Entre infini et au-delà

Chapitre 60 : Soldiers

2316 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/05/2017 21:29

Cassy n'avait pas meilleure mine que la veille au moment de pénétrer dans la cuisine. Le manque de sommeil rendait blafard son teint naturellement pâle et ses cernes ressortaient plus encore. Sylvain lui jeta un regard compatissant, au contraire de Sandra qui l'ignora avec application.

L'adolescente étouffa un bâillement dans le creux de son coude, puis marcha vers elle pour déposer sans ménagement un paquet de feuilles, maintenues ensemble par un trombone, juste sous son nez. La dracologue les dédaigna, préférant déclarer avec sa condescendance habituelle :

- Je suppose qu'il s'agit d'un travail bâclé, écrit en grosses lettres pour tenir plus de place et renfermant des informations plus que douteuses ?

- Si le lire ne requiert pas un trop grand effort de votre part, vous verrez que j'ai accompli du mieux possible ce que vous exigiez de moi en un temps aussi limité. J'ai fait des recherches sur toutes les espèces de dragons répertoriées à ce jour, et même une extension sur les légendaires Palkia, Dialga et Giratina.

Sandra jouait avec l'un des coins du papier, qu'elle caressait avec la pointe de son doigt. Cassy se détourna d'elle pour ouvrir le réfrigérateur et se servir un jus d'Oran tonifiant, tout en programmant la machine à café pour qu'elle lui prépare un chocolat chaud. Sylvain lui ayant gardé quelques croissants, elle pourrait les tremper dedans.

Elle prit place sur une chaise au moment où la Championne se levait de la sienne, le dossier à la main. Cassy s'attendait à une remarque désobligeante de sa part, mais Sandra n'en fit rien.

Sans un mot, elle se dirigea vers la poubelle, dont elle pressa la pédale avec la pointe du pied, ouvrant le couvercle. À l'intérieur du compartiment métallique, au milieu des épluchures et autres emballages, elle jeta le travail de l'adolescente. Elle n'avait même pas pris la peine de le lire.

Cassy serra les poings, prenant sur elle pour réprimer sa fureur. Elle avait passé des heures à rédiger cette étude, au point de ne plus sentir les muscles de son poignet qui manipulait le stylo, et Sandra n'en avait finalement que faire.

- C'était bien la peine de me demander ça, grogna-t-elle. À quoi ça servait, hormis à gaspiller de l'encre et du papier ?

- À te faire obéir. Et puisque tu as enfin accompli quelque chose correctement, au lieu d'échouer de façon lamentable, nous allons pouvoir passer à l'étape suivante de ton apprentissage. Monte te changer et passe une tenue dans laquelle tu seras plus à l'aise pour faire du sport.

- Une tenue ?

- Un survêtement et des baskets, tu connais ? aboya Sandra.

Cassy avait effectivement un survêtement dans ses affaires, qui avait appartenu à Régis et qu'elle avait reprisé pour qu'il ne soit pas trop grand, mais dans sa hâte de quitter le Bourg-Palette, elle n'avait pas pensé à emporter une autre paire de chaussures que ses bottes de cheval.

- Je n'ai pas de baskets.

Sandra poussa un soupir exagéré en plaquant une main sur son front. Elle jouait si bien la comédie qu'elle aurait dû envisager de pratiquer le théâtre, en parallèle à ses activités à l'Arène.

- Qui est-ce qui m'a flanqué une fille pareille ? À quoi t'attendais-tu, en venant ici ? À dorer au soleil ? Dans ce cas, tu aurais mieux fait de te rendre à Irisia pour y élever des Krabby. Quelle pointure ?

- Je... Quoi ?

- Quelle est ta pointure ? répéta Sandra.

- Trente-neuf.

- J'aurais dû me douter que tu serais contrariante jusqu'au bout. Tu es plus petite que moi, mais tu trouves le moyen de chausser une taille de plus... Tu es exaspérante.

- Je ne...

Cassy renonça à poursuivre sa phrase. La Championne semblait convaincue d'avoir toujours raison, quoi qu'elle dise et quel que soit le contexte. Comme si l'adolescente pouvait être tenue pour responsable de la profondeur de ses souliers... C'était absurde.

- Je dois me rendre à Doublonville, en fin de semaine, pour rendre visite à une amie. Ce ne sont pas les magasins qui manquent, là-bas, alors tu en profiteras pour acheter tout ce qui te fait défaut.

- Je l'accompagnerai, s'invita Sylvain. Elle est d'Azuria, elle risque de se perdre dans notre capitale si elle n'y a jamais mis les pieds.

- Peu m'importe, tant que je ne vous ai pas dans les pattes, ni l'un ni l'autre. Quant à toi, gamine, je veux que tu me rejoignes dans deux heures devant l'Antre du Dragon. Tâche d'être ponctuelle.

