Aesragen

Chapitre 24 : Jour 4: Rencontre au sommet

11855 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/09/2020 21:32

Jour 4 : Rencontre au sommet


Les deux silhouettes, durement malmenées par l’escalade d’une pente si raide qu’elles en tombaient presque à la verticale, oscillaient lentement, au rythme de leur pas pénibles, harassées par une marche de déjà trois jours, suivant un chemin invisible aux regards non expérimentés. Relativement praticable la plupart du temps… avant que ne surgisse soudainement un ravin aux parois arides disparaissant derrière un écrin smaragdin, faussement touffu en apparence mais incapable de supporter un poids supérieur à celui des nids des oiseaux locaux aux chatoyants plumages d’or et de carmin. Un saut imprudent, dans cette fourmilière troublée seulement par le passage des antilopes et les bruissements d’ailes des insectes rompant le silencieux vacarme des habitants de la forêt, pouvait tout aussi bien déboucher sur l’une des innombrables déclivités la jalonnant, rendant la progression ardue, projetant l’imprudent sur l’un des versants à-pic, traversables uniquement à l’aide de ponts suspendus rudimentaires.

Étroite, la pente sur laquelle progressaient Zane et Marc ne leur permettait pas d’avancer de front, aussi l’extraterrestre avait-il prit la tête du duo, jetant de fréquents regards par-dessus son épaule, vérifiant la bonne progression de son compagnon. Quand il ne partait pas dans des pensées connues de lui seul, oubliant jusqu’à la poussière maculant les chaussures usées depuis belle lurette, couvrant la frêle silhouette de l’ex-collégien d’une fine couche terreuse ocre, s’insinuant dans ses poumons quand, déséquilibrés, ses pieds râpaient le terrain en l’enfermant au sein d’une nuée envahissante. Pourtant, cela n’atteignait pourtant pas encore la pénibilité de la jungle cambodgienne, pire souvenir de voyage à ce jour pour le garçon, et il parvenait malgré tout à distinguer suffisamment la forme de Zane pour rester sur le droit chemin. La chaleur, une franche canicule épuisante, restait largement plus supportable que la moiteur étouffante des marécages asiatiques, lui permettant au moins de respirer relativement correctement.

Quoique, il ignorait franchement où Zane et lui avaient atterri, n’osant poser la question à son guide, de forte méchante humeur depuis leur fuite de la forteresse. Et les mauvais rêves, de plus en plus fréquents, n’aidaient en rien l’irascible extraterrestre à se montrer coopératif.

Le chef des Radikors, soucieux de rester aussi discret que possible pour éviter un autre affrontement, s’était contenté d’embarquer son compagnon de route sur son dos, s’envolant prestement pour les déposer, d’après ses dires, « à un ou deux jours de marche de leur objectif » (malheureusement, sans compter les capacités encore aléatoires de Marc, ralentissant régulièrement le duo). Le lieu vers lequel ils se dirigeaient, d’après lui, était également connu des Stax, aussi devaient-ils prendre leurs précautions pour ne pas risquer de tomber dans leurs filets. Aussi fallait-il que le garçon cesse de discuter ses ordres, et lui obéisse à la lettre, exactement quand il le lui disait, s’il ne voulait pas voir se terminer prématurément leur mission.

Néanmoins, une fois la nuit venue, l’irascible extraterrestre continuait de monter la garde le temps que son compagnon trouve le sommeil, sans protester. Une nuit qu’un cauchemar venait de le réveiller en sursaut, Marc l’avait même surpris en train de l’observer silencieusement, remettant en place quelques mèches folles échappées de son épaisse tignasse. Comprenant avoir été repéré, Zane lui avait décoché un tel regard, le menaçant de mille tourments s’il osait faire la moindre remarque, que l’ex-collégien n’évoquait jamais le sujet.

Cependant, aussi belle soit la dense forêt au sein de laquelle ils avançaient depuis des jours, il se trouvait pressé d’arriver à destination, la brûlure du désir de revoir ses amis vivants, et surtout libres, tordant sa poitrine, le réveillant parfois au plus obscur de la nuit épaisse tant il craignait de ne pas les retrouver. Sans Tekris, surtout, bien qu’il ait conscience de l’injustice de sa pensée.

– Quelle main ? questionna Zane, tendant ses poings serrées au-dessus de sa tête.

Mordillant sa lèvre inférieure, se rattrapant à une excroissance terreuse s’effritant sous ses doigts avant de trébucher et dévaler en sens inverse l’interminable pente que le duo escaladait depuis près d’un quart d’heure maintenant, Marc plissa les paupières, essuyant ses paumes sur son short. Zane lui avait promis de bientôt renouveler sa garde-robe, et si l’ex-collégien ne s’intéressait guère à la mode et autres friperies au sein desquelles il perdait obligatoirement son temps, il attendait avec impatience de se débarrasser du morceau de tissu informe, déchiré par les ronces et autres plantes basses, recouvrant ses hanches. Au moins le vêtement restait-il propre, quoique tâché indélébile par endroits : durant tout le séjour à la forteresse, Zane ordonnait un nettoyage minutieux des vêpres de chacun. Surtout pour les sous-vêtements, lavés quotidiennement. Ce qui n’était pas toujours aisé, quand on ne possédait que deux caleçons. Et encore, parce que Marc, terrorisé par sa prochaine entrevue avec Victoire, craignait de subir un… petit incident technique…

– Alors ? s’impatienta le chef des Radikors. Quelle main ?

Sursautant involontairement, Marc manqua dégringoler pour de bon, maudissant ce fichu réflexe prompt à lui attirer des ennuis. Un autre changement qu’il espérait positif, s’aperçut-il, oscillant entre fierté et inquiétude : au lieu de considérer ce comportement parfaitement normal venant de lui, donc plus déprimant qu’autre chose, il rêvait de censurer tous ses gestes de faiblesse devenus partie intégrante de sa vie.

Intrigué par le couinement étranglé de son compagnon de voyage se voyant déjà de retour dans un buisson d’épineux, Zane se retourna prestement… pour manquer d’éclater de rire en voyant le gamin en presque grand écart latéral, dans l’espoir de freiner une chute qui n’avait même pas débuté.

– Si tu essaies d’imiter Zair, sache qu’elle est beaucoup plus souple que ça, railla-t-il, croisant les bras sans paraître vouloir aider le garçon. Tu va te faire plus mal qu’autre chose.

– Je vais plutôt essayer de ne pas me casser la binette, rétorqua-t-il. Dis, tu ne voudrais pas m’aider un peu, au lieu de ricaner sous cape ?

– Je ne ris pas, mentit effrontément le jeune homme. Et je porte déjà le sac à dos de Tekris, c’est suffisant.

Taisant ses marmonnements agacés tout en priant pour que Zane n’ait rien entendu, Marc poussa sur ses jambes, patinant quelques secondes dans la poussière, tira sur ses bras, réussit à ramener ses pieds l’un contre l’autre. Ahanant, il s’empressa de se redresser avant de subir une énième réflexion sur sa lenteur, s’essuyant le front du revers de la main. Miraculeusement, l’irascible extraterrestre se contenta de lever les yeux au ciel quand il osa un sourire timide, tournant les talons pour reprendre sa progression. Les muscles en feu, Marc observa avec envie le sommet de l’infinie butte, soupira lourdement en comprenant qu’à ce rythme, il lui faudrait encore plusieurs minutes avant d’en atteindre le sommet. Et encore, Zane se permettait-il d’accélérer par moments, toujours sur dix ou quinze secondes, avant de ralentir de nouveau, jugeant la progression de son camarade d’un regard oblique. Croyant que la large mèche recouvrant son œil gauche l’handicaperait, Marc avait tenté de se glisser de ce côté, traînant un peu ses pieds fatigués.

Découvrant rapidement que Zane, en plus de posséder une vision plus que respectable, n’appréciait pas du tout que l’on se paye de sa tête, de quelque manière que ce soit. Bon, Marc le savait déjà, mais traîner une journée entière les trois sacs à dos du duo, tout en progressant au pas habituel du jeune homme, l’avait efficacement dissuadé de tenter à nouveau une quelconque feinte.

