Etoiles et chaos

Chapitre 28 : Chapitre vingt-sept : Première leçon

5407 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/06/2015 12:48

TITRE : Étoiles & Chaos

AUTEUR : Ardell

DISCLAIMER : Les personnages et l'univers de Saint Seiya appartiennent à Masami Kurumada. Seul le personnage de Cinnamon est à moi.

CHAPITRE VINGT-SEPT

Première leçon

Parce qu'il ne pouvait accepter son attitude inqualifiable, le Grand Pope avait refusé que Cinnamon regagne sa chambre du Palais et avait ordonné au Chevalier du Verseau de lui offrir l'hospitalité pour quelques jours. Du moins, c'était la version officielle qui se racontait. Ce petit bannissement ne pouvait être en effet que la suite du châtiment : la fille regagnerait ses quartiers habituels lorsque le maître du Domaine Sacré se serait calmé. Pourquoi le Verseau ? Simple hasard, sans plus.

Comment aurait-on pu deviner ce qui se tramait dans la tête de l'usurpateur ? Comment aurait-on pu savoir que cet ordre n'avait en fait pour but que de protéger la jeune fille ?

Cinnamon elle-même ne l'avait pas compris mais elle était bien plus en sécurité avec Camus qu'avec Aphrodite, chez qui elle avait demandé à rester. Pas plus qu'elle n'avait remarqué la paire d'yeux cobalt qui la guettait...

Quelle girouette ce Grand Pope ! D'abord il lui confiait l'éducation de cette gamine, ensuite il s'arrangeait pour la mettre hors de sa portée. DeathMask se doutait bien que Camus ne le laisserait pas facilement seul avec Cinnamon, contrairement à Aphrodite qui était au courant comme lui de la véritable identité du Pope. Il serait en effet plus facile de convaincre le Saint des Poissons de cette idée saugrenue. Celui du Verseau, en revanche... D'accord, il pouvait être muet comme une tombe mais uniquement parce que c'était son tempérament, et pas parce qu'il était acquis à une cause. Alors qu'Aphrodite, lui, suivrait son collègue doré sous les ordres de leur supérieur sans trop de difficulté.

Pourquoi diable avoir mis la petite à l'abri ? DeathMask l'ignorait cependant il ne restait pas inactif. On lui avait donné une mission et il l'avait déjà commencée en espionnant Cinnamon. Il y avait quelque chose chez l'adolescente qui le gênait profondément. Quelque chose qui lui donnait envie de la prendre par les épaules et de la secouer comme un prunier, quelque chose qui l'irritait sans qu'il sache ce que c'était. Il compris le jour où il vit Cinnamon s'effacer devant un domestique en s'excusant... alors qu'elle avait nettement la priorité.

— D'accord, je vois le problème...

Voilà ce qui le dérangeait. Sa timidité. Comment voulez-vous apprendre à cette godiche à utiliser des pouvoirs qui, apparemment, dormaient au plus profond d'elle-même si elle n'osait jamais rien ? Elle était tellement coincée que ses dons risquaient de ne se manifester que dans des cas extrêmes et non à volonté...

Dès lors, le thème de la première leçon était tout trouvé.

Restait à attendre de pouvoir lui mettre la main dessus...

Cinnamon, elle, ne se doutait de rien et n'avait absolument pas remarqué la discrète filature dont elle était l'objet. Les jours s'écoulaient paisiblement dans la onzième Maison. D'accord, elle avait demandé à loger chez messire Aphrodite mais après tout, messire Camus faisait aussi bien l'affaire, d'autant plus qu'elle avait déjà dormi chez lui. Étrangement, depuis qu'elle était là, un certain Chevalier du Scorpion passait toute ses soirées avec celui du Verseau. Ce fut à l'occasion de ces soirées que la jeune fille fut initiée à divers jeux de cartes et ces moments passaient toujours dans la bonne humeur grâce à Milo qui ne gênait pas pour asticoter l'adolescente lorsque celle-ci perdait, c'est-à-dire souvent.

