête, il n’était pas saoul, il était juste indisposé par l’odeur de l’alcool.

« Eh Ciléo ! On te cause !

- Hum ? Tu disais Logan ? »

Son ancien camarade éclata de rire.

« Qu’est-ce que je disais ?

- Justement, je n’ai pas entendu, répondit Ciléo, confus.

- Ih ih, il nous expliquait pourquoi tu n’avais pas eu ton diplôme d’ingénieur, intervint Violette avec un petit rire cristallin.

- Parce que t’es toujours à l’Ouest mon vieux ! »

Logan lui donna une tape virile dans le dos ce qui bouscula son granivol perché sur sa clavicule.

« Grani ! » Protesta le pokémon plante avant de se reposer sur son autre épaule.

Ciléo se força à sourire avec son air nigaud.

« Oui, je dois bien l’admettre… »

De nouveaux fous rires lui répondirent. Du regard, Ciléo fit un tour de table. Violette était devenue aromathérapeute. Elle avait réussi à adopter le bulbizarre dont elle rêvait, puis un deuxième et un troisième, désormais tous métamorphosés en herbizarres. Betty était devenue pokémon-ranger assignée à la surveillance du Mont Braise. Jean-Loïc était toujours passionné de camping et tous les week-ends il partait en randonnée avec sa fiancée. Quant à Logan, il était maître-nageur-sauveteur. Quand il n’y avait pas trop de baigneurs sur la Route Tison, on le voyait combattre les élèves du club de karaté avec son carabaffe et son crustabri. Eux comme ses autres camarades étaient épanouis dans leurs vies, l’avenir leur souriait. Ciléo était content de les voir, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir perdu dans un espace-temps différent. Ils avaient tous grandis, puis vieillis, sans qu’il ne s’en rende compte.

« Arrêtez de vous moquer de lui ! Protesta un autre jeune homme à table. Grâce à lui, toutes les îles Sevii sont équipées d’un PC relié au réseau de Léo ! La fréquentation de la Tour Dresseur a explosé et celle de mon bar avec ! Les habitants de l’île sept te remercient Ciléo ! »

Son ami leva son verre bien haut.

« Un toast pour Ciléo !

- A Ciléo !!! » Crièrent les autres à l’unisson. C’était un bon prétexte pour liquider leur verre d’une traite et en prendre un autre.

 

Ciléo avait mal au crâne. Il ne buvait jamais d’alcool, alors le moindre verre lui donnait la migraine. La journée s’annonçait pénible et pourtant il se passionnait toujours autant pour son travail. Désormais, sa machine était non seulement reliée à Hoenn, mais aussi à Sinnoh et même Rhode, alors il croulait sous le boulot. Néanmoins, il prit la résolution de partir tôt pour se reposer un peu… A dix-huit heures, il n’était toujours pas parti, happé par son système de stockage pokémon ultra performant.

Une ombre se glissa derrière lui sans un mot. Granivol se mit à sautiller joyeusement sur le capot de Green.

« Grani grani grani !

- Oh doucement granivol ! Je sais que tu es léger mais c’est fragile ! »

En début de panique, Ciléo se leva de son siège pour attraper son pokémon. Il n’arrêta pas pour autant de crier. Évoli, lové dans un panier que Ciléo avait fini par lui installer près de sa machine, redressa la tête pour identifier la cause de ce remue-ménage perturbant sa sieste postméridienne. Il reconnut immédiatement la jolie dresseuse qui se tenait derrière Ciléo.

« Evo ! Salua le pokémon paresseux.

- Grani grani ! »

Ciléo finit par se retourner, Leaf le gratifia d’un petit sourire timide.

« Salut Ciléo…

 - Leaf ! S’exclama Ciléo, le visage radieux. Je suis tellement content de te revoir ! Ça faisait longtemps… »

Il faillit ajouter "Tu m’as manqué", mais il fut rattrapé par le souvenir de Leaf au Cap d’Azuria et son enthousiasme en fut quelque peu ébranlé. Il réussit malgré tout à garder le sourire.

« Oui, deux ans… Tu sais quel jour on est ?