Aussi se contentait-il de serrer les dents, bien décidé à prouver qu’il pouvait faire aussi bien que l’irascible extraterrestre, et surtout, qu’il ne méritait aucunement une punition. Un objectif parfois difficile à atteindre, quand l’alien en question, peu ravi d’être forcé de se charger des basses besognes, cherchait un prétexte pour lui coller une nouvelle fois les sacs à dos dans les pattes. Sans résultat, pour le moment.

S’octroyant un petit plaisir coupable, quand Zane se retournait brusquement, persuadé de pouvoir enfin le coincer, ne le trouvant qu’exécutant scrupuleusement ses demandes à la lettre, l’ex-collégien se permettait un sourire purement innocent, voir faussement étonné d’une telle réaction de la part de son guide.

– Donc, reprenons, quelle main ? continua Zane, tournant le dos au garçon.

Celui-ci marmonna un bref « Je réfléchis », focalisant son attention sur l’exercice, inlassablement proposé – imposé serait plus approprié – par le chef des Radikors. Le principe était pourtant très simple, voir même classique : trouver dans laquelle de ses pognes le jeune homme avait caché un caillou chargé d’énergie kaïru. Tantôt kaïru classique, tantôt kaïru obscur, Zane testait sans se lasser les capacités du garçon, ses sensibilités, tout ce qui lui venait à l’esprit en réalité. La nuit dernière, il lui avait même bandé les yeux, ordonnant de le trouver sans jamais retirer le morceau de tissu enserrant son front.

Ce à quoi Marc avait demandé de quelle satanée manière il était censé s’y prendre. Zane rétorquant que puisque lui travaillait régulièrement son kaïru, en tant que combattant, sûrement son énergie intérieure pouvait-elle être repérée par une personne particulièrement douée. Après tout, les Maîtres ne parvenaient-ils pas à repérer les potentiels de leurs futurs élèves ? Sans plus tarder, l’irascible extraterrestre s’était empressé de se glisser parmi les fourrés, laissant son compagnon dans le noir le plus total. Et complètement angoissé.

Surtout qu’il se doutait parfaitement qu’il ne s’agissait là que d’une supposition un peu tirée par les cheveux, de la part de son plus ou moins mentor. Malheureusement infirmée au bout de longues minutes infructueuses, Marc ayant fini par se diriger droit vers le sac à dos du jeune homme, suite à une intense concentration. Mettant immédiatement fin à la session d’entraînement, Zane n’appréciant toujours pas que quiconque vienne toucher ses affaires.

Néanmoins, ils réalisaient que le don de Marc, pour autant qu’il puisse se révéler utile, manquait terriblement de travail. Rien de plus normal, songea le garçon, quand il ignorait jusqu’à quelques jours son existence. Aussi pouvait-il sans trop de problèmes repérer une source kaïru proche de lui, à une ou deux dizaine de mètres près, mais sentir sa présence précisément, presque sous son nez même, relevait de la chance. En observant intensément les gants du chef des Radikors, il savait avec certitude qu’une relique se cachait dans le coin, mais sans pouvoir la différencier.

Cependant, ses résultats s’amélioraient. De compter sur la chance au premier jour de marche sans vraiment utiliser son don, il avait tenté le suivant de sentir véritablement le kaïru, échouant presque à chaque fois, s’attirant pléthore de soupirs agacés. Mais depuis le début de matinée, arrivait-il à désigner presque avec certitude la bonne main environ une fois sur deux. Pas encore satisfaisant pour Zane, bien qu’il ait marmonné un bref encouragement avant la pause déjeuner. Cependant, Marc commençait franchement à fatiguer de travailler toute la journée, en plus de marcher sans savoir où ils se rendaient.

Et Zane qui l’avait regardé comme s’il était persuadé qu’il ne pourrait jamais trouver la relique…

Un peu trop sûr de lui pour que ce soit honnête, songea le garçon, yeux rivés sur le dos musclé de son guide.

– Si je te pose une question, tu veux bien me répondre honnêtement ? fit-il, rompant le silence.

– Tout dépend de la question, justement. Tu ne crois pas que je t’en ai assez dit déjà ?

Marc se tut prudemment, sachant marcher sur des œufs. Un mot de trop pouvait inciter l’irascible extraterrestre à ne plus desserrer les lèvres, privant le garçon d’une source d’informations précieuse. En matière de kaïru, il n’en savait jamais assez, et rongeait tant bien que mal son frein pour ne pas bombarder de questions.

– La source, tu ne l’as pas mise dans une de tes mains, pas vrai ?

Un instant de flottement, durant lequel Zane tourna très légèrement la tête, l’observant à la dérobée.

– Peut-être, finit-il par répondre, un sourire perçant dans sa voix. Mais où serait la source dans ce cas ?

Excellente question, mais Marc ne le remerciait pas de l’avoir posée. Au contraire. Balayant de haut en bas le jeune homme, qui ne daignait pas ralentir, il se gratta le crâne, se pencha un peu pour vérifier que rien ne se cachait sous les semelles. Manqua encore de tomber, entraîné par le poids de son sac à dos.

Rien, apparemment. Les poches ? Zane ne lui permettrait jamais de les tâter, même juste pour s’assurer qu’il ne cachait rien. Sauf s’il se montrait sûr de lui ? Trop classique. Il lui fallait un endroit facile d’accès, atteignable en un tour de bras puisque l’ex-collégien collégien n’avait pas quitté son guide d’un centimètre, bien trop nerveux à l’idée de se perdre dans un endroit totalement inconnu. Dans le col de son T-shirt ?

– Tu réfléchis trop, grogna l’irascible extraterrestre, tapotant impatiemment sur sa cuisse alors qu’il franchissait le sommet de la colline d’un saut souple. Il faut que tu ressentes, pas que tu devines !

Marc marmonna un acquiescement. D’accord, mais à part lui intimer de se concentrer et de laisser aller ses impressions, Zane ne lui avait pas donné beaucoup de clés pour apprivoiser son étrange capacité…

Néanmoins, il obéit, cessant de scruter chaque parcelle du corps du jeune homme. Inspirant profondément, il laissa l’angoisse tenaillant ses entrailles de ne plus revoir Tekris et Zair s’éloigner un peu plus, éloigna son inquiétude de décevoir Zane à cause de son incompétence, pour ne se focaliser que sur son objectif. Dans le doute, il choisit aussi d’ignorer le feu crissant à chacun de ses mouvements issu de la blessure sur son bras, en dépit de l’épais de bandage censé le préserver de la sueur.

Définitivement, la source ne se situait pas dans les mains, toujours serrées sauf quand il utilisait son index et son majeur pour s’aider à grimper, de l’extraterrestre. Sans pouvoir l’affirmer à cent pourcent, sûrement ne se cachait-elle pas non plus trop bas, du moins avait-il l’impression diffuse de la sentir à peu près à sa hauteur. Oui, mais si son don provenait de son ventre, comme certains trucs de la médecine chinoise, ses calculs seraient faussés, et il allait forcément se tromper !

Non, ne pas réfléchir. Si Zane ne lui mentait pas, cette capacité provenait de tout son être, pas d’une seule partie de son corps. Il devait s’agir d’une question de préférence, ou de manière de penser. Peut-être même propre à chaque individu ? Dur à dire, de ce qu’il comprenait, rares étaient les personnes pouvant naturellement détecter l’énergie kaïru. Même les Maîtres kaïru ne parvenaient, en dépit de leurs longues années d’entraînement, à tous développer leurs capacités à ce point.

Plutôt petit pour un garçon de presque quatorze ans, l’ex-collégien n’atteignait que le milieu du torse de Zane, aussi les choix se restreignaient drastiquement. Le sac à dos ? Non, pas exactement, bien qu’il soit impossible pour lui d’en être totalement certain. Il pouvait cependant affirmer sans crainte qu’il s’agissait d’une énergie pure, bien loin du malaise que faisait par moments naître le kaïru obscur en lui.

S’il lui fallait se fier à l’instinct – et un chouïa de réflexion –, il ne voyait qu’un endroit plausible.

– Elle est dans la pochette de ton X-Reader ? demanda-t-il enfin, enjambant un tronc, pas plus gros que sa taille, tombé au beau milieu du chemin. Non, je veux dire, tu l’as caché dans ta pochette, répéta-t-il, tâchant de mettre de la conviction dans sa voix.

