Ciléo (ou ma vie de PNJ)

Chapitre 9 : Ciléo - 52 ans

Chapitre final

1481 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 23/01/2022 22:51

Ciléo errait dans la maison vide, vide de toute vie en tout cas. Il n’était pas revenu depuis des années, trop absorbé par le travail et la vie de famille. Tous les pokémon avaient été transférés aux laboratoires du Bourg Palette et du Bourg Géon, la femme de ménage avait été congédiée et les meubles, figés dans le temps, commençaient à prendre la poussière. Son vieux voltali reniflait le sol avec un air maussade. Lui non plus n’était pas revenu depuis des années.

Dans le vaste bureau encombré, embaumant le vernis du bois ancien, le seul pan de mur dénué de rayonnage de livres était consacré aux photographies. Ciléo remonta le fil de la vie de son ami d’un œil absent. Un vague sourire glissa sur les lèvres de l’ingénieur lorsqu’il tomba sur une photo de son propre mariage. Il effleura du bout des doigts le verre qui recouvrait le cliché au niveau de la silhouette de Léo, son témoin, rayonnant de joie de vivre à côté de Leaf dans sa belle robe blanche.

« Ciléo ? »

Il sentit une caresse entre ses omoplates, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour regarder sa femme en train de le fixer avec ses grands yeux de delcatty, tout comme son floravol perché sur le dos de Leaf.

« Ça va aller ?

- Oui… » Répondit-il avec un sourire triste.

Leaf lui prit la main et le couple arpenta lentement les couloirs de la villa du cap en s’imprégnant de l’aura de Léo, elle était en train de s’éteindre. Ciléo se tourna vers la fenêtre du salon, normalement on voyait la mer, mais comme ils étaient partis avant l’aube pour visiter une dernière fois les lieux, la vue était encore trop sombre pour discerner clairement le rivage. A quatorze heures, ils devaient prendre le train pour Doublonville depuis Safrania, ils ne pouvaient pas trop trainer.

« Je n’arrête pas de repenser à ce que je t’ai dit lorsqu’on s’est rencontré. Que voyager à dos de pokémon était dangereux et qu’il valait mieux prendre le bateau…

- Ça n’a rien à voir Ciléo, susurra Leaf en lui frottant le bras pour le consoler.

- Je sais, mais je trouve quand même ça ironique. »

Le Lavandia Sea en partance pour Nénucrique avait sombré dans la mer d’Hoenn, un quart des passagers avait péri dans le naufrage, Léo en faisait partie. Le plus célèbre pokémaniac du pays, le génie inventeur du système de stockage pokémon, le grand collectionneur Léo, n’était plus.

 

Ciléo jeta un dernier regard empreint de mélancolie derrière lui avant de refermer la porte de la villa et de la verrouiller avec la clef que la sœur de Léo lui avait confié.

« Qu’est-ce que tu vas faire ? Demanda Leaf.

- Je ne sais pas. Je n’y ai pas encore réfléchi. »

Un silence de recueillement s’imposa. Les yeux rivés sur ses chaussures, Ciléo se perdait dans les limbes de son esprit. Toute sa vie, il n’avait fait que suivre l’exemple de Léo. Il était son mentor, son guide, son ami, son frère, son âme sœur… Ses lamentations intérieures l’empêchaient d’assimiler le fait que désormais c’était lui le chef du réseau pokémon, le "réseau de Léo" comme on l’appelait parfois dans le jargon informatique. Un jour, Léo et Annette avaient plaisanté en réunion en disant que le prénom de Ciléo le prédestinait à prendre la succession du pokémaniac à la tête du système de stockage pokémon international. Dans la bouche de la gestionnaire hoennienne ce n’était qu’une boutade, dans celle de Léo c’était un adoubement. Léo l’avait choisi, il y a longtemps de cela...

La douce voix de Leaf l’extirpa de ses ruminations, elle estimait qu’il s’était assez assombri pour l’instant.

« Tu viens te promener avec moi ? On n’a jamais été jusqu’au cap des amoureux tous les deux.

