One-Shot : Adieu mon Ami
Chapitre 1 : One-Shot : Adieu mon AMi
2437 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 14/12/2024 08:43
Avril 1997
Asgard, Province Centrale, aux abords de la capitale Völkengard
Au dehors, il faisait nuit. Toutefois, la face blafarde et crevassée de la lune dispensait une lueur fantomatique suffisante. Et si jamais elle demeurait trop faible pour permettre aux hommes de s'orienter, le grand cercle de torches crépitantes à plusieurs centaines de mètres de là, constituait un repère aisément visible.
Le vent s'était tu et la forêt entière était silencieuse. Pas un son n'émanait de ses profondeurs, ses habituels murmures nocturnes taris, dérangés par la lente procession qui arpentait le royaume sylvestre.
Il enchaînait les marches mécaniquement, les unes après les autres, s'enfonçant toujours plus loin dans les entrailles du château en suivant une courbe hélicoïdale. Il descendait en s'aidant du chiche éclairage, plongeant dans les ténèbres froides et mouvantes du lieu comme s'il évoluait au fin fond des abysses océaniques. Et l'air chargée d'humidité n'était pas pour dissiper cette image.
A chaque pas qu'il faisait, s'y immergeant un peu plus, il sentait son cœur couler plus bas lui aussi. Une boule se forma dans son ventre tandis qu'il franchissait les ultimes degrés de pierre.
Un couloir taillé dans la pierre de la montagne au flanc de laquelle s'accrochait le château, lui faisait face. De chaque côté, d'épaisses portes munies d'une unique ouverture barrée de métal dans leur tiers supérieur se présentaient à intervalles réguliers. Alors qu'il avançait, il se remémora son propre séjour dans l'une de ces cellules et se dit que cela lui semblait faire une éternité. Il s'arrêta devant la dernière.
Soudainement, il se sentit le cœur au bord des lèvres et dut inspirer un grand coup en pensant à ce qui allait suivre. Desserrant les doigts qu'il avait longtemps gardés repliés autour du trousseau de clés emprunté à l'un des geôliers, il chercha la serrure du regard pour y insérer le sésame.
Le claquement sec du verrou libéré résonna comme un coup de tonnerre dans le silence quasi-sépulcral. Les gonds pivotèrent sans résistance pour révéler un rectangle noir, brutalement découpé par la lumière orangée procurée par les torches du couloir.
Un cliquetis métallique indiqua que le prisonnier venait de lever l'une de ses mains pour faire barrage à cette agression visuelle. Passant devant la lumière pour faire écran, le visiteur fut reconnu par l'enchaîné dans un croassement incrédule :
- Einar ?
La procession était parvenue à sa destination, bien au-delà des murs de la capitale, au cœur d'un étrange bosquet peuplé de bouleaux. Ils étaient plus petits que les autres arbres les entourant, mais ces derniers semblaient être tenus en respect, les laissant libres de toute couverture. Au clair de lune, leur écorce renvoyait une lueur argentée
Fermement fichés dans le sol, des piquets surmontés de braseros de fer étaient disposés un peu partout, formant un cercle approximatif. De chaque côté, des hommes et des femmes au service du culte d'Odin avaient entonné une mélopée funèbre au rythme de leurs instruments. Une ambiance aux accents mystiques s'installa progressivement sur les lieux, étirant le temps jusqu'à donner l'illusion de le figer.
D'autres personnes arrivèrent alors bientôt depuis un autre chemin. Elles transportaient à l'aide de longues perches, une large boîte en bois, semblable à une sorte de tonneau au diamètre plus large qu'en temps normal.
Juste après leur apparition, les chants s'accrurent, allant jusqu'à faire vibrer l'air et les os des spectateurs présents. Solennellement, ils avancèrent jusqu'au large trou qui avait été creusé dans le sol.
A la sortie de l'hiver, la terre était dure, et même en été elle ne se travaillait pas aisément dans ces froides contrées. Il avait fallu le concours de plusieurs personnes se relayant sans relâche pour le pratiquer. Cela aurait été beaucoup plus rapide avec l'aide d'un Chevalier, mais la Haute Prêtresse Sosia n'avait rien voulu entendre. L'office mortuaire leur revenait et il y avait des traditions et des rites à respecter.
- C'est bien toi ? Comment... ?
Face à l'apparition subite du guerrier de Poséidon, le Fléau de Fenrir s'était mis debout. De lourdes chaînes reliaient ses poignets aux murs de sa cellule, restreignant ses mouvements.
Dans la pénombre ambiante, il était difficile de lire les émotions sur le visage de Kilfgar. Surpris, il l'était indéniablement, mais pouvait-on déceler autre chose derrière ? De l'effroi face à ce qui aurait pu s'apparenter à la vision d'un revenant ? De la culpabilité en mémoire de son geste ? Peut-être même une certaine forme de joie quant à revoir son ancien ami et amant en vie ?
