Chevalier, mais pas trop ...

Chapitre 17 : ALEA JACTA EST

5348 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/02/2024 14:11

Disclaimer : cf. chapitre 1

N’hésitez pas à commenter. J’aimerais vraiment savoir ce qui va ou ne va pas.

 

CHAPITRE 17

ALEA JACTA EST

 

         Le soir même de la réunion familiale, Polydeukès avait pris la direction du Sanctuaire afin de demander une audience dans les plus brefs délais auprès du Pope étant donné l’urgence de la situation. Rendez-vous lui fut donné deux jours plus tard, immédiatement après la fin de l’entraînement. Iris attendait à l’endroit habituel. Elle n’avait plus remis les pieds près de la falaise, comprenant désormais où s’arrêtaient ses droits. Pendant que le chevalier d’or était chez le Pope, Saga la raccompagna jusque chez elle, avec une tâche supplémentaire qui lui avait été déléguée : surveiller Iris pour qu’elle ne soit pas tentée d’utiliser ses pouvoirs.

 

         Par un malheureux hasard, sur le trajet, le binôme rencontre Milo et sa petite bande qui ne se résumait plus qu’à un seul individu, Aiolia, le futur chevalier d’or du Lion. Shura était parti en Espagne, son pays d’origine, où il parachevait son entraînement, et Camus, le petit Français, était allé en Sibérie. D’ici deux années, si tout se passait bien, tout comme Saga, il obtiendrait l’armure d’or du Verseau. Mais bien que sa horde fût diminuée, l’arrogance de son chef n’en était pas moins amoindrie. Il demeurait toujours le petit caïd qu’Iris en était venue vouloir constamment affronter. C’était toujours cela que Saga redoutait.

 

         Le futur chevalier des Gémeaux vit la distance salutaire se réduire entre les deux camps. Milo était à bonne hauteur pour lancer un trait qui avait le don d’engendrer l’animosité. Le futur chevalier des Gémeaux priait de toutes ses forces pour que la rencontre, maintenant inévitable, se passât sans la moindre anicroche. Ses poings en étaient même crispés.

 

—  Salut les amoureux !

 

Aiolia pouffa de rire tout à côté de son camarade.

 

—  Bonjour et au revoir, Milo ! lança Saga en se déportant sur la gauche afin de pouvoir continuer à avancer, le poignet d’Iris dans sa main.

—  Eh ! Oh ! Pourquoi vous êtes si pressés ? Vous pouvez bien vous arrêtez quelques minutes histoire de bavarder. A moins que vous ayez des choses plus « importantes » à faire.

 

Saga s’arrêta net mais n’affronta pas le regard moqueur de son « camarade ». Il les provoquait une fois de plus mais cette fois, il en était venu à des aspects bien scabreux pour quelqu’un de son âge. Saga regretta de ne pas être né sourd ! L’effronterie de Milo ne connaissait aucune limite ! Il s’amusait dorénavant à forger à son aîné une réputation sordide ! Saga en eut le cœur soulevé.

 

—  Oh … Et puis après tout … vous faites ce que vous voulez. Mais je disais ça pour le bien d’Iris. Je savais, Saga, que tu voulais ressembler en tout point à ton maître mais tu ne crois pas qu’elle est encore un peu jeune pour ce genre … « d’occupation » ?

 

Saga avait été plus que tolérant. Il se retourna, les sourcils froncés et la mâchoire serrée, bien décidé cette fois à l’affronter. Les yeux de Saga rencontrèrent une paire d’orbes bleu azur très soutenu ce qui lui conférait encore plus d’impertinence et d’arrogance. Il fit un pas en avant et leva le poing. Mais Iris s’interposa et dit à son ami : « Laisse ! Tout ce qu’il veut, c’est prouver qu’il a raison en te manipulant. »

 

C’était la première fois qu’Iris se montrait aussi sensée. Elle qui d’habitude réagissait au quart de tour et que Saga calmait. Que lui arrivait-il ? Est-ce que les paroles de Polydeukès avaient plus de poids que celles de Saga ? Toujours est-il que Saga baissa le poing et les deux firent demi-tour. Iris prit néanmoins soin de saluer poliment les deux autres en leur tirant la langue, ce que Saga laissa faire. Tant qu’elle n’en venait pas aux mains … L’adolescent eut du mal à réprimer un léger rire.

