Aesragen

Les fantômes des ténèbres

La nuit tombait doucement sur la silhouette imposante de la forteresse, seule construction humaine dans un paysage désolé où nul n’aurait pu dire que quiconque puisse y vivre. Et bien que les Radikors eussent dit au jeune garçon de ne pas les attendre pour le dîner, des retards les empêchant sûrement de revenir à temps, Marc ne pouvait s’empêcher d’aller d’une fenêtre à une autre, nerveux, guettant dans le ciel plombé strié d’ivoire et d’outremer l’apparition de trois petits points à l’horizon, indiquant que le trio extraterrestre revenait enfin de leur escapade. Se forçant à arrêter de ronger ses ongles, le petit châtain descendit de son perchoir branlant – un meuble certes massif, mais trop asymétrique pour supporter bien longtemps son poids.

Frottant vigoureusement ses mains glacées l’un contre l’autre, dans l’espoir de les réchauffer un peu, il promena son regard tout autour de lui, dans l’espoir de trouver une tâche quelconque pour s’occuper l’esprit. Le repas était prêt depuis une bonne demi-heure, et bien refroidi, mais il n’avait pas particulièrement faim. À dire vrai, il s’inquiétait du niveau drastiquement bas de leurs provisions, commençant à écrire une liste de course, avant de se rappeler que les Radikors ne prendraient sûrement pas compte de ses suggestions. Le ménage des quelques pièces qu’il connaissait suffisamment pour ne pas se perdre était fini également, y compris pour le lavage des sols, et Marc en profita pour ranger l’intégralité de sa « chambre » – ce qui, au vu de ses possessions terriennes, ne lui prit que quelques minutes. S’il osa s’occuper de celle de Tekris, et, plus timidement, de Zair, il évitait de seulement regarder la porte délimitant l’entrée dans le territoire de Zane.

Prendre une douche ? Déjà fait, attendre que l’eau chauffe dans la bassine fut terriblement long, tandis qu’il relisait pour la énième fois son guide sur les temples d’Angkor.

Vérifier l’état de ses contusions, maintenant que les Radikors s’étaient éloignés ? Il le fit par trois fois, content de constater que les bleus sur ses côtes, bien qu’encore douloureux, réduisaient considérablement de taille. Le repos octroyé par la forteresse étant, d’ailleurs, le bienvenu pour ses talons douloureux à force d’être irrité, et ses pieds ayant saignés par endroits lors de son cheminement dans la jungle cambodgienne. Encore deux ou trois jours, et Tekris aurait dû le porter tant Marc eut l’impression qu’ils étaient en feu. Du coup, comme il se retrouvait seul et sans bienséance à respecter, l’ex-collégien en profitait pour marcher allègrement pieds nus, bien que le sol glacé de la forteresse manquât de le frigorifier sur place.

Nettoyer ses vêtements ? Ça aussi, et il en avait profité pour s’occuper de ceux de Tekris restés dans le sac à dos de l’adolescent, faute de temps pour les laver. Les vêpres des deux garçons séchaient encore sur une corde tendue entre deux extrémités de la pièce que Marc utilisait comme buanderie, le petit utilisant l’un des draps ramenés par Zane et Zair pour se confectionner maladroitement une sorte de toge à la romaine. Une autre couverture venant lui servir de châle, pour protéger ses bras déjà recouverts par la chair de poule.

La vaisselle ? Finie, couverts rangés, doigts de mémé tous fripés.

Il en était même venu à déblayer les rebords de fenêtre de la neige qui les encombraient, claquant des dents quand les courants d’air glacés s’engouffraient sous sa tunique, le faisant rougir de gêne quand elle se relevait plus que de nécessaire.

Hélas, à présent qu’il effectua tous les travaux d’intérieur avec une vigueur un peu trop prononcée, rien ne pouvait plus occuper son esprit à autre chose que l’atmosphère inquiétante du bâtiment, qui le poussait à toujours regarder par-dessus son épaule à chaque croisement. Et bien évidemment, chaque fois qu’il tentait de se distraire de cette impression, ses pensées le ramenaient au désagréable échange qu’il eut avec Zair, juste avant le départ des Radikors. Et chaque fois, il en revenait à la même conclusion.

Il ne savait absolument pas quoi faire.

Essentiellement parce qu’il n’arrivait pas à se faire une idée précise de ce que pouvaient être les dangers « pires que Koz » dont l’adolescente lui avait parlé. Peut-être que ce Lokar en était à l’origine ? Mais de là à comprendre pourquoi, il lui manquait bien trop d’éléments. Impossible de demander plus de précisions au trio, de toute façon il doutait mêle d’obtenir une réponse. À moins que Tekris n’accepte de lui donner quelques pistes ? Bah, pour quoi faire, si l’équipe finissait par le renvoyer chez lui…

Trépignant à cause de l’inaction, Marc chassa avec force ces pensées de sa tête. Aussitôt, il se retrouva nez-à-nez avec l’aura, qu’il considérait comme mauvaise de la forteresse, un frisson n’ayant rien à voir avec le froid le faisant trembler tout du long de son corps. Remettant son corps en marche, il regarda une nouvelle fois par-dessus son épaule, marmonnant dans sa barbe inexistante des réflexions peu amènes sur sa couardise. Que dirait Tekris s’il le voyait à ce moment précis, emmitouflé dans une couverture trop grande pour être transportée, accélérant le pas à cause d’images fantasmagoriques uniquement issues de son imagination ? Assurément, il baisserait dans son estime à lui aussi…

Trottinant en remontant le long des couloirs terriblement rectangulaires, sans la moindre source de lumière autre que ce léger chatoiement orangé dont Marc ne parvenait à deviner l’origine, le garçon inspira profondément, afin de maîtriser les battements affolés de son coeur. Dieu du ciel, ce qu’il pouvait détester ces espèces de boîte imbriquées les unes sur les autres ! Il éprouvait chaque fois l’impression qu’au détour d’un croisement, l’un des murs métalliques viendrait se refermer sans crier gare, le son de la matière frappant la matière résonnant comme un gong pour signaler la condamnation à l’errance de son prisonnier.