Pendant que la Championne quittait la pièce, Cassy plongea les yeux dans son bol de chocolat chaud, se demandant si elle ne ferait pas mieux de s'y noyer. Sylvain tenta de lui adresser un sourire réconfortant, mais cela n'eut guère d'effet sur elle. Elle battit mollement des paupières, qui peinaient à rester ouvertes.

- Tu devrais peut-être profiter de ces deux heures qu'elle t'accorde pour te reposer, suggéra le Topdresseur. Tu me parais encore plus fatiguée qu'hier.

- Ce n'est pas qu'une impression, j'ai tout aussi mal dormi. Je ne peux cependant pas prendre le risque de monter me recoucher. Si j'arrive en retard, elle...

- Ne t'inquiète pas pour ça, je me chargerai de te réveiller.

- Vraiment ? Tu en es sûr ? Parce que si tu oublies...

- Je n'oublierai pas, assura Sylvain. Tu peux me faire confiance.

Confiance... Voilà un mot que Cassy n'avait pas l'habitude d'employer, ni même d'entendre, mais une voix lui soufflait qu'elle pouvait s'en remettre à l'adolescent. Il l'avait déjà beaucoup aidé depuis qu'elle était à l'Arène, en la conseillant pour se faire accepter par Sandra et en lui fournissant les livres pour son exposé que la dracologue n'avait même pas feuilleté.

- D'accord, accepta-t-elle au moment où ils se levaient tous deux pour débarrasser la table. Dis... À ton avis, qu'est-ce qu'elle a l'intention de m'obliger à faire, cette fois-ci ? Elle a parlé de l'Antre du Dragon, et... Honnêtement, j'appréhende un peu.

- Je pense que c'est ce qu'elle cherche : t'effrayer. Elle va probablement t'ordonner de pénétrer dans la caverne et attendre que tu craques ou que tu sois en danger pour intervenir. C'est tout à fait son style.

- Voilà qui est extrêmement rassurant, marmotta Cassy.

Sylvain l'escorta jusqu'à l'escalier, au pied duquel ils se séparèrent. Il se rendit dans la bibliothèque, tandis que la jeune fille rejoignait sa chambre à l'étage. Elle ne perdit pas de temps à se déshabiller et retira juste ses bottes avant de se coucher à plat ventre sur son lit. Elle n'eut pas à attendre longtemps que le sommeil vienne la cueillir : épuisée comme elle l'était, elle s'endormit presque aussitôt.

Le Topdresseur tint parole. Une demi-heure avant que Cassy doive rejoindre Sandra, il toqua à sa porte, d'abord doucement pour ne pas l'effrayer, puis un peu plus fort. Nichée au creux des couvertures, l'adolescente n'avait pas très envie de se lever. Cette sieste avait été courte, mais agréable.

À contrecœur, elle s'arracha à la tiédeur des draps. Son corps était engourdi par la position qu'elle avait prise pour sommeiller et elle dut patienter quelques minutes avant que ses muscles cessent d'être ankylosés. Elle décrocha la cape de Sven du portemanteau, car elle savait qu'il faisait froid dans l'Antre du Dragon, et quitta sa chambre.

- Tu as pu te reposer ? interrogea Sylvain qui avait patienté, adossé au mur.

- Oui, merci. Je me sens de taille à affronter Sandra, à présent.

- Tu aurais plutôt dû prendre un imperméable. Il pleut des cordes, dehors, et tu vas vite être trempée.

- Oh... Ce n'est pas grave, assura Cassy. Cette cape en a vue d'autres, et moi aussi. Ce n'est pas une petite averse qui va nous faire peur.

- En effet, c'est toujours moins intimidant que Sandra.

L'adolescente eut un sourire et, parvenue au rez-de-chaussée, refusa que Sylvain aille plus loin avec elle. Il était inutile de se tremper à deux, d'autant que le Topdresseur n'avait rien à faire dehors.

- Puisses-tu survivre aux épreuves de Sandra ! lui cria-t-il tandis que Cassy lui adressait un signe de la main, avant que le rideau aqueux devienne trop épais pour leur permettre de se distinguer.

La pluie était glacée, mais après plusieurs nuits passées à la belle étoile, la jeune fille avait cessé d'être frileuse. Elle suivit un chemin presque invisible à cause des mauvaises herbes et des flaques qui le recouvraient, jusqu'à l'Antre du Dragon. Comme Sandra lui avait dit de l'attendre devant, et non dedans, elle patienta sur la rive du bassin. Elle n'était de toute façon pas pressée de pénétrer à l'intérieur. Entre une averse et une horde agressive de pokémon sauvages, Cassy choisissait sans hésiter la première option.

- Déshabille-toi, ordonna une voix.

L'adolescente sursauta et vit Sandra apparaître dans son champ de vision, réduit par les conditions climatiques. Elle était tout aussi mouillée qu'elle et ses longs cheveux turquoise collaient à sa peau. Elle les repoussa dans son dos, puis essuya son visage ruisselant d'un revers de la main.