 

—  Eh ! Pour qui tu te prends ?! Viens donc me le dire en face si tu oses !

 

Saga stoppa net sa marche. Que devait-il lui dire en face ? Il n’avait fait que rire sous cape ! A moins que … Oh, non ! Iris ! Elle avait dû lui dire quelque chose en même temps qu’elle le saluait. L’avait-elle fait exprès malgré son calme apparent ? C’était trop beau ! Polydeukès allait être furieux de constater que son disciple n’arrivait décidément pas à dompter le petit fauve qui faisait lui-même fi de ses consignes. Il fallait maintenant à tout pris éviter que Milo ait des doutes sur les capacités extraordinaires d’Iris. Saga tâcha au mieux à rectifier le tir du mieux qu’il le pouvait. Il se retourna pour la seconde fois.

 

—  Mais je n’ai rien dit !

—  Ce n’était pas à toi que je m’adressais mais à elle ! dit Milo énervé comme jamais.

—  Quoi ?! Mais tu délires ! Elle est muette ! Faut vraiment que tu te reposes ! Le soleil a cogné trop fort sur toi … ou bien c’est ton maître ! continua Saga en s’amusant.

—  Je ne suis pas fou ! Je l’ai clairement entendu me traiter de crétin frustré et jaloux !

 

Saga feignit une surprise digne des comédies d’Aristophane.

 

—  Ah bon ?! Moi, je n’ai rien entendu alors qu’elle est tout à côté de moi ! Et toi, Aiolia ?

Soudain étonné que l’on s’intéressât à lui, alors qu’il était simple figurant dans ce genre de litige, Aiolia se fit l’écho des paroles de Saga :

 

—  Non ! Moi non plus je n’ai rien entendu.

 

A cet instant, Milo foudroya son camarade du regard. Le futur chevalier du Lion, bien que toujours dans le sillage de Milo, faisait preuve de beaucoup d’honnêteté et de courage pour pouvoir tenir ainsi tête à son petit chef, qualité inhérentes à son signe.

 

—  Tu vois, Milo : tu as rêvé. Tu as CRU l’entendre parler. Et je parie que c’était une énième façon d’engager une tentative d’approche, lança triomphalement Saga.

 

Il tourna enfin les talons en entraînant Iris avec lui et laissant Milo avaler douloureusement sa défaite. Il était terriblement fier d’avoir pu battre son adversaire sur son propre terrain non sans l’aide inopinée de l’un de ses acolytes. Au final, le pauvre Milo devait se demander si, après tout, il n’était pas en train de devenir fou tant Iris l’obsédait !

 

Saga et Iris n’étaient plus qu’à quelques dizaines de mètres de chez elle. Plus personne à portée d’audition dorénavant. L’adolescent profita de cette occasion pour endosser le rôle du grand frère et faire une petite leçon de morale à sa petite sœur dans un souffle :

 

—  Tu te rends compte ! On a échappé de peu à la bagarre générale ! Si Milo avait appris la vérité, tu pouvais être certaine que toute l’île aurait été au courant en deux jours ! N’oublie pas la promesse que tu as faite à mon maître : pas d’emploi ostensible de tes pouvoirs !

—  Je sais mais … c’est sorti tout seul ! Il m’a tellement énervée avec ses sous-entendus que j’en ai même été choquée, cette fois. Et puis tu devrais être content : je n’ai plus rien dit et je ne me suis même pas battue !

 

Elle marquait à nouveau un point ! C’était une chance qu’ils arrivèrent enfin dans la petite demeure. Iris ouvrit la porte et la referma derrière Saga. Elle le fit assoir et lui apporta un verre d’eau. Saga fit alors rêveusement à haute voix avec un grand sourire :

 

—  Tout de même ! Un « crétin frustré et jaloux » !