Messire Aphrodite n'était pas en reste, lui qui avait déjà enseigné les échecs à Cinnamon. D'ailleurs, celle-ci aimait les longues parties qu'ils se disputaient – et qu'elle perdait toujours... Ainsi que lire tranquillement un livre emprunté à Camus, assise sur un banc de pierre de la roseraie.

Cette semaine-là, Cinnamon put se reposer de l'épreuve qu'elle avait subie et se remettre un peu de la terreur qu'elle avait éprouvée lorsque l'Autre l'avait agressée.

Salle du Grand Pope

Samedi 20 septembre 1986

Un genoux à terre, celui que le Pope surnommait "le plus beau des Chevaliers" leva ses yeux couleur de ciel vers son supérieur. Il attendait la réponse à une question bien précise et ne fut guère surpris par celle-ci :

— Sache, Chevalier, que les raisons de ma décision ne te regardent pas. Tu n'as pas à savoir pourquoi Cinnamon loge chez le Saint du Verseau plutôt que chez toi.

— Certes... Cependant, si vous le permettez, majesté, je suis également intrigué par l'attitude de mon confrère, DeathMask. J'ai en effet pu noter son intérêt discret mais bien réel pour la jeune fille. On dirait qu'il l'espionne mais pourquoi ?

Enfer et damnation ! Ce Poisson était bien trop observateur ! Tant pis. Ne connaissait-il pas déjà la vérité ? Ce ne serait pas plus mal d'être aidé par deux Chevaliers en ce qui concernait Cinnamon.

— Très bien, soupira le Pope. Puisque apparemment tu as déjà compris... Effectivement, j'ai ordonné au Saint du Cancer de prendre cette fille comme élève. En secret, bien entendu...

— Mais pourquoi ? Je veux dire... Cinnamon ne possède aucun cosmos, nous l'aurions remarqué depuis...

L'usurpateur émit un petit rire.

— En fait, je ne la destine pas à devenir Chevalier. Cette gamine possède certains... dons que j'aimerais faire développer. Cela représenterait une certaine puissance qui serait la bienvenue pour Athéna. Je ne veux pas dire que les Saints d'Or représentent une force négligeable, s'empressa-t-il d'ajouter. Cependant, je préfère que les pouvoirs de Cinnamon se trouvent dans le bon camp.

— Je comprends. Pardonnez-moi d'insister mais, dans ce cas, pourquoi ne pas avoir accéder à la requête de Cinnamon de loger chez moi. Je suis tout acquis à votre cause, vous le savez...

Au début, Aphrodite avait pensé que c'était uniquement pour ennuyer l'adolescente. A présent, il se posait des questions.

— Justement. Je pense que je vais pardonner à cette petite. Son exil a peut-être assez duré après tout. Oui, je vais songer à lui permettre de revenir au Palais. Athéna est bonne et miséricordieuse. Je verrais avec elle mais je pense qu'elle sera d'accord avec moi.

Le Poisson ne put s'empêcher de frémir. Quel genre de maître serait DeathMask pour la jeune fille ? Après ce qu'il lui avait fait, rien que sa présence devait être insupportable à la pauvre petite...

Il courba néanmoins la tête et dit :

— Vous pouvez comptez sur ma discrétion et mon assistance.

Salle du Grand Pope

Dimanche 21 septembre 1986

Cinnamon avait regagné ses quartiers la veille au soir : un serviteur était venu la chercher chez Camus pour la ramener au Palais, sur ordre du Pope. C'était en tremblant que l'adolescente avait obtempéré. Qui sait ce que tenterait Kyko à nouveau ? Elle avait pourtant passé une nuit relativement calme. Relativement à cause de l'inquiétude qui l'avait saisie lorsqu'elle s'était retrouvée en face de la porte de sa chambre.

Le loquet avait été démonté et il n'y avait plus de clé dans la serrure.

Le message était clair. Néanmoins, malgré sa frayeur, la jeune fille ne fut pas dérangée une seule fois.

