Biohazard : Code Nivans II

Chapitre 2 : Cerberus

2691 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/09/2019 16:47

Ma sœur. Oui. Je me souviens que j'avais deux frères et deux sœurs, mais... Pourquoi m'en souvenais-je aussi peu ? Le regard insistant de Chloé me fit plonger dans ma mémoire, lointaine, que je croyais perdue à jamais.

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J'avais onze ans. C'était une nuit de décembre, peu après l'anniversaire de Chloé. La journée avait été longue et agitée, avec toute la famille qui avait été invitée pour l'occasion – la fille prodigue qui avait dix-huit ans. Je dormais comme une masse dans mon lit, lorsqu'une voix interrompit mon sommeil paradoxal.

-Piers. Hé p'tit Piers, réveille-toi.

Bien entendu, je devinai tout de suite de qui il s'agissait. Il n'y avait qu'une personne qui m'appelait comme ça. J'ouvris lentement un œil, pour voir le visage de Duncan juste en face du mien. Même dans le noir, je vis dans son regard cette petite lueur de malice, qu'il avait à chaque fois qu'il préparait un mauvais coup. Ou du moins, une action répréhensible du point de vue de mon implacable père. Je bougeai sous ma couette pour me mettre bien en face de lui, et j'en profitai pour remarquer qu'il était deux heures du matin.

-Qu'est-ce que tu veux ? demandai-je d'une voix encore endormie

-Habille-toi. Réunion de famille, là où tu sais.

J'acquiesçai, et le temps de me frotter les yeux, Duncan avait disparu. La nuit, il était un vrai fantôme, et, si je n'étais pas son frère, je trouverais ça flippant. A croire qu'il avait des prédispositions pour être un assassin, plus tard...

Je me levais presque douloureusement de mon lit, et enfilai un gilet avant de sortir de ma chambre. L'endroit où je me réunissais avec mes frères et sœurs était une cabane à l'orée de la forêt, cachée dans un grand arbre, donc il valait mieux que me couvre. Je risquais d'attraper froid en sortant en tenue de nuit. En parlant de ça, je me demandais ce que signifiait une réunion à cette heure de la nuit. Mais j'allais avoir les explications bientôt.

L'étape la plus dure a été de passer devant la chambre de mes parents. Loin d'être infaisable, mais ça me faisait stresser à chaque fois. Je dévalai silencieusement l'escalier, et ouvrai à deux mains la grande porte d'entrée, qui était entrouverte. Dehors, je croisai mon autre grande sœur Betthany.

-Coucou, me dit-elle. Tu sais ce qui se passe ?

-Pas du tout, admis-je

-Ah bon.

Nous fîmes le reste du chemin ensemble, et arrivâmes assez rapidement à l'arbre, qui était devenu notre QG à tous les cinq depuis presque cinq ans maintenant. Dans la cabane, Duncan et Chloé étaient déjà là. Cette dernière alla nous cueillir, Betthany et moi, en nous serrant contre elle, comme d'habitude, avant de nous inviter à nous asseoir autour de notre table de fortune. Alexis, le petit dernier, arriva peu après, et Duncan prit sa grosse voix de chef d'assemblée.

-Bon, si je vous ai rassemblés, c'est pour vous annoncer une nouvelle assez grave.

-Grave dans quel sens ? demanda Betthany avant moi.

-Dans le sens où les parents divorcent, dit-il d'un ton plus... grave. Le procès s'est terminé aujourd'hui.

-C'est pour ça qu'ils étaient en retard cet après-midi, comprit Chloé

-Ouais. Ils envisagent de nous séparer, reprit Duncan

-Oh non, dit Alexis d'un ton triste

-Tu as déjà les diagnostics ? demanda Chloé d'un ton inquiet

-A priori, Betthany et Piers iront avec papa, et le reste avec maman. Demain, sans doute.

Ma sœur et moi nous regardâmes en même temps, ne sachant pas trop quoi dire, avant de nous retourner vers Duncan. A côté de moi, Alexis se décomposait, et Chloé semblait plus fâchée qu'autre chose. D'ailleurs, comme pour confirmer mes pensées, elle se leva d'un coup pour pousser une gueulante.