Il arriva à un embranchement, deux possibilités s’offrant à lui. Sans hésiter, il emprunta celle de droite, se remémorant tout ce qui lui était arrivé depuis son entrée dans la vie des Radikors. Il avait choisi de quitter tout ce que sa vie lui offrait jusque là, aussi maigre cela puisse-t-il être, son existence au sein de laquelle il se laissait traiter presque comme un esclave par Victoire et ses deux sbires, sans connaître quiconque qui pourrait l’aider. Enfin, il ne pouvait tout de même pas impliquer sa sœur dans ses problèmes personnels, et compter sur sa mère ou le CPE ne servait à rien, il en eut plus d’une fois la preuve.Et puis, s’il tentait d’avertir qui que ce soit, Victoire finissait toujours par le savoir, et le lui faire payer. Les choses étaient-elles vraiment différentes auprès des Radikors ? À présent qu’il fréquentait l’équipe de combattants depuis presque deux mois, Marc n’avait toujours aucune certitude quant à savoir s’il prit la bonne décision ou non. Mais ainsi éloigné de sa sœur, sa petite Emma, il ne risquait plus de lui attirer des ennuis, et les Radikors ne cherchaient pas à se servir de lui, à l’instar de Victoria. Plus encore, ils n’essayaient pas de l’exploiter, lui ou ses connaissances, puisque ces dernières se réduisaient à ce qu’ils lui avaient appris.

Manquant de peu de percuter un mur, qui selon ses calculs ne pouvait pas se trouver là, Marc releva la tête, esquivant l’obstacle de justesse. Surpris de constater que la pénombre envahissait le couloir dans lequel il se trouvait, plus assombri encore qu’auparavant, il dut se rendre à l’évidence : la nuit était tombée, et, perdu dans ses pensées, il avait marché bien plus longtemps qu’il ne le croyait. Pourtant, il ne trouvait toujours pas la porte de sa chambre, ou même celle d’une des pièces qu’il connaissait de la forteresse. Peut-être aurait-il fallut tourner à droite, en fait…

Bon, il ne voulait certainement pas déambuler toute la nuit dans la forteresse, marchant au gré des courants, pour finalement se rouler en boule dans un coin et attendre le retour des Radikors. Zane serait parfaitement capable de lui reprocher s’être éloigné plus que nécessaire. « Quand on ne sait pas, tu ne fais pas », déclarerait-il, mortellement sérieux, lui dédiant un de ses éternels regards assassins. Respirant profondément, à la fois pour s’empêcher de paniquer et pour stopper son imagination dessinant déjà des monstres assoiffés de sang dans tous les recoins de l’imposante demeure, il tenta de réfléchir calmement. Quels signes distinctifs pouvaient bien l’aider à retrouver le chemin de sa chambre ? Une fois de retour sous sa couette, il allait s’arranger pour dénicher papier et crayon, et se créer son propre plan des lieux !

Alors qu’il s’engageait dans un énième couloir interminable au premier abord (la couleur, un peu plus rouille que ocre, lui rappelait vaguement quelque chose), une étrange sensation s’empara soudainement de lui, l’arrêtant au beau milieu d’une plaque aux traits de métal perpendiculaires les uns aux autres (ceux-là, par contre, ne lui évoquaient rien de particulier). Quelque chose d’inquiétant… anormal, presque analogue à l’impression qu’il éprouvait quand Zane utilisait certaines de ses attaques telles que « épée de l’ombre ».

Le plus surprenant étant qu’il parvenait à localiser assez précisément l’emplacement de la … chose, il ne savait comment l’appeler autrement, qu’il ressentait. Au sein même de la forteresse, éloigné sans trop l’être en même temps. Fronçant les sourcils, Marc se retourna, puisque cela venait de derrière lui, attendant quelques secondes de plus, tandis que le sang pulsait à ses oreilles. Encore une attaques des spectres de Lokar ?! Non, Zane avait déclaré que le piège ne fonctionnait plus pour le moment. Sauf s’il l’avait replacé histoire de coincer l’insupportable gamin qu’il détestait visiblement. Oui, mais dans ce cas, pourquoi avoir verrouillées certaines des portes de la forteresse pour l’empêcher de fouiner son nez là où il ne fallait pas ?

Constatant que le sensation ne se déplaçait pas, ni ne disparaissait, Marc hésita franchement. L’envie de jeter un petit coup d’oeil le titillait furieusement, mais le risque de se trouver nez à nez avec Koz, ou même les Stax, existait, s’il ne prenait pas tout simplement la tête du classement de ses priorités. Dans ce cas de figure, l’ex-collégien ne donnait pas cher de sa peau ; si l’un ou l’autre le laissait s’échapper, Zane se ferait une descente de lit avec la peau de son dos en apprenant son imprudence.

D’un autre côté, il se sentait tellement perdu, que si jamais cela lui permettait de revenir dans les locaux lui étant familiers, au lieu de passer son temps avec les ombres maléfiques de l’endroit…

Un grincement lointain, probablement dû à la température glaciale agressant le métal, le fit violemment sursauter, mains plaquées sur la bouche pour ne pas hurler de terreur. Oblitérant toute réserve, il détala plus vite qu’un lapin, se guidant grâce à la sensation pulsant toujours, comme un fil le reliant à il ne savait quoi.