L’effet ne lui plut guère ; pourtant, jugea-t-il, ç’aurait pu être bien pire, s’il se fiait à ses bredouillements habituels. Si seulement il s’était affirmé plus tôt face à Victoire et ses sbires, ses craintes de voir les pestes s’en prendre à sa petite Emma s’en serait trouvées fortement diminuées, et la laisser en arrière, si loin de lui, sans même savoir si la fillette se portait bien, n’aurait peut-être pas été si douloureux.

Zane se moquerait sans nul doute de lui s’il lui rapportait ses sentiments, mais depuis la précipitation des évènements, il ne pouvait s’empêcher de ressasser sa propre fugue, et surtout sa soudaine séparation d’avec Emma, entre deux entraînements martiaux et tentatives de développer encore sa capacité à sentir le kaïru. Parfois, il essayait de deviner à quoi pouvait bien ressembler sa sœur, depuis le temps. Et en trois longs jours de marche, il avait eu le temps de se poser nombre de questions. Avait-elle beaucoup grandie ? Aimait-elle toujours autant l’école, gardant sa manie de se glisser, dans la cour de récréation, le long des fenêtres des classes supérieures pour entendre des leçons qu’elle ne comprenait qu’à moitié ? Dormait-elle bien, même quand leur mère rentrait un peu trop tard, un peu trop « joyeuse » ? Il espérait surtout que sa sœur pensât à fermer le verrou qu’il avait installé sur la porte de leur chambre…

Que cette ancienne vie lui paraissait loin maintenant ! Si ses cauchemars réguliers et réflexes de soumission appris sous le joug de Victoire l’empêchaient de se demander s’il avait vraiment vécu tout cela, l’ex-collégien se sentait comme entré dans tout un monde parallèle, tellement différent de celui dans lequel il était né, que tout cela lui paraissait lointain, détaché de sa personne. Pourtant, il devinait confusément ne pas s’intégrer entièrement dans l’univers du kaïru, ne rentrant ni dans la case « combattant », celle de « Maître » ou « Redakaï » encore moins, pas même novice à dire vrai. Comment savoir exactement ce qu’il était, alors ?

Préoccupé par bien d’autres occupations que les interrogations de son compagnon de route, Zane leva à nouveau les bras bras au-dessus de sa tête. Ouvrit théâtralement ses paumes jusque là serrées, révélant leur vide absolu. Ignorant la petite exclamation victorieuse du gamin, le jeune homme déboucla la pochette battant sa hanche, en sortant nonchalamment la petite pierre contenant le peu de kaïru qu’il lui avait transféré, trois jours plus tôt. Il la considéra un instant, silencieux, sans que Marc ne sache s’il se pensait enfin satisfait de lui, pour une fois. Un calvaire, cette attente…

Finalement, Zane se tourna à demi, lançant le morceau de caillou en sa direction. Bondissant, l’ex-collégien manqua de peu le laisser rouler au sol, peu désireux de voir le machin dévaler la pente sans s’arrêter, le forçant à retourner de récupérer tout en bas, refermant ses deux derniers doigts sur le contact frais du minéral. Soulagé, il poussa un long soupir, se relevant avec maintes précautions, sous le regard amusé de l’irascible extraterrestre, posté sur un rocher le surélevant légèrement.

Ravi de constater que l’autre s’était tout de même arrêté, Marc s’empressa de le rejoindre en quelques bonds tout en tripotant anxieusement la petite pierre, craignant de futurs reproches sur son manque d’habileté.

– Pas trop mal, commenta Zane, appréciant clairement surplomber son compagnon de route. Évidemment, si nous étions en mission, la relique nous aurait échappée à cause de ta lenteur. Enfin, garde-le, et considère que je te le donne parce que tu as réussi à le trouver

– Mais c’est à toi, non ? s’étonna naïvement arc, ses grands yeux interrogateurs.

– Que veux-tu, je suis généreux, déclara l’irascible extraterrestre, croisant les bras sur son torse. C’est bien pour ça que j’accepte de te traîner avec moi. Tu devrais me remercier. Allons, ne traînons pas, nous avons encore un bout de chemin à parcourir. Un village se trouve bâti pas très loin, et il ne nous laisseront jamais passer, crois-moi.

– Bah, au pire, on pourra toujours dire que nous nous sommes perdus en prétendant être des touristes, proposa Marc, trottinant près de son guide, qui s’était déjà remis en marche.

Une tape sur la main l’avertit de ne plus accrocher le T-shirt du jeune homme, même pour éviter de se faire distancer, tandis qu’il tendait la pierre imprégnée de kaïru.

D’un geste, Zane la refusa, sa bouche se tordant en une telle grimace de frustration que Marc crut commettre une énième bêtise. Heureusement, son geste n’était pas à l’origine du mécontentement du jeune homme.

– Impossible. Je les ai rencontré, quelques temps auparavant. Ce sont des humains primitifs, persuadés qu’avec de la volonté et la bouche en cœur, ils peuvent obtenir ce qu’ils veulent. Même face à des combattants. Il est peu probable qu’ils sautent de joie en m’apercevant. Plutôt, ils courraient avertir les Stax de notre présence. En plus, la prêtresse, ou chaman, a un faible pour monsieur Ky. Mauvais goût.

– Oh… Je vois, souffla le garçon, tournant son caillou entre ses doigts fins. Merci pour le cadeau en tout cas. Mais ça ne va pas nous attirer des ennuis ? Tu sais, avec les X-Readers ?

Reparti dans les méandres de son esprit, une expression morose peinte sur son visage, Zane sursauta, répondant cependant presque immédiatement.

– Une aussi faible quantité d’énergie, aucune chance, à moins que les Stax soient à quelques pas de nous. Sauf que je n’ai certainement pas l’intention de les laisser s’approcher autant sans que je ne le décide.

À l’évocation de l’équipe adverse, Marc se retourna brusquement, persuadé d’avoir entendu un frottement autre que ceux de leurs pas sur l’épais tapis d’humus couvrant désormais la sente presque invisible serpentant à travers les troncs dissimulant si bien la lueur matinale de leur dense frondaison, qu’une pénombre permanente envahissait l’environnement, telle un crépuscule interminable. Par chance, l’obscurité n’était pas suffisante pour pousser le duo à utiliser les lampes reposant au fond de leurs sacs.

Un ricanement moqueur l’avertit que Zane n’avait rien manqué de son petit moment de panique, le rouge chauffant ses joues rentrées dans le col de son T-shirt.

Celui-ci, à son grand soulagement, lui épargna les derniers mètres de pente en ne débutant pas un autre exercice tiré de son imagination. Ils achevèrent de grimper en silence, débouchant sur une plateforme en forme de flèche au bout arrondi, au bord d’un des innombrables gouffres repérés par le duo au fil de leurs randonnées. Ils surplombaient la canopée, mer de verdure aux arbres chuchotant les secrets de leur peuple chaque fois qu’une brise légère venait caresser leur feuillage cotonneux. Perçant la voûte, des palmiers, plus hauts que la majorité de leurs congénères, se balançait lentement, entraînés par leur propre poids à mesure que leur tronc s’étendait. Marc ne comptait plus le nombre de troncs, couverts d’une mousse abritant diverses colonies de fourmis ravies de grimper sur sa main, abattus au milieu du chemin de terre battue, parfois là depuis tellement longtemps que leurs corps prenaient la forme d’un oméga évasé, les lianes pendantes s’enroulant autour des chevilles imprudentes, provoquant plusieurs chutes mémorables n’ayant qu’empiré encore l’humeur de Zane. La seule sente observée par le garçon, d’ailleurs, celle d’où ils venaient, et menant au mystérieux endroit en lequel le chef des Radikors fondait tous ses espoirs.

Le promontoire sur lequel se tenait le duo, exceptionnellement dépourvu de la frondaison occultant d’un voile pudique la présence de voyageurs aux regards des indigènes locaux, faisait un poste d’observation idéal. Posté sur cette avancée de terre, le duo dominait la forêt… jusqu’à ce qu’ils lèvent les yeux, s’apercevant que de nombreux étalonnages serrés s’élevaient au-dessus de leur têtes, rendant leurs prouesses d’escalade presque risibles.

– Tu vois le temple Olmèque, devant nous ? C’est notre destination. Le village se situe juste à son pied.

