Une Dernière Bataille

Chapitre 3 : Retours

9421 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2024 19:44

Grèce, Sanctuaire, Chemin des Douze Temples

 

Le soleil était en train de disparaître à l’horizon, recouvrant tout entier le Sanctuaire d’un voile orangé. La chaleur de la journée commençait à se dissiper à l’approche du crépuscule et les ombres des bâtiments s’allongeaient en conséquence. Marin, Jabu et Nachi étaient sur le point de pénétrer dans le Temple des Poissons, lorsqu’ils ressentirent des décharges de cosmos non loin de leur position.

- A qui peut bien appartenir cette énergie ? s’interrogea Nachi. Ce ne peut pas être Geki ou les autres. Je suis certain de ne pas la reconnaître.

- Effectivement, elle ne me rappelle rien, confirma Jabu. Mais si il y a une quelconque utilisation du cosmos, c’est qu’un probable affrontement doit avoir lieu. Qu’est-ce que tu en penses, Marin ?

Celle dernière, qui était restée songeuse jusque-là, prit la parole pour répondre à la question du Chevalier de la Licorne.

- Honnêtement, je pense que les questions peuvent attendre et que nous devrions juste nous dépêcher d’arriver sur place.

Ils accélérèrent la cadence de leur course, montant les marches quatre à quatre, et franchirent le Douzième Temple en très peu de temps. Dès qu’ils furent à nouveau sous la lumière du soleil couchant, ils aperçurent droit devant eux un corps ensanglanté qui gisait sur le grand escalier.

 

Grèce, Sanctuaire, Palais du Grand Pope

 

Alors qu’il continuait d’avancer en direction de son objectif, le groupe de Shaina stoppa net après que ses membres eurent perçu une perturbation dans leur aura.

- Vous l’avez senti, vous aussi ? questionna Ban en se tournant vers ses deux compagnons.

- Oui, et je peux dire que ce n’est pas Ichi. Qu’est-ce qui peut bien se passer ? s’enquit le Chevalier de la Grande Ourse.

- Je ne sais pas, avoua Shaina, mais on ferait mieux d’aller voir.

Ils commencèrent donc à rebrousser chemin, tous les trois, parcourant le long couloir en sens inverse à toute vitesse. Un court laps de temps plus tard, ils étaient revenus dans la salle du Grand Pope.

- Ichi, tout va bien ? demanda Geki en apercevant le Chevalier de l’Hydre Femelle.

- Oui, oui, ça va. Mais ces explosions de cosmos n'annoncent rien de bon, à mon avis.

- Tu n'as rien observé de bizarre, à un moment ou à un autre après que nous soyons partis ? demanda Shaina, toujours pragmatique.

- Non, rien, ... Quoique, à bien y réfléchir, j'ai eu une drôle d'impression peu après votre départ. Comme si quelqu'un s'était glissé dans mon dos. Cependant, il n'y avait personne quand je me suis retourné et la pièce n'avait pas changé d'un iota.

- Apparemment, tu aurais mieux fais de suivre ton intuition, dit Ban.

- Vous trois, vous allez rester ici. Moi, je vais voir ce qui se passe au-dehors.

- Je ne sais pas si c'est bien prudent d'y aller toute seule, Shaina, essaya d'objecter le Chevalier du Petit Lion. Tu risquerais de ...

- Non, c'est bien comme ça, le coupa-t-elle. Je me défends mieux quand je n'ai que moi à protéger.

Geki voulut lui lancer une répartie bien sentie mais Ban le devança en répondant d'un ton désabusé.

- Comme tu veux ..., on t'attendra.

Elle se dirigea vers la grande porte à double battant, la franchit et remonta la galerie menant à l'extérieur du bâtiment. Durant tout le trajet, elle resta sur ses gardes. Quand elle fut finalement sortie, le soleil la fit cligner des yeux, phénomène qui aurait été atténué si elle avait encore son masque. Au bout d'un certain temps, ces derniers s'habituèrent à la luminosité ; c'est alors qu'elle les vit.

 

Grèce, Sanctuaire, Grand Escalier

 

- Est-ce que ce serait … June !? s’exclama Nachi, se rappelant la description que lui avait fait Tatsumi de la jeune fille.

- Tu la connais ? s’étonna Jabu

- Eh bien, non, pas vraiment. Je sais seulement que c’est un Chevalier de Bronze comme nous et qu’elle s’est entraînée avec Shun sur l’île d’Andromède.

- Tout ça c’est très bien, néanmoins ça n’explique pas ce qu’elle fait ici, ni qui la mise dans cette état !

- Ça suffit, Jabu ! l’interrompit sèchement le Chevalier de l’Aigle. Pour l’heure, ce n’est pas le plus important. Nous devons rapidement nous occuper d’elle sinon je doute qu’elle survive bien longtemps. Même si cela représente un risque, il faut la déplacer. Nachi, aide moi.

La jeune femme plaça ses mains sous les aisselles de June tandis que Nachi la prenait par les genoux. Ils la soulevèrent dans un même ensemble aussi délicatement que possible et gravirent les quelques marches qui les séparaient de la terrasse au-dessus d’eux, laissant une traînée vermillon sur leur passage. Une fois qu’elle fut déposée sur le sol, Marin l’examina.

L’hémorragie a été plutôt sévère mais l’écoulement de sang semble s’être ralenti. Elle a de nombreuses coupures, cependant toutes n’ont pas la même gravité, certaines le sont plus que d’autres. Je dois traiter ces dernières en priorité.

Elle dénoua la grande pièce de tissu qui ceignait sa taille et la déchira en plusieurs bandelettes avec lesquelles elle s’affaira à panser les entailles les plus profondes. Quand elle eut fini, elle palpa le flanc droit de la jeune fille, là où son Armure présentait un grand trou.

Hum, il semble qu’elle ait une, voire deux côtes de cassées. J’espère qu’aucune ne lui a perforé le poumon.

 

Des pas réguliers se rapprochant de leur position se firent bientôt entendre. Sans perdre de temps, les Chevaliers de la Licorne et du Loup se mirent en garde, prêts à affronter l’intrus. Toutefois, ils se détendirent bien vite quand ils reconnurent la personne qui arrivait.

- Shaina !

- Jabu, Nachi !? Qu’est-ce que vous faites là ? Je croyais que vous étiez censés voir les gardes.

- Mais on l’a fait ! répliqua Jabu. Ensuite, nous sommes directement venus vous rejoindre. A ce propos, pourquoi les autres ne sont-ils pas avec toi ?

