La Fin Infinie

Chapitre 12 : Chapitre IX : Les alliés.

2706 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/12/2017 19:51

Sean inspira profondément en se rendant compte qu’il venait d’écrire six pages d’une traite. Il ne s’était pas arrêté une seule fois ne serait-ce que pour réfléchir !

Il le savait pourtant, l’enjeu était énorme. Il était bien plus sûr de prendre son temps et de ficeler son scénario comme il se doit. Mais, ayant écrit toute sa vie à l’instinct, il était juste incapable de faire autrement.

Et là, par exemple, il avait une idée en tête, mais ne savait toujours pas les détails de ce qui allait se passait. Il était en train de prendre un risque dont il était on ne peut plus conscient. Ce qu’il ignorait, c’était un autre risque qu’il prenait, et qu’il allait découvrir, le moment venu…

Il aperçut l’ombre d’une personne devant lui et se retourna pour retrouver Corvus, les bras croisé, le regard sceptique posé sur le cahier.

« Tu as commencé, à ce que je vois », remarqua-t-il alors qu’il se penchait pour ramasser l’objet, curieux de lire ce que Sean avait bien pu écrire.

Sean ne dit rien. Se levant, rabaissant encore plus sa capuche sur son visage, il se contenta d’attendre que son coalisé ait fini le chapitre.

« Quel est ton plan ? » Demanda Corvus. « Tu veux regrouper tout le monde à Londres, c’est clair, mais pour quelle raison ? »

« Ça ne te regarde pas », répondit le jeune écrivain.

« Tu gagnes du cran, on dirait », lança Corvus d’un air moqueur. « Je t’ai trop marché dessus ? »

« Rend-moi mon carnet. »

« Juste un conseil. Si tu veux avoir un minimum de prestance, change de ton, et surtout, parle plus fort. »

Il lui donna le cahier et rajouta d’un air un peu plus sinistre :

« Et n’oublie pas que ton destin repose entre mes mains. »

« Tout comme le tiens repose entre les miennes. »

Lâchant un soupir, le plus grand des deux tourna le dos, prêt à rebrousser chemin.

« Je ne sais pas quel genre de personnes tu es. De ce fait je ne sais pas à quel point je peux te faire confiance pour écrire, seul, toute une histoire. »

Sean ne chercha même pas à lui répéter qu’il avait déjà fait cela deux fois auparavant.

« Alors je garde un œil sur toi. C’est peut-être ton histoire, mais je ne te permettrai pas de faire une bêtise qui nous coûtera notre existence à tous les deux. »

Il avança quelques pas puis s’arrêta.

« Suis-moi, il faut vraiment tout te dire ? »

« Où ? »

« Chez moi, imbécile ! Que vont penser les gens s’ils te voient parler seul ? C’est ma réputation qui est en jeu ! »

Il était vrai que personne ne pouvait voir Corvus. Sean pensa qu’il devait garder se détail dans un coin de sa tête. Il pourrait être utile.

« Je suis bien ici », répondit-il. « Tu peux partir, toi. »

Avec un soupir, Corvus se retourna, et posa sur lui le regard le plus effrayant qu’il pouvait avoir.

« Écoute-moi très bien, petit, tu vas venir avec moi, et m’expliquer en détail ce que tu comptes faire. Compris ? »

Ne lui laissant même pas le temps de répondre, il l’agrippa par les épaules et le tira de force. Sean ne lutta pas, il savait que l’autre pouvait même le porter s’il le voulait. Mais il savait, Corvus avait beau être supérieur physiquement, lui, Sean, avait entre les mains tout le pouvoir de cette histoire. Et peu importe comment on voyait les choses, Corvus avait besoin de lui.

« Je n’ai rien prévu », dit-il l’air de rien alors qu’ils avaient déjà traversé la moitié de chemin. 

« Quoi ? »

« Je n’ai rien prévu. »

« Rien ? »

« J’ai quelques idées, mais je ne planifie jamais mes histoires. »

Le chef du clan se tapa une main contre le front. Hésitant entre une remarque désespérée et un reproche acerbe, il se contenta de le foudroyer du regard, et Sean, bien qu’il fît de son mieux pour garder une expression impossible, recula un peu.

« Pourquoi mon destin et celui de tout mon univers doit être remis entre tes mains ? »

Pourquoi dois-je travailler avec quelqu’un comme toi ? Pensa Sean.

« Je sais ce que je fais », répondit-il.

« C’est justement ça, le problème ! Tu ne sais pas ce que tu fais. »

Serrant les poings, Corvus essaya de contrôler sa respiration pour se calmer un peu. Pourquoi une telle malédiction était tombée sur lui du jour au lendemain ? Qu’est-ce qu’il avait fait pour mériter ça ?

Je suis foutu…

« Une tuerie. »

Il leva la tête, l’étonnement s’emparant soudain de son visage alors qu’il se demandait s’il avait bien entendu.

