Nous sommes pareils

Chapitre 4 : Le passé nous hante

1936 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/05/2020 22:52

Après m’avoir laissé seul pour s’enfermer dans son bureau Gil ne m’a plus adressé la parole de la journée. Ne voulant pas aggraver mon cas je me décide à prendre les 411 dossiers que j’avais ressorti des archives pour les étudier chez moi, dans un environnement où je suis pratiquement sûr de ne blesser personne. L’inspecteur Sianh a longuement refusé ma demande avant de plier après lui avoir affirmé que dans un environnement plus calme je pourrais lui résoudre ces deux affaires avant la fin de la semaine. J’aurais peut-être dû jouer la carte de l’accident de voiture plutôt que m’avancer sur une résolution très incertaine de son affaire … Elle accepta finalement de me laisser embarquer 6 gros cartons contenants les affaires classées et non résolues d’accidents de voitures entre 1975 et 1985 sur la route qui m’intéressait. Nous nous sommes entendus pour que je lui rapporte les archives dès que j’aurais besoin de consulter une autre période.  


J’ai vraiment l’impression en la regardant qu’elle cherche à me dire quelque chose mais qu’elle ne sait pas comment aborder le sujet. Je lui laisserai l’occasion de m’interroger quand j’aurai résolu son affaire et que j’aurai arrangé les choses avec Gil. Il doit encore m’en vouloir de m’être comporté comme un crétin avec lui alors qu’il n’a fait qu’une chose depuis ses 20 dernières années, c’est être là pour moi.


De retour chez moi avec mes multiples résumés d’accidents je commence immédiatement à faire un tri dans diverses catégories pour ne m’intéresser qu’aux affaires qui sont susceptible d’avoir « donné naissance » à notre assassin. Selon le profil des victimes, des conducteurs, des témoins, des proches ayant subis des dommages collatéraux, je commence à éliminer de plus en plus d’affaires. Pendant plus de trois heures je reste penché sur mes différentes lectures de compte rendu d’accident, j’ai éliminé pratiquement un tiers des affaires car les profils ne correspondaient pas aux schémas exécutés récemment, je m’apprêtai à commencer une nouvelle boite avant d’être interrompu par un appel de ma mère.


-         Eh chéri, comment vas-tu ?

-         Maman je vais bien ne t’en fais pas.

-         Ce n’est pas ce que viens de me dire Gil, je l’ai appelé pour m’assurer que tu allais bien et il m’a pratiquement raccroché au nez en me disant que tu avais l’air surmené et que tu étais encore plus insupportable qu’à ton habitude.

-         Maman je suis rentré parce que j’avais besoin d’être un peu seul, et j’ai du travail, je dois te laisser.

-         Malcolm s’il te plait viens dîner à la maison ce soir, comme ça je m’assure que tu manges un peu et je te laisse tranquille pour le reste de la soirée.


Si je refuse son invitation elle va m’appeler toutes les heures pour s’assurer que je suis encore en vie mais si je passe la soirée avec elle je risque de ne pas avoir le temps de consulter tous ces dossiers, je dois trouver un compromis.


-         D’accord, je passe une heure et après tu me laisses travailler.

-         Parfait, mon chauffeur t’attendra à 20 heures devant chez toi, ne soit pas en retard.


Bon maintenant je peux reprendre ma chasse aux informations utiles, ces dépositions de témoins et comptes rendus d’accidents sont tous plus classiques les uns que les autres, la vitesse bla bla, il faisait nuit bla bla, j’ai pris le virage trop vite et je n’ai pas vu l’autre voiture bla bla … Rien qui pourrait donner envie à quelqu’un de reproduire un schéma traumatique. Deux heures plus tard, toujours concentré dans ma lecture je réalise que je vais devoir sortir de chez moi pour aller diner chez ma mère si je ne veux pas la voir débarquer ici et me traiter de fou après avoir vu la montagne de dossier que j’ai rapporté chez moi. Je m’habille donc pour être présentable et convainquant devant ma mère qui va surement chercher à me faire prendre des vacances alors que je viens tout juste de rouvrir une ancienne enquête.


Contre toute attente ma mère n’a pas une seule fois fait allusion au fait que Gil soit furieux contre moi, elle a tout simplement insisté pour me tenir compagnie et me rappeler que si j’avais effectivement un vrai rendez-vous elle serait ravie de participer à la réussite de celui-ci en me prêtant sa nouvelle voiture qu’elle vient tout juste d’acheter. Pour ne pas l’inquiéter davantage sur mon état je ne l’informe pas de la quantité astronomique de dossiers que j’ai à traiter en rentrant chez moi et lui promet d’essayer de me reposer. Notre dîner se termina sur les potins mondains que ma mère me lista et elle accepta de me laisser rentrer à pied chez moi après lui avoir assuré que je voulais téléphoner à Gil sur la route.