Ce matin-là, elle se trouvait dans la grande salle, derrière le rideau qui entourait le trône, quand elle entendit son nom :

— Cinnamon.

La jeune fille sortit de derrière la tenture de velours et s'approcha du Pope, installé dans son fauteuil.

— Oui, monseigneur ?

Le maître du Sanctuaire lui tendit une enveloppe cachetée.

— Apporte cette missive au Chevalier du Cancer, ordonna-t-il.

L'adolescente hésita avant de prendre l'enveloppe et Shaka, qui était présent, remarqua que ses doigts tremblaient. Aussitôt il intervint :

— Tu peux me donner cette lettre, Cinnamon, cela ne me dérange pas de descendre jusqu'à la quatrième Maison.

Elle lui jeta un coup d'œil reconnaissant.

— Pas question, répliqua le Pope d'un ton sans appel. Elle fera ce que je lui ai demandé. Et toute seule.

Cinnamon se tourna vers le Saint de la Vierge et tenta un pauvre sourire :

— C'est vrai, messire Shaka, dit-elle. Ce n'est pas une mission très difficile...

Shaka en doutait fortement, connaissant la méchanceté de DeathMask envers la jeune fille, cependant il n'insista pas.

— Va, maintenant, intima le Pope avant de s'adresser à Shaka : Chevalier, j'ai une autre mission pour toi...

Cinnamon s'inclina et quitta la salle. Une fois à l'extérieur, elle leva la tête vers le ciel chargé de nuages sombres. Un coup de tonnerre résonna dans le lointain.

Elle traversa sans difficulté les différents Temples, cependant lorsqu'elle se trouva en vue du quatrième, son pas se fit plus lent. C'était à peine si elle sentait la pluie à présent abondante la marteler sans répit. Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu'elle ne prêtait aucune attention au fracas du tonnerre ni aux éclairs qui illuminaient le ciel par moments. Elle avait peur, oui, mais pas de l'orage. Une fois sur le parvis de la Maison elle s'immobilisa quelques secondes puis, prenant son courage à deux mains, elle pénétra dans la sinistre demeure.

Une fois à l'intérieur elle tourna sur elle-même.

— Messire DM ! appela-t-elle.

Sa gorge nouée ne produisit qu'un son misérable, digne d'un chaton enroué. Confuse et effrayée, elle se mordilla les lèvres. Le Chevalier se trouvait certainement dans ses appartements privés. Comme elle aurait préféré poser l'enveloppe à terre et s'enfuir à toutes jambes ! Elle n'avait qu'à dire au Pope que le Cancer était absent. Au lieu de cela elle se dirigea vers la partie habitée. Son cœur battait de plus en plus fort et elle eut soudain l'impression que des papillons voletaient dans son ventre. Cette crise d'angoisse ne l'arrêta pourtant pas et ce fut en tremblant qu'elle frappa à la porte. Qui s'ouvrit peu après sur DeathMask, sans armure et torse nu.

Il ne parut pas surpris de la voir là. Le bras adossé au chambranle, il la dévisagea d'un regard perçant. Cinnamon baissa la tête et lui tendit la missive.

— Une... une lettre du Pope, pou... pour vous, bredouilla-t-elle, les joues légèrement rosies.

Il saisit la lettre.

— Entre, fit-il ensuite avec un étrange sourire.

Surprise, elle hésita. Sans savoir pourquoi elle ne parvenait pas à réagir et à prendre congé, elle obtempéra et se glissa dans le salon, devant pour cela passer très près de l'homme. Elle tressaillit lorsqu'il referma la porte. Que faisait-elle ici, pourquoi avait-elle obéi aussi facilement au lieu de s'en aller ? Ce qu'elle pouvait se montrer stupidement docile, parfois...

— Assieds-toi.

Cinnamon s'assit tout au bord d'un fauteuil, prête à bondir à la moindre occasion. DeathMask s'absenta un instant et revint avec une serviette qu'il lui lança.

— Sèche-toi, ordonna-t-il. Tu vas mettre de la flotte partout.