 

Puis il baissa la tête pour fuir son regard alors qu’il sentait ses yeux posés sur lui. Ne pouvant plus se contenir, il explosa et partit dans une crise de fou rire. Iris, constatant qu’il ne lui en tenait plus rigueur, et certainement contaminée par sa bonne humeur, en fit tout autant. Mais au lieu de pousser son rire cristallin, seul un simili de hoquet parvint aux oreilles de l’adolescent. Les deux essayèrent de s’arrêter quelques instants, le temps pour Saga de se désaltérer et d’enlever péniblement sa tunique qui masquait ses blessures, mais ils furent vite regagnés par cette irrépressible envie de rire à gorge déployée. Iris reprit un peu son sérieux quand elle s’approcha de Saga alors qu’il avait toutes les peines du monde à se calmer.

 

—  Ce que j’ai dit est vrai, en plus ! Il me semble inculte, frustré de ne pas pouvoir se pavaner à mes côtés et terriblement jaloux de toi car il s’est aperçu que j’avais très bon goût.

 

Saga cessa immédiatement de rire, ne sachant s’il devait prendre cette remarque au pied de la lettre. Le poids de ses grands yeux pâles l’oppressait. Il était soudain mal à l’aise de se trouver ainsi, face à elle, torse nu. Il avait l’impression que son regard la déshabillait davantage et pire, que sa semi nudité pouvait la blesser. Il se mit à rougir et sur une impulsion due au malaise qu’engendrait la situation, il enfila à nouveau son vêtement.

 

—  Pourquoi tu te rhabilles ? Tu saignes au niveau de l’épaule gauche et de la poitrine, juste sous le cœur. Tu ne veux donc pas que Daphné te soigne ?

—  Si ! Bien sûr ! Mais je ne vois pas l’intérêt de me promener à demi nu en attendant qu’elle vienne. De plus, je trouve qu’il fait frais : nous ne sommes qu’en mars. Et puis, ma tunique me permet d’absorber le sang.

—  Houlà ! Je ne te savais pas aussi fillette ! Allez ! Enlève ça : c’est moi qui vais m’occuper de toi.

—  T’occuper de moi ? Et de quelle manière ? Les pansements et désinfectants sont dans le cabinet. Nous n’avons pas le droit d’y entrer tant qu’elle est en consultation.

—  Je te rappelle qu’un jour, c’est moi qui prendrai sa place. Il faut que je m’entraîne.

—  Une minute ! Je ne suis pas un cobaye ! Je ne veux pas que le remède soit pire que le mal à cause d’une apprentie sorcière. Je préfère attendre patiemment l’arrivée d’une véritable professionnelle avec du matériel stérilisé.

—  Qui a dit qu’il fallait du matériel ? Je peux très bien te soigner sans !

 

Le visage d’Iris s’était renfrogné sur ces derniers mots, vexée que Saga ne lui accorde plus sa confiance. Aussi, comme à son habitude, la fillette ne tint pas compte des paroles de son camarade. Elle saisit sa chemise par les côtés et la fit glisser à l’envers sans la moindre résistance. Saga avait préféré se laisser faire et laisser glisser le tissu sur sa peau endolorie. Il fit la grimace quand le tissu s’arracha de ses plaies : une sensation de brûlure. Saga ressentit le même malaise que précédemment. C’était à se demander lequel des deux était le plus affecté par l’agression.

Iris courut aussitôt vers l’évier et se savonna vigoureusement les mains en remontant jusqu’aux avant-bras. Elle avait déjà acquis les réflexes de l’hygiène d’une bonne praticienne médicale. Elle exagérait même ! Bien que Saga la vît de dos, il distinguait l’énorme quantité de mousse engendrée par un usage excessif de savon. Elle allait devoir passer du temps pour rincer tout cela correctement ; ce qui permettrait certainement à Saga de prolonger son sursis jusqu’à l’arrivée de Daphné.

