Nous sommes pareils

Chapitre 7 : Accepter l'évidence

3279 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/01/2021 15:58

Une fois de retour chez moi je tente de reprendre le cours de mes lectures, je suis encore préoccupé par les dernières phrases de mon père, et si pour une fois, il avait vraiment essayé de m’aider. Cette idée me traverse l’esprit quelques instants avant d’être balayée par tous les souvenirs détruits par l’arrestation de mon père et les horreurs qu’il a commises. Le petit garçon qui est en moi imagine encore que l’homme qui était son modèle pendant 10 ans peut avoir un comportement bienveillant envers lui, mais l’adulte que je suis me hurle de ne surtout pas faire confiance à ce sociopathe.

En admettant juste un instant qu’il ait raison c’est à moi de déterminer quel est le lien entre le criminel que je cherche à arrêter et l’avertissement que mon subconscient m’envoie à travers l’apparition de mon père. Et je dois trouver ce lien au plus vite avant que cette situation ne me rende complètement dingue.  Dans tous les cas je dois absolument avancer sur mon enquête pour que ma sœur ne se rende pas compte que je ne l’ai pas écouté.


Entre deux rapports d’accidents je survole rapidement les messages qu’Ainsley m’a laissé après son départ, elle me demande comment Gil a réagi et ce qu’il me conseil de faire. Je lui expliquerai plus tard que j’ai fait exactement l’inverse de ce que je lui avais promis, d’une part en allant voir notre père et de l’autre en continuant à travailler avec acharnement sur cette affaire qui me perturbe tant. Maintenant je dois rester concentré, il y a forcément un rapport d’accident qui fait état d’une victime suffisamment traumatisé pour en vouloir aux autres des années plus tard et qui pourrait faire écho à mes propres traumatismes. Mais entre des comptes rendus rédigés en vitesse par des agents de police peu consciencieux, le manque d’intérêt pour des détails essentiels à une analyse de profil et le manque de temps pour élucider cette affaire je sens que les prochains jours s’annoncent compliqués.


Quelques heures après mon retour de Claremont je désespère de ne pas avoir trouvé de suspects pouvant correspondre au profil que je recherche. La fatigue commence à se faire sérieusement sentir et mon bras gauche continue de me faire mal depuis que j’ai oublié de prendre les comprimés d’anti-douleur que l’hôpital m’a prescrit à la suite de mon accident.

Toujours plongée dans mes recherches, j’entends que quelqu’un frappe avec insistance à ma porte d’entrée. J’espère vraiment que ce n’est pas Ainsley qui vient vérifier que je me repose ou ma mère qui vient d’apprendre que j’ai des hallucinations, parce que je sens que je vais en prendre pour mon grade.


-         Malcolm ça fait des heures que j’attends de tes nouvelles.

Merde, Gil, je ne m’attendais pas à le trouver ici. Mais finalement si je lui explique correctement la situation il va peut-être accepter de me laisser trouver les réponses que je recherche avant de m’imposer des vacances. Ou alors il va lui-même signer mon entrée dans un hôpital psychiatrique en pensant que j’ai totalement perdu la tête.


-         Gil, je euh … Qu’est-ce que tu fais ici ? Est-ce que c’est Ainsley qui t’a prévenu ?

-         Oui. Elle se doutait que tu ne renoncerais pas si facilement à tes mauvaises habitudes.

-         Oui … Elle me connaît trop bien. Tu veux entrer ?

-         Seulement si tu m’assures que tu n’as pas passé la journée plongé dans ton affaire.  


Je lève machinalement les yeux au ciel pour lui montrer que, fidèle à moi-même, je continue de suivre mon idée en essayant de résoudre cette affaire malgré les recommandations de mon entourage.  


-         Malcolm, explique-moi ce qu’il se passe. Ta sœur m’a demandé de passer si jamais je n’avais pas rapidement de tes nouvelles mais elle n’a pas eu le temps de préciser pourquoi.

-         Gil c’est compliqué mais j’ai besoin que tu me fasses confiance.

-         Gamin, la confiance ça fonctionne dans les deux sens, si tu ne veux pas que je mette fin à notre collaboration tu vas m’expliquer ce qu’il se passe, tout de suite.


Je n’ai plus vraiment le choix maintenant, je dois lui dire la vérité, il le mérite et je crois que de parler, avec lui, de tout ce qu’il s’est passé ses derniers jours va me faire du bien.


-         D’accord, installe-toi je nous prépare du café.

Pendant que je suis dans la cuisine je peux voir que Gil contemple la masse de dossiers que j’ai laissé trainer dans mon studio, il a son air de mentor inquiet pour moi, il regarde également le tableau des théories et des probabilités que j’ai installé derrière mon bureau. J’aime y inscrire mes idées et toutes les hypothèses que je peux faire pour résoudre une enquête.


-         Je sais très bien de quoi ça à l’air comme ça de loin, mais sache que je suis parfaitement conscient de ma situation et j’ai pris la décision de continuer de bosser sur cette affaire. Je pense sincèrement que résoudre cette enquête me permettra de comprendre pourquoi mon subconscient est si préoccupé par le profil de l’assassin. Et pourquoi il commence à me faire halluciner.