Ne plus errer tristement dans les couloirs fut en partie libérateur pour le garçon, bien qu’il ne cessa de courir que plusieurs minutes plus tard, haletant, maudissant sa couardise. Heureusement que Tekris ne l’avait pas vu fuir à tombeau ouvert, à cause d’un bête bruit de fond… Après ce qui lui sembla une éternité, il commença à reconnaître par hasard le tracé des lignes gravées à l’intérieur du mur, déduisant qu’il ne devait plus se trouver très loin de ses appartements. Toutes les portes se ressemblaient dans la forteresse selon lui, à l’exception d’un gigantesque battant barrant l’accès à une salle centrale tout aussi grande, puisqu’elle couvrait presque tout le diamètre de la forteresse. Se fiant une nouvelle fois à son ressenti, il suivit fidèlement la « chose » en question, tâtonnant avant de trouver, enfin, la porte derrière laquelle cette dernière se situait vraisemblablement.

Il se figea sur le seuil, seules ses jambes paralysées stoppant son envie de fuite soudaine. Les meubles ramenés de plusieurs autres pièces de la forteresse bien qu’ils furent pour la plupart inutiles, le sol impeccablement nettoyé, les affaires personnelles toutes rangées dans un ordre et une précision confiant au manique bien que le propriétaire des lieux niasse tout lien, le lit tiré à quatre épingles…

La chambre de Zane, silencieuse, terriblement intimidante. Le Sanctuaire interdit dans lequel il avait interdiction de pénétrer.

Marc observa nerveusement les couloirs alentours, affolé. Si l’irascible extraterrestre le surprenait ici et maintenant, les ennuis pleuvraient à coup sûr, s’il conservait assez de raison pour regretter son geste !

Pourtant, son espèce de sixième sens était on-ne-peut plus clair : ce qui l’attira se situait ici, dans cette pièce. Mais était-ce une excuse valable pour ne pas fuir de nouveau (et cette fois, il possédait toutes les raisons du monde pour ne pas s’attarder !), et s’amuser à jouer les fouineurs ? Une autre pensée effleura son esprit, qu’il regretta presque immédiatement.

Et si, au contraire, il s’agissait d’un piège destiné à occire Zane dès qu’il fouillerait ses affaires ? Aussi désagréable le chef des Radikors puisse-t-il se montrer, Marc n’avait aucune envie de le laisser s’enfoncer la tête la première dans une machination potentiellement fatale ?

Il resta plusieurs minutes encore sur le seuil, pesant le pour et le contre dans sa tête, triturant inlassablement ses doigts engourdis dans l’espoir de ramener ses sensations dans la manœuvre.

Finalement, il céda. Regarder brièvement si aucun danger ne menaçait Zane, sans rien déranger, ce n’était pas méprisable quand même ? À condition de ne pas traîner ; jamais celui-ci n’accepterait de croire que le collégien, qu’il soupçonnait de Marc ne devinait pas quoi, cherchait juste à lui éviter les ennuis.

S’avançant vers une commode de fonte aussi sombre que la nuit la plus noire, il ouvrit le premier tiroir lentement, retenant sa respiration. Aucun grincement ne rebondit sur les murs métallisés, laissant la chape épaisse du silence accélérer les battements de son coeur. Rien ne se trouvait à l’intérieur, aussi passa-t-il au second, contenant les quelques possession vestimentaires de l’adolescent. Un tiroir plus bas, et le nécessaire de toilette aux contours usés le nargua, comme pour lui prouver l’inutilité de sa démarche.

Repartant les mains vides, Marc tenta de voir si quelque chose était caché sous le matelas, sans oser le déranger d’un poil de cacahuètes. Pour moins que ça, sa présence pourrait être découverte, alors autant ne pas tenter le diable. Ah, quel beau protecteur faisait-il, lui qui n’arrivait même pas à soulever le lit de peur de laisser des traces !

Ses recherches ne donnant rien, Marc jetait des regards envieux de plus en plus fréquents au battant coulissant menant à la sortie. Se ressaisissant chaque fois, rappelant à sa mémoire qu’il devait s’assurer que rien ne viendrait piéger Zane, ou quiconque d’autre. En désespoir de cause, il s’assit en tailleur au milieu de la chambre impeccablement rangé, fermant brièvement les yeux pour se concentrer. La sensation était toujours là, faible mais présente, moqueuse. Se relevant, il rouvrit les paupières, marchant… jusqu’au mur.

Incertain, il palpa sa surface, des frissons remontant le long de sa colonne vertébrale.

Ses doigts rencontrèrent une petite discontinuité, ripant la pulpe sensible de son index. Excité en dépit du danger, il tâtonna encore un instant, avant de pouvoir délimiter les contours d’un panneau incrusté dans le métal, qu’il fit coulisser tout aussi silencieusement que les tiroirs de la commode. La sensation s’intensifia encore, et il sut qu’il venait de trouver ce qu’il cherchait.

Le sac à dos de Zane trônait dans la cachette, ouvert puisque inutile de prendre plus de précautions (enfin, quand de petites mains ne venaient pas tout gâcher, songea Marc, trop intrigué pour penser vraiment à sa peur). Soulevant doucement le rabat, le collégien vit la couverture rêche et abîmée d’un livre, sans titre sur la première de couverture. Prenant mille précautions, il l’extirpa de l’amas de tissu, chassa une ultime réticence, avant de l’ouvrir en se retenant de souffler pour chasser une éventuelle poussière.