 

Le bruit de l’eau s’écoulant du robinet cessa. Saga allait, hélas, passer entre les mains inexpérimentées ès plaies béantes d’Iris. Il dissimula sa joie mais il se promit intérieurement de pas la laisser le manipuler à sa guise comme une poupée de chiffon : il avait quand même son mot à dire dans cette histoire et elle ne pouvait pas le forcer à se faire davantage martyriser. Mais il la voyait tellement impliquée dans son rôle de petite infirmière que cela lui aurait fait de la peine d’émettre un refus. Il fallait trancher : au moindre faux pas, il crierait pour faire sortir Daphné en urgence.

 

Iris s’essuya soigneusement les mains avec une serviette propre sortie du meuble. Elle faisait face à Saga maintenant. Pendant son petit manège, il avait épongé le sang qui s’écoulait lentement de ses blessures avec sa tunique : celle-ci semblait les racler davantage à chaque fois qu’il les tamponnait même délicatement. Iris s’approcha de lui et étendit la main au-dessus de son épaule, paume vers le bas, puis la posa doucement sur la plaie. Le contact entre la chair blessée et la peau fraîchement nettoyée était insupportable. Saga se crispa : il pinça ses lèvres et ses paupières se plissèrent. Mais il n’osa toujours pas crier ; il se cambra alors qu’il aurait pu quitter sa chaise d’un bond. Il se contenta de taper du pied.

 

—  Allons ! Allons ! Je n’ai même pas mis de désinfectant alors arrête de gigoter. C’est lorsque tu te débats que tu as mal.

 

Saga s’accoutuma à cette brûlure et rétorqua :

 

—  C’est toi la responsable ! Si tu ne m’avais pas touché avec tes mains encore pleines de savon, je ne serais pas en train de me débattre sur ce fauteuil de torture.

 

Iris le regarda fixement sans lu répondre. Sa main occupait toujours la même place. Il fallait absolument faire cesser ces désagréments et en même temps, éviter une infection. Saga prit son courage à deux mains et entreprit d’enlever cette main plus nuisible que salvatrice au risque de s’attirer les foudres de la propriétaire. Lentement, il dirigea son autre main vers celle d’Iris. Il était à deux doigts de toucher au but quand il s’arrêta net, non pas de peur mais à cause de la surprise.

 

Iris avait fermé les yeux et incliné sa tête légèrement vers l’avant. Ses sourcils étaient froncés et son front plissé comme sous l’effet d’un effort intellectuel intense. Saga ne bougea plus, curieux et inquiet à la fois de ce que sa camarade lui réservait. Et puis soudain, une aura, très faible, dont les vibrations étaient à peine perceptibles. L’adolescent avait beaucoup de mal à la ressentir mais elle était bien présente. Une cosmo-énergie dont le rayonnement était irrégulier. Cette petite distraction fit oublier à Saga qu’il était blessé. D’ailleurs, il commença à moins souffrir. En détournant son regard pour se fixer sur sa blessure, il vit la main d’Iris, elle aussi enveloppée de ce même voile lumineux. Il en conclut qu’il devait ce soulagement à cette aura : il était béat d’admiration. Du coup, les paroles d’Iris se firent plus claires. Elle essayait de le soigner grâce à son cosmos d’où l’inutilité de quelque matériel. Mais Saga rompit le contact et l’influence thaumaturgique d’Iris.

 

—  Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu es malade ?

 

Iris n’eut pas le temps de répondre et s’écroula par terre comme assommée. Elle regagna un peu de sa consistance sans que Saga ne lui prête assistance et finit par lui dire :

 

—  Ben ça se voit, non ? J’étais en train de te soigner. Mais là, j’ai comme un gros coup de pompe. Et puis pourquoi tu t’énerves comme ça ? C’est comme ça que tu me remercie ?!

—  J’ai remarqué toutes tes attentions et je t’en suis reconnaissant … mais pas quand les fenêtres sont grandes ouvertes ! Polydeukès t’a bien recommandé d’être discrète !

 

Elle finit par lui sourire lorsqu’il l’aida à se relever.

 

—  On n’a qu’à aller dans ma chambre : je fermerai les volets. Ta plaie est encore béante.

 

Saga secoua la tête.

 

—  Je n’ai rien contre le fait que tu me soignes mais j’ai l’impression que cela te demande beaucoup de concentration et que tu dépenses une énorme somme d’énergie que tu ne maîtrises pas encore : tu t’es écroulée comme une masse !