- J'ai préféré venir seule, alors je les ai laissés dans la salle du Grand Pope. Avez-vous une idée de ce qui s'est produit ?

- Nous avions presque atteint le Temple des Poissons quand nous avons été alarmés par de soudaines décharges d’aura, relata Marin. Malheureusement, tout ce que nous avons trouvé à notre arrivée, c’est cette jeune fille. (Elle posa un regard bienveillant sur la forme allongée à ses pieds.) Elle s’appelle June, d’après Nachi, et comme tu peux le constater, elle est dans un sale état. Je suppose que son assaillant a réussi à s'enfuir après l'avoir blessée.

- Je voudrais bien savoir comment !? s’emporta Jabu. Nous n’avons croisé personne sur le chemin et pourtant nous étions tout près quand c’est arrivé. Aucun être ne peut disparaître sans laisser de traces à moins d’user de téléportation ; ce qui s’avère impossible une fois le premier Temple franchi !

- Je crains que nous ne devions attendre qu’elle se soit remise de ses blessures pour avoir des éléments de réponse, avança le Chevalier du Loup.

Marin opina de la tête.

- Je crois me souvenir qu’il y a des chambres qui permettent de loger les serviteurs dans le Palais. Je doute qu’elles aient beaucoup servi durant ces treize dernières années mais elles ont sûrement été entretenues un minimum. Nous allons nous en servir comme dispensaire à titre provisoire.

- C'est une bonne idée. Je vous laisse vous charger de ça. Je vais retourner auprès des autres pour les mettre au courant de la situation.

- Très bien. Jabu, tu vas m’aider à transporter June et pendant ce temps, Nachi va aller chercher un guérisseur.

Pendant que Shaina repartait d’où elle était venue, les Chevaliers de l’Aigle et de la Licorne s’occupèrent d’emmener celui du Caméléon vers un lieu plus adapté. Nachi, quant à lui, se dépêcha de redescendre les marches.

 

Grèce, Sanctuaire, Palais du Grand Pope

 

Depuis bientôt deux heures, l’astre diurne avait cédé la place à son pendant nocturne et le ciel était à présent piqueté d’étoiles qui brillaient avec vivacité. La nuit avait étendu son sombre manteau sur le Sanctuaire, sans pour autant entraîner tous ces habitants dans le sommeil.

Le praticien sortit de la chambre où avait été installée June et referma la porte en silence. C’était un homme d’une soixantaine d’années, plutôt petit et vêtu d’un himation blanc aux bords passablement élimés. La peau parcheminée du sommet de son crâne était glabre et tavelée de petites tâches brunes. Une fine barbiche de poils gris taillée en pointe ornait son menton.

- Quel est ton diagnostic, Diolon ? lui demanda Marin alors qu’elle le conduisait vers une chaise.

Il la remercia d’un hochement de tête avant de s’asseoir en grimaçant lorsque ses articulations se rappelèrent à son bon souvenir.

- Eh bien, je dirais que cela tient du miracle qu’elle soit encore de ce monde. Elle a perdu une importante quantité de sang ; sans les prompts soins que tu lui as administré et la robustesse dont vous, les Chevaliers semblez être pourvus, elle serait probablement morte. Tu as bien agi, Marin.

- Disons que j’ai eu un bon professeur pour m’enseigner les bases.

- Oui, ça doit être ça, lui concéda-t-il avec une pointe d’amusement. J’ai nettoyé les plaies et remis des bandages propres avec des cataplasmes au-dessous. J’en ai également profité pour retirer les éclats de métal qui s’étaient logés dans sa chair afin de prévenir tout risque d’infection. (Il fit une petite pause avant de continuer.) Il faudra néanmoins s’assurer que les pansements restent propres et qu’elle ne contracte pas de fièvre. Je t’ai laissé quelques décoctions au cas où. Ce qui lui faut surtout maintenant, c’est du repos.

- Je suis heureuse de savoir qu’elle va s’en sortir, avoua-t-elle. Merci pour ce que tu as fait Diolon.

- Bah, je n’ai fait que pratiquer mon art, répondit celui-ci en agitant une main devant son visage. Ça me contente également quand je réussis à sauver mes patients. Maintenant que mon travail est terminé, je vais prendre congé.

Ses articulations protestèrent à nouveau lorsqu’il se redressa mais il serra les dents pour ne pas le montrer. Marin se sentait quelque peu gênée de laisser partir le vieil homme dans ces conditions. Il n’était plus tout jeune, même s’il refusait de l’admettre, et elle redoutait de le laisser effectuer un long trajet pour rentrer chez lui ; aussi sachant qu’il avait sa fierté, elle essaya de se montrer diplomate dans sa façon d’aborder la question.

- Ne serait-il pas préférable, et peut-être plus prudent, que tu restes cette nuit afin de surveiller son état ?

Le praticien qui n’était pas dupe, savait très bien que la jeune femme tournait la question à son avantage afin de ne pas le froisser.

- Soit, je te concède qu’il faudrait garder un œil sur elle, et puis, ajouta-il finalement, mes jambes ne sont plus ce qu’elles étaient et je doute qu’elles acceptent de me traîner plus loin.

- Puisque c’est entendu je vais te trouver une chambre.

 

A minuit, alors que les deux Chevaliers d’Argent étaient au chevet de June et que ceux de Bronze jouaient aux osselets dans le but de s’empêcher de dormir, une grande étoile filante à la chevelure dorée traversa le ciel d’ébène. Arrivée au-dessus du Domaine Sacré, elle se scinda en treize éclats ; douze d’entre eux prirent la direction des Temples des Chevaliers d’Or, tandis que le dernier filait vers le Temple d’Athéna. Aussitôt après avoir ressenti l’énergie familière que dégageait le projectile céleste, les occupants du Palais se mirent en route vers son probable point de chute, avec une impatience non dissimulée.

 

Grèce, Sanctuaire, Temple d’Athéna

 

Une sphère de lumière descendait doucement vers le sol dallé du Temple, désormais dépourvu de la gigantesque statue de la déesse de la Sagesse. Sa radiance s’amenuisait au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de la terre ferme. Une fois posée, celle-ci révéla Athéna et ses Chevaliers.

 

Sans crier gare, la jeune femme s’effondra à genoux, le souffle court. Shun se précipita vers elle, bientôt imité par ses compagnons.

- Quelque chose ne va pas ? Vous êtes blessée ? lui demanda-t-il.