Une fois encore elle fit ce qu'il lui demandait et se frictionna. C'était vrai qu'elle était trempée comme une soupe... Pendant qu'elle s'essuyait, le Chevalier ouvrit l'enveloppe et lut la missive. Ce devait être amusant car il éclata de rire et froissa la lettre avant de la jeter sur une petite table.

Cinnamon se sentait vraiment très mal à l'aise. Une petite voix lui soufflait de se sauver le plus vite possible. Poussé par une force inconnue, son regard se posa sur la porte qui menait à la chambre. Aussitôt ses joues s'empourprèrent de plus belle et elle détourna très vite les yeux. Son cœur fit un bond lorsqu'elle se rendit compte que DeathMask l'observait. Il fallait qu'elle parte, et qu'elle parte très vite !

Elle se leva et s'approcha de la sortie.

— Merci pour la serviette, murmura-t-elle. Je... je vais y aller maintenant...

Le Chevalier tendit le bras et l'adolescente se retrouva prisonnière entre lui et le mur.

— Tu as peur ? fit-il d'une voix moqueuse.

Terrifiée, la jeune fille ne répondit pas. La proximité de l'homme avait augmenté sa frayeur, la transformant en panique. Elle eut soudain l'impression étrange de flotter dans son propre corps. Elle était incapable de bouger et son cerveau lui-même semblait gelé : nulle pensée consciente ne se formait plus dans la pauvre tête de l'adolescente.

Elle sentit des doigts se nouer aux siens et DeathMask lui toucha la joue avant de passer la main sur sa nuque... qu'il aurait pu broyer sans le moindre effort.

— Détends-toi.

Son ton était d'une douceur surprenante. Cinnamon ferma les yeux alors qu'une lumière doré les enveloppait tous les deux. Elle eut la sensation très nette de tomber et un vertige la saisit. Instinctivement elle s'accrocha au Chevalier et voulut hurler mais nul son ne franchit ses lèvres.

Yomotsu Hirasaka – 11 h 45

Deux silhouettes se matérialisèrent dans un éclair doré. Le Chevalier lâcha Cinnamon qui vacilla et regarda autour d'elle, désorientée et abasourdie. Son cœur battait frénétiquement et une légère nausée l'avait envahie. Et qu'est-ce que c'était que cet endroit lugubre ?

Comme s'il lisait dans ses pensées, DeathMask expliqua :

— Voici Yomotsu Hirasaka, nous sommes sur les pentes du puits de la mort. Toutes les âmes qui se trouvent ici, sans exception, se dirigent vers le gouffre que tu voies là-bas. Nul ne peut y échapper. En tant qu'assassin du Sanctuaire et utilisateur du SekiShiki, j'avoue avoir grandement contribué à l'alimentation du puits.

L'homme appuya ses paroles d'un éclat de rire et Cinnamon frémit.

Elle en était sûre ! Kyko ne lui avait toujours pas pardonné d'avoir osé le défier. Le châtiment inhumain qu'il lui avait infligé n'était pas suffisant. Il avait finalement décidé de la condamner à mort et qui mieux que le Cancer pouvait s'acquitter de cette tâche ? S'il avait voulu la faire souffrir le plus longtemps possible, l'usurpateur n'aurait pu choisir meilleur bourreau...

Le Chevalier fit un pas vers elle et aussitôt elle recula, un bras levé à hauteur du visage. DeathMask s'immobilisa.

— Je ne vais pas te frapper. Et elle est froussarde, en plus ! s'exclama-t-il avec dégoût.

La jeune fille abaissa le bras... et poussa un cri de surprise et de douleur lorsque l'homme la gifla.

— Mais vous avez dit...

— J'ai menti. Tu devrais être moins naïve. Dans la vie c'est chacun pour soi. Si tu te montres aussi confiante dès qu'on te sort une parole rassurante, tu ne tarderas pas à te faire poignarder dans le dos.

La main sur sa joue brûlante, l'adolescente l'écoutait, surprise. Pourquoi lui disait-il tout cela ?