- J'ai des amis dignes de confiance, voilà tout, répondit le Kraken. Et va savoir, peut-être même que les Ases ont veillé sur moi.
Il savait que sa dernière réplique ferait l'effet d'une gifle. Le genre que Kilfgar aimait bien administrer.
- Je ne te savais pas sardonique, s'amusa en effet le Fléau.
- Je l'ignorais moi-même jusqu'à maintenant.
Le ton du Marina était sec, cassant.
- De ce que j'ai appris, tu es enfermé depuis l'échec de ta tentative d'assassinat de la reine. Un de plus causé par un Chevalier.
Le Kraken pencha la tête sur le côté, exposant son cou.
- Et te voir affublé d'un de ces colliers neutralisants ne manque pas d'ironie, poursuivit-il dans son lancer de piques.
- Là, ça devient mesquin, Einar.
Sans prévenir, ce dernier se rua sur Kilfgar pour l'empoigner par le col et le plaqua violemment contre le mur rocheux du fond.
- Pourquoi ? lui cracha-t-il au visage. Parce que ça te blesse dans ton orgueil ? Mes mots sont trop durs à entendre ? Tu préférerais des actes peut-être ?
Il libéra l'une de ses mains et, alors que ses yeux luisaient faiblement de pouvoir, y fit apparaître une tige de glace à la pointe aiguë.
- Je préférerais que tu me plantes avec autre chose si tu vois ce que je veux dire.
Einar ne releva pas.
- Tous tes désirs d'éradication des dieux ont tourné à l'échec, Kilfgar. La reine Ylva a remporté la bataille face aux forces de Loki. Votre armée a été vaincue.
Enfin le Kraken eut la satisfaction, au détour d'un rai de lumière mouvant, de voir une ombre ternir le regard bleuté du Fléau de Fenrir. Celui qu'il avait toujours trouvé si beau.
- Et le plus incroyable, c'est que de nous deux, c'est moi qui ai finalement été le plus proche d'abattre un dieu. Ça aurait été un bon débarras.
- Tu as combattu le Mage des Mensonges !?
- Oui, mais je n'étais pas seul pour le faire. Nous étions...
Sa voix se brisa subitement.
- J'ai fais tout fait ça pour réparer une erreur que j'avais commise. Tout pour sauver l'homme que j'avais involontairement trahi … et je n'en ai pas été capable au final. Il est mort !
Il accentua sa pression sur le col de Kilfgar, les yeux voilés de larmes contenues.
- Tu l'aimais ? s'enquit celui-ci, un écho de jalousie dans la voix.
Cela arracha un rire douloureux à Einar qui secoua légèrement la tête.
- Pas de cette manière. Mais oui, j'aimais la personne qu'il était. Je le respectais, d'autant plus pour son sens du sacrifice.
Relâchant quelque peu sa prise, Einar demanda :
- Pourquoi m'as-tu trahi ?
- Et toi, pourquoi n'as-tu pas voulu voir que tu te fourvoyais ? rétorqua l'autre. Les dieux que tu défends ne font rien pour nous. D'accord, vous avez gagné. Et ensuite ? Cela ne sert qu'à maintenir les choses telles qu'elles sont, dans un immobilisme passif. Je te le redis, éliminer la caste divine, c'est s'enlever une épine du flanc.
- Quitte à tout détruire ?
- Bah, regarde l'humanité, cracha Kilfgar. Nous sommes des animaux hantés par le mal, Einar. Dès que les humains en ont l'occasion, ils s'écharpent entre eux à la moindre faiblesse. Tu en a été témoin.
- Et toi-même, tu n'as pas voulu aller contre cette nature opportuniste, hein, Kilfgar.
- Je plaide coupable. C'est si libérateur ! Je fais les choses pour moi, en ne pensant à rien d'autre. En ne m'embarrassant de rien d'autre.
- J'ai été dans le monde extérieur, je t'en ai parlé auparavant et j'ai pu voir toute sa diversité. J'ai visité d'autres lieux, vu toute la richesse que les gens avaient à offrir. Toi, tu es resté enfermé ici, dans une bulle, à ne regarder le monde qu'à travers l'unique prisme de ta propre vision. Oui, le mal existe en chacun de nous, comme le bien.
- Et il faut vivre avec cette dualité c'est ça ? conclut le Fléau.
La tige de glace dans la main du Marina se brisa en morceaux, égrainant des notes cristallines lorsqu'ils heurtèrent le sol.
- Oui. Tout est un jeu d'équilibriste, nous amenant à pencher parfois d'un côté puis de l'autre.
A ces mots, Einar passa du col au cou de Kilfgar, raffermissant sa prise et y ajouta sa deuxième main, exerçant une pression de plus en plus forte.
Les yeux du Fléau s'arrondirent sous la surprise, avant de comprendre. L'illustration parfaite de ce système de balance était en train de se produire. Il parvint à décocher un sourire à celui qui était devenu son exécuteur.