- Non, ne t’inquiète pas, c’est juste le contrecoup du transport, répondit-elle. L’affrontement avec Hadès ainsi que l’énergie déployée pour le voyage de retour m’ont affaiblie plus que je ne le pensais. Laissez-moi quelques instants.

Peu à peu, sa respiration se fit moins prononcée et la fatigue disparut de ses traits, qui restèrent cependant assez marqués. A nouveau sur pied, elle laissa vaguer son regard sur le fief qui était le sien depuis les temps mythologiques. Nous sommes de retour, mais pas de la manière dont je l’aurais espéré, pensa-t-elle amèrement.Saori se tourna vers ses protecteurs, les seuls encore debout à ses côtés – en dehors de ceux qui étaient restés sur Terre. Tellement peu par rapport à ce qui aurait pu être. Elle les observa un à un, décelant la détresse qui les habitait.

Pour eux aussi, le retour sur les terres du Domaine Sacré leur avait fait prendre pleinement conscience de tout ce qu’ils avaient perdu jusqu’ici. A cette scène, les larmes se frayèrent un chemin jusqu’à ses yeux mais elle les refoula. Ce n’était pas le moment de pleurer. Pas encore. La voix de Hyôga la tira de ses pensées.

- Athéna, je crois que nous allons avoir de la compagnie.

Il désigna un point dans son dos. Quand elle pivota, elle put apercevoir les visages des personnes qui venaient dans leur direction. A mesure que celles-ci se rapprochaient, leurs mines joyeuses de prime abord, prirent une expression interrogatrice, voire inquiète pour certaines lorsqu’elles distinguèrent le nombre réduit de gens qui accompagnait Athéna.

 

Ils s’arrêtèrent à une courte distance de leur déesse, à la fois émerveillés et désemparés par la vision qui s’offrait à eux. Ikki, Hyôga et Shun se tenaient côte à côte, tandis que Shiryû demeurait derrière le mur formé par ses demi-frères. Les Armures dont ils étaient revêtus, bien qu’endommagées, demeuraient magnifiques, allant bien au-delà d’une simple protection de Bronze. Des arabesques dorées couraient à leur surface, se mêlant harmonieusement aux teintes tantôt glacées tantôt flamboyantes du métal. Néanmoins, leurs visages se réduisaient à des masques inexpressifs. Un pesant silence s’installa. Jabu fut le premier à le briser.

- Saori, nous sommes heureux de vous revoir saine et sauve. (Il se tut un instant, le temps de rassembler son courage pour poser la question qu’il tournait et retournait dans son esprit.) Mais … Enfin … Pourquoi êtes-vous si peu nombreux ? Les Chevaliers d’Or ne devraient-ils pas être avec vous ? Et où est Seiya ? (Pas de réponse. Son cœur se serra.) Hein … où est-ce qu’il se cache ? dit-il en tâchant de dissimuler son angoisse.

Marin posa une main sur son épaule, la serrant avec douceur et dit d’une voix qui essayait de se faire neutre.

- Arrête Jabu, tu connais déjà la réponse à ces questions …

- Seiya ainsi que les Chevaliers d’Or sont … tombés, lâcha Shiryû en fendant le rempart formé par ses trois compagnons. Dans ses bras reposait le corps sans vie du Chevalier de Pégase.

A la vue de la dépouille, les dernières lueurs d’espoir qui subsistaient dans le cœur des défenseurs du Sanctuaire s’éteignirent, et ils ne purent faire autrement que se laisser aller au désespoir.

Le Chevalier de la Licorne s’approcha du funeste porteur, comme pour s’assurer qu’il ne vivait pas un cauchemar. Il avança ses mains vers la dépouille pour la toucher mais les laissa retomber à quelques centimètres de cette dernière. Il se remémora des souvenirs. D’abord, ils avaient été des rivaux qui s’opposaient continuellement, puis les récents événements avaient mué l’animosité de Jabu en respect vis-à-vis des exploits de Seiya. La personne qui l'horripilait le plus et avec laquelle il aimait se chamailler n'était plus. C'était en quelque sorte frustrant et ... triste à la fois.

- Seiya … ce n’est pas possible …, gémit-il avant de pousser un juron et de s’exclamer : Espèce d’idiot ! Qu’est-ce qui t’a pris de mourir !

 

Tous étaient accablés, certains pleuraient sans retenue tandis que d’autres sombraient dans une humeur mélancolique car ils estimaient avoir déjà suffisamment versé de larmes.

Essuyant ses yeux humides d’un revers de la main, Nachi demanda :

- Comment tout cela a-t-il pu arrivé ?

- Je … Je suis désolée, mais le transport m’a éreintée, déclara Saori, qui n’avait plus desserré les lèvres depuis l’arrivée des autres. Si vous voulez bien m’excuser, je vais me retirer dans mes appartements, reprit-elle d’une voix atone, le visage gris et vacant.

Sur ces mots, elle s’en alla en direction du Palais afin de gagner ses appartements.Alors qu’elle s’éloignait, la jeune femme entendit les paroles perplexes du Chevalier de la Licorne.

- Saori … Attendez. Mais que … ?

Il s’apprêtait à la rattraper quand Ikki l’en dissuada d’un geste.

- Il me semble qu'elle a précisé qu'elle voulait être seule.

- Pour qui est-ce que tu te prends !? siffla Jabu. Laisse-moi passer ou tu vas tâter de mon poing !

- Ah, parce que maintenant, tu t'en crois capable ?

Cette simple question, en ravivant l'humiliation que le Chevalier du Phénix lui avait fait subir lors du Galaxian War, fut pour Jabu la proverbiale goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il commençait à lever son bras lorsque la voix autoritaire de Marin s'éleva dans l'air nocturne, l'arrêtant net.

- Ça suffit vous deux ! Ce n'est pas le moment de vous chamailler. Nous sommes tous éreintés et à bout de nerfs, aussi je crois qu'il serait bon que nous rentrions pour prendre du repos. Je pense que les règlements de comptes peuvent attendre demain.

Elle-même avait du mal à se l’avouer mais la perte de son élève l'avait profondément ébranlée, aussi elle avait profité de l'altercation entre les deux jeunes hommes pour donner le change. Finissant par obtempérer, non sans avoir lancé un dernier regard noir à Ikki, Jabu suivit les autres vers le Palais.

 

Grèce, Sanctuaire, Demeure de Marin

 

En proie à de mauvais rêves, Kiki ne cessait de se tourner et de se retourner dans son lit, entortillant les draps autour de ses membres. Un léger voile de sueur recouvrait son épiderme et sa respiration était hachée. De nombreuses images l’assaillaient par flash.

