Le trèfle à douze feuilles

Chapitre 3 : Tigre ailé

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 23:42

 
« Ne blâme pas Dieu d'avoir créé le tigre, mais remercie-le
de ne pas lui avoir donné d'ailes. »
Proverbe d'Inde
 
Le hall d'un port. Le hall d'un port irlandais, comme il y en avait tant d'autres ; rien ne changeait par rapport aux autres. Il était normal : la foule qui marchait ou courait en tous sens, généralement avec un ou plusieurs poids lourds au bout des bras, et surtout le vacarme assourdissant et pourtant continu, y régnaient en permanence. Les agents allaient et venaient, se faisaient solliciter par les voyageurs pour régler un souci, ou tout simplement renseigner. Les containers pleins de marchandises scindaient parfois des familles par accident, mais celles-ci se retrouvaient la plupart du temps au bout de quelques minutes. Entre commerce et tourisme, le hall du port de Dublin ne pouvait être calme.

Sur un banc se trouvaient trois personnes en particulier. Une petite famille : père, mère, enfant. Ce dernier, assis au milieu de ses parents, commençait à désespérer et regardait tristement ses pieds se balançant avec lenteur et lassitude. Finalement, il soupira longuement ; à sa gauche, l'homme posa une main réconfortante sur son épaule.

« Allons, Luke. Il arrivera d'ici quelques minutes. Ne t'inquiète pas, il m'a appelé ce matin. Il viendra, c'est promis. »

Le jeune adolescent tenta de lui adresser un petit sourire, mais il ne paraissait qu'à moitié convaincu. Après tout, son mentor était tellement occupé dans son travail... Il semblait étonnant que l'Université de Gressenheller lui eût permis de s'absenter ainsi alors qu'il avait tant à faire.
Et pourtant...

Parmi la foule, une silhouette se fit plus remarquer que les autres par un détail particulièrement insolite. Un haut-de-forme sombre et bien plus élevé que les autres se promenait parmi les touristes. Il n'y avait plus aucun doute possible ; le jeune homme à casquette bleue laissa tomber sa sacoche sur le banc et se précipita à toutes jambes vers ce couvre-chef qu'il saurait reconnaître au moindre coup d'œil.

« Professeur, Professeur ! »

Le gentleman s'arrêta, suivi de Flora qui lui emboîtait le pas en serrant son gilet bordeaux. Il faisait plus froid qu'à Londres à cause du vent marin ; et, même en intérieur, cette bise glaciale parvenait à s'infiltrer jusque dans son cou en la faisant frissonner. Mais, si c'était pour revoir Luke après deux longues années de séparation, la jeune Londonienne était prête à tout. Quitte à attraper un rhume, revoir son ami était plus important que n'importe quoi d'autre.
Lorsqu'elle avait entendu de nouveau, après si longtemps, la voix du jeune garçon, elle s'était enfin rappelé la raison pour laquelle elle avait quitté la douce capitale d'Angleterre, et avait même souri.

Cependant, lorsque l'apprenti parut, il trébucha malencontreusement sur un bagage égaré et s'étala de tout son long sur son mentor, qui eut de grandes difficultés à se maintenir en équilibre. Même s'il avait vu le coup venir - entre l'enthousiasme trop prononcé et la grande précipitation de son assistant, cela n'était pas difficile à concevoir comme scénario -, le fait qu'il eût les deux mains prises par deux immenses valises l'empêcha de le contrer. Flora, elle, demeura sous le choc et se transforma en statue, le regard éberlué dans le vide.

« Luke, enfin ! Hershel est à peine arrivé que tu lui sautes déjà au cou... »

Clark Triton avait enfin retrouvé la piste de son fils, et commençait déjà à le réprimander suite à l'accident, tout en débarrassant son ancien camarade d'université de ces deux grosses mallettes surchargées. Le jeune garçon inclina la tête face à ces paroles, et s'excusa du mieux qu'il put.

« Ce n'est rien, Luke. Fais juste attention la prochaine fois ! » rit le gentleman, un sourire aux lèvres.

Son enthousiasme et son éternel sourire doux résistant à toute épreuve planaient encore sur son visage. Malgré tout, son apprenti demeurait gêné face à son entrée en scène désastreuse.

« Au fait, Professeur, avez-vous des nouvelles d'Emmy ? »

Le professeur d'archéologie rajusta distraitement son haut-de-forme, regardant au loin. Son sourire s'intensifia.