- Tiens oui, c’est vrai. »

L’ingénieur retrouva un semblant de sourire en regardant sa moitié. Main dans la main, encadrés par voltali et floravol, Leaf et Ciléo marchèrent le long du sentier jusqu’à la pointe du cap des amoureux pour une dernière balade avant de partir. Ils purent admirer l’aurore depuis cette vue à couper le souffle. Le plus beau paysage de la région s’étalait sous leurs yeux, entre le champ de fleurs planté par l’une des ex petites amies de Léo, la falaise et la mer bleu azur qui séparait Kanto de Sinnoh.

Ciléo ferma les yeux. Bercé par ses souvenirs et les lumières chatoyantes, il disait spirituellement adieu à son meilleur ami… Quand il les rouvrit, ce fut pour regarder Leaf. Tant qu’elle était encore là, il pouvait rester debout.

En se tenant à l’endroit exact où il l’avait aperçu vingt-six ans auparavant, il repensa au dresseur à la casquette.

« Pourquoi tu m’as choisi moi ? Je me suis toujours posé la question. » Finit par demander Ciléo.

Devant la mine étonnée de son épouse, il compléta sa phrase.

« Je veux dire : je sais que tu m’aimes, mais on n’avait rien en commun toi et moi, à part Léo. »

Il s’efforça de refreiner sa peine et de ne plus trop penser à son ami disparu.

« Je pourrais te retourner la question. Tu m’as toujours fait croire que tu étais nul avec les femmes, pourtant avec moi tu as été charmant et affectueux, romantique même. Des jolies filles ce n’est pas ce qui manque dans les îles Sevii, alors pourquoi moi et pas une autre ? »

Ciléo la contemplait. A quarante-trois ans, son visage commençait à prendre des rides et sa toison foncée se parsemait de cheveux blancs, mais ses iris noisette brillaient toujours autant qu’à son adolescence. Après avoir longuement réfléchi, la réponse de Ciléo fut décevante.

« J’en sais rien. Tu me plaisais, c’est tout.

- Je te plaisais c’est tout ? Répéta Leaf avec une grimace incongrue.

- Quand tu as débarqué avec Léo, c’était comme s’il m’apportait un cadeau. Tu étais mignonne et gentille, tu avais un talent pour le dressage, ce qui m’a toujours manqué. Je t’admirais pour ça. J’étais heureux que tu sois mon amie, je me suis montré sympa parce que je voulais te garder près de moi, tout simplement. Quand tu m’as demandé d’être ton petit-ami, j’ai un peu paniqué… Et puis je me suis dit que c’était la meilleure solution pour que tu restes avec moi pour toujours. »

Il baissa les yeux sur ses mains et fit doucement tourner la bague saphir autour de l’annulaire droit de Leaf, le gauche portait désormais leur alliance.

La maîtresse pokémon ne savait pas comment prendre les mots de son mari. Sa déclaration était à la fois belle et insipide, romantique et d’une platitude affligeante. Elle repensa à un vieux slow que le D.J. avait diffusé lors de leur mariage, il commençait par ce couplet :

"Le livre de l’amour est long et ennuyeux. Personne ne peut comprendre ce foutu machin. Il est plein de graphiques, de chiffres et de faits compliqués."

Elle avait trouvé ça drôle, c’était parfaitement assorti à la vie de Ciléo. Finalement, sa phrase aussi était à son image : sincère et ordinaire.

« Je t’aime Ciléo. »

Elle approcha son visage de celui de Ciléo, ils fermèrent les yeux. Elle frotta son nez contre le sien, la bouche entrouverte de manière sensuelle pour que leurs lèvres supérieures s’effleurent avant de se rejoindre complètement. Elle l’embrassa langoureusement dans le soleil levant. Cela faisait des années qu’elle ne l’avait pas embrassé comme ça. Submergé par l’émotion, Ciléo resserra fort ses doigts autour de ceux de Leaf. Lorsque leurs bouches se détachèrent, Ciléo demanda avec un sourire confus :

« Et pourquoi tu m’as choisi moi alors ? »

Leaf lui sourit avec malice.

« Tu me plaisais, c’est tout. »

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