 

Dans l’une d’entre elles, il vit une étincelante lame faite d’or danser devant ses yeux avant de disparaître, happée par les méandres obscurs d’une mer déchaînée. Au sein de la seconde, il se retrouva dans un temple en décrépitude. Aucun détail ne lui permettait de reconnaître l’endroit. Sentant un très léger poids sur tout son corps, à peine plus important que celui d’une plume, mais tout de même bien présent, il baissa les yeux sur celui-ci et s’aperçut avec étonnement qu’il portait l’Armure d’Or du Bélier. De plus, ses membres étant plus grands et bien plus musclés que ceux d’un enfant, il en déduisit que ce qu’il voyait était son corps d’adulte. En face de lui se dressait une gigantesque porte de pierre dotée d’une gravure d’Ouroboros en son centre. Des volutes de fumée encore plus sombres que la nuit s’exhalaient d’elle. Se contorsionnant tel un nid de serpents, elles prirent la forme d’une silhouette massive arborant une apparence vaguement humaine. En un instant, l’ombre se jeta sur lui. Effrayé, il poussa un cri avant d’être englouti par cette chose.

Enfin dans une dernière vision, il se retrouva dans le Temple du Bélier plongé dans le noir. Tandis qu’il commençait à paniquer, un grand éclat de lumière chassa les ténèbres environnantes. Revêtu de son Armure, Mû, son maître, en émergea, baigné d’un éclat surnaturel. Il s’avança vers son élève et s’agenouilla à sa hauteur en lui posant une main sur l’épaule. Mû le rassura, lui enjoignit de toujours respecter son enseignement et lui conseilla de chercher la réponse à ses interrogations dans le secret de ses origines. Son image se fit plus floue à mesure que les minutes s’égrenaient. Finalement, il ne resta bientôt plus que l’Armure elle-même, sous sa forme totémique. Il entendit la voix de son maître lui dire adieu, tout en ajoutant qu’il était fier de son disciple. Curieusement durant tout le temps où il lui parla, il l’appela par un autre prénom que le sien. Kiki se réveilla en sursaut après ça.

 

Plusieurs secondes lui furent nécessaires pour se rappeler où il se trouvait. Il se passa une main sur le visage afin d’essuyer le lustre humide qui lui coulait dans les yeux. Que pouvaient donc bien signifier ces songes ? Devait-il y prêter attention ? Et pourquoi son maître lui était-il apparu de cette manière ? Kiki décida d’aller prendre l’air dans le but de s’éclaircir les idées. De toute façon, la pression qui s’exerçait sur sa vessie le contraignait à sortir à l’extérieur. Il se leva, laça ses sandales et se faufila à pas de loup jusqu’à la porte d’entrée, en prenant bien garde de ne pas réveiller Seika qui dormait dans la pièce d’à côté.

Au-dehors, la noire canopée semblait constellée d’étoiles à l’infini. Un vent venu de l’est lui ébouriffa encore davantage les cheveux. Il marcha sur quelques mètres et entreprit de dénoua son pantalon. Tandis qu’il se soulageait, il se dit qu’il ne voyait vraiment pas ce que ces visions avaient essayé de lui révéler.

Après qu’il eût terminé, Kiki alla s’asseoir sur un rocher non loin. Aucune des informations dont il disposait ne lui permettait d’établir la plus petite hypothèse possible. Qu’est-ce que son maître avait voulu dire en parlant de ses origines ? Kiki savait qu’il avait été confié à Mû lorsqu’il était encore un bébé mais ça s’arrêtait là. D’ailleurs, il tenait ce récit du Chevalier d’Or du Bélier lui-même. Est-ce que ce dernier lui demandait de chercher à savoir qui était ses parents ? Et pourquoi l’avoir appelé par un prénom différent ? Lequel était-ce déjà ? Il avait beau réfléchir, il ne lui revenait pas. Sa réflexion fut interrompue par la flèche de lumière qui zébra le ciel enténébré, au-dessus de lui. Des vibrations familières parcoururent son corps sous forme de frissons. Il comprit alors qu’ils étaient revenus. Il courut à grandes enjambées, faisant voler des gravillons sur son passage, vers la bâtisse pour en informer Seika.

 

Des bruits de pas précipités et un tambourinage insistant à sa porte la tirèrent de son sommeil. Elle se frotta les yeux et s’assit dans le lit, essayant de se libérer de l’étreinte des bras de Morphée. Evoluant entre le rêve et la réalité, ce n’est qu’après avoir entendu la voix qui l’appelait qu’elle se réveilla complètement.

- Seika ! C’est moi, Kiki ! Est-ce que je peux entrer ?

- Kiki ? appela-t-elle, incertaine.

Elle rejeta sa couverture et se leva pour aller ouvrir, en prenant au passage un châle qu’elle posa sur ses épaules. L’ouverture de la porte révéla un Kiki essoufflé, mais dont les yeux bleus violets, étaient remplis d’une excitation contenue à grand peine.

- Que se passe-t-il ? l’interrogea-t-elle

- Ils sont revenus ! Athéna et les Chevaliers sont de retour !

L’énormité de la nouvelle eut l’effet d’une décharge sur Seika, la laissant comme étourdie. Enfin ! Enfin elle allait pouvoir revoir son petit frère.

- Tu … tu en es sûr ?

- Certain ! Viens, je vais nous téléporter directement jusqu’à eux.

Téléporter ? Elle devait avoir mal entendu. Mais avant qu’elle ait pu lui poser la moindre question, Kiki lui avait agrippé la main pour l’entraîner à l’extérieur.

 

La téléportation était un arcane que seules de rares personnes arrivaient à maîtriser en-dehors des représentants du peuple du continent de Mû. Chez eux, cette technique faisait partie intégrante de leurs traditions et ceux qui la pratiquaient l’avaient élevée au rang d’art. Avant l’engloutissement de leur patrie, elle était enseignée surtout aux soldats, aux nobles, et dans une moindre mesure aux individus dont l’activité justifiait l’utilisation de cet arcane comme les émissaires. Aujourd’hui, les quelques petites communautés qui subsistaient de part le monde s’étaient réorganisées de telle sorte que la pratique s’était élargie à toute la société. Malgré tout, bien peu de gens manifestaient un intérêt pour celle-ci de part sa complexité et ses secrets tombaient peu à peu dans l’oubli sauf en ce qui concernait les porteurs de l’Armure d’Or du Bélier.