 

La porte de service s’ouvrit enfin et Saga vit entrer Daphné, non sans soulagement. Elle venait de terminer sa journée. Lorsqu’elle vit la scène pathétique qui s’offrait à ses yeux : Iris soutenue par son noble et preux chevalier dans un triste état. Elle se précipita vers les deux enfants.

 

—  Mais qu’est-ce qui se passe encore ici ? Tu es souffrante, Iris ? Et toi, Saga ? Non de non ! Tu mets du sang sur Iris ! Allez ! Installe-toi à côté que je m’occupe de toi.

 

Le jeune adolescent s’exécuta sagement mais il ne put s’empêcher de faire une remarque :

 

—  Ce ne sera bientôt plus la peine.

—  Comment « plus la peine » ? Non mais regarde-toi ! Tu saignes bien ! Et ne me dis pas que tu as enfin décroché le sésame !

—  Iris a justement tenté de résoudre le problème du saignement, dit-il en s’installant sur la table d’examen.

 

Iris avait pris place à côté de lui pendant que Daphné courba les sourcils en signe d’incompréhension. Saga passa enfin entre des mains expertes. Tout en se faisant désinfecter, tamponner mais heureusement pas raccommoder, il détailla ses propos. Daphné s’arrêta un bref instant pour baisser la tête et hausser les épaules, puis elle revint à sa besogne.

 

—  Tu ne crois pas que j’ai eu mon quota d’émotions, cette semaine ?

 

Saga ne répliqua pas, gêné par la somme de catastrophes qui s’amoncelaient sur les épaules de la charmante et bienveillante jeune femme. Iris non plus ne parla pas mais elle regardait sa mère d’un œil malicieux. Un long moment passa dans un silence quasi religieux.

 

—  Voilà, jeune homme ! conclut Daphné en donnant une tape sur l’épaule valide. Tu es comme neuf maintenant … jusqu’à la prochaine session. Et plus tu t’approcheras du but, plus je mettrai de temps à te soigner. Je me demande d’ailleurs s’il ne serait pas préférable de prendre un abonnement à l’hôpital pendant les deux dernières années qu’il te reste à accomplir !

 

Elle se mit à rire. Gagné par la bonne humeur, Saga en fit de même tandis qu’un large sourire illuminait le visage d’Iris enfin remise de ses émotions.

 

—  A bien y réfléchir, l’hôpital n’est pas la meilleure solution. Ici, tu pourras bénéficier de mon aide ainsi que des soins encore balbutiants d’Iris.

 

Alors elle reconnaissait les capacités de sa fille et acceptait d’être secondée de façon peu orthodoxe dans son travail. La jeune femme avait changé d’avis sur l’emploi des capacités des chevaliers.

 

—  Après tout, tu es bien la digne fille de ta mère ! Et je trouve tout à fait normal, voire louable, que tu veuilles exercer la même profession que moi. De plus, commencer sur le tas est la meilleure des écoles.

 

La réaction d’Iris ne se fit pas attendre : elle sauta au cou de sa mère et semblait ne plus vouloir la lâcher. Iris « dit » quelque chose à Daphné et cela devait rester secret. Saga se sentit un peu rejeté. N’ayant jamais connu ses parents, il était presque jaloux de ce partage de joie et de secret entre « mère et fille ». Mais Iris avait le droit d’avoir ses petits secrets, tout comme lui avait le sien, assez pesant, qu’il révèlerait à Iris, le moment venu …

 

La soirée, et surtout le repas, se passa sans le plus petit nuage : Iris travaillerait donc à l’abri des regards, à l’emploi de sa cosmo-énergie dans un but thérapeutique mais pas encore sur les patients de Daphné. Saga s’était spontanément proposé pour endosser le rôle du moribond quotidien. Toutefois, il était convenu qu’au premier signe de fatigue, Iris devrait céder sa place à Daphné. Pour apaiser la situation, Iris assura que sa faiblesse n’était apparue qu’à cause d’une concentration extrême. Quand l’habitude de déployer son cosmos serait devenue aussi naturelle que chez un chevalier d’or, il n’y aurait plus aucun problème.

