Une étourvol dans une cage dorée.

Chapitre 1 : Pauvre petite fille riche

1564 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:59

Il fut une époque où la route reliant Céladopole à Parmanie n'existait pas. Il n'y avait ni autoroute, ni piste cyclable, et bien que l'idée avait déjà commencé à germer dans l'esprit des dirigeants de ces grandes villes, les falaises abruptes de la plus longue côte de Kanto traversaient encore des temps paisibles.

Quelques goélises nichaient dans la craie préhistorique, on trouvait également beaucoup de rattatacs dans les herbes sèches en haut des écores. Au nord, près des usines de Céladopole, les secteurs les plus pollués se peuplaient de smogo et de tadmorv, de plus en plus nombreux au fil des années et de l'industrialisation frénétique de cette partie de Kanto, tandis qu'au Sud, vivaient de nombreux piafabec, rapasdepic, doduo et dodrio. Ils étaient de nature plus calmes que les autres représentants de leurs espèces, dans ce coin perdu, ils étaient rarement dérangés par les humains. Une immense forêt séparait cette crique de la ville la plus proche, Parmanie, et protégeait la tranquillité des volatiles.

Cependant, à la lisière de cette forêt, une majestueuse bâtisse avait tout de même été construite par la main de l'Homme, plusieurs décennies auparavant. Alors qu’ils posaient les dernières briques de leur manoir, les humains avaient également érigé une enceinte de pierres autour de la maison, enfermant avec elle une partie de la forêt de Parmanie.

Aux portes de la ville rose, il y avait un sentier de graviers sinueux qui menait à ce manoir. Il traversait une petite partie clairsemée de la forêt jusqu’à l'entrée du domaine des De Richemensueur, l'une des dernières familles aristocratiques de Kanto. Ils possédaient plusieurs usines dans la région, à Céladopole et Safrania, mais également à Mérouville, dans la province d'Hoenn. Pourtant, la famille avait choisi de vivre à l'écart de leurs plus grosses affaires, loin du grabuge des grandes cités, dans l'une des zones les plus paisibles de Kanto. Tout n'était que calme et sérénité à la lisière de cette forêt, même s'il arrivait d'entendre en s'approchant du manoir quelques notes de musique s'échapper des fenêtres pour aller se perdre en écho dans les bois de Parmanie.

Sur la façade sud du manoir, recouverte de lierre, la fenêtre du petit salon était grande ouverte. Un pokémon vol, au plumage gris tacheté de blanc vint se poser sur une branche près des vitres. Dans un roucoulement peu sonore, noyé dans la partition de musique, l'oiseau plongea son regard perçant à l'intérieur de la pièce. Assise devant un piano à queue hors de prix, une adolescente jouait le troisième concerto pour Pijako d'Amadeus Tartard. Cela faisait plusieurs heures qu'elle répétait le même morceau. Si dans son esprit de pokémon oiseau, la petite espionne du haut de son arbre trouvait cette musique plus gaie que celle de la veille (Requiem pour un Absol, de Deeth-Aven), la jeune musicienne, elle, fatiguait et se lassait. Ses doigts et son esprit étaient de moins en moins coordonnés. Elle n'arrêtait pas de jeter des regards en direction de la fenêtre, elle se sentait observée et elle était presque certaine d'avoir aperçu un pokémon oiseau inhabituel dans le jardin...

Un claquement brutal de règle en bois s'abattit sur une table et fit sursauter le volatile comme la jeune fille sur son piano. Le pokémon oiseau s'envola de sa branche pour aller se cacher dans le feuillage dense d'un chêne plusieurs fois centenaires. La musicienne aurait voulu faire de même...

« Non non et non ! Mademoiselle Marguerite c'est la troisième fois que vous faite la même erreur ! C'est inacceptable ! Vous ne devriez plus faire de fausse note sur ce morceau que nous répétons depuis des mois ! » Cria une vieille femme à l'air acariâtre derrière le piano.

"Que JE répète depuis des mois", songea la jeune fille, un regard lugubre posé sur le clavier. "Vous, vieille harpie, vous ne faites qu'écouter en attendant que je fasse un faux pas…"

« M'avez-vous entendu Marguerite ?

- Oui Madame. » Répondit simplement la jeune fille dans un marmonnement à peine audible, ravalant une fois de plus sa rancoeur.