Plissant les paupières, une main en visière, Marc n’eut guère longtemps à chercher. Perçant l’immensité de figuiers, de palmiers et d’autres espèces tout bonnement inconnues du garçon, une gigantesque structure de pierre claire, probablement construite de calcaire, s’élevait majestueusement. Composée comme les pyramide à étages, cinq s’il comptait bien pour celle-ci, que l’ex-collégien avait pu admirer dans ses livres traitant de l’empire aztèques, moins larges à mesure qu’ils se superposaient, ils gagnaient un peu plus de auteur à chaque superposition, jusqu’à former un couloir vertical rectangulaire. Un seul escalier, sur son côté sud, menait à son sommet, entièrement plat à l’exception d’une sculpture représentant la tête gigantesque d’un ancien dieu, muni de sa coiffe rituelle, un dernier escalier plus petit lui composant comme une barbe permettant de monter juste devant la statue.

– C’est magnifique, souffla Marc, happé par le travail monstrueux du peuple ayant érigé, tant de siècles auparavant, cette œuvre titanesque.

– Mouais. Peu importe, l’essentiel c’est d’atteindre la statue.

– Pour contacter ton Maître, c’est bien ça ? demanda l’ex-collégien, détachant ses yeux du spectacle.

Quelques temps auparavant, sûrement aurait-il accueilli cette nouvelle avec entrain, incapable de tenir en place tant cela prouvait la confiance que plaçaient les Radikors en lui, impatient de prouver sa bonne volonté à l’homme entraînant les si forts combattants !

Néanmoins, les accusations répétées des Stax et de Koz, la façon de penser inculquée aux Radikors, associées aux quelques détails étranges heurtant sa conscience, le poussait à aborder cette imminente rencontre avec prudence. Et peut-être un soupçon de méfiance. Apprendre que le kaïru obscur, comme l’appelait Zane, était le résultat d’un travail volontaire de ce Lokar le confortait encore dans cette idée.

Pourtant, il se sentait tellement bien avec l’équipe d’extraterrestres, presque… à sa place, pour la première fois de sa vie, qu’il espérait encore de tout cœur se tromper. Mais les interrogations sur la raison poussant les Radikors à devoir fuir encore et encore un groupe de combattants ne prononçant que les mots de justice revenaient le tarauder dès que son esprit se trouvait libre de ses exercices quotidiens. Et voilà qu’un certain « Gant de Lokar » venait s’ajouter à l’équation !

– Exact. Quelles sont tes consignes ? l’interrogea à son tour Zane, le tournant face à lui.

– M’agenouiller quand il apparaîtra, et te laisser parler sans essayer de t’interrompre.

Satisfait, l’irascible extraterrestre hocha positivement la tête. Dérangé par leur prédateur naturel, ou par le pas tranquille des habitants de la forêt, une nuée de corbeaux s’envola en pépiant furieusement, ondulant au sein d’un voile vivant saccadé, disparaissant derrière l’imposante silhouette du temple olmèque.

Rien que ces ordres, répété sans cesse par Zane à chaque halte, interpellaient Marc, bien qu’au fond cela ne le choquait pas outre mesure. Habitué à courber l’échine devant Victoire, ce n’était au fond qu’une variante de ce qu’il subissait autrefois quotidiennement. Et justement, ce détail le poussait à penser que ce n’était pas vraiment normal. Enfin, peut-être la voie du kaïru exigeait-elle une discipline de fer ?

– Nous avons encore un long chemin à faire. Autrefois, un pont suspendu permettait de franchir rapidement le ravin, mais il a été détruit deux ans auparavant. Enfin, quelque chose comme ça.

– Ah oui ? Par toi ? plaisanta joyeusement Marc.

Incrédule, l’irascible le dévisagea avec surprise, le front plissé au point que le noir entourant ses joues se rejoigne au-dessus de l’arête de son nez. Tout aussi médusé, son compagnon écarquilla les yeux, bouche ouverte. Enfin, il connaissait la manie de Zane de laisser des traces évidentes de son passage, mais quand même, pas à ce point ?

– Comment as-tu deviné ? s’étonna l’extraterrestre, tapotant distraitement sa cuisse.

– Heu, tu essaies de me faire marcher là ?

– Absolument pas, pourquoi ? Tu m’en crois incapable ?

Prudent, Marc s’abstint de répondre sans avoir un minimum réfléchit à sa réponse. Qu’il ne mit pourtant guère de temps à trouver en vérité. L’irascible extraterrestre pouvait très bien, dans un accès d’humeur, avoir fait payer son existence à un pont, songea-t-il, secouant la tête.

– Zair et Tekris m’ont un peu aidé, admit cependant Zane du bout des lèvres.

– Mais pourquoi ? Je veux dire, tu n’as pas été provoqué par un pont quand même ?

– J’essayais d’envoyer les Stax au fond du ravin, expliqua tranquillement le jeune homme, comme s’il s’agissait de la chose la plus simple au monde. Et j’ai failli réussir. Mais ma mission principale était ailleurs, alors je les ai se dépatouiller avec leurs planches brisées. Bon tu es prêt ? Dans une heure ou deux, nous devrions atteindre notre objectif. À condition que tu ne traînes pas des pieds.


µµµ


Aussi surprenant cela fut-il pour l’ex-collégien, les prévisions de Zane se révélèrent exact. Environ une heure et demi plus tard, les deux garçons arrivèrent sur un plateau, tout autour duquel la forêt avait été élaguée, ne laissant plus qu’un sol de terre battue ocre, martelé par des générations de pieds au point qu’il héritait de la dureté de la pierre par endroits. Après le long vol effectué, l’air semblait bien plus doux, le vent ne s’engouffrant plus dans le moindre bout de tissu offert à ses humeurs, claquant la plus petite parcelle de peau laissée nue ; les jambes de Marc, exposées par son short, en devenaient insensibles sur le devant des cuisses principalement, engourdies par le froid, pourtant relatif dans la région, des hauteurs.

Un village se dressait là, à peine assez grand pour mériter d’avoir un nom. Seules une dizaine d’habitations se tenaient là, toutes rudimentaires, surélevées de quelques centimètres par rapport au sol dans le but de les préserver de l’humidité, une petite échelle permettant d’accéder à leurs intérieurs. Les cloisons et les murs étaient faits de bois, le toit conçu à partir de fagots aussi grands qu’un homme séchés, puis noués ensemble avant d’être déposés sur une structure de bois. Il n’y avait même aucune porte, et tout un chacun pouvait, en se penchant, observer la vie quotidienne de ses voisins. Les échelles avaient été rentrées au sein des cabanes, certaines encore à moitié suspendues au-dessus du sol, comme si les habitants avaient quittés précipitamment les lieux. Seul le tremblement de l’air troublait l’immobilité totale des lieux.

De tous les côtés de cette clairière artificielle, autour du trou abritant les uniques constructions humaines recevant la lumière du jour, la forêt envahissait le regard, si présente que rien d’autre ne semblait exister à part elle. Et avec l’absence de vie dans le village, la présence de créatures autres que celles habitant les sous-bois paraissaient grossières, insultantes même.

Dès qu’il eut mis un pied dans le village, Marc sentit un puissant malaise l’envahir, le poussant à porter une main à son crâne. Ressemblant étrangement aux sensations éprouvées face au kaïru, mais en bien plus puissant, exacerbé à outrance. Même en possédant aussi peu de connaissances que lui sur sa compétence nouvellement découverte ou encore l’énergie tant recherchée par les combattants, il pouvait sans craindre l’erreur affirmer que ce village n’avait pas été déserté sans une bonne raison. Le kaïru obscur restait imprégné au creux de la terre autrefois fertile mais désormais laissée à l’abandon, dans les planches composant les maisons, dans les jarres de terre cuites reposant à l’extérieur.

– Je ne me sens pas très bien, murmura-t-il, portant une main à ses lèvres pour réprimer un haut-le-cœur.

– C’est bizarre, marmonna pour sa part Zane, plaquant les mains sur les hanches. Normalement, les habitants auraient déjà dû ou fuir à toutes jambes devant nous, ou essayer de nous menacer.

Sans cette déclaration, Marc aurait tout aussi bien pu croire que les lieux se trouvaient inhabités.

– Je crois que c’est le kaïru obscur qui est à l’origine de tout ça. Je le sens jusque dans mes os !

– Impossible, contra Zane. Sinon, le village n’aurait pas conservé une apparence si tranquille. La terre serait partie en poussière, comme vidée de sa force vitale, et nous aurions l’impression que les lieux sont abandonnés depuis des années. Crois-moi, je sais de quoi je parle.