 

Saga était revigoré par le repas. Ses plaies le tiraillaient encore mais plus autant qu’auparavant. Il sentait qu’il allait avoir du mal à trouver le sommeil. Il quitta donc ses deux bienfaitrices le ventre plein et couvert de pansements pour aller rejoindre sa cabine. Sur le chemin, il vit la lumière de la loge de son maître alors que le soleil n’était pas encore couché. Il était revenu de son entrevue avec le Grand Pope. L’adolescent pressa le pas pour aller plus vite aux nouvelles. Il toqua à la porte.

 

—  Entre, Saga ! Je savais que tu ne pourrais pas attendre le lendemain.

 

L’intéressé hésita sur le pas de la porte. La voix de Polydeukès n’avait pas la même intonation que d’habitude. Elle était sombre, résignée. Saga ouvrit quand même la porte et franchit le seuil. Il voyait Polydeukès de profil, accoudé à sa table, la tête entre ses deux mains.

 

—  Referme bien la porte derrière toi. Tu es seul ? Personne ne t’a suivi ?

 

Saga secoua la tête, sans prononcer un seul mot, étonné par toutes les précautions dont son professeur faisait preuve en ce moment. Tout cela n’augurait rien de bon. Il l’invita à s’assoir en face de lui. La bonne humeur qui avait régné chez Daphné contrastait incroyablement avec l’ambiance de la petite cabine : c’était un silence délétère qui avait pris place. Saga avait l’impression d’étouffer : non pas qu’il fit chaud mais en raison de ce calme apparent, mais à cause de ce calme qui précède toujours les tempêtes. Ne pouvant plus supporter le mutisme de son mentor qui, visiblement, hésitait à engager la conversation, il brisa la glace :

 

—  Un problème, maître ? demanda prudemment l’adolescent.

—  Pas au sens où tu l’entends, répondit le chevalier en baissant ses mains et en soutenant un regard dans lequel il ne lisait pas de l’angoisse, mais de la préoccupation.

 

Qu’est-ce que le Pope avait bien pu dire ? Pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une mauvaise nouvelle et qu’Iris puisse rester parmi eux. Ce silence était insoutenable mais Saga n’osait en demander davantage car il avait trop peur des explications. Polydeukès le devança :

 

—  Tu te demandes ce qui s’est passé, non ?

 

Vif acquiescement en signe d’approbation mais aussi d’invitation à poursuivre au plus vite.

 

—  Tout d’abord, tu n’as pas à t’inquiéter pour Iris : le Pope accepte parfaitement sa situation et tu ne verras pas de gardes débarquer chez elle.

« Tout d’abord » ne signifiait rien de bon. Un « mais » n’allait pas tarder à suivre.

 

—  Toutefois, en passant les chevaliers d’or en revue et surtout la relève, nous nous sommes aperçus qu’un seul disciple faisait défaut : le chevalier des Poissons, Sibelius, qui vit aux confins de la Finlande, est assez âgé et n’a pas d’élève.

 

Saga écarquilla les yeux, plus que certain d’avoir compris l’allusion.

 

—  Le chevalier des Poissons ? Pas de disciple ? Mais alors ça veut dire que …

—  Exactement. Iris étant de ce signe et disposant d’un fragment encore inexploité de notre puissance serait normalement appelée à lui succéder.

—  Mais vous aviez dit qu’elle ne partirait pas s’entraîner ! dit Saga en haussant le ton.

—  En effet, répondit Polydeukès calmement. Pas tout de suite, du moins. La veille de notre entretien, le Pope est allé sur le Mont Etoilé pour connaître le destin d’Iris. Il m’a rapporté qu’elle partirait s’entraîner mais ne deviendrait pas un véritable chevalier.

 

Le sol se déroba sous les pieds de Saga. Iris allait, au final, le quitter. Quelques années. Elle s’entraînerait durement comme lui pour devenir …

 

—  « pas un vrai chevalier » ? répéta Saga, sceptique.