 

Kiki procéda comme Mû le lui avait enseigné. Il inspira à fond puis fit le vide dans son esprit, se détachant de toutes les pensées parasites. Il plongea au plus profond de lui-même, accordant la source d’énergie qui lui était propre à celles des choses qui l’entouraient : arbres, insectes, …, c’est-à-dire à l’ensemble des éléments qui possédaient un fragment de l’essence créatrice de l’Univers en eux.

Maintenant qu’il avait atteint l’état où il ne faisait plus qu’un avec son environnement immédiat, les choses sérieuses pouvaient commencer. En premier lieu, il devait visualiser l’endroit où il voulait se rendre. Ensuite, il devait utiliser son cosmos pour décomposer son être, molécules par molécules, atomes par atomes, et les disperser avant de les reformer à l’endroit souhaité. Être accompagné d’un autre individu rendait la tâche plus compliquée car il était bien plus facile d’appréhender sa propre structure interne que celle d’un étranger. Enfin, venait le moment de lire les subtils flux énergétiques qui permettaient de se déplacer jusqu’au lieu désiré.

La difficulté du processus résidait dans le fait qu’il fallait utiliser un peu de sa propre énergie pour pouvoir avancer sur ces courants ; il y avait donc une limite à la distance que l’on pouvait couvrir. De plus, le chemin n’étant pas toujours simple à déchiffrer, il arrivait donc que l’on perde du temps et de l’énergie, à essayer. Heureusement, Kiki avait déjà éprouvé les limites qui étaient les siennes à ce moment-là. Plus tard, lui avait expliqué Mû, il pourrait parcourir de plus grandes distances en transportant davantage de choses avec lui.

 

A force d’entraînement, ces opérations ne lui prirent pas plus d’une poignée de secondes. Seika cligna des yeux, hébétée. Elle ne comprenait rien à ce qui venait de se produire. L’instant d’avant, ils étaient devant une simple maison, l’instant d’après, ils se trouvaient sur le seuil d’un immense temple grec aux allures de palais. En tout cas, Kiki devait trouver ça tout à fait normal, au vu du grand sourire - celui des enfants fiers de leur exploit - qu’il arborait. Passé la surprise de la brièveté du voyage, Seika se sentit tout à coup nauséeuse, un peu comme si son estomac s’était retourné. Le jeune garçon ne manqua pas de remarquer son malaise.

- Ça va aller ?

Elle hocha simplement la tête en guise de réponse.

- On ressent toujours ça la première fois. Désolé de ne pas t’avoir prévenue, s’excusa-t-il. Tu devrais t’asseoir en attendant que ça passe.

- Ne t’inquiète pas pour moi. Tu n’as qu’à partir devant, je te rejoindrais dans peu de temps.

Sa réponse fit naître des sentiments contradictoires dans l’esprit de Kiki. D’un côté, il mourait d’envie de se précipiter dans le Palais pour aller à la rencontre de ses amis mais de l’autre, il ne pouvait se résigner à laisser Seika toute seule. Comprenant le dilemme intérieur qui se jouait devant elle, cette dernière entreprit de l’aider à prendre une décision.

- Je t’ai dit que tu pouvais y aller, alors n’hésite pas tant.

- D’accord, finit-il par dire à contrecoeur.

Et il s’enfonça dans les ombres du bâtiment, non sans avoir jeté un dernier regard en arrière.

 

En fait, Seika avait déjà pratiquement récupéré, mais un doute malsain s’était emparé d’elle, le même doute qu’elle avait eu au moment où elle avait recouvré la mémoire, la tentant de rester seule pour y réfléchir. Son frère serait-il vraiment là ? Bien qu’elle en doutât, elle voulait y croire. Pourquoi ai-je de telles pensées ? s’interrogea-t-elle. Je ne devrais songer qu’à d’heureuses retrouvailles. Finalement, elle prit une longue et profonde inspiration avant de partir à la suite de Kiki.

 

Japon, quelque part dans la forêt d’Aokigahara

 

Un vortex d'énergie obsidienne apparut dans l'air nocturne. La silhouette de Byakko en émergea, drapée dans son manteau. Un bref coup d'oeil à la ronde lui permit de s'assurer qu'il était bien là où il aurait dû se trouver.

Le voyage de retour s’était révélé plutôt éprouvant. Franchir de si longues distances avait sapé ses forces et il n’aimait pas se sentir aussi vulnérable. Il s'avança lentement sur le chemin qui menait à la demeure de son seigneur et pénétra dans un des jardins afin de s'asseoir sur un banc de pierre. Il avait besoin de recouvrer son énergie, de remettre ses idées en place et de faire le point avant d'effectuer son rapport.

Byakko regrettait, en un sens, l’incident avec la jeune fille mais il n’avait pas eu le choix. La réussite de sa mission primait avant toutes choses, même ses états d’âme. C’était ainsi et il n’y pouvait pas grand-chose. Il rejeta son capuchon en arrière et posa le coffret à côté de lui, en prenant soin de le recouvrir avec les pans de sa cape.

 

Bien qu’ils soient feutrés, il capta le bruit des pas qui s’approchaient de lui. Il tourna la tête et son regard tomba sur l’homme qui se tenait debout dans son dos. Celui-ci portait un kimono noir avec des flammes rouges dont la manche droite était rabattue, laissant apparaître un bras dénudé. Son pantalon était resserré aux chevilles et ses pieds nus étaient chaussés de sandales de paille tressée. A peine plus petit que Byakko, il avait des cheveux raides couleur aile de corbeau qui lui tombaient sur les épaules, offrant ainsi un saisissant contraste avec son teint blafard, quasi morbide. Son visage était émacié, avec une peau étrangement lisse, comme tendue sur les arêtes de son crâne. Ses yeux étaient soulignés de cernes noirs et injectés de sang comme s’il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours. Ses fines lèvres et ses ongles étaient également recouverts d’une matière sombre. Enfin, quelques tatouages noirs ornaient son biceps droit.

- Qu’est-ce que tu fais là, Suzaku ? demanda Byakko au nouveau venu sur un ton qui se voulait neutre, tout en s’assurant que la cassette était hors de sa vue.

- Hum, tu n’es pas content de me voir ? répondit celui-ci, faussement indigné. Je venais m’enquérir de la réussite de la tâche qui t’a été assignée, rien de plus.

Préférant ne pas parler de ça avec la personne qu’il méprisait le plus, Byakko décida de dévier la conversation.

- Comment es-tu au courant de ça ?

- Disons que moi et mes oreilles étions au bon endroit, au bon moment. Mais ce n’est pas le plus important. Tu n’as pas répondu pas à ma question.