Les lettres « Code d’honneur kaïru » s’étalaient sur la page de garde, en idiome classique sur la première moitié du livre, puis dans une langue totalement inconnue du comédiens durant la seconde, aux mots tracés à l’encre orange attachés les uns aux autres. Ils étaient tordus, comme s’ils ne suivaient pas de ligne, composés de traits et de circonvolutions surprenantes qui lui donnèrent le tournis.

Revenant à la page de garde, il feuilleta l’ouvrage, oubliant sous le coup de sa curiosité les raisons premières de sa présence en ces lieux. Une phrase servait d’introduction, « un combattant ne doit jamais se couvrir de honte », signé d’un certain Maître Baoddaï. Incapable de se souvenir où il avait entendu ce nom, Marc tourna une seconde page.

Une vieille photographie s’échappa des pages aux coins éclaircis à force d’être lus et relus. Un regain de panique remonta en lui ; il s’empressa de reposer le livre pour la ramasser, tentant de se rappeler précisément sa cachette avant qu’il ne vienne mettre ses gros doigts.

Écarquillant ses yeux noisettes, l’ex-collégien crut d’abord avoir mal vu. Sur la photographie se tenaient quatre personnes, posant devant un arbre gigantesque, un bonsaï si les maigres connaissances botaniques de Marc ne le trompaient pas. S’il passa presque immédiatement sur le seul adulte de la photo, un homme portant à la ceinture le même symbole que sur celle des Stax, il reconnut sans doute possible les enfants se tenant côte à côte, âgés d’une douzaine d’années. Le visage presque identique, Zane fixait moqueusement un Ky aux bras croisés, foudroyant du regard son acolyte, l’air vexé. Tout à droite, Maya les observait avec amusement, une tendresse certaine brillant dans son regard. Aucun ne semblait avoir envie de démolir l’autre à coup d’attaque kaïru, et si l’homme semblait désapprouver quelconque acte inconnu, son expression sévère n’était guère le reflet d’une tension à la vue d’un ennemi sur son territoire.

Un grondement métallique choisit pile ce moment pour faire sursauter le garçon, les informations se mélangeant sous son crâne. Certain de connaître ce bruit, il mit cependant de précieuses secondes avant de l’identifier. La porte d’entrée ! Les Radikors, sans aucun doute s’il se fiait à sa chance habituelle, venaient de rentrer !

Rangeant précipitamment la photographie, tout en prenant garde à la remettre à sa place, Marc plaça l’ensemble là où il se tenait précédemment, guettant les bruits de pas dans le couloir qui l’informeraient de la venue de l’irascible extraterrestre.

Jetant plus qu’il ne plaça le sac à dos, il ne prit pas garde à la petite plaque ovale, s’apercevant de sa présence que quand elle tomba bruyamment sur le sol, dans un claquement sec qui faillit le faire crier une fois de plus. Notant distraitement qu’elle était la source de l’étrange sensation qui le tenaillait depuis tout à l’heure, il l’empoigna fébrilement…

… jaillissant de l’objet, une lumière d’un violet, zébré de bleu foncé par endroits, illumina brièvement la pièce. Marc ferma ses paupières, éblouit. L’explosion photonique ne dura pas, s’organisant rapidement en traits certes floutés, mais suffisamment précis pour former l’hologramme d’un lieu, totalement inconnu du garçon.

Cela ressemblait à un entrepôt de pierre, assez large pour abriter une bonne moitié de la maison du garçon. Enfin, de son ancienne maison. Dans le fond, il distinguait quelques fenêtres, condamnées de l’extérieur et munies d’énormes cadenas. Un sifflement vrombissait en fond sonore, sans qu’il ne puisse en déterminer l’origine. Et jonchant le sol, des membres, bras, jambes, une tête à un moment, s’étendaient aussi loin que portait le regard. D’abord horrifié, Marc soupira de soulagement en s’apercevant qu’il ne s’agissait que de pièces mécaniques, toutes imprégnées de la chose, l’énergie aurait-il dit, l’ayant conduite jusqu’à la chambre de Zane. L’aura de mal se révéla tellement présente, presque insupportable, qu’il se sentit sur le point de suffoquer tant cela lui prit la gorge.

Il n’eut pas le temps d’en voir plus.

– NON ! hurla une voix furieuse, mauvaise, instantanément reconnaissable.

Zane.

L’adolescent le bouscula violemment, ignorant le garçon qui alla s’écraser au sol. L’image disparut au moment même où l’extraterrestre saisit la petite plaque, plongeant de nouveau la pièce démesurée dans une pénombre angoissante.

Quoiqu’elle fut bienvenue pour le jeune garçon, car les traits du chef des Radikors restaient en grande majorité plongés dans les ténèbres. Le flamboiement de ses pupilles suffisait à le fixer sur place.

– Par l’enfer, qu’est-ce que tu fous ici !? hurla l’adolescent.

En deux enjambées, il eut rejoint le garçon. Serrant ses bras fins dans ses poignes de fer, il le secoua brutalement comme un prunier, martelant chaque phrase en mesure.

– Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « interdit d’entrer » ?! Faut-il donc que je t’attache en haut de la forteresse dans le froid et la neige pour que tu daignes comprendre trois pauvres phrases ? Es-tu complètement sénile avant l’âge, ou me prends-tu pour un idiot fini ?! Je devrais te lancer par la fenêtre sur-le-champ, peut-être alors apprendrais-tu le respect de tes aînés !

– Lâche-le, intervint Tekris, attiré par les cris et suivi de près par Zair. Tu ne vois pas que tu lui fais mal ?

Loin de calmer le chef des Radikors, cette intervention sembla au contraire renforcer sa colère.