« Je pense que tu devrais te retourner, mon garçon. »

Luke n'eut pas le temps d'obéir qu'une main vint se plaquer contre sa casquette, l'enfonçant sur ses yeux avec taquinerie. Ne s'attendant pas à une telle réaction, le jeune garçon baissa la tête en gesticulant et en émettant quelques cris de surprise. Il ne tarda pas cependant à reprendre ses esprits et rajusta son couvre-chef, légèrement énervé ; en se retournant, il esquissa une petite moue enfantine et lassée.

« On dirait que tu as attrapé l'accent du pays, Luke ! commença l'adulte d'un ton plaisantin.
- Vous pouvez toujours parler, Emmy, répliqua aussitôt le concerné en ironisant. Vous, vous avez l'accent écossais, ce n'est pas mieux. »

Après quelques années d'études auprès du Docteur Schrader en Écosse, l'assistante avait dû côtoyer de nombreux gens du pays, et en avait naturellement acquis la manière de parler. Refusant d'en rester là, elle enfonça de nouveau le couvre-chef du petit « impertinent » sur ses yeux, ce qui fit de nouveau rager le jeune homme.

« Vous ne vous lasserez jamais de me « taquiner », à ce que je vois...
- Allons, répliqua la concernée en l'imitant avec plaisanterie. Le second assistant du professeur était si enthousiaste, il y a quelques minutes... »

Accentuant sa moue, ce dernier continua dans une énième dispute avec la jeune lady. Les autres Londoniens n'y prêtaient quasiment plus attention ; ils ne pouvaient - et ne devaient - intervenir sous aucun prétexte, sous risque de rajouter de l'huile sur le feu.

« Pour la dernière fois, Emmy, je suis son apprenti ! ... Et je dirais même que je suis son meilleur apprenti !
- Avec son approbation, bien évidemment...
- Mais... Mais bien sûr !
- Luke... Sais-tu au moins que tu te répètes ? »

Et l'adulte, sourire victorieux aux lèvres, s'éloigna valise en main vers le reste du groupe. Elle regardait du coin de l'œil celui qu'elle venait de réduire au silence, et qui réfléchissait encore à la véracité de ses propos... C'était vrai. Il avait déjà ressorti cet argument, quelques années auparavant...

S'il voulait continuer à lui tenir tête, il avait intérêt à en trouver de meilleurs.

De son côté, l'assistante du professeur Layton s'approcha de la jeune adolescente qui restait serrée contre le gentleman ; il s'agissait de la seule personne qu'elle ne connaissait pas encore.

« Je suppose que tu es Flora Reinhold ? » lui souffla-t-elle, sourire chaleureux sur le visage.

La Londonienne acquiesça timidement. L'aînée lui tendit la main droite, qu'elle saisit finalement avec fermeté.

« Enchantée. N'hésite pas à m'appeler Emmy ! »

La plus jeune lui rendit son enchantement, tandis que son visage s'empourprait très légèrement, à cause de sa timidité.
 
17 mars 1964, 08:26 p.m.

Vert. Ainsi pouvait être résumée l'ambiance de la ville. Partout se trouvait la couleur du mythique shamrock, trèfle à trois feuilles et symbole irlandais depuis de nombreux siècles. Celui-ci se trouvait également dans le décor, omniprésent : sur des drapeaux, des banderoles, des chars de fleurs peints, et principalement sur la plupart des costumes que portaient les musiciens et autres artistes en tous genres. Que ce fût à pied, à cheval ou sur les chars, ceux-ci envahissaient les rues les plus populaires de Dublin en apportant spectacles, sourires et bonheur. Parmi la foule qui les regardait en pleine extase, le professeur Layton tentait de retenir les deux jeunes adolescents, trop excités pour tenir en place. Emmy n'éloignait jamais son appareil de ses yeux, se contentant de se tourner en tous sens en appuyant sur le bouton de capture d'image et en tournant la molette afin de changer l'écran de sa pellicule, qui se remplissait de photographies spectaculaires à une vitesse faramineuse. Seuls Clark et Brenda Triton étaient absents, restés à l'hôtel à cause de leur travail. Ils eurent pourtant tellement apprécié de s'y trouver, avec leurs amis ! Ce qu'ils rataient était trop magnifique pour ne pas être regretté.