-Bordel, quels égoïstes ! râla-t-elle. Ils ne nous en ont même pas parlé, en plus. Ils auraient débarqué la bouche en cœur demain matin et nous auraient dit "Faites vos bagages, on se sépare, ho-ho !" ? Sérieux, c'est irresponsable et hypocrite ! Le lendemain de mon anniversaire en plus, c'est dégueulasse !

-Calme-toi, Chloé, bégaya Alexis

Je me levai à mon tour pour l'inciter à se rasseoir, et je fus aidé par Betthany. Chloé nous regarda tour à tour, et nous serra de nouveau contre elle. Je l'entendis renifler.

-Je n'ai pas envie qu'on soit séparés, dit-elle. Je ne sais pas ce que je ferai sans vous.

Je ne dis rien, me contentant de tapoter son dos, et Betthany se mit à larmoyer, elle aussi. Silencieusement, Alexis et Duncan se joignirent à l'étreinte, et nous restâmes ainsi sans bouger pendant un long moment. Comme si c'était la dernière fois qu'on se voyait.

Je ne me doutais pas, à ce moment-là, que c'était vraiment le cas.

Nous sommes tous retournés nous coucher, et le lendemain, vers dix heures, mon père vint me réveiller. Même si Duncan ne nous avait rien dit, je me serais méfié, vu la douceur avec laquelle mon père, si dur habituellement, me réveilla.

-Debout mon grand, me dit-il d'un ton trop mielleux

-Papa ? Qu'est-ce qui se passe ?

Haha. Je savais déjà ce qui se passait. Mais je gardais mon scandale futile pour le moment où je l'entendrais dans sa bouche.

-Prépare tes affaires. Nous partons.

-Où ça ?

-Nous allons chez une amie de maman. Nous partirons à deux voitures, car ton oncle a emprunté la mienne. Betthany et toi, vous viendrez avec moi, et je viendrai chercher les autres après.

Bon sang. Depuis quand mon père était-il aussi doué pour mentir ? Si c'était depuis longtemps, combien de fois m'avait-il menti avec autant d'aisance ? Je ne pus m'empêcher de faire une grimace. Une erreur que je regrettai tout de suite après. Mon père était perspicace, hélas. Vision en plongée, propre aux snipers.

-Qu'est-ce qu'il y a Piers ? me demanda-t-il

-Rien, papa, réussis-je à mentir à mon tour. J'ai juste eu une nuit agitée.

-Tu as fait un cauchemar ?

Oh, on ne pouvait pas dire qu'il ne me tendait pas une perche, là...

-Oui. J'ai rêvé que toi et maman vous vous sépariez et que vous nous sépariez aussi, dis-je d'un ton volontairement tristounet

La voilà, la belle grimace de papa. Je fis mine de comprendre à ce moment précis, parce que, avouons-le, je n'étais pas si bête, même à onze ans. Je mis ma main devant ma bouche, pour exprimer ma surprise.

-Vous vous séparez vraiment ? dis-je d'un ton choqué

Quelque part, je pense que j'ai hérité de mes dons d'acteurs de lui. Et ça me faisait peur, sur le coup.

Mon père baissa les yeux, et ne dit rien pendant une longue minute. Avant de lâcher d'un ton sec, plus habituel, donc :

-Prépare tes affaires, Piers. Il ne reste que Betthany, toi et moi. Les autres sont déjà partis.

Je crus que mon cœur allait exploser. Je n'avais jamais été triste comme ça. Je me mis à pleurer, à hurler à m'en exploser les cordes vocales, et mon père sortit de ma chambre.

J'avais eu un pressentiment, la nuit précédente, mais je n'imaginais pas à quel point j'avais raison. C'était bel et bien la dernière fois que je voyais mes frères et sœurs.