– Pourtant, c’est ce que je ressens, insista Marc, enroulant ses doigts autour de la bandoulière supportant la pochette du X-Reader de Zane. C’est… horriblement agressif.

Son vis-à-vis haussa les épaules, tout aussi confus. Et pour que l’irascible extraterrestre ne pense pas à cacher son ignorance, les choses devaient être plus graves encore que ce qu’imaginait Marc.

– Peut-être que ça fait partie du plan de Lokar, non ? proposa le garçon, massant énergiquement ses tempes.

– Qui sait ? marmonna Zane pour lui-même, allongeant encore le pas en direction du temple. Ça fait un an que nous ramassons de l’énergie pour lui, il l’a sûrement transformé en kaïru obscur. Non, il n’en a pas la force, sinon il aurait lancé son offensive plus tôt. Peu importe, reprit-il à haute voix. Tout ce qui compte, c’est de contacter Lokar pour lui exposer la situation.

– Donc c’est certain, il va nous aider ? demanda Marc, plein d’espoir.

– Il n’aura pas le choix. Nous sommes sa seule chance de récupérer sa puissance originelle.

Sans rien rajouter de plus, le jeune homme dépassa son compagnon, se dirigeant à grands pas vers l’escalier, bien trop long pour ne pas promettre de conséquentes ampoules aux pieds, menant au sommet de la pyramide. Après avoir scruté les environs une dernière fois, Marc lui emboîta le pas, choisissant de laisser ses interrogations de côté, juste le temps de rencontrer le si fameux Lokar. Avec sa manie de s’imaginer des dizaines d’âneries sans fondements, sûrement découvrirait-il que l’homme n’était qu’un combattant adulte, en pleine force de l’âge, mais aussi bourru que ses jeunes élèves. Oui, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Mais juste au cas où, le garçon contint soigneusement l’espoir puissant tordant ses entrailles.

Ravi de prendre un peu de hauteur, l’ex-collégien s’arrêta aussi souvent que possible, quelques fractions de secondes durant lesquelles il admirait le paysage à ses pieds, essayant de graver dans sa mémoire le moutonnement si dense des frondaisons, songeant qu’un instant plus tôt, il se trouvait en son, sein, et non sur la pierre râpeuse conduisant au sommet. Quand le chef des Radikors, agacé de ses ralentissements, le tança vertement, l’attrapant par le bras pour le faire avancer plus vite, son observation fut cependant gravement compromise, se réduisant à des vérifications hasardeuses de son équilibre.

Posant les sacs reposant sur ses épaules à même la dalle supérieure de la pyramide, Zane ouvrit la pochette contenant son X-Reader, en sortant la petite plaque d’ambre, déjà aperçue par Marc quand il pénétra au sein de la chambre du jeune homme, persuadé que Koz, ou un autre ennemi, utilisait le kaïru à l’intérieur des murs de la forteresse. Pointant l’extrémité du petit appareil sur l’objet, il lui transféra à regret une partie de l’énergie ramassée au cours de ses missions, se contentant de se séparer du strict minimum nécessaire à son projet. Rangeant l’X-Reader à sa place, il gravit ensuite les quelques marches menant à la sculpture Olmèque, époussetant brièvement la poussière accumulée dans son orbite creuse gauche, Marc ne perdant pas une miette de l’opération tant il tentait de deviner le but de toute cette préparation.

Estimant son travail suffisant, Zane entrant son bras à l’intérieur de la cavité. Dans un cliquetis sourd, il inséra la plaque tout au fond, dans un disque creusé près d’une dépression rocheuse, correspondant parfaitement au diamètre de l’objet.

Comme pour la forteresse, une vive lueur s’en échappa, un violet sombre forçant le garçon à fermer les paupières plusieurs secondes, afin de pouvoir les rouvrir sans en souffrir. Ainsi éclairée, la tête gigantesque paraissait appartenir à un géant borgne au regard furieux, braquant son unique œil directement sur la forme pourtant frêle du garçon. Il frissonna, incapable de se détacher d’abord de cette vision fantastique, surréaliste. Bercé depuis l’enfance par les romans historiques, il savait que ce genre de constructions étaient typiques des Aztèques, et quelques autres peuples tels les Olmèques habitant l’Amérique centrale et du sud, mettant parfois des décennies avant de se voir achevées, et les effigies gravées à la main acheminées par la force des bras et des lanières de cuir jusqu’à son sommet. Aussi, constater par lui-même la prouesse de ces peuples disparus l’emplissait de respect envers leur œuvre, ému malgré lui de se trouver l’un des derniers édifices encore debout, survivant des siècles durant aux invasions et autres destructions.

Pour autant, le spectacle qui l’attendait éloigna son admiration et sa contemplation fascinée, tant ce qui se présentait à lui se trouvait ancré dans le réel. Et pour cause : surgissant de nulle part, sinon de la plaque d’ambre, un cercle tremblant, aux bords dentelés blancs à force de luire sans être cependant éblouissant, lui rappelant les écrans de portables éclairés mais incapable de projeter la lumière ailleurs autour de l’objet, quittait lentement leur prison de roche. Projeté par un faisceau blanc de rayons si fins qu’ils en paraissaient translucide, le cercle s’élargit progressivement, s’opacifia, pour enfin refléter une image bien différente de celle à laquelle s’attendait le garçon.

La sculpture, présente un instant plus tôt, disparaissait derrière le miroitement immobile des lourds piliers de plâtre taillés en colonnades sombres garnies d’écailles larges. L’angoisse serrant sa gorge, Marc reconnut le lieu lui étant apparut la première fois, l’impression de mal inimitable revenant hanter ses pensées. Cependant, il devait s’agir d’une autre pièce, davantage réservée aux communications, le sol se trouvant recouvert d’une dalle lisse fine de ce métal si particulier connu à la forteresse, superposée au parquet délabré originel. Une petite estrade surélevée occupait toute la partie nord de la pièce, les fenêtres étant condamnées à l’exception d’une seule, sur le mur directement en face du duo, laissant passer la chiche lueur orangée d’une fin de soirée (enfin, du moins en était-il ainsi sur Terre, songea Marc, s’apercevant qu’il ignorait tout bonnement où se trouvait l’homme) illuminant la plus imposante structure de la pièce. En fronçant un peu plus les sourcils, l’ex-collégien réalisa que ce n’était pas une simple forme, mais un siège démesuré d’un gris uniforme à l’exception d’un liseré pourpre, au dossier acuminé, ressemblant fortement à un trône, plus grand que n’importe lequel des terriens. Seul le centre du lieu était visible à travers le portail, prenant la forme de la plaque d’ambre, avec ses irrégularités, aussi ne put-il pas en distinguer davantage.

Et majestueusement assis dans ce témoin d’une magnificence passée, mais pas encore étiolée, un homme, un extraterrestre plutôt, au vu de son crâne rectangulaire, attendait, mains posées sur les accoudoirs suffisamment larges pour contenir deux fois le corps de l’ex-collégien. Aussitôt, le malaise de Marc s’accentua, sa gorge se nouant alors que son cœur se mettait à battre violemment contre sa poitrine. Impossible de lui donner un page, tant son visage était exempt des affres du temps, sa peau séparées en trois bandes, mauve sur les extrémités tout comme le reste de son corps, d’un bleu pâle, presque blanc, au milieu. Deux petits yeux dorés surplombait un nez imposant sans être disgracieux, pommettes saillantes. Une cicatrice barrait sa chair, descendant diagonalement du haut gauche de son front, jusqu’à la droite du menton, luisant légèrement dans la semi-clarté de la demeure d’un mauve blanc à force d’être lumineux. Vêtu d’une coiffe rouge ne laissant que sa face visible, recouvrant ses épaules, encadrant le haut de sa poitrine et s’arrêtant en haut de ses bras, deux ronds violets se détachant symétriquement devant ses omoplates, rappelant vaguement une tête d’insecte allongée, il portait un pantalon de la même couleur englobant également ses pieds, maintenu par une ceinture argentée. La boucle formait comme une silhouette étrange, pourvue de deux yeux violets luisant mangeant la moitié de l’objet. Son torse, nu, laissait apparaître un cercle lumineux en son milieu duquel partaient plusieurs traits lumineux, ressemblant à la cicatrice sur son visage. Ses avant-bras, parcourus des mêmes lignes jusqu’au coude, étaient entourés de deux bandes lâches grossièrement nouées. Le plus impressionnant étant sans doute sa taille : droit sur son séant, le buste de l’homme était facilement aussi grand que Marc tout entier.