-         Malcolm enfin de quoi me parles-tu ?

-         Ainsley ne t’a rien dit ?


Il me regardait toujours avec son expression inquiète, il n’avait pas l’air de savoir ce qui était en train de se passer.


-         Depuis que j’ai demandé la réouverture de ce dossier je ressens des choses étranges, au début je faisais des cauchemars, comme souvent, mais aujourd’hui j’ai eu des hallucinations, je le voyais … je veux dire, il était là devant moi, le Chirurgien, il n’arrêtait pas de me répéter que lui et moi on était pareil ... Ces hallucinations étaient vraiment, comment dire, envahissantes. Je sentais qu’il avait le contrôle sur moi, il me terrorisait, rien que par sa présence, et plus il me parlait plus je sentais le petit garçon en moi qui avait envie de partir en courant.


Pour ne pas paraître trop déboussolé devant cet homme que je considère comme ma figure paternelle je prends quelques minutes pour mettre de l’ordre dans mon esprit avant de continuer. J’aimerai être totalement honnête avec lui et pouvoir lui expliquer à quel point résoudre cette enquête me parait essentiel pour enfin comprendre le sens de mes récents cauchemars et surtout de ces hallucinations. J’ai confiance en Gil, j’ai même probablement plus confiance en lui qu’en moi mais je ne pense pas qu’il arriverait à gérer de telles révélations. 


-         Gil ne me regarde pas comme ça je t’en prie, je sais très bien ce que tu penses mais cette situation est insupportable pour moi … Je suis sûr d’une chose, il y a un lien entre le message de mes hallucinations et cette affaire, je n’ai pas encore trouvé lequel, mais il est là, il existe et je dois trouver de quoi il s’agit. Tu comprends, je ne peux pas reprendre ma vie en sachant que je n’ai pas tout fait pour arrêter un meurtrier qui pourrait recommencer à tuer.

-         Malcolm, je sais que c’est dur à admettre pour toi mais tu ne peux pas sauver tout le monde. Je sais que tu as l’impression de devoir arrêter un maximum d’assassin pour honorer la dette impossible à rembourser que tu crois devoir à la société en étant le fils du Chirurgien, mais tu n’as pas à endosser un tel fardeau. Malcolm, regarde-moi, tu n’es pas ton père et tu ne dois rien à personne.


Quand il me regarde avec cet air de parent protecteur j’ai toujours peur de le décevoir et par-dessus tout j’ai l’impression d’être un petit garçon face à l’homme qui vient le libérer de l’emprise de son père. 


-         Ce n’est pas aussi simple Gil, cette affaire résonne en moi, je ne sais pas encore pourquoi mais je sens que je dois la résoudre. Ces messages dans mes cauchemars et maintenant dans mes hallucinations sont devenus beaucoup plus fort depuis que j’ai commencé à travailler sur cette enquête, je dois comprendre pourquoi.

-         Est-ce que cette affaire est plus importante que toi ? Je veux dire Malcolm soit honnête avec moi, qu’est-ce qu’il s’est réellement passé avec ta sœur ?

-         Ainsley m’a trouvé dans la cuisine en train de hurler dans le vide, le Chirurgien était en face de moi et je voulais lui faire comprendre que lui et moi … Enfin que je ne suis pas un monstre comme lui. Et puis Ainsley est arrivée, elle était inquiète alors je lui ai dit que je prendrai un peu de temps pour moi, pour me remettre de mon accident et pour prendre du recul par rapport à toute cette affaire.

-         Et là je te retrouve encore en train de bosser, tu n’arrives même pas à prendre le temps de te reposer alors que tu as visiblement l’air de ne pas avancer.

-         Tu n’as pas tout à fait tort, mais le pire dans cette histoire c’est que je crois que mon père avait raison tout à l’heure quan..

-         Hein comment ça ?! Tu veux plutôt dire l’hallucination de ton père ?


Je suis trop bête, pourquoi je n’ai pas tenu ma langue … 


-         Euh, non… Enfin je veux dire, euh, pour être honnête avec toi je lui ai rendu visite tout à l’heure, je voulais savoir si mon hallucination était liée à quelque chose qu’il a pu faire ou me dire. En réalité je crois que le message que mon subconscient m’envoie est en rapport avec cette affaire, avec la relation qu’entretenais l’assassin avec l’une des premières victimes.

-         Tu as revu ton père alors que tu enchaines les cauchemars et les hallucinations, tu t’es vraiment dit que c’était le meilleur moment pour une entrevue avec Martin Whitly.

-         Je sais, dit comme ça j’ai l’air d’avoir perdu la raison mais Gil ce n’est..

-         Ah bon, alors vas y donne-moi une explication rationnelle. Donne-moi une seule bonne raison de ne pas croire que tu as complètement perdu la tête.

-         Je te proposerai bien de te fier à ton instinct mais j’ai un peu peur de la réponse alors je vais simplement te demander de constater par toi-même, regarde mes théories et dis-moi que le profil de cet assassin n’est pas suffisamment dangereux pour être appréhendé au plus vite.