Je crois que c'était à cause de ça que je m'étais interdit de pleurer, à l'avenir. En fait, ce n'était pas une interdiction, mais un fait. Je ne pouvais plus pleurer, parce que j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps ce jour-là. Du moins, c'est ce que je croyais, avant de verser des larmichettes de joie, lorsque j'ai été accepté à l'École Militaire Supérieure.

Bref, je m'éloigne, là.

Tout en pleurant, j'ai fait mes affaires. Peu importe à quel point je détestais mon père, je lui obéissais toujours. J'avais été élevé comme ça. C'est sans doute ça aussi qui avait fait de moi un bon soldat. Un bon soldat est un soldat qui obéit, me répétait mon père. Et je m'exécutai parce que je l'admirais. Je m'estimais heureux si je devenais la moitié de l'homme qu'il était devenu. Mais ce jour-là, je n'éprouvais pour lui que de la haine et du dégoût. Pour ma mère, aussi, qui m'avait volé deux frères et une sœur pendant mon sommeil.

Je saisis ma valise avec une amertume non dissimulée, et, de l'autre côté du couloir, je vis ma sœur Betthany qui avait une expression morose. Pour elle, je souriais, j'étais fort, mais je me jurais que mon père n'aurait plus aucun de mes sourires. Jamais.

Le plus parfait dans cette histoire, c'est que je n'ai jamais revu mes frères et sœurs. Mon père, Betthany et moi avons emménagé à Manhattan, alors que les autres on emménagé à Los Angeles, de l'autre côté du pays. Cinq ans plus tard, en 2003, Betthany s'est mariée, et a déménagé dans un coin paumé de la France pour vivre avec son mari, mais nous restions en contact écrit. Et un an après le départ de ma sœur, au moment où je commençais mon cursus militaire, mon père est mort.

Quelque part, sa mort était le début de ma première nouvelle vie. J'ai lu quelque part "Notre vie est faite par la mort des autres". Dans mon cas, c'était très vrai. En fin de compte, j'ai appris à vivre avec, mais je n'ai jamais pardonné les impairs de mon père. J'étais triste de sa mort, mais en fait, je pensais être plus triste de ma séparation avec ma famille. Quand notre famille est dans l'armée, on s'attend à ce que tout le monde meure prématurément, donc j'étais déjà préparé à la mort de mon père. Alors que la perte de mes frères et sœurs était un coup bas, bête et méchant. Et je pensais m'en être remis.

Mais quand j'ai revu Chloé, seize ans plus tard, je me suis rendu compte à quel point j'avais tort. Si je n'étais pas aussi limité dans mes mouvements, et si elle n'était pas en équilibre au bord du vide, je lui aurais sauté dessus pour la prendre dans mes bras. Ah, il y a aussi qu'elle était dans une posture défensive, avec un sniper qui me mettait en joue derrière elle.

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Cette pensée me ramena illico au présent, et une nuée de questions affluèrent dans ma tête.

-Comment va maman ? commençai-je par demander

-Elle va bien. Mais je suis étonnée que tu me demandes ça en premier, dit-elle d'un ton amusé

-Ouais. Je ne sais pas ce qui m'a pris, dis-je en réponse à mes pensées précédentes. Et comment vont les frangins ?

-Oh. Attends.

Chloé sortit une oreillette de ses cheveux, et me la tendit. Je la pris de ma main valide, et la mis à mon oreille, avec une expression incrédule.

-Coucou grand frère, me dit une voix

-Alexis ? C'est vraiment toi ?, dis-je d'un ton surpris

Sa voix me paraissait tellement étrangère. En même temps, la dernière fois que je l'avais vu, il avait neuf ans. Cela ne me rajeunissait pas du tout...

-Ouais. Je suis content de te reparler, dit-il d'un ton que j'entendais comme souriant.

-Où es-tu ? demandai-je

-D'où vient la lumière rouge à ton avis ? ajouta-t-il d'un ton amusé

Je ne sus quelle était mon émotion la plus forte, entre ma fierté due au fait que mon petit frère aussi avait suivi la vocation familiale de sniper, et l'effroi, en sachant qu'il tenait ma vie entre ses mains. Aussi muté que je soie, j'étais quasiment sûr que je ne me relèverai pas si je me prenais une balle de gros calibre dans la poitrine. Je n'ajoutai rien, et je rendis l'oreillette à Chloé, en croyant entendre un rire. Elle la remit en place, et se retourna vers moi.