Apparemment, il n’arriverait pas à se débarrasser de Suzaku de cette manière. Cherchant à clore rapidement la conversation, il voulut répondre promptement mais ne put s’empêcher d’hésiter quelques secondes.

- Elle s’est déroulée … pour le mieux.

Aussitôt, il se maudit pour ce moment de flottement.

- Ah, dois-je prendre cette hésitation pour un aveu ? Que s’est-il donc passé ? Au vu de l’état de ton manteau, tu as dû avoir un petit problème. Est-ce le fait d’un de ces Chevaliers d’Athéna ? demanda Suzaku en posant une main sur l’épaule de son interlocuteur ; qui frissonna à ce contact des plus déplaisants.

- Je n’ai pas à te répondre.

Faisant comme s’il n’avait rien entendu, son tourmenteur continua :

- Etait-ce un homme ou bien une femme ? L’as-tu affronté ? T’es-tu un peu amusé avec ce Chevalier avant de le tuer ? Car tu l’as bien tué, j’imagine.

- Ne me compare pas à toi, Suzaku. Je ne suis pas un homme avide de sang comme tu l’es. Maintenant, tu m’excuseras, mais je dois aller m’entretenir avec notre seigneur.

Il se leva et quitta l’endroit sans jeter un regard en arrière.

 

Encore un peu et il aurait pu perdre son sang-froid. Habituellement, Byakko était réputé pour son calme, voire sa froideur, en toutes circonstances et en présence de n’importe qui, mais avec Suzaku, et uniquement avec lui, cela s’avérait souvent difficile. Cet homme dégageait une aura qui le mettait mal à l’aise à chaque fois qu’il se trouvait près de lui. Ce dernier se repaissait de la douleur des autres et de celle qu’il infligeait, comme un vautour d’une charogne. Il aimait tuer, c’était indéniable ; mais tuer pour le plaisir n’était pas dans la nature de Byakko. Il respectait son adversaire quel qu’il soit. Cela entraînait donc des frictions entre eux de temps à autre, mais ils n’en étaient jamais venus aux mains.

Il s’approcha de la fontaine coulant dans le jardin et s’aspergea la figure avec de l’eau dans le but de chasser ses sombres pensées. Quand il eut terminé, il décida de se rendre directement auprès de son seigneur en espérant que celui-ci ne serait pas en train de dormir. A nouveau devant le même fusuma, il fut étonné d’entendre de la musique lui parvenir depuis l’autre côté.

Son maître était-il encore debout à une heure aussi tardive ? Pénétrant dans la pièce après y avoir été invité, il s’aperçut que l’homme ne semblait pas avoir changé de place depuis leur précédente entrevue. A genoux, ce dernier jouait du koto. Quand il eut finit son morceau, il retira les trois onglets en ivoire fixés à ses doigts, déplaça l’instrument sur sa gauche et s’adressa enfin à Byakko.

- Pour que tu reparaisses aussi rapidement devant moi, j’en déduis que tu as mené à bien la tâche que je t’avais confiée.

- C’est exact, seigneur.

- Comme toujours tu accomplis ton devoir avec zèle, Byakko. Je te félicite. A présent, remets-moi l’objet que je t’avais envoyé chercher.

Byakko s’exécuta et lui tendit la cassette qu’il avait gardée jusque-là au creux de son bras gauche. L’homme au kimono bleu l’observa un court instant avant de la poser à côté de lui sur une petite table basse en bois.

- Avant que je ne l’ouvre, j’aimerais entendre ton récit.

Il réfléchit un moment, le temps de mettre ses idées en ordre puis s’exécuta en essayant d’omettre le moins de détails possibles, sauf en ce qui concernait la terrifiante expérience qu’il avait faite avec l’orbe. Finalement, il en arriva à l’affrontement qui avait eu lieu entre lui et le Chevalier d’Athéna lorsqu’il s’enfuyait. Il s’attendait à voir briller une lueur de colère dans les yeux de l’homme qu’il servait, mais au contraire, celui-ci demeura détendu et lui demanda d’une voix calme et égale.

- Est-elle morte ?

La question le prit au dépourvu et il y eut un instant de latence avant qu’il ne réponde.

- En toute honnêteté, seigneur, je ne pourrais l’affirmer. Afin de rester le plus discret possible, je n’ai utilisé qu’une partie de mon pouvoir pour l’attaquer. Les blessures qu’elle a reçues étaient suffisantes pour la tuer mais je n’ai pas vérifié si elle respirait encore quand je l’ai quittée. Je suis désolé.

- A-t-elle vu ton visage ? Ou bien ce que tu transportais ?

- Non, de cela je suis certain.

- Alors, il n’y a aucun souci à se faire. (Il marqua une pause avant de reprendre.) Maintenant, découvrons ce qui se cache à l’intérieur de ce coffret.

Des mains aux doigts si fins qu’ils auraient pu passer pour ceux d’un artiste, bien que Byakko sut pertinemment qu’ils étaient ceux d’un homme éprouvé aux maniements des armes, forcèrent la serrure sans difficultés avant de soulever le couvercle de bois. Capitonné de velours rouge vif, l’intérieur en disait long sur l’importance de ce qu’il recelait.

- Ainsi c’était donc ça, déclara le seigneur tandis qu’il sortait le contenu de son écrin en le brandissant devant lui afin de faire jouer la lumière des bougies sur sa surface.

 

Grèce, Sanctuaire, Palais du Grand Pope

 

Après plusieurs minutes passées à vagabonder dans les couloirs, sans rencontrer personne sur son chemin, Seika dut s’avouer qu’elle était bel et bien perdue. Au début, elle avait pensé pouvoir rattraper Kiki sans trop de problèmes, cependant, à force de prendre des directions au hasard, elle avait fini par s’enfoncer encore plus profondément dans les méandres du Palais, abandonnant l’idée même d’essayer de faire machine arrière et retourner à l’entrée.

En désespoir de cause, elle s’adossa contre un mur et se laissa glisser jusque sur le sol de marbre glacé. Cependant qu’elle ruminait les mauvais choix qu’elle avait pu faire pour en arriver là, il lui sembla entendre l’écho d’une voix étouffée. Cette dernière paraissait provenir d’une pièce située un peu plus en avant de l’endroit où elle se trouvait. Finalement, sa chance avait peut-être tourné. Se remettant sur pieds, Seika se mit en quête de découvrir son point d’origine.