– Oh non, pas avant qu’il ne m’expliques ce qu’il fichait dans MA chambre, à fouiller dans MES affaires, alors que ça ne le concernait pas, siffla-t-il, cessant de secouer Marc pour le placer face à lui. Alors ? J’attends !

Bouche bée, l’intéressé ne put qu’articuler des syllabes inaudibles.

– Vous voyez, il n’a aucune explication ! grogna Zane.

Lâchant enfin Marc, il le repoussa sans douceur, ce dernier atterrissant directement les fesses sur les plaques métalliques formant le sol.

– Mais ça va pas ? Laisse-lui au moins le temps de parler, rétorqua Tekris, allant jusqu’au garçon pour le relever.

– De toute façon, on peut se demander si vos jugements ne sont pas altérés, déclara sèchement Zane.

– Qu’est-ce que ça signifie?

– Cela signifie que depuis que ce gosse est là, vous êtes complètement embrouillés ! Des règles que nous avions établies, ensemble, passent à la trappe comme par magie, et vos comportements ont changés du tout au tout ! En particulier toi, Tekris ! Il suffit qu’il se mette à pleurnicher, pour que tu accoures aussitôt, limite tu te mets à le bercer pour qu’il fasse de beaux rêves !

– Non mais tu délires complètement là ! Rassurez-moi, je suis en train de rêver ? Tu te rappelles avoir donné ton accord pour qu’il reste avec nous, au moins ? s’exclama Tekris.

– Et regarde comment il nous remercie ! Bon sang, il est de mèche avec Koz, ça saute aux yeux !

– C’est pas vrai ! protesta l’intéressé, retrouvant enfin l’usage de la parole.

– Toi, siffla Zane, se retournant vers le duo.

Bien évidemment, ce ne fut pas le colosse, pourtant en train de tenter de rassurer le gamin collé à lui, qui se retrouva sous les feux de son ire. Contre sa jambe, Tekris sentit le gosse se raidir, s’éloignant très légèrement de lui.

– Tout ça c’est de ta faute ! continua le vert, la voix tremblant de colère, et d’un autre sentiment que Marc ne parvint à identifier. Si tu n’étais pas venu dans nos vies, nous serions en train de vivre comme il nous l’entend, et pas de t’attacher un fil à une patte en espérant ne pas te retrouver en train de tout gâcher ! Jamais je n’aurais dû accepter de te garder avec nous, et encore moins te donner une chance ! Donne-moi une bonne raison de changer d’avis, maintenant, ou je te jette dehors, fissa !

– Zane, ça suffit maintenant ! coupa Tekris.

– J’ai rien fait, gémit l’ex-collégien, j’ai senti quelque chose, et j’ai cru qu’il y avait un piège, alors…

– Assez ! Assez de mensonges ! Tu veux vraiment te retrouver en pleine toundra ?!

Acculé, Marc serra les dents, désespéré de sentit les larmes couler le long de ses joues sans qu’il ne puisse les retenir. Son cerveau refusant, une fois de plus, de lui donner une solution, il sortit la première phrase qui lui vint à l’esprit. Rempli de peine, de regret, et d’une colère nouvelle.

– Et bah vas-y, fais-le !

– Ne me provoque pas, siffla le vert, sa voix s’éraillant dangereusement.

– Je t’emmerde ! Toi, le kaïru, toutes ces conneries, la vie ! hurla à son tour Marc. Qu’est-ce que tu crois, que j’ai peur de la mort ? Bah figure-toi que je la vois comme une délivrance !

Sans un mot de plus, le gosse échappa à sa prise, bousculant au passage un Zane trop surpris pour le rattraper, s’enfonçant l’obscurité du crépuscule trop rapidement pour être rattrapé.

Pendant un long moment, aucun des trois Radikors, trop surpris pour réagir, ne pipa mot.

Enfin, la voix rauque de Zair trancha le silence malaisant s’étant installé.

– Vas-y Tekris.

– Je ne suis pas… commença Zane, avant de refermer tout aussi sec la bouche.

D’un geste agacé, Tekris le coupa. Pressé de retrouver le gosse, il n’avait aucune envie d’entendre l’un des reproches habituels si caractéristique de Zane, et, plus égoïstement, de lui laisser l’occasion de reprendre en main son coéquipier, par un regard autoritaire, ou autre tactique qui laisserait ce dernier tout juste bon à baisser le nez en priant pour que l’orage ne dure pas trop.

Pour l’une des premières fois de sa vie, son vis-à-vis se tut, vaguement gêné. Même lui, songea Tekris, comprenait avoir commis une gaffe, bien qu’il ne semblait pas non plus en éprouver le moindre remords.

– Pas cette fois, il faut le retrouver ou il va se perdre ! Et si le coeur t’en dis, tu pourras toujours aider à retrouver le gosse, fit sèchement le colosse, se mettant en route sans attendre de réponse de son vis-à-vis.

Outré, et abasourdi de voir Tekris filer sans attendre le moindre signe de son chef d’équipe, Zane se promit intérieurement de ne certainement pas aller lui tenir la main. Après tout, il se fichait bien des états d’âmes d’un humain rencontré moins de deux mois auparavant. N’est-ce pas ?

Oui, mais si Tekris décidait de partir avec le gosse ?! Peu probable, mais si…

– Zair, reste là au cas où Lokar décide de nous contacter suite à cet… incident, lâcha-t-il, avant de s’enfoncer à son tour dans le couloir obscur.