— Tu es d'une faiblesse pitoyable et les faibles on les élimine. Apprends à te blinder où tu iras de déconvenue en déconvenue. Bon, maintenant, essaie de me rendre la pareille.

Cinnamon resta interdite. De quoi voulait-il parler ? Il ne voulait quand même pas qu'elle... Assurément, c'était encore un piège.

— Je n'ai pas toute la journée. Allons, ne me dis pas que tu n'as jamais eu envie de m'en coller une, s'impatienta DeathMask avant de sourire avec cynisme : Pense à ce petit moment agréable que nous avons passé ensemble...

La jeune fille se figea, le visage en feu. Elle ne voulait, ne devait surtout pas penser à ça ! Satisfait de sa réaction, le Chevalier reprit :

— Tu as de la chance, je t'offre l'occasion de te venger alors profites-en. Je te préviens, tu ne sortiras pas d'ici tant que tu n'auras pas essayé.

Cinnamon tenta de protester :

— Je suis faible, c'est vous qui l'avez dit. Comment pourrais-je attaquer un Saint d'Or ?

— Parce qu'il te l'ordonne. Je ne te demande pas de me vaincre, tu ne serais même pas fichue de m'égratigner. Essaie seulement de m'attaquer.

L'adolescente ne comprenait toujours pas où il voulait en venir. Saisissant néanmoins qu'elle avait tout intérêt à obéir, elle fit un énorme effort sur elle-même pour accomplir ce geste impensable : porter la main sur un Saint d'Or, sur l'un de ces monstres de puissance. Avec le sentiment très net de commettre un crime de lèse-majesté et de signer par-là son arrêt de mort, Cinnamon s'approcha de l'homme et le frappa.

Ou du moins, elle voulut le frapper. Sans le moindre effort, le Cancer lui attrapa le poignet et lui tordit le bras, la faisant gémir de douleur.

— Tu te fiches de moi ! C'est ça que tu appelles une attaque ? Comparé à toi, un paresseux est un animal d'une vélocité extraordinaire !

Il la rejeta et elle tomba à terre.

— Il va être l'heure de déjeuner. Je vais manger et, quand je reviendrai, j'espère pour toi que tu sauras faire preuve d'un peu plus de conviction.

Cinnamon n'en croyait pas ses oreilles.

— Vous... vous n'allez pas me laissez là !

— Je vais me gêner.

Désespérée, la jeune fille tenta ce qu'elle croyait être son dernier atout :

— Messire Saga ne serait pas très content s'il savait que vous me retenez prisonnière ici !

— Et à ton avis, qui t'a confiée à moi, bécasse ?

Perdue, désemparée, l'adolescente secoua la tête. DeathMask, quant à lui, éclata de rire.

— Tu n'as toujours pas compris, pas vrai ? Dans ce cas, un petit séjour ici te fera le plus grand bien. Quelques minutes à côtoyer toute seule les âmes errantes devraient t'aider à réfléchir.

Une lueur doré entoura soudain le Chevalier.

— Une dernière chose. Gare à toi si je te retrouve à proximité du puits. Approche-toi-en et je te flanque une raclée.

La lumière se fit plus intense, obligeant Cinnamon à fermer les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, le Cancer avait disparu. Terrifiée, la jeune fille ramena ses genoux contre sa poitrine et les entoura de ses bras. Elle était désormais la seule créature vivante en ce lieu.

Aucun rayon du soleil ne pénétrait dans cet endroit et Cinnamon n'avait pas de montre. Autrement dit, elle ne possédait pas le moindre repère temporel. Après un moment qui lui paru très long, elle se leva enfin. Il fallait qu'elle bouge, qu'elle se dégourdisse les jambes. Plus jamais, elle se l'était juré, elle ne resterait immobile des heures durant. C'était une souffrance qu'elle ne souhaitait pas à son pire ennemi.

Elle fit quelques pas et porta son regard sur les longues files de silhouettes sombres. Après un instant d'hésitation, elle courut les rejoindre. La curiosité était la plus forte. Arrivée près d'eux, elle chercha ses mots. Comment fait-on pour communiquer avec des âmes désincarnées ?