-         Ce n’est pas ce que je t’ai demandé, Malcolm je ne parle pas de ton affaire mais de toi et de la façon dont tu gères tout ça, où dans ce cas la façon que tu as de ne pas gérer les potentiels points communs que ton père pourrait avoir avec les assassins. 

-         Gil pourquoi penses-tu que cette affaire fait écho à mon père ?


Mes hallucinations me montrent que l’image de mon père me terrorisent mais en réalité ce n’est pas de lui dont il s’agit, c’est plutôt de ma relation avec cette image, et surtout ma peur de lui ressembler. Il a raison, ce n’est pas à l’image de mon père que je dois associer les signes qui poussent à résoudre cette affaire mais plutôt à ma relation avec lui.


-         Mais oui c’est ça. Gil tu es un génie.

-         Non gamin tu ne vas pas m’avoir avec ce genre de stratégie d’évitement.

-         Il faut que tu me fasses confiance Gil, c’est la clé, j’ai longtemps cherché à savoir pourquoi est-ce que cette affaire envahissait mes pensées de la sorte, ce n’est pas mon père la clé de cette affaire, c’est nous, enfin c’est ma relation avec lui.

-         Tu me fais peur Malcolm.

-         Attends, laisse-moi encore dix minutes avant de me faire interner. Je te montre où je veux en venir et après je te laisse décider de la suite.

-         Tu as dix minutes, pas une de plus.


Pour essayer de lui exposer des arguments les plus précis et synthétiques possible je me rapproche du tableau sur lequel j’ai commencé à dresser le profil du tueur. En y ajoutant les dernières déductions que je viens de faire je commence à exposer à Gil les différentes spécificités de cette affaire et les raisons qui me font penser qu’elle est, en partie, responsable de mon état.


-         Ecoute, en faisant abstraction des signes qui t’ont conduit là ce soir, si tu fies uniquement à ton instinct de flic, dis-moi que je fais fausse route et j’arrête.

-         Le problème Bright c’est que je ne peux pas « faire abstraction des signes », parce que ce sont justement eux qui t’amènent à cette conclusion. Ce sont eux qui t’ont poussé à t’enfoncer dans cette affaire, qui t’a je te le rappelle, cassé un bras, provoqué des hallucinations de ton père et amené à éviter tout ceux qui souhaitent t’aider pour pouvoir continuer ton obsession avec cette enquête.

-         Gil je suis profiler, et le profil que je viens tout juste de te dresser se base uniquement sur les éléments que j’ai pu obtenir grâce à mon analyse de la scène de crime, des différents dossiers que j’ai lu et des éléments apportés par l’inspecteur Sianh. Je t’accorde que les liens que j’ai pu faire entre ma situation et le tueur sont, peut-être, lié à mon manque de sommeil et le traumatisme d’avoir un sérial killer comme père mais en aucun cas ça n’affecte ma façon de dresser les profils. Je peux te l’assurer, mon profil est juste, et je suis sûr que si c’était ton affaire tu n’en aurais jamais douté.


Visiblement ennuyé par la dernière réflexion que je viens de faire Gil se lève pour venir jusqu’à moi.


-         Tu as raison gamin, je m’inquiète pour toi, et à vrai dire ce que je viens d’apprendre me donne encore plus de raison de m’en faire mais tu as soulevé un élément essentiel, j’ai confiance en toi et surtout en ton travail de profiler. Alors pour éviter que tu ne dérailles complètement je te propose un marché.

-         Vas-y je t’écoute.

-         Tu négocies avec l’inspecteur Sianh un délai supplémentaire pour boucler cette affaire, parce que tu ne peux pas continuer à travailler correctement sans te reposer, et tu acceptes que quelqu’un vienne t’aider à éplucher les archives avec toi.

-         Je suis d’accord de parler à l’inspecteur Sianh pour qu’elle me laisse travailler sur cette affaire plus longtemps, mais pour l’autre condition je..

-         Stop, je ne veux rien entendre, ce sont mes conditions si tu ne veux pas que je fasse arrêter ta collaboration avec la police et que je prévienne ta mère, quelqu’un restera avec toi pour étudier les archives.

-         Vu sous cet angle, c’est d’accord.


En repartant Gil me demanda de me reposer et d’éviter de me laisser envahir par les souvenirs de mon père. Ce qui a l’air tellement facile dit comme ça … Il m’a également imposé de passer au poste demain matin pour expliquer à l’inspecteur Sianh que j’avais besoin de plus de temps pour boucler son affaire et que je ferai maintenant équipe avec un agent que Gil me présentera demain.


Sur ces conseils je décide de laisser mon travail pour ce soir et d’essayer de dormir un peu. Même exténué je n’arrive pas à trouver le sommeil et me retrouve à repenser à cette affaire et à l’impact qu’elle est en train d’avoir sur moi.


Malcolm, tu ne peux pas m’éviter, tu ne peux pas te cacher de moi, je suis une part de toi … Nous sommes pareils. 


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