—  Je t’avoue qu’il ne m’en a pas dit davantage. Moi-même je n’ai pas compris le sens de ses paroles.

 

Un vent frais siffla sous la porte. Saga se leva d’un bond, la chaise tomba à la renverse. Dans un accès de colère, il mit ses mains à plat sur la table, bomba le torse et se permit de rudoyer son maître alors que ce dernier n’avait pas bougé un cil.

 

—  Et pourquoi doit-elle partir, hein ? Vous l’aviez dit ! Vous l’aviez promis ! Vous êtes en train de trahir Iris alors qu’elle vous témoigne autant de confiance que si vous étiez son père ! Et Daphné ? Vous avez pensé à elle ?

La vision de Saga devint floue ; les larmes lui montaient aux yeux. Il les sentait maintenant rouler sur ses joues comme des chapelets de perles. Polydeukès le regardait toujours aussi fixement mais ne bougeait pas, bien que Saga l’eût offensé. Son attitude froide et distante était ressentie comme une provocation vis-à-vis de l’adolescent. Saga sortit de ses gonds :

 

—  Et quand doit-elle partir ?

 

Aucune réaction du chevalier si ce n’est qu’il croisa les bras sur son torse et ferma les yeux. Saga redoubla de véhémence dans ses propos :

 

—  Dites-moi quand ! Et je l’en empêcherai !

 

Polydeukès finit par se lever de sa chaise et se dirigea d’un pas tranquille vers son disciple. Saga se retrouva soudain face contre terre, la joue chaude et enflée.

 

—  Je te demanderai de te calmer ! exigea une voix grave et terrifiante venue des profondeurs. Tu n’es pas en position d’interdire quoi que ce soit au Grand Pope et encore moins d’entraver la marche du destin pour satisfaire ton ego. Si Iris est née pour devenir chevalier, elle le deviendra quoi que tu fasses. Je ne sais pas quand ni comment cela se passera, mais sache que c’était écrit.

 

Saga ne connaissait pas son maître aussi fataliste. Le jeune homme se tut quelques instants pour pleurer de tout son soûl. Il essuya ses larmes et son mentor reprit la conversation sur un ton plus familier, presque paternel, et s’accroupit devant lui.

 

—  Je sais que ça te fait de la peine de t’imaginer séparé d’Iris mais tu dois la laisser marcher sur la voie qui a été tracée pour elle. Et même si tu l’en empêchais pour pouvoir la garder auprès de toi, elle finirait par la prendre tôt ou tard. Iris ne t’appartient pas ! Alors domine-toi. Tu laisses encore tes émotions prendre le pas sur la raison. Mais si ça peut te rassurer, vu qu’elle sera « chevalier », elle sera obligée de revenir au Sanctuaire. Les années d’entraînement ne sont rien par rapport à sa présence dans cette île. Tu survivras à la séparation, ne t’en fais pas. Elle reviendra vivante, et entre nous, je me garderai bien de la provoquer. Tu sais comme elle peut être soupe au lait !

 

Dura lex, sed lex ! Les derniers mots du chevalier avaient réussi à faire sourire son élève qui se calma quasi instantanément. Mais les spasmes de ses pleurs étaient toujours audibles. Il put néanmoins articuler pour le rectifier :

 

—  Pas « un vrai chevalier », maître, je vous le rappelle.

—  C’est vrai, se corrigea Polydeukès en passa sa main dans la tignasse de son élève. Il faudra que j’en parle à Daphné en tâchant de la ménager une nouvelle fois. Je crains une crise. Par Athéna ! Si on m’avait dit qu’un chevalier devait suivre une formation diplomatique …

—  Ça risque d’être difficile parce qu’Iris veut poursuivre le travail de Daphné. Et comme elle est têtue …

—  On verra bien. Mais pour le moment, contente-toi de la version officielle que je viens de t’apprendre.

 

Ne pas dire entièrement la vérité à Iris n’enchantait pas particulièrement Saga mais il fallait éviter le traumatisme d’une séparation après celle de l’agression et du handicap. Saga rejoignit sa cabine et s’allongea avec précaution pour ne pas gâcher le travail de Daphné.

 


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