En chemin depuis une bonne demi-heure pour rentrer chez moi, j’ai enfin le courage de contacter Gil pour m’excuser. Après plusieurs tonalités sans réponse je lui laisse un message bien chargé entre des explications bancales et des excuses moyennes que je n’arrive pas à comprendre moi-même, je voulais juste qu’il me rappelle pour que je puisse lui dire que je ne pensais pas ce j’ai dit et qu’il représente pour moi ce qui se rapproche le plus d’une figure paternelle. Mais tout ça bien sûr il le sait déjà, c’est pour ça qu’il a été blessé quand je lui ai fait ma remarque … J’espère vraiment qu’il va me rappeler, je déteste l’idée de lui avoir fait de la peine.


Enfin de retour dans mon loft je prends soin de ranger les dossiers que j’ai déjà éliminé pour ne garder que ceux qui mérite une attention plus particulière. De nouveau plongé dans mon état des lieux des affaires précédentes je commence à sérieusement ressentir la fatigue m’envahir et décide de me mettre à faire quelques dizaines pompes pour me garder en alerte.  Parmi la multitude d’affaires de cette première période je n’ai ressorti qu’un seul dossier que j’aimerai approfondir car il pourrait potentiellement être l’événement ayant « brisé » notre meurtrier, en 1983 deux frères ont eu un accident de voiture sur la route en question, le conducteur est mort sur le coup mais son frère cadet qui a été blessé au visage au moment du choc montre une réelle agressivité envers l’autre véhicule pendant sa déposition. D’après le rapport il semble que ce soit son grand frère qui est à l’origine de l’accident mais s’il ne l’entend pas comme ça il aurait très bien pu dans un accès de désespoir, tenter de mettre fin à ses jours lors de l’accident il y a 5 ans. Il faut que je consulte ses antécédents judiciaires et peut être que j’essaie de l’interroger.


Bon maintenant qu’il me reste moins d’un tiers des affaires à traiter je peux enfin me poser et essayer de dormir un peu, si je veux réussir à tenir le délai hallucinant que j’ai vendu à l’inspecteur Sianh.


Mon garçon … Ecoute moi, Malcolm … Toi et moi nous sommes pareils …


Laisse-moi … Non … Tu n’es pas là … Non … Tu ne peux pas être là.


Bien sûr que si je suis là, et je peux continuer mon œuvre à travers toi …

Là, face à moi se trouvait l’incarnation de toutes mes peurs, Martin Whitly, mon père qui m’observait avec son plus grand sourire hypocrite et sa charismatique position de patriarche. Malcolm … Le chirurgien marchait dans ma direction, il me terrifiait, son mythique scalpel à la main il portait sa tenue de patient d’hôpital psychiatrique mais il n’était plus attaché. Il me regardait avec tant de fierté, pour lui j’étais son successeur, l’enfant prodige qui allait devenir « Le Fils du Chirurgien », je pouvais voir dans son regard qu’il avait des projets pour moi et cette noirceur dans ses yeux me faisait froid dans le dos. Avec son calme légendaire il s’approcha de moi pour me chuchoter des mots qui résonnait dans ma tête comme un écho. 


Je te l’ai dit mon fils, toi et moi nous sommes pareils.


Encore plongé dans mon cauchemar je m’arrache de mon lit dans un mouvement de panique et me retrouve par terre complètement terrorisé par la voix de mon père qui résonne toujours dans ma tête. Ma respiration est tellement rapide que je ressens comme une impression de manquer d’oxygène, je sens la pièce tourner autour de moi, mon rythme cardiaque monte en flèche et j’ai cette affreuse sensation de m’être de nouveau écrasé le bras. Quand je retrouve enfin mes esprits je constate que l’une de mes sangles a été arraché du mur lors de ma fuite de ce cauchemar et que ça ne fait que deux heures que je suis couché. Je me détache de ma deuxième entrave et avance jusqu’à ma cuisine pour me passer de l’eau sur le visage. Ce n’était qu’un mauvais rêve, mais pour m’assurer que je suis effectivement en sécurité je fais rapidement le tour de mon studio pour vérifier que mon père ne s’est pas enfui de son asile pour m’entraîner à devenir son successeur. Comment est-ce que les dernières phrases de mon père peuvent encore me traumatiser 20 ans après …


En regardant par la fenêtre la ville de New York encore endormit j’essayais désespérément de me persuader que tout ceci n’était que le fruit mon imagination mais le profiler que je suis n’en croyais pas un mot. Ce cauchemar ne ressemble pas à ceux que j’ai l’habitude de vivre, j’ai l’impression que mon subconscient veut me faire passer un message à travers l’image que j’ai de mon père. Mais je n’arrive pas à comprendre ce signe, la fatigue accumulée des derniers jours ne doit sans doute rien arranger … Bon tant qu’à être réveillé de si bonne heure je vais essayer de me remettre au travail, peut être que je vais réussir à finir cette première dizaine d’années avant que les New Yorkais ne se réveillent. 


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