µµµ

Zane ne s’inquiétait pas pour la sécurité des deux échappés, pas du tout. Au contraire, si Tekris pouvait se charger personnellement de ramener le gamin à la raison, sans qu’il n’ait à faire quoi que ce soit d’aussi stupide que de « s’excuser » - franchement, il n’y avait que Tekris pour lui proposer pareille idée ! –, il ne ferait pas plus d’efforts que nécessaire pour ramener l’ambiance à un niveau, comment dire, un peu plus acceptable. Simplement, il s’agissait d’un intérêt et d’une curiosité toute légitime ; après tout, c’était son rôle de chef d’équipe, de s’assurer que son coéquipier ne fasse pas tout de travers. C’était parfaitement logique et légitime de vouloir savoir si le colosse parvenait à calmer le gosse, et ce sans en dévoiler plus que nécessaire. Vu comment les iris noisettes avaient ensorcelé Tekris, il se sentait même obligé de surveiller très attentivement les éventuelles paroles que pouvaient bien prononcer ce dernier.

De plus, si jamais le gamin se mettait à péter un câble chaque fois qu’il lui adressait un reproche légitime, cela pouvait nuire grandement à l’équipe. Déjà, Zane ne s’était guère calmé, l’énervement continuant de lui bouillir les veines. Bon sang, s’il n’y avait pas Tekris, songea-t-il avec une pointe d’amertume, il n’était pas certain qu’il tente de faire le moindre effort. La discorde pourrait très bien leur être fatale lorsqu’ils rencontreraient une situation d’urgence, menant à un enchaînement de conséquences désastreux. Et ils étaient bien trop près du but, pour que Zane accepte la moindre fissure dans le plan rôdé conçu par Lokar. Soi-dit en passant, celui qui lui offrirait sa vengeance tant attendue contre le monastère. Ça, jamais l’adolescent presque adulte n’accepterait de se la voir voler une fois encore juste parce qu’il n’a pas su juguler les états d’âme d’un gamin à peine pubère en manque de… de… eh bien, il ne savait pas quoi, mais de quelque chose !

Puisque visiblement la manière forte ne servait à rien, excepté monter Tekris contre lui, il allait être obligé de trouver un autre moyen afin de régler une bonne fois pour toutes le problème du talsi, enfin, du gamin.

Par les enfers, gérer un môme se révélait plus désastreux encore que ce à quoi il s’attendait !

Le talsi n’étant guère familier des lieux de la forteresse, il ne fut pas difficile pour Zane de le retrouver, une fois tous les endroits qu’il savait connu de lui passés au peigne fin. Accompagné de Tekris, l’objet de ses désespérances un peu trop régulières à son goût s’était assis dans un couloir, à quelques mètres d’une ouverture menant à une autre pièce. Freinant prudemment, il recula jusqu’au croisement précédent, heureusement juste derrière lui, s’arrangeant pour se retrouver hors de vue. Pas une seule fois l’idée qu’écouter les conversations des autre était des plus impoli n’effleura son esprit, entièrement concentré à essayer de comprendre les paroles échangées entre les deux protagonistes. On en apprenait beaucoup à laisser traîner ses oreilles, notamment des informations…personnelles, bien utiles à garder pour soi jusqu’à ce que l’occasion de les utiliser se présente.

– J’comprends pas, hoquetait le talsi tout en s’essuyant les yeux avec un mouchoir (une opération parfaitement inutile, vu que ceux-ci se mouillaient de nouveau à peine le carré de papier passé). Il me déteste, mais je n’ai rien fait pour le mettre en colère. Au contraire, j’essaie de ne pas le contrarier, mais à chaque fois c’est pareil, et puis je ne sais pas comment faire ! Je…

Il dut s’interrompre pour renifler bruyamment, tentant de contrôler les sanglots nouant sa gorge comme un étau. Visiblement gêné, Tekris toussota légèrement, passant son bras autour des épaules du petit.

– Hum, là je dois t’avouer que je ne suis pas très doué pour réconforter. En fait, je ne sais pas trop quoi dire.

– C’est pas grave, bredouilla de nouveau l’autre. J’aimerais bien juste être utile, un peu, mais je sais bien que je suis juste un boulet en fait, comme toujours. Vous, vous êtes fort, vous méritez le nom de combattant, et Zane est même le meilleur de vous trois – oh, pardon, je voulais pas…

– T’inquiètes pas, Zair et moi, on sait bien qu’on n’est pas aussi fort que lui. Enfin, Zair atteindra probablement son niveau un jour.

L’espion des croisements redressa inconsciemment le buste. Alors comme ça, ce gamin avait vu qu’il était le plus puissant des Radikors ? Peut-être pouvaient-ils encore tirer quelque chose de lui alors ? Rah, non, voilà qu’il se mettait à divaguer ! Concentre-toi, s’invectiva-t-il mentalement.

Tekris aussi, s’il comprenait bien…

Il retint de justesse un grognement manquant de franchir la barrière de ses lèvres, pestant contre ses pensées vagabondes. Bien sûr que Tekris le savait, il s’agissait de son coéquipier après tout ! Oui, et seulement cela, un coéquipier sous ses ordres, qui l’aiderait à acquérir encore plus de pouvoir…

– Bah, tu n’es pas si nul quand même. Tu nous as un peu aidés, à certains moments.

Zane fit la moue. À ce sujet, il possédait une opinion très tranchée. Et qu’est-ce que c’était que ce Tekris si… gentil ?! Presque un gros nounours, tiens. Pour récolter du kaïru, il fallait de vrais guerriers !

– Je ne sais pas me battre, renifla le petit. Et je ne peux pas vous aider avec le kaïru (il roulait ce mot sur la langue, comme s’il essayait encore d’en saisir toutes les sonorités), puisque je ne connais rien là-dessus. Et je vous ai apporté tout plein d’ennuis depuis que je suis ici. Et si encore je pouvais faire autre chose à côté, mais rien. Je ne suis même pas aussi intelligent que n’importe qui dans votre groupe !