 

Elle n’eut pas à chercher celui-ci bien loin. A présent qu’elle était plus proche, elle identifia le son comme étant un sanglot. Qui pouvait donc bien se lamenter ? La porte entrouverte d’une chambre l’incita à jeter un coup d’œil. Le lieu n’avait rien d’extravagant, des meubles trônaient ici et là, une armoire était posée contre le mur en face. Les rideaux qui couvraient l’unique fenêtre étaient bleu foncé, assortis au bord d’un grand tapis qui couvrait une bonne partie du sol. Une cheminée dans laquelle aucun feu ne brûlait, occupait la paroi droite. Un lit de facture relativement simple était plaqué contre le mur gauche. Et juste à côté, dans l’angle, se trouvait une armure dont le métal alliait des nuances d’or et d’argent. Sa forme évoquait celle d’une femme vêtue comme une guerrière et dotée d’une paire d’aile dans le dos. Elle se dressait, droite et fière. De sa main gauche, elle soutenait un énorme bouclier tandis que de la droite, elle tenait un grand sceptre doré. La regarder constituait un spectacle envoûtant, cependant, le regard de Seika finit malgré tout par glisser vers le lit.

Assise sur le matelas se trouvait une jeune fille, qu’elle estima être de deux ou trois ans sa cadette. Elle ne distinguait que son profil d’où elle se tenait mais cela fut suffisant pour détailler son port altier. Sa taille menue était habillée d’une robe blanche magnifique mais en piteux état. De longs cheveux châtains tirant sur le blond, que la clarté lunaire nimbait d’un halo argenté, encadraient un visage aux yeux pers bordés de larmes. Ces dernières avaient tracés des sillons dans la poussière qui s’était déposée sur ses joues. Néanmoins, cela ne gâchait en aucune façon la beauté de ses traits qui frôlaient, il fallait bien le dire, la perfection. « Divin », ce mot à lui seul résumait l’impression générale qu’elle transmettait. Etait-ce … Athéna ?

 

En cet instant, Saori Kido laissait s’exprimer pleinement sa part humaine. La façon dont elle avait réagi face à Jabu et aux autres était intolérable, elle le savait, mais elle ne s’était pas préparée à affronter les regards des Chevaliers qui étaient restés sur Terre et qui, désirant savoir ce qui s’était produit aux Enfers, lui rappelaient constamment son échec à sauver ceux qui l’avaient accompagnée. Bien qu’elle possédât d’immenses pouvoirs, elle n’avait rien pu faire pour changer cet état de fait. La tâche que son père, Zeus, lui avait confiée depuis des temps immémoriaux semblait être devenue un poids trop important pour ses frêles épaules. Son corps fut parcouru de spasmes tandis que la colère et le ressentiment la gagnaient, son expression se faisant plus dure.

- A quoi bon être une déesse si je ne peux protéger les personnes qui m’ont dévoué leurs vies ? lança-t-elle à l’adresse du ciel nocturne. Répondez-moi, père ! Est-ce là l’unique voie qui s’offre à mes protecteurs ? Toujours se battre sans pouvoir goûter aux joies simples de l’existence, être forcés d’ôter la vie à ceux qui menacent la paix pour ne finalement recevoir que la froide étreinte de la mort en récompense !

Seul le silence lui répondit.

C’est inutile, pensa-t-elle, je suis la seule à blâmer. Son corps s’affaissa légèrement, ses mains entourèrent ses bras et elle se remit à sangloter.

- Oh, Seiya … Pourquoi a-t-il fallu que tu meures ?

 

Le cœur de Seika rata un battement.

- Seiya est … mort, souffla-t-elle, semblant lutter avec les mots.

Ainsi l’étrange malaise qu’elle avait ressenti plus tôt était bien fondé. Il n’y avait plus aucune chance pour elle de revoir son petit frère en vie. Ses yeux s’embuèrent.

Si cette jeune fille était vraiment Athéna alors elle était responsable du trépas de Seiya puisqu’il avait été un de ses Chevaliers. Cependant, à son grand étonnement, elle n’arrivait pas à la haïr pour cela. La détresse qu’elle avait pu observer chez la déesse était vraiment poignante et ne reflétait pas du tout ce qu’on aurait pu attendre de la part d’une divinité, faisant peu cas des vies de ses serviteurs. Malgré tout, cela restait insuffisant pour comprendre ce qui avait pu pousser son frère à lui offrir sa vie. Elle devait en apprendre davantage. Et la seule manière pour y arriver était d’engager une discussion avec Athéna. Prenant une longue et profonde inspiration, elle poussa la porte et entra dans la pièce.

 

Un léger grincement de gonds fit se retourner Saori vers le seuil de sa chambre. Ce faisant, elle tomba nez à nez avec une jeune femme qui lui était inconnue. Enfin, c’est ce qu’elle crut sur le moment. En y regardant de plus près, certains détails lui rappelaient quelqu’un.

Essuyant ses yeux vert-bleu, elle les plongea dans ceux, noisette, de l’étrangère. En un éclair, elle reconnut ce regard. Aucun doute possible, c’était celui de Seiya ! Mais alors cette personne était …

- J’aimerais que vous me parliez de mon frère, déclara la nouvelle venue sans préambule. J’aimerais connaître la raison de sa mort. Ce n’est qu’après ça que je saurais si je dois vous mépriser pour ça ou bien vous pardonner.

D’abord, l’injonction de Seika laissa Saori comme paralysée, puis elle réussit finalement à articuler son nom.

- Seika … ? Je … Je suis tellement désolée que nous nous rencontrions dans ces circonstances.

Saori se demanda si les dieux n’avaient pas décidé de se montrer cruels avec elle en lui envoyant la sœur aînée de Seiya afin de la hanter. Elle se résigna finalement à répondre de ses actes.

- Très bien, je comprends que tu veuilles des réponses. Le moins que je puisse faire est d’accéder à ta demande.

 

Japon, quelque part dans la forêt d’Aokigahara

 

C’était une dague forgée dans l’or le plus pur que Byakko n’ait jamais vu. La garde, ciselée en forme d’aile, ainsi que la lame et le pommeau comportaient de splendides gravures, rehaussant davantage la beauté de l’arme.

- C’est magnifique, ne put-il s’empêcher de s’exclamer.

- N’est-ce pas, confirma simplement son interlocuteur.

Ce dernier regarda l’arme encore un moment puis la reposa sur son lit de velours. Il plongea alors l’éclat sombre de ses yeux dans ceux de son serviteur, comme pour signifier l’irrévocabilité de ses derniers mots.

- Tu peux disposer.