Finalement, une ribambelle de musiciens courut à travers la foule en file indienne, leurs instruments à la main. Tous portaient le même costume composé de verts différents, et de rubans au jaune brillant. Ils devaient être une petite dizaine, à peine, mais leur infiltration presque discrète parmi les spectateurs rendait la tâche de les compter plutôt difficile. Lorsqu'ils arrivèrent au niveau d'O'connell Monument, ils sortirent de la masse de touristes et se placèrent devant la grande statue de manière symétrique, face au reste du défilé.
Le silence se fit car, subitement, les instruments avaient cessé leur musique, les artistes s'étaient immobilisés, les chars et les chevaux s'étaient arrêtés, ne bougeant plus d'un pouce. La scène était passée de très joyeuse à, promptement, complètement statique. Les touristes regardaient aux alentours, légèrement inquiets, craignant que ce ne fût pas au programme de la fête.

Pourtant, les deux joueurs de bodhràn*, tout devant, côte à côte, introduisirent une petite danse rythmée qui dura quelques secondes. Lorsqu'ils s'arrêtèrent, les violoncellistes et le contrebassiste, au fond, embrayèrent sur un air traditionnel irlandais, lent et joyeux à la fois, légèrement rythmé. Les bodràners les accompagnèrent au bout d'un temps, leurs stickers à la main, suivis de flutistes et d'altistes, juste derrière eux. Enfin, une jeune violoniste surgit de la foule et se pointa devant tous, enfourchant son instrument et posant aussitôt son archet sur sa corde de mi, la plus aigüe. Il était impossible de savoir si ce retard était prévu ou non, étant donné qu'elle ne commença pas de suite et demeura statique, les yeux rivés sur sa main gauche qui, posée sur la touche du violon, montrait bien sa concentration. Bien que silencieuse, on voyait qu'elle était nerveuse et que son souffle était encore saccadé. Peut-être était-ce la première fois qu'elle jouait ainsi en public, durant une telle fête.

Contrairement aux autres musiciens, la violoniste paraissait très jeune ; treize ans, peut-être quatorze, mais pas plus. Ses yeux d'un noir profond étaient encadrés dans deux verres de lunettes à la monture métallique, et par moments légèrement voilés par les cheveux bruns qui cachaient totalement son front, maintenus ainsi grâce à un serre-tête vert pomme. Avec un minuscule petit ruban de couleurs différentes et décoré de deux trèfles à trois feuilles, il s'agissait des seuls objets qui avaient l'audace de retenir sa chevelure, qui était en réalité totalement libre au gré du vent. Par ailleurs, celle-ci flottait littéralement dans les airs, suivant les mouvements de la jeune fille avec lenteur. Intrigué, le professeur Layton prit en note ce détail étrange, étant donné qu'il était peut-être tard dans la saison pour avoir des cheveux si électriques... Cependant, il chassa vite cette idée saugrenue et continua de se laisser bercer par la musique, tout en l'observant se mettre en place parmi les autres. Elle était vêtue comme tous les autres musiciens d'un costume, pour elle d'une robe aux tons de verts tous mélangés qui descendait jusqu'à ses genoux.

Lorsque les crins se mirent en mouvement, faisant résonner le métal de la corde, un son fort et doux à la fois sortit du petit violon, ressortant particulièrement bien dans l'ensemble grâce à ses tons plus aigus que tous les autres. Il devait probablement s'agir du soliste, qui ne partait que plus tard ; au final, tout était parfaitement calculé.
La musique était plutôt répétitive, mais reprenait à chaque fois avec des variations toujours plus complexes ; la jeune violoniste, elle, gardait un thème toujours changeant et ne se répétait pas, conservant toute la magie de la musique irlandaise. Au fur et à mesure que le thème reprenait, des danseurs venaient s'ajouter à l'orchestre, mêlant une danse aux airs divers. Du haut du char le plus en avant, des hommes lançaient des confettis et des shamrocks sur la foule et les musiciens. La musique paraissait s'accélérer, mais chacun continuait de suivre le rythme comme si de rien n'était.

Tout semblait être fait pour ne jamais se terminer...

Et pourtant, il le fallut bien. Comme une fausse note, un bruit d'explosion retentit depuis une ruelle toute proche, et arrêta net le spectacle. Les artistes comme les touristes ne s'attendaient pas cette fois-ci à un tel coup de théâtre. Alors que tout stopper une première fois avant la danse finale était totalement prévu, jamais il n'avait été question d'explosion... Et les feux d'artifices, si c'était une suite malencontreuse à une mauvaise manipulation de ceux-ci, ne pouvaient cependant en être la cause : ils se trouvaient dans l'un des chars qui parcourait, comme les autres, O'connell street. Et l'explosion provenait d'ailleurs.