– T’exagères, regarde, tu as réussi à sortir des pattes de Koz, et à répondre à Zane en gardant la vie sauve. Mieux, tu as réussi à lui clouer le bec.

Cette fois, le grognement fut à deux doigts de sortir. Le gosse l’avait eu par surprise, c’était tout !

– J’en ai pas fait exprès, et puis maintenant il va me haïr encore plus. Je ne sais pas ce qu’il veut de moi, et je n’ai rien appris avant qui pourrait être utile.

Tekris marqua une petite pause, lourde de sens, alors que son interlocuteur se murait dans un mutisme mélancolique. Pour sa part, Zane ne comprenait pas non plus où ce fichu talsi voulait en venir. Il n’y avait rien à comprendre : il n’avait rien à faire dans leurs pattes, en particulier en ce moment, alors le chef des Radikors ne se sentait aucune obligation de se montrer particulièrement courtois. D’accord, plus le choix, il en savait trop pour être relâché dans la nature, quoi qu’en dise Zair, mais ce n’était pas compliqué à saisir.

– Écoute, si je te dis quelque chose, tu me promets de ne le répéter à personne.

Quoi ? Oh non, par les Enfers, il nageait en plein cauchemar ! Tekris n’allait pas lui confier l’un des secrets de son équipe ! Hésitant à manifester sur-le-champ sa présence, histoire de stopper cette mascarade, la curiosité de Zane le poussa à attendre encore un peu. Si jamais le colosse révélait des informations compromettantes au gamin, il interviendrait avant que les dégâts ne soient irréversibles.

– Pourquoi tu voudrais me confier un secret ? Ou, non, pourquoi tu me fais confiance ? Zane et Zair, eux, ne me confierait pas le code du coffre contenant l’antidote dont il ont besoin.

– C’est une étrange comparaison, dis-moi, remarqua le colosse. Tu sais, tu me rappelles quelqu’un. Quelqu’un à qui je tenais beaucoup. C’est sûrement pour ça que je t’ai ramené au camp, le premier jour.

– Moi ? Pourtant, je ne crois pas avoir grand-chose en commun avec les gens de ta planète, s’étonna le gamin en désignant les lunettes de son vis-à-vis.

– Physiquement, non, confirma Tekris en tripotant le bord de ses verres. Après, j’ai eu ça un peu plus tard, mais bref. Mais la personne à laquelle je pense paraissait elle aussi, comment dire, à part. Comme si elle n’appartenait pas vraiment dans le monde où elle vivait. Tu vas trouver ça bizarre que j’ai pensé à la même chose en te découvrant, évanoui au pied de cette pente – ma foi très raide –, pas vrai ?

– Maintenant, je connais plus étrange que ça, sourit le gamin.

Bien sûr, Zane aurait dû y penser plus tôt… Son corps refusant d’esquisser le moindre mouvement, il resta là où il était, continuant d’écouter la conversation des deux protagonistes.

– Merci de m’avoir dit ça, reprit le gosse. Ça me rassure, un peu.

– C’est pas fini, minipuce, corrigea le colosse. Explorer la psyché de Zane, et les raisons expliquant son détestable caractère (l’intéressé plissa le front, franchement vexé. Il possédait simplement un tempérament digne des plus puissants combattants de tous les temps !), serait trop long, et beaucoup trop compliqué. Mais peut-être que tu comprendras mieux ses réactions…

Un court silence s’ensuivit, durant lequel personne n’osa seulement respirer trop fort.

– Bref, commença le colosse, cherchant ses mots. Quand j’ai rencontré Zane et Zair, cette personne était avec moi. Disons que, eh bien, nous devions voyager séparés, et que les deux membres de chaque groupe se sont retrouvés séparés (le gosse fronça les sourcils, sentant que les choses n’étaient pas aussi banales que tentait de le lui faire croire l’autre). La foule s’est précipitée vers… des espèces de trains, pour notre planète de naissance, parce que nous étions tous obligés de partir. Ce jour-là, n’importe qui aurait pu se trouver à ma place, ou à la place de Zair voir Zane. Mais, étrange ironie quand on pense que nous étions tous les trois capables d’apprendre à manipuler le kaïru, j’ai fini par me retrouver avec Zair dans les bras, et Zane a récupéré la personne qui m’accompagnait. Eux deux ont été poussés bien avant nous, et nous nous étions crié de veiller l’un et l’autre sur nos… sœurs respectives.

Le gosse laissa échapper une exclamation surprise, mais se tut promptement.

Zane ferma les yeux, dents serrées. La cohue fut sur le point de couvrir leurs voix, mais il avait hurlé à la grande tige maigrichonne de veiller à ce qu’il n’arrive rien à sa toute petite sœur… Tandis que la tige en question lui rétorqua de faire de même avec la sienne.

– Après ça, nous avons été séparés pendant un peu plus d’un an, avant de retrouver enfin la trace de Zane. Et quand nous nous sommes revus, sur Terre, il est apparu seul. Bien sûr, j’ai d’abord cru qu’elle se cachait quelque part, mais ce sont des bêtises que l’on s’invente en refusant de croire en une vérité.

– C’est l’histoire la plus triste que j’ai jamais entendu, souffla le gosse. qu’est-ce qui lui est arrivé ?

– Elle s’est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Un accident, les freins du train ont été sabotés, et les occupants de presque tous les wagons ont été tués, soit sur le coup, soit pas l’incendie qui s’est déclaré juste après. Mais ce n’est pas sur ça que Zane a insisté, tandis qu’il tentait de me persuader, de se persuader, qu’il ne se sentait coupable de rien, parce qu’il n’aurait rien pu faire ? Il a répété plusieurs fois qu’il l’avait installé côté couloir, parce qu’il croyait que la vitre était trop dangereuse. Tu comprends ?