« Une tuerie », répéta Sean face au regard interrogatif de Corvus. « C’est ce que je prévois pour la suite. »

« Tu vas… tuer tes personnages ? » Demanda le jeune homme, encore déstabilisé.

« Ils vont se retrouver coincés dans un endroit, et se faire tuer l’un après l’autre jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une personne : le coupable. »

Corvus cligna des yeux.

« Et tu appelles ça un scénario ? »

« Il y aura sans doute des retournements de situation. Les personnages vont commencer à chercher l’assassin entre eux, seront porter à douter des personnes qui leurs sont les plus chères, sombreront dans le désespoir et la peur, seront traînés vers même la folie face à ce danger imminent qu’ils ne peuvent rien faire pour arrêter. Qui sait… peut-être qu’ils vont même commencer à se tuer entre eux, laissant le véritable coupable observer de loin… »

Corvus le regarda bouche bée alors qu’il parlait, un petit sourire machiavélique rejoignant le coin de ses lèvres. Son ton habituellement peu assuré s’était complètement dissipé, et son regard tremblant tremblait toujours, pas de peur, mais de plaisir. La personne qu’il avait devant lui à l’instant, ce n’était pas Sean !

« Tu es fou ? » La question lui échappa alors qu’il reculait lui-même cette fois-ci.

« Pas du tout. C’est juste une histoire. »

« Ce n’est pas juste une histoire ! Ces personnes dont tu parles existent autant que moi, et je n’aimerais pas me retrouver au milieu d’un tel massacre, sois-en sûr ! »

Son visage qui était devenu tout pâle l’espace d’un instant reprit ses couleurs alors qu’il était prêt à donner un coup de poing à cet imbécile de Sean !!

« Sauf que vous n’êtes tous que des personnages imaginaires », répliqua Sean.

« Je me sens réel, moi. »

« Si tu l’étais, tu ne dépendrais pas de moi pour revenir à ton existence normale. »

« Voyez-vous donc ça ? »

Corvus lui arracha son cahier et stylo.

« Sean Hayden, si tu oses tuer quelqu’un, je te fais disparaître aussitôt ! »

Sean le regarda, serrant les dents. Il se retint, se retint, se retint, puis hurla.

« Imbécile ! »

Il leva la tête vers Corvus. Il avait franchit le pas, autant continuer.

« Arrête de fourrer ton nez dans mon histoire. À cause de ta pseudo intelligence et justice et je-ne-sais-quoi tu vas bousiller tous mes plans ! » 

« Je croyais que tu n’en avais pas, des plans ? »

« Oui mais je sais ce que je fais, alors fous-moi-la-paix et contente-toi de faire la seule chose que tu fais bien, à savoir rien du tout ! »

Corvus leva la main et lui donna un coup de poing en plein visage qui manqua de le faire tomber.

« Le seul bon à rien ici, c’est toi. Tu n’es même pas capable de parler à quelqu’un sans trembler, et tu ne survivrais pas une demi-journée à Misthallery sans moi. »

Sean ne voulait pas s’engager dans une bataille où il allait être clairement désavantagé, mais Corvus s’approcha à nouveau de lui, le poussant cette fois-ci. Sean tomba par terre, son dos s’heurtant à un pot de fleur qui décorait la rue qui tomba à son tour et se cassa.

« Tu n’es qu’un enfant à qui on a donné un pouvoir démesuré, et de toute les personnes du monde, c’est moi qui dois te surveiller. Alors ne fais pas ton rebelle avec moi, tu n’en es pas capable ! »

Sean avait mal, et le pire, c’est qu’il savait que Corvus avait raison. Mais s’il laissait tomber ses plans, comment allait-il écrire son histoire ? Déjà que construire tout un scénario était déjà une tâche extrêmement ardue, mais si on plus il fallait modifier ses idées à chaque fois pour satisfaire un idiot qui n’a jamais rien écrit de sa vie et qui ose tout de même ouvrir la bouche, alors c’était carrément impossible ! 

Que faire ?

Corvus s’approchait à nouveau de lui. Si seulement il pouvait le contrôler lui aussi, les choses seraient beaucoup plus simples. Mais pouvait contrôler tout le monde sauf lui.

Tout le monde sauf lui…

« C’est ma réputation qui est en jeu. »

Le regard de Sean s’illumina. Il regarda brièvement autour de lui, et remarqua toute la terre qui s’était renversée du pot de fleur qu’il avait heurté en tombant. Corvus avait pris son cahier et son stylo, mais ceci allait faire l’affaire… Pourvu que ça marche…


Corvus fronça les sourcils en le voyant glisser le doigt sur la terre.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il ne répondit pas.

Corvus s’approcha de lui et l’agrippa par le col, le forçant à se lever. Lorsque leurs regardent se firent face, il fut surpris de ne pas voir de peur dans celui de l’écrivain.