- Quel jour ? Euh, jeudi pourquoi ?

- Non je veux dire la date ! Reprit Leaf en riant de manière embarrassée. C’est mon anniversaire, j’ai dix-huit ans aujourd’hui.

- Ah… Ah oui c’est vrai ! Où avais-je la tête, je le sais en plus. Joyeux anniversaire ! Et… »

Un éclair de génie lui traversa l’esprit.

« Justement ! J’ai un cadeau pour toi ! Tu veux bien m’accompagner jusque chez moi ? Je l’ai laissé dans ma chambre. »

Leaf acquiesça. Visiblement, Ciléo ne semblait plus du tout gêné par leur dernière conversation deux ans plus tôt. Elle avait beaucoup hésité avant d’oser venir lui rendre visite. En le voyant enjoué et égal à lui-même, plongé dans sa technologie, elle se sentait rassurée.

Elle le suivit jusqu’à la petite maison des parents de Ciléo à l’est du bourg. Il n’arrêtait pas de jaqueter comme un pijako. Il lui racontait tout ce qui lui passait par la tête sur les évènements qu’elle avait loupé dans l’Archipel des Sevii. Il lui posait des tas de questions sur ses derniers voyages, elle y répondait de manière laconique, elle avait la tête ailleurs…

La mère de Ciléo fut agréablement surprise en voyant la jeune femme entrer dans la cuisine.

« Oh bonjour Leaf !

- Bonjour madame !

- Tu as encore grandi dis-donc. Ciléo m’a dit que tu es finalement devenue maîtresse pokémon ? Félicitations !

- Oui, j’ai vaincu le Conseil des Quatre… Il était au courant ? »

Leaf était étonnée. Etranglée par la honte, elle n’avait pas osé envoyer de message à Ciléo pendant plus de deux ans, depuis qu’elle avait reçu son dernier email lui demandant de revenir le voir lorsqu’elle serait majeure.

« Léo et Ciléo parlent souvent de toi. C’est comme si tu vivais avec nous, uh uh… Tu peux monter à l’étage si tu veux, Ciléo ne t’en voudra pas.

- Merci madame. »

Leaf ne se fit pas prier, elle emprunta les escaliers. C’était la première fois qu’elle visitait l’étage de la maison de Ciléo, de fait ce serait également la première fois qu’elle pénétrerait dans sa chambre. La pièce était exactement comme elle l’imaginait : en désordre, pleine de livres et d’ordinateurs démontés. Le sol était jonché de pièces détachées et de documents techniques indigestes. Ciléo fouillait dans un tiroir dégueulant à ras-bord. D’un pas hésitant, Leaf fit deux enjambées à l’intérieur du bazar informatique, elle osait à peine mettre le pied par terre de crainte d’écraser quelque chose. Ciléo se redressa brusquement avec un sourire triomphant.

« Ah voilà ! »

Il brandit une petite boîte de type coffret à bijou au-dessus de sa tête comme s’il tenait le Saint Graal avant de se tourner vers Leaf et de lui sourire avec amitié.

« Joyeux anniversaire. »

Il lui tendit son présent. Leaf s’en saisit avec reconnaissance avant de réaliser qu’elle avait entre les mains l’écrin d’une bague. Elle l’ouvrit, avec stupéfaction elle découvrit une bague sertie d’un saphir magnifique. Elle eut le souffle coupé, pourtant Ciléo avait l’air imperméable à son trouble.

« C’est l’autre pierre que tu m’as rapporté il y a deux ans.

- Et tu… Tu en as fait une bague ? » Balbutia Leaf, elle commençait à trembler.

Ciléo pointa du doigt le pendentif rouge qu’elle portait toujours autour du cou depuis cinq ans.

« Tu as l’air d’apprécier le rubis, alors j’ai pensé que le saphir te plairait aussi. »

Ciléo s’abstint de lui donner les détails de son idée. A l’origine, il avait fabriqué la bague en prévision du retour de Leaf quand elle serait majeure. Il voulait lui offrir en lui demandant de devenir sa petite amie, il avait pris sa décision. Mais entre deux, il l’avait aperçu au Cap d’Azuria avec ce dresseur à la casquette rouge et il avait renoncé à son projet. Il avait gardé la bague en songeant qu’un jour il aurait l’occasion de l’offrir à Leaf sans arrière-pensée, comme pour le collier.