Rien, dans le corps de Lokar, ne paraissait banal, négligeable.

Néanmoins, quelque chose clochait dans l’apparente assurance de l’homme. Pas seulement la fatigue visible sur les traits marqués, rendant plus implicite encore l’obligation de ne surtout jamais faire la moindre allusion à ce sujet. Une sensation totalement personnelle, comme si… Eh bien, sans comprendre exactement d’où lui venait cette comparaison, comme si une part du Maître manquait. Incomplet.

Malgré lui, Marc se mit à trembler, incapable de se détacher de l’immense silhouette, installée sur son trône démesuré. Non, il ne se contentait pas d’occuper l’espace ; il le dominait, tout comme son siège lui appartenait d’une telle manière qu’en dépit de sa gigantesque taille, l’objet semblait s’incliner humblement devant son possesseur, occulté par sa présence si intense. À peine invoqué par la plaque d’ambre, le regard mordoré de l’homme s’était posé sur lui, toute la surprise, brève, et la colère contenue de constater sa présence emplissant ses iris au fond desquels brillait autre chose. Quelque chose que l’ex-collégien avait perçu à de rares occasions, lorsque Zane cessait de se préoccuper des ennuis qu’il allait lui apporter très bientôt, évoquant les Stax, le Redakaï, et surtout, Ky, le chef de l’équipe adverse.

Le désir de vengeance, de réduire en cendres ses ennemis, les forcer à ployer l’échine devant lui.

Exactement ce que Marc appréhendait, et aimait le moins chez l’irascible extraterrestre.

L’espace d’un instant, il eut l’impression de ne plus être qu’un miroir transparent, ne reflétant pas le monde extérieur, mais ce que le garçon possédait en lui-même. Lokar ne se privait pas de puiser en son être toutes les informations qui lui seraient utiles par la suite. Ses angoisses, ses sentiments véritables, ses peurs viscérales, les secrets qu’il tentait de dissimuler depuis l’enfance. Comme si le Maître détenait le pouvoir de savoir exactement qui il était, ce qu’il était, balayant d’un regard ses efforts pour s’intégrer.

Ces yeux, pleins de ressentiments et de rancœur… Cet homme, il le sentait, était prêt à aller jusqu’au bout pour parvenir à ses fins, peu importait le prix. Quitte à utiliser les adolescents sous ses ordres jusqu’à épuisement. Si parfois Zane possédait ce trait de caractère, il parvenait à contenir ses réactions explosives face à ses coéquipiers, même en présence du gamin.

Lokar, lui, ne possédait plus aucun scrupule.

Alors que Marc tentait péniblement de garder contenance, le Maître rompit le contact visuel, lui arrachant un soupir de soulagement. Dardant ses prunelles méfiantes sur Zane, le jeune homme, s’il ne paraissait guère particulièrement impressionné, prenant garde à garder la nuque courbée, surveillait l’homme du coin de l’œil comme s’il fut s’agit d’une créature redoutable, impérative à garder dans son champ de vision.

Fasciné, l’ex-collégien fixa intensément le Maître des Radikors, l’excitation de se trouver intégré pleinement dans l’univers de l’équipe tempérée par cette impression persistante d’un manque indéfinissable, trop peu expérimenté pour en déduire sa signification.

Un coup sec, frappé du plat de la main derrière son genou, le rappela sur-le-champ à l’ordre. Déjà en position, Zane désigna le sol d’un geste furieux, vérifiant que Lokar ne prenait pas ombrage du manque de réactivité du garçon. Sous les éclairs de l’onyx, lourd de reproches, il ploya le genou, l’un en terre tandis que le second supportait son poids, une main sur le sol tandis que l’autre reposait sur sa cuisse. Et dire que les génuflexions de la messe de Pâques lui paraissaient pénibles, enfant…

Aucune réflexion ne suivit ce petit imprévu, l’homme se contentant de baisser ses iris sur le duo sans esquisser le moindre mouvement de tête, laissant le silence s’étendre, maître de la parole.

Enfin, Lokar se décida à desserrer les lèvres, d’une voix posée, un rien condescendante, mais lourde de sous-entendus menaçants.

– Es-tu si désespéré, que tu m’amènes un enfant ? À moins qu’il ne s’agisse d’un des stupides survivants novices de Baoddaï, quel intérêt cela me procure-t-il ? Dois-je comprendre que tu essaies de te moquer de moi ? Au moment même où mon plan est sur le point de se réaliser ?

– Pas du tout, Maître, affirma Zane. C’est le garçon dont je vous avais parlé, lors de notre dernière entrevue.

– Je me souviens, oui. Le maladroit incompétent qui devait apprendre les règles. S’il se montre si rétif à l’autorité, me l’as-tu présenté pour que je règle en personne son cas ?

D’abord mortifié d’avoir été présenté comme un bon à rien, encore, Marc oublia sa peine montante, remplacée par une nervosité clouant ses muscles sur place. Se rappelant qu’il devait laisser Zane conduire la discussion, et ne surtout pas intervenir, il ravala de justesse ses excuses, gardant le nez baissé.

– Ce n’est pas la peine. Je me suis chargé de lui, et il se montre très obéissant maintenant, s’empressa d’assurer le chef des Radikors, la voix vibrante de conviction… et d’une pointe de nervosité.

S’humectant les lèvres, le jeune homme posa une main dans le dos de son compagnon de galère. Un geste de réconfort, ou une manière d’appuyer ses propos face à son Maître ? Marc ne put se décider. Quoique, il s’agissait sûrement de la deuxième option. Pourquoi Zane chercherait-il à le soutenir, au fond ?

– Cela n’explique pas sa présence. Qu’en ai-je à faire, si ce n’est pas un combattant ?!

Une question rhétorique évidemment. Qui pourtant exigeait une réponse immédiate.

– Eh bien, je vous avais dit que ce garçon nous serait utile, commença le chef des Radikors. Sachez qu’il est capable de sentir le kaïru, et avec une finesse égale à celle de Maya. Il n’est pas très impressionnant, mais il ne faut pas se fier aux apparences. Depuis la découverte de son don, je n’ai fait que l’entraîner, perfectionnant ses talents naturels.

Ce qui remontait, en réalité, à moins d’une semaine auparavant. Mais Lokar, supposa Marc, n’avait pas à tout savoir. Comment réagirait le Maître s’il découvrait que le chien renifleur en question ne connaissait même pas son don quand ses mains étaient allées tripoter dans les affaires de son élève ?

Pourtant, l’homme ne parut guère convaincu par le discours assuré de ce dernier.

– Je ne ressens aucun potentiel kaïru dans ce garçon. Comment pourrait-il le détecter ? railla-t-il. Je crois plutôt que tu as embrigadé un petit malin, habile à te tromper. Un espion, peut-être ?

Perdant sa belle confiance, Zane redressa le buste, écartant les mains en signe d’innocence.

– Je vous assure qu’il en est capable ! Et je me suis assuré personnellement qu’il ne s’agit pas un agent double à la solde du Redakaï. D’accord, c’est étrange qu’il ne puisse pas manipuler le kaïru, mais il sera une aide supplémentaire pour faire tomber vos ennemis une bonne fois pour toutes !

– Voyez-vous cela ! ricana Lokar, se penchant dans son siège.

Un instant au fond de la pièce visible au travers du portail, il fut soudainement devant l’ex-collégien, son visage si proche du sien que ce dernier oublia instantanément se trouver au beau milieu d’une forêt remplie de pièges, oublia la pierre râpant ses genoux. Happé, il sursauta, censurant de peu un mouvement de recul. Pourtant, Lokar le remarqua, un sourire moqueur se peignant sur ses traits.

– Et comment cet humain prouvera-t-il ses capacités ? En quoi seras-tu si utile ?

L’intéressé, totalement pris au dépourvu d’être interrogé en personne, faillit se retourner, interrogeant muettement Zane sur l’attitude à adopter. Mais se détourner des iris dorés, braqués dans les siens, fouillant impitoyablement son âme, se révéla aussi évident que de se débattre contre un licol passé autour du cou. À peine distingua-t-il, à l’extrême de son champ de vision, Zane se redresser à demi, réduit muettement au silence. Sans ce manque flagrant de respect envers l’extraterrestre, qu’il considérait comme un chef, Marc n’aurait rien pu faire d’autre que se recroqueviller sur lui-même, bras autour de ses jambes, nez rentré entre ses genoux, tétanisé par le ton ouvertement moqueur de l’homme.