« Professeur... marmonna finalement Flora en se blottissant contre lui. Que se passe-t-il, au juste ? »

Les musiciens restaient immobiles, au centre de la place, devant le vieux monument. La violoniste, tenant son instrument à la main, semblait à l'affût d'un quelconque mouvement non prévu. L'angoisse régnait désormais, au beau milieu d'une fête censée être composée de joie et de bonheur.
Dans une ruelle jouxtant O'connell street, finalement, une silhouette passa à une vitesse hallucinante, faisant sursauter ceux qui l'avaient vue. Quelques instants plus tard, une autre suivit. La musicienne soliste blêmit, et hurla soudainement, complètement affolée.

« Fuyez, ne restez pas là ! »

Elle avait à peine eu le temps de prononcer cette phrase que le chemin qu'avaient emprunté les deux ombres explosa, s'embrasant violemment. Suivant le conseil de la jeune adolescente, les spectateurs comme les artistes prirent leurs jambes à leur cou en hurlant de terreur. Tout cela n'avait pris qu'une fraction de seconde.

Une troisième ombre, puis d'autres encore, surgirent et barrèrent le passage de certains touristes, leur montrant enfin leur visage de manière précise et leur arrachant des cris supplémentaires. Il s'agissait de créatures diverses, ressemblant légèrement à des animaux sans s'en rapprocher de manière évidente. Une seule chose était claire : ce n'étaient pas des œuvres de la nature. Ces bêtes n'avaient encore en tout cas jamais été aperçues sur Terre ; les hommes s'en seraient certainement souvenu.
Les passants se faisant arrêter ainsi faisaient aussitôt demi-tour, zigzagant entre les créatures tout droit sorties de l'Enfer et les autres touristes, tous remplis de panique. Les collisions furent nombreuses, mais les gens ne prenaient pas le temps de reprendre leurs esprits et se remettaient aussitôt à courir en tous sens.

Le professeur d'archéologie tenta de rassembler les trois autres Londoniens afin de s'assurer qu'ils fussent tous à l'abri. Leur faisant signe de le suivre, le groupe s'éloigna à toutes jambes à travers une rue semblable aux autres, bien qu'épargnée par le désastre - pour le moment du moins. Les quatre amis ralentirent la cadence, se sentant protégés du phénomène, mais ne s'arrêtèrent pas pour autant, tentant de rejoindre l'hôtel le plus rapidement possible ; ils ne faisaient en réalité que reprendre un peu de leur souffle.

Soudainement, une ombre embrasée sauta d'un toit et leur barra la route de son regard rouge sang. La forme de la créature, cachée par les flammes, se déformait légèrement, mais était suffisamment claire pour laisser entrapercevoir une sorte de canidé bien plus grand qu'à la normale, doté d'une paire de cornes à la place d'oreilles. Il semblait doté d'ornements étranges et effrayants, mais le fait qu'il fût caché par le feu dans lequel il ne se consumait pas voilait son véritable aspect.
Le gentleman fronça les sourcils, et ordonna d'un murmure de rester derrière lui, plus à l'abri ; mais un cri l'en empêcha. N'osant se retourner de peur de quitter du regard le « chien » qui leur faisait face et demeurait immobile à les fixer, il reprit, plus fort cette fois.

« Emmy, que se passe-t-il derrière ? »

L'assistante se retourna, et remarqua avec horreur que Flora, l'origine du cri effaré, manquait désormais à l'appel. Tentant malgré tout de garder son sang-froid, elle l'appela, imitée par Luke. La Londonienne finit par reprendre, depuis une autre ruelle où apparemment elle avait été entraînée de force.

« Mais lâche-moi ! Qu'est-ce qui te pr— »

Sa voix fut aussitôt étouffée, ce qui finit par décider les deux assistants du professeur de se diriger le plus rapidement possible vers l'origine du cri. L'homme au haut-de-forme voulait les suivre, mais restait en face à face avec la créature, à moins de dix pieds de celle-ci. Il était à sa merci, et pourtant le canidé finit par s'éloigner d'un bond, remontant sur les toits en escaladant les balcons ; et en les embrasant par la même occasion. Le gentleman demeura interdit face à une telle réaction plutôt imprévue et fronça les sourcils d'incompréhension, mais rejoignit vite les autres. Si Flora avait des soucis, il ne devait absolument pas tarder à l'aider.