Émue, Leaf extirpa délicatement la bague de son coussin en velours et l’enfila à son doigt. Son cœur battait la chamade, ses joues la chauffaient et prenaient une teinte passerouge. Elle avait envie de poser la question, elle était revenue exprès pour cela, mais elle avait très peur de la réponse. Cette fois, il n’y aurait plus de sursis, plus d’excuse du genre : "tu es mineure reviens dans deux ans". La réponse serait ferme et définitive.

Leaf baissa les yeux, morte de trouille, en se cramponnant à l’anneau à son doigt. Ciléo remarqua enfin qu’elle n’allait pas bien et malgré son intelligence, il n’arrivait pas à deviner pourquoi.

« Tu m’as demandé… De revenir quand je serai majeure… Murmura Leaf avec une nervosité extrême. Je suis là et… J’ai dix-huit ans.

- Tu es vraiment revenue pour ça ? » Balbutia Ciléo au comble de l’étonnement.

Leaf osa enfin le regarder dans les yeux. Il la perturbait avec son air hébété.

« Oui… » Répondit-elle d’une voix pleine d’appréhension.

Ciléo se gratta nerveusement l’arrière de la tête.

« En fait, je t’ai vu l’an dernier, au Cap d’Azuria. J’étais en visite chez Léo et tu étais avec…

- Ah ! Non non non non non ! C’est juste un ami ! » Se hâta de répondre Leaf en comprenant trop bien à quoi il faisait allusion.

« Je… Hem, je l’ai éconduit. Je voulais avoir ta réponse avant.

- Ma réponse ?

- Il y a deux ans, tu ne m’as pas dit oui ou non. Tu m’as juste dit de revenir et tu m’as promis qu’on en parlerait sérieusement. »

Cette fois, ce fut au tour de Ciléo de sentir son cœur s’emballer. Il réfléchissait le plus vite possible, ce n’était pas dans ses habitudes, il était plutôt du genre à cogiter pendant des heures, voire des jours. Brusquement, il s’inclina le dos raide devant Leaf.

« Est-ce que tu veux être ma petite amie ? » S’écria-t-il en fermant les paupières et en les serrant fort comme s’il faisait un vœu à Jirachi.

Répondre à une question par une autre question, quelle drôle de méthode. Leaf réprima un petit soupir, c’était Ciléo après tout. Plus rien ne l’étonnait et elle était soulagée : ce n’était pas un non, c’était un oui déguisé…

Elle s’approcha de Ciléo qui restait penché en avant dans sa position humble. Elle prit délicatement le visage de son ami entre ses mains. Elles n’étaient pas douces, même si Leaf était coquette et prenait soin d’elle, elle restait une dresseuse, alors ses mains étaient plutôt calleuses et sèches. En revanche, elles étaient fines et chaudes. Ciléo n’avait pas d’autre choix que de relever la tête, il sentait aussi le petit anneau froid sur sa joue. Leaf trouvait son air penaud absolument craquant.

« Oui, j’accepte d’être ta petite amie… »

Ciléo affichait un sourire gauche en miroir à celui de Leaf. C’était le bon moment pour s’embrasser, encore fallait-il que l’un des deux se décide à passer à l’acte. Ciléo se sentait bloqué par les mains de Leaf, il attendait qu’elle le libère ou qu’elle s’approche davantage. Leaf était intimidée, elle avait tellement rêvé de cet instant, et au moment de se jeter à l’eau elle se dégonflait comme un baudrive fatigué.

Évoli et Granivol cachés derrière l’armoire s’agaçaient, ils avaient plus ou moins compris la situation. Les humains dégagent des tas de phéromones pendant leur parade amoureuse et ils savaient que leur dresseur n’était pas dégourdi.

« Vo. » Pesta l’évoli dans un grognement décidé.