– Peut-être… Elle avait mon âge, c’est ça ?

– Pas vraiment, un peu plus jeune je dirais. Tu as bien douze ans ?

– Presque quatorze.

Malgré le poinçon frottant contre sa poitrine, Zane ne put empêcher un mince sourire ironique de fleurir sur ses lèvres. Quatorze ans… Le premier indice valable sur le gosse qu’ils récoltaient.

– Je pense qu’au fond, il cherche un prétexte pour te pousser à partir, même si il ne l’admettra jamais. S’il s’en rend compte un jour d’ailleurs. Sauf que Zane ne sait s’exprimer que par la colère, réfléchir calmement, c’est compliqué pour lui, tant il réagit à l’instinct. Mais il ne veut pas non plus te laisser seul, parce qu’il sait pertinemment que tu as moins de chance de t’en sortir. C’est pour ça qu’il a décidé si vite de te garder près de nous, pour pouvoir intervenir si jamais ça tourne mal. Même si d’un autre côté, il n’a pas non plus envie de s’encombrer de quelqu’un… hum… qui ne peut pas lui être utile parce que tu viens d’un autre monde que celui du kaïru.

Zane s’adossa contre le mur duquel il s’était appuyé, front toujours plissé. Se concentrer sur la conversation en cours lui permettait de ne pas laisser ses pensées dériver… là où elles ne devraient pas. Son comportement, à ses yeux, n’avait rien de répréhensible. Après tout, il acceptait la présence d’un humain, un talsi sans capacité particulière d’ailleurs, bon gré mal gré, contribuait à le nourrir, l’éduquer, etc. Étant donnée sa déjà grande générosité, ses légers mouvements d’humeur se révélaient parfaitement justifiés ! Ils incitaient simplement le gamin à se tenir tranquille, et au pire, cela l’endurcissait. La petite touffe érable assise dans le couloir en avait bien besoin.

Alors pourquoi diable Tekris paraissait entièrement d’accord avec cette dernière ?! À n’y rien comprendre.

– Merci, du fond du coeur, souffla le talsi en question. T’inquiètes pas, je ne répéterai à personne ce que tu viens me dire. Et puis, ça me permet de mieux comprendre les réactions de Zane. C’est vrai, j’étais parti sur tout autre chose en fait.

– Ah oui ? Et quoi donc ? questionna Tekris, curieux.

– Ben, il me regarde comme si j’étais juste un caillou dans sa chaussure, particulièrement agaçant, et qu’il me supportait juste pour rester dans tes petits papiers. Tu sais, comme quand on supporte le petit frère pénible pour faire bonne impression.

Un rire étranglé monta de la gorge du colosse, surpris par cette déclaration. Et Zane n’aurait pas parié que son expression faciale diffère énormément de celle de son coéquipier.

– Laisse tomber, Zane ne se soucie de moi que parce que je sers ses intérêts. Il est comme ça avec tout le monde, alors ne te formalise pas, c’est juste dans sa nature.

Le silence qui s’ensuivit fut plus long que les précédents, lourd, significatif. Les quelques phrases échangés par Tekris et le talsi résonnaient dans la tête de Zane, tandis qu’il croisait les bras, prenant son menton dans sa main gauche. S’il ne souscrivait pas à l’analyse de Tekris sur sa propre personne (étrangement, même s’il y réfléchissait longuement – ce qu’il ne faisait pas, car cela risquait de le ramener à de douloureux souvenirs –, l’adolescent ne saurait dire quelle partie de la tirade du colosse était concernée), cela l’amenait à réfléchir pour la première fois comme si le talsi faisait partie de l’équipe. Oh, il ne l’intégrerait pas dans les Radikors, il ne comptait pas non plus s’assurer la défaite à chaque sortie. Mais il commençait à réaliser pleinement ce que cela signifiait de le garder en permanence, et pas pour deux mois, près d’eux.

Autant pouvait-il avoir Zair et Tekris à ses côtés en combat, ses coéquipiers étaient d’ailleurs en grande partie là pour ça, autant le talsi, l’évidence sautait aux yeux. Dénué d’entraînement depuis la naissance comme la plupart des humains de cette Terre, une évidence depuis le premier jour de leur rencontre, il devenait rapidement un handicap en combat, raison pour laquelle Zane décida de le laisser à la forteresse pendant que les Radikors partaient récupérer l’énergie kaïru. Sauf qu’apparemment, ce n’était pas non plus une bonne idée, puisque ce satané talsi venait fouiller dans les affaires de l’équipe dès qu’elle avait le dos tourné ! Mieux valait pourtant le laisser s’occuper des tâches ménagères, à sa portée, au lieu de l’assigner au front. Mais pourquoi cela revêtait une telle importance pour lui, au point de le pousser à sortir de sa timidité naturelle ?! S’il voulait continuer sa route avec eux, il lui fallait comprendre que chacun avait son rôle à jouer, et que le sien n’impliquait pas d’aller se battre.

À moins que…

Zane quitta son observatoire, s’éloignant à pas feutrés, sans qu’aucun des deux protagonistes ne l’entendent. Même s’il dut quitter sa planète de naissance très jeune, certaines aptitudes étaient restées.

Il ne lui restait plus qu’à peaufiner son idée, et de trouver le bon moment pour la mettre en application. Pas le soir même, bien sûr, il préférait laisser le temps au talsi de se calmer un peu…

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J’espère que ce chapitre vous aura plu, si c’est le cas,n’hésitez pas à laisser un commentaire, ça me fait toujours plaisir d’avoir vos retours !