Cependant, lorsqu'il tourna le coin de rue, il retrouva tout simplement les Londoniens autour d'une jeune adolescente qui rougissait légèrement, penaude. La logique semblait affirmer qu'elle était celle qui avait entraîné le groupe dans cet endroit, qui était encore épargné. Contrairement à la rue d'où ils venaient, qui désormais était proie aux flammes.
Baissant la tête, serrant le manche de son violon et son archet entre les mains, la musicienne tenta de s'excuser.

« Je suis désolée... Je ne voulais pas vous causer de problèmes, mais quand j'ai vu que vous étiez coincés, j'ai voulu vous mettre discrètement à l'abri... Je pensais que vous suivriez tout de suite... »

Elle n'avait pas l'accent de Dublin, ni l'accent de Londres par ailleurs. Elle parlait parfaitement anglais, mais son accent était indéfinissable.
Ses cheveux se collaient au mur sombre contre lequel elle se trouvait proche.

« Tu n'as pas à t'excuser puisque tu voulais juste nous aider, remarqua le professeur Layton avec un sourire tendre. C'est toi qui as également donné l'alerte la première, n'est-ce pas ? »

L'adolescente hocha la tête silencieusement. Un vent froid s'engouffra dans la ruelle, faisant frissonner Flora, qui se blottit contre son tuteur en grelottant légèrement. Un silence régna de nouveau sur le groupe, qui demeura immobile pour un temps. L'étrangère, finalement, tenta de le briser en murmurant, les joues empourprées par le froid comme par un semblant de timidité.

« Je m'appelle Sandra. Et vous ? »

Les Londoniens se présentèrent chaleureusement. Le professeur, finalement, reprit en soulevant une remarque plus ou moins évidente.

« Tu n'es pas d'ici, n'est-ce pas ?
- Non. Vous non plus, d'ailleurs. Vous êtes de... Londres, c'est ça ? »

Le quatuor acquiesça, légèrement étonné. La jeune Londonienne lui demanda par ailleurs comment elle le savait. La dénommée Sandra parut légèrement sursauter, puis baissa de nouveau le regard vers son instrument en rougissant. Un court silence plana, mais elle le brisa soudainement.

« C'est... votre accent... Très reconnaissable, votre accent... Chacun a son accent... Vous, vous avez l'accent de Londres... Plus compréhensible que l'accent de Dublin, je trouve. »

Elle ne paraissait pas réellement à son aise, et commençait à parler pour ne rien dire. Par crainte du silence, par peur de la menace qui s'était attaquée à la ville quelques minutes plus tôt... Peut-être dix, peut-être quinze ou vingt... Tout s'était passé très vite. Trop vite.

« Quoi qu'il en soit, reprit finalement le professeur, nous devrions rentrer nous mettre à l'abri. Veux-tu que nous te raccompagnions ? »

L'étrangère blêmit soudainement et resta stupéfaite, le regard plongeant dans le vide.

« L'hôtel... balbutia-t-elle, horrifiée. Ils l'ont attaqué... Il n'en reste plus rien... Toutes mes affaires sont restées là-bas... »

Visiblement, l'enfant se retrouvait par déduction sans foyer. Et, ses effets personnels étant restés dans les décombres de l'endroit où elle résidait, elle n'avait plus rien. Il devenait compréhensible de s'inquiéter ainsi, désormais.

« Dis-moi, Sandra, reprit Emmy au bout d'un temps. Où sont tes parents ?
- Pas ici. »

Le professeur Layton réfléchit. Une adolescente mineure, ne possédant rien, dans une situation particulièrement dangereuse. Il ne pouvait la laisser ainsi sans réagir.

« Si tu veux, Sandra, je m'occuperai de payer ton séjour dans l'hôtel que nous prenons. Nous nous arrangerons avec tes parents plus tard.
- Vous feriez cela ? » répliqua-t-elle aussitôt d'une petite voix, sans y croire.

Tout en rajustant son haut-de-forme, il lui adressa un petit clin d'œil amical et tendre.

« Bien sûr. C'est le devoir d'un gentleman, après tout. »

Note :
* : Le bohdràn est un instrument de percussions traditionnellement irlandais, constitué d'une sorte de tambour sans fond se tenant à la verticale et d'un maillet à deux bouts qui se tient généralement par le milieu, nommé
sticker.

Laisser un commentaire ?