Il trottina jusqu’à Leaf et bondit pour la bousculer. Il la frappa dans le dos. Elle bascula en avant, ses lèvres effleurèrent celles de Ciléo mais se furent surtout leurs deux fronts qui se heurtèrent violemment. Elle relâcha le visage de son aimé pour se frotter le haut du crâne.

« Aïe…

- Ouille… »

Une fois la douleur légèrement estompée, Ciléo et Leaf échangèrent un regard empoté avant d’éclater de rire. La mère de l’informaticien débarqua à ce moment-là. Elle avait frappé à la porte mais n’avait pas attendu qu’on lui donne l’autorisation d’entrer pour le faire, elle n’aurait jamais imaginé découvrir quoi que ce soit de compromettant dans la chambre de son fils.

« Leaf, je voulais savoir si tu mangeais avec nous ce soir ?

- Oh, oui volontiers si ça ne vous dérange pas.

- Mais non voyons ! Les amis de Ciléo sont toujours les bienvenus !

- Ah, à ce propos maman, hem… »

Ciléo ne put s’empêcher de rougir quand sa mère le questionna du regard, attendant avec une patience très maternelle la suite de la phrase de son garçon.

« Leaf et moi nous sommes… Comment dire cela. Elle est ma… Ma…

- Je suis sa petite-amie. » Dit précipitamment Leaf en rougissant à son tour et en gonflant son buste avec la fierté d’une déflaisane.

La mère de Ciléo paraissait perplexe.

« Ah ? Depuis quand ?

- Euh… Depuis deux minutes. »

Par respect pour son fils, elle se retint de rigoler, c’était très difficile.

« D’accord, je vois. Bon, eh bien je vous laisse. On mange dans une heure et demie.

- Ça nous laisse le temps pour une promenade sur la Plage Trésor. » Proposa Ciléo.

 

En flânant sur le sable dans la lueur du crépuscule, Leaf glissa sa main dans celle de Ciléo. Il resserra ses doigts fluets autour des siens. Ils n’osaient toutefois pas se regarder. Ciléo avait laissé son évoli chez lui, après le coup qu’il leur avait fait, c’était plus raisonnable. Granivol par contre flottait à côté d’eux, ravi de tenir la chandelle.

Malgré son sourire alangui, Leaf semblait préoccupée et elle se murait dans le silence. Parfois, Ciléo sentait qu’elle crispait ses phalanges sur les siennes pour s’assurer qu’il ne s’échappe pas. Ils s’arrêtèrent de marcher au bout de la crique. Leaf prit son courage à deux mains et elle s’adressa à lui en captant son regard. Ciléo en frémit, il mit quelques secondes à remarquer la tristesse dans les beaux yeux noisette de la dresseuse.

 « Ciléo… Je vais devoir repartir assez vite. Mes parents déménagent à Unys. Je vais les accompagner et en profiter pour participer à la ligue pokémon. Je ne reviendrai pas avant un an, peut-être deux… Tu veux toujours de moi malgré tout ?

- Je n’ai jamais eu de petite amie avant toi, il n’y a pas de raison que ça change, répondit gentiment Ciléo.

- J’ai peur de te perdre, avoua Leaf.

- C’est plutôt à moi d’avoir peur. Tu es jeune, tu es belle, tu es forte et tu voyages partout dans le monde. Moi je ne suis qu’un petit informaticien sans diplôme isolé sur une île paumée.

- Tu as tort. »

Ciléo cligna des yeux alors que la jolie dresseuse posait sa main contre son cou pour lui caresser la joue du bout du pouce.

« Grâce à toi, tous les dresseurs peuvent récupérer leurs pokémon à des milliers de kilomètres de chez eux et les échanger avec le monde entier. Tu es… Le personnage le plus important et le plus exceptionnel que j’ai rencontré dans ma vie. »

L’informaticien rougit de plaisir et de reconnaissance, c’était le plus beau compliment qu’on pouvait lui faire. Il se pencha en avant pour embrasser Leaf. Cette fois, c’était la bonne. Granivol leva les yeux au ciel, enfin ! Ce n’était pas trop tôt.

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