Désireux de ne pas attirer plus d’ennuis, il se força au contraire à garder le visage relevé, détachant lentement chaque syllabe sortant de sa gorge. Une technique pour empêcher sa voix de trembler pitoyablement. S’il interprétait correctement ses ressentis, depuis l’ouverture du portail, peut-être avait-il une petite chance de persuader Lokar que son élève ne lui disait que la vérité, pure et simple.

– Vous n’êtes pas entièrement dépourvu de kaïru. Au contraire, vous en conservez une grande partie, un peu plus bas. Du kaïru classique, bien sûr, mais aussi un autre, le kaïru obscur, bien plus agressif. Comme mû par une volonté propre (il se tut une fraction de seconde, se concentrant). Enfin, ça ressemble au kaïru obscur, mais c’est un peu bizarre. Pas vraiment différent, mais pas pareil non plus…

– Cela suffit, le coupa Lokar (en un battement de cil, il retrouva sa place originelle, au fond de son trône). Il semblerait que tu aies raison, cet enfant a un potentiel. Reste à savoir pourquoi il ne peut faire plus. Continue de l’entraîner, et qu’il soit à tout moment prêt à se battre pour moi.

– Il en sera fait selon vos désirs, assura Zane, cachant imparfaitement le soulagement perçant derrière ses paroles. Cependant, je dois absolument vous parler de quelque chose d’important…

– Plus tard. L’as-tu trouvé ? demanda le Maître, l’avidité illuminant son visage.

Serrant les mâchoires, le chef des Radikors se tendit, hochant pourtant affirmativement la tête. Décidant qu’il pouvait désormais cesser de s’agenouiller, il déplia ses jambes, tendant le bras en arrière pour empoigner son sac à dos. Son regret de dévoiler un autre de ses secrets au garçon sagement assis près de lui s’effaça devant les exigences de son Maître. Ouvrant la fermeture éclair, il écarta quelques objets inutiles d’un geste sec, examinant avec un regret, invisible pour Lokar, celui de Tekris. Quelques secondes de trop pour que Marc ne soit pas intrigué, curieux de savoir la raison d’un tel comportement.

Quand il se redressa, au creux de ses mains respectueusement entrouvertes, reposait une relique étrange, gorgée de kaïru sans que le garçon n’ait soupçonné auparavant sa présence. À cause de l’éclosion récente de ses capacités, ou se trouvait-il au contraire brouillé car persuadé que rien de particulier ne se cachait dans les affaires de Zane ? Une question sans importance, se morigéna-t-il.

C’était un gant, ressemblant à ceux des armures de chevalier, assez grand pour qu’un adulte l’enfile. Une aura bleutée comme le kaïru classique, mais parcourue de petits globes rappelant le kaïru obscur, entourait l’objet. Conçu dans un métal particulièrement lourd, si Marc se fiait à la façon dont le jeune homme le portait, s’approchant de son Maître pour le lui présenter. Pourtant, quand il avait dû porter les sacs en guise de punition, le garçon n’avait pas éprouvé de difficultés particulières.

Quand Zane tendit l’objet juste devant l’hologramme de son Maître, il n’eut aucun mal à le garder à bout de bras, impatient de recevoir les félicitations de l’homme face à son travail accompli.

Visiblement satisfait, le visage de Lokar s’éclaira, un sourire sournois étirant ses lèvres tandis qu’il s’assurait de l’authenticité de l’artefact. L’examen terminé, il s’adossa de nouveau à son siège, sans cesser de toiser le duo. La curiosité taraudant son esprit, Marc oublia les consignes de Zane, se relevant à son tour dans l’espoir d’observer le gant de plus près.

Soudain, une phrase, assénée par Illian quatre jours auparavant, lui revint en mémoire.

« Où est le Gant de Lokar ? ». Parlait-il de cet artefact ? Dans ce cas, son pouvoir transcendait son apparence, certes très travaillée, mais guère prometteuse de puissances incontrôlables.

– Avec mon Gant, reprit Lokar, répondant à la précédente interrogation du garçon, je serais en mesure de compenser la perte de Drakilar. Baoddaï, cet ancêtre, ne pourra pas m’arrêter cette fois ! Comment as-tu fait pour le retrouver ?

– Baoddaï a malheureusement oublié que je connais bien mieux ses cachettes que la plupart de ses ennemis, se rengorgea Zane, volontairement évasif.

La photo retrouvé dans les affaires du jeune homme avait-elle un rapport avec cette étrange déclaration?Marc aurait bien voulu le savoir.

– Personne ne t’a remarqué, toi ou l’un de tes coéquipiers ? continua Lokar, soudainement soupçonneux.

Le sourire s’effaça lentement du visage de Zane, luttant pour ne pas disparaître entièrement. Furtivement, ses pupilles onyx se posèrent sur l’ex-collégien, pensives sans que celui-ci ne comprenne pourquoi. Cessant de l’englober d’un regard, comme s’il le soupesait mentalement, ou le comparait à une chose connue de lui seul, le jeune homme revint à son Maître, sa voix ne laissant transparaître aucune émotion.

– Nous avons dû affronter les Stax pour quitter le monastère, mais il a suffi de sauter dans le lac l’entourant, et de rester sous l’eau assez longtemps pour nous éloigner, et le tour était joué ! Zair est partir en avant, avec la relique, tandis que les Stax persuadés que je ne confierais jamais un objet d’une telle importance à quelqu’un d’autre suivaient une fausse piste.

De nouveau, le regard de l’extraterrestre dériva jusqu’à son compagnon, si vite qu’il aurait cru avoir rêvé, n’était l’indéchiffrable expression du jeune homme. Ne sachant comment réagir, Marc lui adressa un timide sourire, chassé de son visage quand Lokar prit de nouveau la parole, riant presque de plaisir.

– Humilier les Stax, voilà qui me plaît ! Je dois te féliciter, Zane, déclara sentencieusement Lokar, toisant les deux garçons lui faisant face de toute sa hauteur. En plus de récupérer le Gant de Lokar, tu as correctement exécuté mes instructions. Le test du Cambodge fut un parfait succès. Très bientôt, nous allons pouvoir passer à l’étape suivante, qui verra mon triomphe inonder le Redakaï de sa toute-puissance !

– Je vous avais dit que vous pourriez compter sur moi en toutes circonstances, Maître, déclara Zane, si mielleux que Marc sentit une pointe de gêne ramper sous sa peau en le voyant si différent du garçon qu’il connaissait, aussi piquant soit son caractère.

– Et je commence à le croire, sourit l’intéressé. À présent (détachant sa large main de l’accoudoir, Lokar ouvrit sa paume, trois petites plaques semblables à celle utilisée pour l’invoquer apparaissant au-dessus de ses doigts écartés), tu vas déposer ces petites merveilles aux coordonnées que je t’enverrais sur ton X-Reader. Baoddaï attendra que je récupère Drakilar. Je me réserve le meilleur pour la fin, qu’il ait le temps de réaliser ce qui l’attend ! Ensuite, tu te rendras là où nous nous sommes rencontrés pour la première fois (Zane tiqua, son regard obliquant vers Marc). Je passerai le Gant autour de mon poignet, et nous mènerons l’assaut final qui me conduira à la victoire !

Volant vers le duo d’une poussée de leur propriétaire, les plaques de faux ambre grésillèrent, se distordant une fraction de seconde… avant de franchir le portail, se postant devant les deux garçons. Zane les délaissant, concentré sur les déclarations de son Maître, Marc les empoigna, les fourrant dans son sac à dos.

– Je n’ai pas besoin de te préciser, évidemment, que je t’interdis formellement d’utiliser mon Gant, n’est-ce pas ? susurra Lokar. Tu ne voudrais pas tenter d’usurper une nouvelle fois mon pouvoir. Dans le cas contraire, tu comprendras que ma faiblesse passagère ne m’empêchera pas de t’enseigner le respect.