La fin abrupte de leur entrevue troubla Byakko, néanmoins celui-ci fut suffisamment sage pour comprendre qu’il ne fallait pas essayer d’en savoir plus. Pour l’instant, se corrigea-t-il.

- Bien, seigneur.

Il se redressa avant de reculer vers la sortie, tout en s’inclinant une dernière fois. Il était sur le point de passer le seuil lorsque la voix familière se fit de nouveau entendre.

- Attends, Byakko.

- Seigneur ?

- Pourrais-tu me rendre l’orbe que je t’avais confié pour cette mission ?

Byakko resta interdit ; le fait d’avoir cet objet en sa possession lui était complètement sorti de l’esprit.

- Bien sûr … Veuillez me pardonner cet oubli.

Il glissa une main sous son manteau, mais au moment où ses doigts allaient se refermer sur l’artefact, il ressentit comme une réticence à s’en séparer. Etrange, pensa-t-il. Pourquoi est-ce que j’hésite ?

- Byakko ? Que se passe-t-il ?

- Hum … rien, mon seigneur. Veuillez une nouvelle fois me pardonner. Tenez.

Bizarrement, son attirance pour le mystérieux orbe le quitta dès qu’il l’eût remis entre les mains de l’homme aux yeux couleur d’orage. Finalement, il sortit de la pièce et prit la direction de sa chambre.

Dans le jardin zen, les gouttes de rosée glissaient depuis les larges feuilles en une cascade miniature jusque sur le parterre de graviers où elles formaient de petites flaques. Au loin, à travers de rares trouées entre les arbres, on pouvait apercevoir la lueur de l’aube naissante.

- Une belle journée s’annonce, déclara-t-il en inspirant à fond l’air frais du petit matin, avant de le regarder ressortir de sa bouche en formant un petit nuage de buée.

 

Peu après le départ de Byakko, le seigneur se plongea dans une profonde méditation, tenant dans le creux de ses mains, la pierre noire polie. De la même manière que son serviteur, il établit un lien avec l’objet grâce à sa propre énergie interne ; son esprit sembla alors aspiré vers ce dernier.

Evoluant dans une sorte de long tunnel dénué de toutes formes de lumière, il finit par parvenir dans ce qui aurait pu s’apparenter à un "monde" dans l’orbe, bien qu’il ne s’agisse en réalité que d’un relais servant à rapprocher deux consciences. La réalité ainsi engendrée ressemblait à une terre couverte de givre où nulle chaleur ne semblait s’être jamais manifestée, puis sous une volonté étrangère, elle se mua en une pièce aux allures de temple antique. L’homme aux cheveux de nuit regarda de très larges piliers formant des arcades descendre depuis le plafond pour venir s’encastrer dans le sol, puis les murs se couvrirent de tentures aux couleurs difficiles à déterminer dans la pénombre. Enfin, des braseros reliés par des chaînes au sommet de l’édifice se mirent à diffuser une chiche lueur orangée. Même s’il avait du mal à se l’avouer, il était plutôt envieux de cette capacité à modifier une dimension à son gré. Comme toujours, la silhouette de son hôte surgit de nulle part, drapée dans une cape qui semblait faire partie intégrante des ombres qui l’entouraient.

- As-tu l’artefact ? demanda abruptement l’être de ténèbres.

Le seigneur de Byakko essaya d’apercevoir les traits de son interlocuteur mais comme les quelques fois précédentes où ils s’étaient parlés, il ne vit rien d’autre qu’un insondable vide à l’intérieur du capuchon qui recouvrait sa tête. A mesure qu’il le fixait, un sentiment de froid et de désolation commença à l’envahir. Déglutissant péniblement, il détourna son regard et ce faisant, l’impression qui l’avait saisi disparut aussitôt après.

- Oui, la personne à qui j’avais confié la tâche de le retrouver vient à l’instant de me le remettre.

- Est-ce qu’il a au moins su se montrer discret ?

Redoutant la probable colère de son hôte, l’homme en kimono bleu préféra ne pas citer le cas de la jeune femme blessée.

- Bien sûr, personne ne s’est rendu compte de sa présence.

- Parfait.

- Quel est le prochain objectif que vous souhaitez me confier ?

- Je ne puis encore te le dire pour l’instant. Il m’a fallu utiliser une bonne partie des forces que j’avais réussi à réunir pour découvrir le lieu où se trouvait ce premier objet et il me faudra du temps pour les reconstituer étant donné ma "situation". (L’ombre sembla insister particulièrement sur ce dernier mot.) Dès que je serai à nouveau plus libre de mes mouvements, je rechercherai l’artefact suivant, bien que cela puisse me prendre des années. Mais n’avons-nous pas l’éternité devant nous ?

- Très bien. Il me faudra donc attendre que vous me contactiez afin de poursuivre ma mission. (Il attendit un peu avant de poursuivre.) Si vous n’avez rien de plus à ajouter, je vais prendre congé.

L’image du seigneur de Byakko commença alors à se dissiper jusqu’à s’évaporer totalement.

- Effectivement tu as fais du bon travail … Susanoo, Seigneur des Tempêtes, déclara le mystérieux personnage, mais fais bien attention à ce que ton succès ne te monte pas à la tête, en croyant pouvoir te permettre de prendre autant de libertés avec moi. Tu pourrais le regretter.

Sous sa volonté, les éléments qui constituaient la réalité qu’il avait créée commencèrent à se désagréger pour revenir à l’état de désert glacé. Puis, ce dernier s’altéra lui aussi, finissant par disparaître en emportant avec lui l’obscure silhouette.



Notes de fin de chapitre :


Himation :

Vêtement de la Grèce antique. Il est ample et enveloppant comme une sorte de châle. Il se porte à même le corps ou sur un chiton. Il se drape ou s'enroule sur une épaule et ne comporte pas d'attache à la différence de la chlamyde.

Koto :

Instrument de musique originaire de Chine, il dérive du guzheng et fut importé au Japon vers le 8ème siècle. A l'origine, le koto a été un instrument surtout joué à la cour impériale et par des hommes. C’est une sorte de cithare en bois, léger et peu sensible à l'humidité. L'instrument traditionnel possède treize cordes. Il mesure environ 1,85 m et est pourvu de deux ouïes situées à l'une et l'autre de ses extrémités, sous la caisse de résonance. Traditionnellement, le koto se joue posé à plat sur le sol, le musicien ou la musicienne se tenant à genoux, les fesses reposant sur les talons.

Les cordes sont pincées de la main droite par trois onglets (tsume) en ivoire, chacun étant fixé au pouce, au majeur et à l'index. La main gauche ne porte pas d'onglets.

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