- Quoi ? fit Cassy, convaincue d'avoir mal entendu.

- Déshabille-toi. À moins que tu préfères plonger avec tes vêtements.

D'un geste, la Championne désigna le bassin. C'était donc cela, qu'elle avait en tête ? L'obliger à nager dans une eau glacée, alors que les températures extérieures ne devaient pas excéder les deux ou trois degrés ? Cassy l'observa en se demandant si, plutôt qu'être exécrable, elle n'était pas tout simplement folle.

- Vous avez l'intention de me...

- Rappelle-toi la conversation que nous avons eue hier, coupa Sandra. J'ordonne, tu exécutes et tu ne poses pas de question, car j'ai horreur de ça.

L'adolescente étudia à tour de rôle la mare, puis la dracologue. Elle savait qu'elle ne plaisantait pas et qu'elle allait devoir obéir si elle ne voulait échapper à des représailles. D'une main tremblante, elle défit l'attache en argent de sa cape, qui tomba à ses pieds. Elle tenta de se réconforter en songeant que son corps n'avait pas été épargné par l'eau et que cela rendrait moins terrible un plongeon dans ce bain glacé.

- Alors ? s'impatienta Sandra. On ne va pas y passer la journée, si ?

Cassy retira ses bottes et ses chaussettes, qu'elle laissa à l'intérieur, afin de conserver au moins quelque chose au sec. Au moment de déboutonner sa chemise, ses doigts se firent plus hésitants. Si elle l'ôtait, il n'y aurait plus rien pour masquer son glyphe aux yeux de la Championne.

- Tant pis, tu l'auras voulu.

Le temps que Cassy réagisse, Sandra s'était rapprochée d'elle. Ses paumes frappèrent ses omoplates et la précipitèrent à travers la surface. Comme elle n'avait pas pu anticiper ce plongeon, elle n'avait pas pris d'inspiration et but la tasse lorsqu'elle s'enfonça dans l'eau. En deux battements de jambes, elle remonta à l'air libre en crachant le liquide qui brûlait ses poumons.

Elle jeta un regard meurtrier à la dracologue qui la fixait sans ciller depuis la rive, les mains sur les hanches. Ses prunelles bleues pétillaient d'un air amusé. Elle semblait prendre un plaisir sadique à malmener ainsi une jeune novice.

- Mets la tête sous l'eau et restes-y le plus longtemps possible, exigea-t-elle. Et surtout, garde les yeux ouverts. C'est important de toujours visualiser son environnement.

Cassy emplit ses poumons d'oxygène, puis disparut de nouveau dans les profondeurs. Comme l'eau était douce, ses globes oculaires ne la piquèrent pas autant qu'elle le redoutait. Bien qu'il fasse nettement plus froid, cette baignade était moins terrible que la nage forcée qu'elle avait réalisée avec Sven lorsque le ferry à bord duquel ils voyageaient avait heurté un ban de Corayon, deux ans plus tôt.

Le fond du bassin était ténébreux et Cassy sentit à plusieurs reprises des algues chatouiller ses pieds nus. Elle n'était pas à son aise, ici, l'eau n'étant pas son élément favori, mais elle ne pouvait se résoudre à remonter déjà. Si elle le faisait, elle craignait de voir Sandra lui presser la tête à deux mains pour la contraindre à replonger.

Alors qu'elle observait la végétation sous-marine, pour le peu qu'elle parvenait à la distinguer, elle aperçut deux yeux luisants qui la scrutaient. Elle poussa un cri et du liquide s'engouffra dans sa gorge. Prise de panique, elle regagna la surface aussi vite qu'elle put, à grands renforts de mouvements désordonnés. Lorsqu'elle émergea, elle haletait.

- Il y a quelque chose, là-dessous, lança-t-elle à Sandra.

- Et alors ? Ne me dis pas que tu as peur des Magicarpe ? Retournes-y tout de suite !

À contrecœur, Cassy s'enfonça une encore une fois dans la mare. Elle aurait juré que quelque chose avait frôlé ses mollets au même moment, mais elle s'encouragea à ne pas angoisser inutilement. Elle ferma les paupières, en dépit des instructions de la Championne, puis les rouvrit dès qu'elle fut apaisée. Un Hyporoi hargneux se trouvait devant elle.

Elle réussit à se décaler de justesse vers la droite pour échapper à une attaque Bulle d'O, et comprit que c'était déjà cela qu'elle avait senti un instant auparavant. Cassy nagea dans la direction opposée au pokémon, mais il était bien trop rapide pour elle. Il la contourna et la chargea, percutant son ventre. Le choc expulsa l'air emmagasiné dans ses poumons et l'adolescente bascula vers l'arrière. Tandis qu'elle sombrait loin de la surface, tout devint noir autour d'elle.

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