« Alors recommencez. Et cette fois plus d'erreur ! »

Marguerite réprima un soupir. Les jeunes filles ne doivent pas soupirer, c'est particulièrement impoli et irrespectueux, surtout auprès de leur gouvernante. Marguerite devait avant tout se calmer. Ses yeux, d'un bleu magnifique et profond comme les tréfonds de l'océan d’Atalanopolis, se fixèrent sur le mur en face du piano. C'était un mur en boiseries claires et tarabiscotées, similaires à celles des autres pièces du manoir des De Richemensueur. Ces boiseries avaient le plus souvent un côté apaisant, parfois il provoquait aussi l'ennui, mais qu'importe, Marguerite voulait juste se calmer. Malheureusement sa gouvernante, Madame Sibylle Piafabec, ne lui en laissa pas le temps.

« Allons reprenez ! Vous dormez ma parole ! »

Marguerite dut retenir un deuxième soupir. Elle fit discrètement craquer ses doigts avant de poursuivre le morceau, un "la" fautif se glissa dans sa partition.

« Recommencez ! Ordonna la gouvernante, profondément agacée. »

La nervosité de Marguerite augmentait, quelques notes de plus et…

« MI !

- Cette fois s'en est trop ! » S'irrita la vieille et maigre gouvernante.

Fatiguée, Marguerite ne put retenir un soupir, elle le réalisa trop tard.

« Et vous soupirez en plus ?!? S'offusqua Madame Piafabec. Vous n'êtes qu'une petite effrontée ! Un séjour où vous savez vous motivera peut être à mieux travailler vos partitions. »

Marguerite se tourna vers elle, les yeux horrifiés : non, pas encore cette cage sinistre.

« Non... Laissez-moi réessayer Madame, cette fois j'y arriverai.

- A chaque fois vous me servez le même refrain, répliqua sèchement la gouvernante. Tout en fausses notes, comme votre solfège ! Levez-vous maintenant ! »

Lentement, la jeune fille se leva de son tabouret. Elle le repoussa, le rangea à son emplacement exact, referma le piano, toujours dans des gestes lents, imprégnés de crainte et de tristesse. Lorsque l'instrument fut en ordre, elle se tourna vers son bourreau.

Madame piafabec portait bien son nom : son petit nez rappelait un bec de rapace réduit à la miniature et ses yeux étaient semblables à ceux d'un rapasdepic. Même ses cheveux, désormais gris, étaient dans sa jeunesse de la couleur du plumage des piafabec. La gouvernante renifla avec dédain et Marguerite, résignée, se dirigea vers la porte donnant sur le corridor.

Le "cabinet de pénitence" se trouvait au rez-de-chaussée de l'aile Est. Le long chemin séparant le petit salon du cabinet ressemblait pour Marguerite à une marche dans le couloir des condamnés à mort de la prison Foretress. La peine de mort étant abolie depuis plusieurs décennies dans le pays, cela expliquait sans doute que Marguerite doive encore et encore, semaine après semaine, mois après mois, année après année, refaire le même chemin.

Sur cette pensée cynique, elle se retrouva face au mur en trompe l'oeil qui menait au cabinet. La porte d'entrée était encastrée dans les boiseries et il n'y avait pas de clenche. Seul un petit trou de serrure, discrètement disposé entre deux planches de lambris vernies, permettait d'enfiler la clef capable d’ouvrir la porte cachée du cabinet. C'était l'un des nombreux mystères du manoir, Marguerite ne les connaissaient pas tous, en particulier les souterrains que seul son père et son grand père connaissaient.

Madame Piafabec, qui était la seule détentrice d'une clef du cabinet avec Monsieur De Richemensueur père, ouvrit la porte et attendit sur le côté que Marguerite y entre, droite et rigide comme un simularbre.

Avec un noeud dans la gorge, Marguerite pénétra dans la pièce. Elle avait envie de pleurer, mais cela faisait des années qu'elle se retenait devant Madame Piafabec, elle avait compris que c'était inutile. Elle soupçonnait même la gouvernante d'éprouver du plaisir à voir les enfants De Richemensueur pleurer quand elle les punissait.

Le cabinet était sombre, pourtant il y avait plusieurs lampes dans la pièce. D'anciens bougeoirs accrochés aux murs avaient été reconvertis en éclairage électrique, mais Madame Piafabec avait fait retirer toutes les ampoules pour plonger les lieux dans le noir total, un moyen comme un autre de faire monter l'angoisse des mauvais élèves.

Marguerite, à force d'y réfléchir, s'était demandé ce qui était le pire : rester enfermée dans la pénombre pendant plusieurs heures, ou devoir supporter pendant ce même laps de temps l'immonde papier peint rayé orange-jaune décoré de persian à l'air hautain qui recouvrait les murs du cabinet...

Madame Piafabec referma la porte en la faisant claquer derrière le dos de Marguerite. Elle faisait toujours ça, la punition n’avait de valeur qu’avec un claquement bien sonore. Alors, il ne resta plus que l'obscurité. Marguerite put enfin laisser couler ses larmes. Elle n'était qu'une pauvre petite fille riche...

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