-Sinon qu'est-ce que tu veux ? dis-je à ma chère sœur. Et tu ne m'as pas dit comment allait Duncan.

-Laisse-moi te fournir quelques explications, d'abord. J'ai des années d'ignorance à éclaircir.

Je m'installai confortablement dans mon lit, je savais que ce serait une longue histoire.

-Maman est à l'origine de l'organisation du Cerbère, commença-t-elle par dire. Les premières menaces biologiques étaient là, et il fallait lutter contre. Les trois premiers sièges étaient pour maman, Duncan et moi. Cependant, maman a eu un accident, et Alexis, qui était jugé trop jeune à l'époque, a dû la remplacer.

Dans l'oreillette, j'entendais le grognement de mon jeune frère. Je ne sus comment l'interpréter, cependant.

-Il y a quatre ans, la menace s'est encore épaissie, et nous avons engagé un agent sur place, pour enquêter là-dessus. Elle a réussi à s'infiltrer, dans une organisation nommée Tricell, mais j'ai perdu le contact avec elle il y a huit mois. Elle s'est faite piquer par Neo-Umbrella.

-Deborah, compris-je

-Heureusement pour nous, monsieur Simmons et madame Radames n'étaient pas très subtils. Ils ont été facile à suivre, et, lorsque j'ai appris que toi et monsieur Redfield avez eu des problèmes avec le virus-C, j'ai envoyé un nouvel agent sur place pour vous aider.

-Ada, devinai-je

-Quant à moi, eh bien... j'ai supposé qu'il était temps que nous reprenions contact avec toi. Nous sommes une famille, pas vrai ? déclara Chloé, comme si ce n'était pas une question, en souriant

-Et Duncan dans tout ça ? sourcillai-je

-Il est mort il y a deux mois. Et je suis venue te voir pour que tu prennes sa place au sein du Cerbère.

Je ne pus m'empêcher de froncer les sourcils. Une fois le choc de la mort de mon frère passé – un peu trop facilement d'ailleurs, mais je mettais ça sur le coup du recul que j'avais pris à cause du fait que je ne l'ai pas vu depuis très longtemps – je ne pus m'empêcher de trouver ça déplacé. Chloé me l'avait annoncé avec une certaine décontraction, et elle était déjà prête à le remplacer.

-Je ne peux pas faire ça, Chloé. J'appartiens encore au BSAA

Chloé fronça les sourcils à son tour. Sérieusement, elle espérait vraiment que je laisserais tout tomber comme ça ? Si oui, elle était naïve.

-Et nous sommes ta famille, Piers. Mais bon, je ne vais pas te forcer.

-Vraiment ? dis-je d'un ton sceptique

-Vraiment. Tu te rendras compte bien assez tôt à quel point tu te trompes sur plein de choses.

Son ton grave fit vaciller ma volonté en un quart de secondes. Mon visage se décrispa, et je sentais que j'allais craquer, et la supplier avec un ton triste.

-Chloé je...

-Tu rien du tout, me coupa-t-elle d'un ton sec. Cette conversation est terminée. A bientôt petit frère.

Elle se laissa tomber dans le vide, et je me précipitai vers la fenêtre,en oubliant mes attaches. Le lit bougea, en faisant un gros bruit, et je réussis à regarder par la fenêtre. Plus rien. Je me surpris à regarder même dans la direction d'où venait la visée laser d'Alexis. Mais évidemment, il était sans doute assez loin pour que je ne le voie pas, et en plus, il avait sans doute disparu en même temps que Chloé. Je me rallongeai dans mon lit, en poussant un soupir, et je me rendormis avec une facilité désarmante et inattendue. Si je m'étais attendu à ça. Je me réveilla néanmoins une autre fois pendant la nuit pour fermer la fenêtre. 


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