- Ça ne … le ramènera ... pas, tu sais.
- Non, admit Einar, mais je suis en quête d'un chemin vers la rédemption d'un certaine manière. Et cela passe par éliminer des menaces. Telle que toi. (Il resserra davantage sa prise, bloquant un peu plus le passage de l'air dans la gorge du Fléau.) La reine Ylva avait prévue de t'exécuter. Je ne sais pas si cela me soulagera, mais … je dois le faire, même si mon âme hurle de devoir me montrer si impitoyable, car je ne peux imaginer quelqu'un d'autre accomplir cette sentence. (Il approchait du point de rupture.) Adieu, mon ...
A l'aide de grosses cordes, ils firent lentement descendre ce qui était finalement un cercueil aux formes arrondies. Sur tout le pourtour, des runes entrelacées avaient été tracées dans le bois. Bien que réalisées rapidement, les travaux demeuraient d'une grande finesse et plusieurs gravures illustraient des événements liés à l'occupant du coffre de bois.
En contre-pointe aux chants graves, une boîte métallique en forme de cube ornée d'un poisson bondissant émettait une note cristalline et douce, pareille aux murmures d'un ruisseau.
- Où est Einar ? demanda à voix basse Nikolaï à Narya, tandis qu'il balayait l'assemblée du regard.
- Je ne sais pas, avoua l'Islandaise. Il était pourtant là quand nous avons quittés le château.
Vêtue d'une robe aux teintes sombres que l'atmosphère nocturne obscurcissait encore plus, Idda était présente avec son fils dans les bras. Ce petit témoin étonnamment silencieux, mais néanmoins aux yeux grands ouverts, regardait s'enfoncer dans la terre froide d'Asgard la dépouille de l'homme à qui il devait d'être présent aujourd'hui. Il ne le connaîtrait jamais, mais sa mère ne manquerait pas de lui narrer quel combat cet étranger avait mené avec ses compagnons pour leur patrie.
S'ajoutant à la voix aquatique de l'Urne Sacrée des Poissons, une autre, plus proche de braises rougeoyantes, montait depuis l'Urne Sacrée du Centaure. Il n'y avait pas de corps à enterrer pour Fares, pas de sépulture sur laquelle se recueillir, néanmoins tous convoquaient des souvenirs relatifs au jeune Libyen en cet instant. Des moments de joie au milieu desquels s'égrenaient des accords musicaux.
La situation était identique pour Morgan, à ceci près que son Ecaille, réduite à l'état d'un pendentif que serrait avec tendresse Narya, n'émettait pas le moindre son. Les Marinas vivaient leur deuil différemment, car c'était leurs Âmes qui pleuraient la disparition de leur compagnon. Chaque Âme entrait en résonance avec sa voisine, adressant une note de compassion à celle du Dragon des Mers.
Chaque membre de la petite communauté qu'ils formaient, qu'ils servent Athéna, Poséidon ou Tsukuyomi rendaient là un ultime hommage à leurs amis disparus.
Arion et Tristan regardaient s'en aller celui que tous avaient naturellement élu chef de leur équipe de par son calme et son empathie. A tour de rôle, ils avaient récupéré cette charge qui ne quittait plus vraiment leurs épaules, quoique celle-ci pesait plus lourdement sur celles du Capricorne. Ils auraient bien aimé ne pas avoir à s'en vêtir, seulement les circonstances en avaient décidé autrement.
Raul, Gearóid, Mei Ling songeaient à toutes les blessures qu'Oreste avait soignées. Pendant plus d'un an, ils avaient accepté l'idée de l'avoir perdu et brusquement, on leur avait donné et retiré dans la même minute l'espoir de son impossible retour.
Malgré l'instant solennel, certains ne parvenaient pas à dissimuler leur ressentiment envers Andrei, ce dernier avait donc choisi de rester légèrement à l'écart du groupe principal. Il ne souhaitait pas gâcher ce moment qui pour lui aussi revêtait une importance particulière. Il y avait quelques jours encore, cela ne l'aurait pas affecté avec autant de force, mais en ce jour, il disait adieu à quelqu'un qui lui était apparu comme un modèle dans ses tous derniers instants.
Certains yeux demeuraient secs, tandis que d'autres étaient emplis de larmes, mais tous brillaient de la même lueur du deuil, tandis que les chants décroissaient.
- … ami, articula doucement Einar alors que les dernières pierres venaient finir de combler l'espace au-dessus de la tombe d'Oreste.
- J'ai cru que tu nous avais lâchés à un moment, lança Nikolaï en tournant son regard vers son camarade.
- Non, j'avais juste envie d'être un peu seul au début, pour pouvoir me préparer à ce moment.
Hochant la tête en signe de compréhension, le Cheval des Mers ne vit pas que les mains du Kraken tremblaient, se crispant involontairement.