Quoi ? songea Marc, médusé. Déjà bouleversé de comprendre que ses craintes concernant le Maître des Radikors semblaient se confirmer, et pas loin de la pire manière possible, il crut un instant avoir mal entendu. Peut-être était-ce juste une manifestation de la paranoïa du Maître… Mais dans ce cas, pourquoi Zane gardait-il un visage absolument dépourvu de toutes émotions, au lieu de protester avec véhémence ?

Évitant ostensiblement de se tourner en sa direction, Zane se contenta d’incliner le buste, seule sa préoccupation de garder une certaine crédibilité auprès de son compagnon de route faisant qu’il ne s’agenouillait pas une nouvelle fois.

– Cela ne m’a pas seulement traversé l’esprit. Je suis certain que très bientôt, le Redakaï comprendra quelle menace vous êtes, éternellement. Mais deux petites choses me viennent à l’esprit…

– Parle donc, mais sans traîner, l’Echo est presque entièrement vidé de son kaïru.

Content malgré tout de connaître enfin le nom des petites plaques d’ambre, Marc mordit sans douceur l’intérieur de la joue pour retenir son sourire. Sauf que, pourquoi ce nom bizarre ? Et en quoi ces machins de communication pouvaient-ils aider Lokar ? Il comptait envoyer un message exigeant la reddition du Redakaï ? Pas sûr que cela fonctionne, en vérité.

– D’abord, Ky, commença Zane, crachant plus qu’il ne prononça le nom de l’adolescent. Il possède toujours le kaïru prismatique. Tant qu’il peut purifier le kaïru obscur, il risque de nous mettre des bâtons dans les roues. Il faudrait trouver un moyen de neutraliser cette énergie !

– Allons bon, un monstre platine capable de neutraliser ma création, pour trois attaques simultanées ? Me prends-tu pour un idiot ? Ta mission est de déposer les Echo où je te l’ordonne afin que je puisse libérer leur énergie, alors obéit.

Plissant le front, Zane baissa le regard sur son sac à dos, songeur. La même interrogation se peignait sur son visage, que celui de l’ex-collégien. Qu’est-ce que cela donnait, quand Lokar « libérait l’énergie », exactement ? Bizarrement, il se tenait prêt à parier que le chef des Radikors l’ignorait tout autant.

Pris d’un affreux doute, le garçon pivota de trois-quarts, balayant visuellement le village déserté en contrebas. Lokar et le kaïru obscur pouvaient-ils se trouver à l’origine de l’inexplicable disparition de l’entièreté des habitants ?

– Hum, le deuxième point est bien plus important, et beaucoup plus urgent, continua Zane, déviant ses iris onyx dans la même direction que son compagnon, sans pour autant paraître ressentir dégoût ou révolte. Nous sommes tombés dans une embuscade tendue par les Stax et Koz.

– Ce misérable parvenu, souffla Lokar, dangereusement calme. J’aurais dû l’écraser sous ma botte tant qu’il était encore mon élève !

– Lors de ce guet-apens, enchaîna promptement Zane en grimaçant, surveillant la réaction de Marc du coin de l’œil, nous avons été séparés de Zair et Tekris, et nous ignorons ce qui leur est arrivé. Nous devons absolument les récupérer, afin d’intervenir plus efficacement encore dans l’élaboration de votre plan.

– Oh, et quelle soutien crois-tu que je puisse vous apporter, maintenant ? susurra Lokar.

Pris au dépourvu, Zane balbutia quelques mots incompréhensibles. Inspirant profondément, il rassembla ses pensées, reprenant, plus posément :

– Afin de mettre en place les pièces de votre œuvre, nous nous sommes réfugiés dans la forteresse, et tout porte à croire qu’ils y sont toujours.

Alors que Marc grimaçait, certain de la teneur de la réponse du Maître des Radikors, la surface du portail scintilla, fluctuant en une flaque mouvante comme du mercure liquide. L’image se troubla, les dernières bribes d’énergie s’évaporant dans la brise gagnant progressivement en intensité.

– Je vois, soupira Lokar, déjà difficilement audible, ou peut-être parlait-il encore normalement, difficile de faire la différence. Place les Echo, et apporte-moi le Gant. Je me charge personnellement des Stax, et de ce maudit parvenu.

– D’accord, mais qu’en est-il de Zair et Tekris ? demanda Zane.

Il se tut. Dans un chuintement voluptueux, le portail disparut, ne laissant qu’une plaque ordinaire dépourvue de toute aura violacée, incrustée dans l’un des yeux de la tête olmèque.

Déçu et furieux de la réponse de son Maître, Zane arracha l’Echo de la pierre, le jetant avec violence sur la dalle irrégulière. Rebondissant avec un petit bruit de tintement, la plaque roula un instant sur elle-même, avant de s’effondrer doucement, reposant là sans que l’irascible extraterrestre ne se décide à la récupérer.

– Tu crois que c’était un hologramme de Lokar, ou une ouverture sur une autre partie de la galaxie ? questionna Marc, palpant l’orbite de l’effigie, surpris de ne rien ressentir du tout, pas même une faible trace.

Une autre modification apportée par le Maître, peut-être ?

– Qu’est-ce que j’en ai à faire, maintenant ?! explosa Zane, frappant du poing la première excroissance à sa portée. C’est tout ce qui t’inquiètes, hein ?! Comment peux-tu prétendre te préoccuper de Tekris, alors que tu ne pense même pas à l’évoquer !

Marc tressaillit, sans parvenir à masquer son désarroi. Résistant de peu à l’envie de se taire, et de laisser passer la tempête. Déjà, Zane se détournait de lui, se mettant à faire les cent pas, si rapidement que le garçon eut bien du mal à le suivre du regard.

– Comment je suis censé me débrouiller, avec les Stax à nos trousses ?! Et si Zair et Tekris sont prisonniers des Stax ? Si Lokar ne peut pas nous aider, qui le pourra ? Pourquoi fallait-il qu’il débarque justement ce matin-là ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas attendre un jour ou deux, juste pour…

S’apercevant parler à voix haute, le jeune homme foudroya l’ex-collégien du regard, comme s’il se trouvait responsable de tous ses maux. Clignant plusieurs fois des paupières, Marc s’empressa de trouver un intérêt nouveau et infini pour l’artisanat ancien, cherchant ce qu’il avait bien pu faire de mal.

– De toute façon, je verrai bien, marmonna l’irascible extraterrestre. Viens là, talsi ! On descend !

Prudent, Marc s’abstint de tout commentaire alors qu’ils descendaient les interminables marches de la pyramide, Zane fulminant toujours du manque absolu d’implication de son Maître, marmonnant par moments quelque chose à propos des soi-disant avantages d’être le numéro un qui se révélaient trop hasardeux.

Enfin, une fois le pied posé au sol, Marc se tourna vers le jeune homme, n’en pouvant plus d’attendre.

– On ne va pas laisser tomber Tekris et Zair quand même, hein ? demanda-t-il anxieusement.

Un ange passa, plongeant Zane dans une réflexion profonde. Le sang pulsant à ses tempes, l’ex-collégien resta pendu à ses lèvres, ses grands yeux noisette le suppliant muettement de ne pas répondre par l’affirmative.

– Tu as les Echos ? Parfait. Il va falloir obéir à Lokar… commença lentement le jeune homme. Laisse-moi finir au lieu de râler tout de suite ! Il va falloir obéir, oui. Avec Zair et Tekris.

Poussant un petit cri de joie, Marc censura difficilement un petit saut de soulagement.

– Mais deux choses, avant : tout d’abord, nous allons en ville, alors arrange-toi pour rester près de moi, et ne pas te faire remarquer. Ensuite…

Ses pupilles onyx se promenèrent le long de sa silhouette frêle, exactement comme sur la dalle de pierre.

– Ensuite, reprit-il, nous trouvons un bon restaurant. Tu as besoin de te remplumer, on dirait un sac d’os ambulant. Comment veux-tu que je t’entraîne correctement ?! Tu fais franchement désordre.


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Bonjour, ou bonsoir !


J’espère que ce chapitre, même un peu plus long, vous aura plu ! Si c’est le cas, n’hésitez pas à laisser un commentaire, j’y répondrais avec plaisir !


Le moment où Zane détruit le pont pour envoyer les Stax par le fond est situé dans l’épisode quatre de la première saison, « La pierre cataclysmique », et si vous vous voulez voir le portrait de Lokar, rendez-vous sur le post dédié à l’histoire sur le forum de fanfictions.fr !


Sur ce, bonne journée, ou soirée !


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