« Qu’est-ce que tu manigances ? »

« Vas-y, frappe-moi encore, si c’est ce que tu veux. »

Corvus le poussa contre le mur et s’approcha de la terre pour découvrir que Sean avait écrit quelque chose dessus avec ses doigts.

« Alertée par le bruit qu’il y avait à l’extérieur, la maîtresse de maison alla ouvrir sa fenêtre pour voir ce qui se passait. »

Il n’avait jamais été précisé qu’il fallait écrire sur du papier, n’est-ce pas ?

Sean, se relevant du dernier coup admira avec délectation l’expression de Corvus.

« Je me demande que va-t-elle penser en voyant ce pot de fleur cassé… » Commença-t-il. « Et bien entendu, il est clair compte tenu de la disposition des lieux, que le responsable d’un tel bazar n’est autre que moi, c’est à dire Corvus… n’est-ce pas ? »

Il sourit.

« Mais ce qui serait mieux encore, ce serait le spectacle de ce jeune homme en train de se battre tout seul, n’est-ce pas ? Je me demande ce qu’elle va penser… et loin de moi l’idée de suivre les stéréotypes, mais une mère au foyer… je doute qu’elle garde ce genre de potin pour elle… Corvus, le chef du clan du corbeau noir, est devenu fou ! »


Corvus resta médusé pendant un instant, puis, agrippant la main couverte de Sean, s’éloigna en courant alors que la fenêtre qui donnait sur cette partie de la rue commençait à s’ouvrir.


« Quel genre démon es-tu ? » Demanda Corvus, énervé, alors qu’il continuait de courir en le traînant.

« J’espère que tu as au moins compris de quoi je suis capable. »

« La seule chose que j’ai comprise, c’est que tu n’a aucun scrupule. »

Sean sourit.

« Pas en écriture. »


Oui. Cette petite série d’événements avait révélé beaucoup à Corvus. Déjà, que Sean était loin d’être un imbécile, mais aussi, surtout, qu’il était prêt à tout. Et ce second point lui faisait le plus peur.

« Le combat est à armes égales », déclara l’écrivain en retirant sa main de l’emprise de Corvus qui ne cherchait plus à le retenir.

« Il ne devrait pas y avoir de combat. Nous sommes censés être alliés. »

«Alors respecte tes limites. »

« Je peux t’en dire autant. »


Ils continuèrent de marcher en silence. Ce défi était censé être un combat entre deux alliés contre ce « maître du jeu », mais les choses ne sont jamais aussi simples que prévues. Même les deux alliés n’étaient d’accord sur rien.

Corvus n’en revenait pas. Lorsqu’il s’agissait d’écriture, Sean devenait une toute autre personne. Une sorte de démon machiavélique prêt à massacrer tout le monde pour son scénario. Le pire, c’était qu’il n’était pas bête, et avait un certain sens de stratégie dans chacune de ses actions. Il était loin du petit adolescent fragile et sans personnalité qu’il pensait pouvoir contrôler à sa guise.

Allait-il vraiment tuer Luke et les autres ? Ne pouvait-il pas écrire une histoire sans tuer quelqu’un ?

Une tuerie… rien que le mot lui glaçait le sang. À côté de lui, il n’avait rien d’autre qu’un assassin.


Sean aussi était profondément boulversé. Il ne pouvait pas. C’était juste impossible pour lui d’écrire une histoire sans faire souffrir ses protagonistes. Mais voilà que son « allié » commençait à lui imposer ses règles, détruisant toutes ses idées d’un seul coup. Qu’allait-il faire ?

Allait-il oser le faire disparaître ? Ne pouvait-il pas juste observer sans se mêler ?

À côté de lui, il n’avait pas un allié, mais juste un handicap.


« Nous devons parler, et nous mettre d’accord une bonne fois pour toutes », déclara Corvus alors qu’ils s’approchaient de chez lui.

Mais alors qu’il s’apprêtait à ouvrir la porte, il vit une feuille de papier par terre, glissée à moitié sous celle-ci.

Il la ramassa, la balaya du regard puis leva un regard sans expression particulière à Sean.

« On dirait que le maître du jeu veut à nouveau nous parler. »

***************

Maria entra dans la chambre de Sean. L’endroit était, comme d’habitude, plongé dans la pénombre. L’écran de son ordinateur était encore allumé, et en s’y approchant, elle vit une série de lettres qui ne voulaient rien dire. C’était la dernière chose qu’il avait écrite.

À côté, sur le bureau complètement désordonné, et entre quelques papiers, elle trouva l’objet qu’elle était venue chercher. Elle ramassa sa DS jetée au sommet d’une pile de livres, et quitta la pièce en fermant la porte derrière elle.

Lorsqsu’elle ouvrit la console et la trouva allumée sur un jeu Professeur Layton, une larme glissa le long de sa joue, et elle l’éteignit.

« Je suis désolée. » 

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