— Excusez-moi, commença-t-elle. Heu, bonjour ?

Aucune réponse. Cinnamon ne se démonta pas et poursuivit :

— Vous êtes ici pour quoi, je veux dire... vous êtes morts de quoi ?

Ils étaient si nombreux... Messire DM ne les avait tout de même pas tous tués !

La jeune fille était obligée de marcher pour rester à hauteur de celui qu'elle avait interrogé. Une idée lui traversa la tête et elle le toucha du doigt, très vite. Ce fut comme si elle avait effleuré de la fumée anthracite. A peine eut-elle retiré sa main que l'endroit qu'elle avait touché se reconstitua.

— Oh waaow...

Brusquement elle s'arrêta net. La file qu'elle suivait commençait à s'approcher du puits. L'adolescente soupira. Elle avait très envie d'aller voir ça de plus près. Juste un petit coup d'œil, ce ne serait pas très grave... Elle demeura cependant sur place.

DeathMask lui faisait si peur qu'elle n'osait pas lui désobéir, même en son absence.

Quelques temps plus tard

A présent Cinnamon mourrait de faim et commençait à avoir vraiment très soif. Sa curiosité pour ce monde étrange s'était émoussée en même temps que naissait en elle une sourde inquiétude. DeathMask n'était toujours pas réapparu. Si la jeune fille craignait son retour, une petite voix alarmiste avait commencé à lui chuchoter une possibilité bien plus terrifiante. Peut-être qu'au lieu de la tuer, il avait décidé de l'abandonner ici. Lui interdire l'accès au puits devait être un moyen pour l'empêcher d'en finir et, par-là, prolonger son agonie le plus longtemps possible. Le Cancer était bien capable d'une chose pareille.

Mais, dans ce cas, pourquoi avoir tant insisté pour qu'elle essaie de l'attaquer ? Était-ce pour ce moquer d'elle, avoir un prétexte pour la frapper ? Cinnamon ne voyait pas non plus pourquoi le Pope l'avait confiée à DeathMask si ce dernier n'avait pas pour ordre de l'éliminer. Si seulement elle pouvait voir Saga, lui demander des explications... Elle ne comprenait rien à ce qui se passait, ou plutôt l'évidence lui échappait tant cela paraissait incroyable, et sa confusion ne faisait qu'augmenter son angoisse. Plus le temps passait et plus une certitude s'incrustait en elle.

Elle allait pourrir ici.

MAISON DU CANCER – 22 h 35

DeathMask était installé devant le match de foot que retransmettait sa télévision. Il tendit la main et décapsula une bouteille de bière avant de la porter à ses lèves.

Brusquement il bondit de son fauteuil et recracha l'alcool qu'il avait en bouche.

— Bordel de dieu !

YOMOTSU HIRASAKA

Elle était allongée à même le sol, les jambes repliées et la tête tournée sur le côté. Ses yeux étaient clos et sa respiration paisible. Intérieurement le Chevalier soupira de soulagement. Si la gamine avait clamsé, l'autre ersatz de Pope en aurait piqué une crise. DeathMask savait très bien que si l'intruse devait disparaitre, Saga préférerait s'en charger lui-même. En attendant...

— Debout ! Allez feignante, on se réveille ! fit-il en la touchant du pied.

La jeune fille sursauta et ouvrit les yeux. Le Cancer y lut clairement un mélange de crainte et de soulagement.

— Lève-toi, ordonna-t-il.

Elle obéit aussitôt.

— Vous me ramenez au Sanctuaire ? demanda-t-elle d'une petite voix.

— Pas si vite. Je veux d'abord m'assurer que tu as pris un peu de plomb dans la cervelle.

Cinnamon baissa la tête. Ce n'était pas vrai, ça n'allait pas recommencer... Qu'attendait-il d'elle à la fin ? Elle était fatiguée, elle avait faim, soif... Ne pouvait-il la laisser tranquille ? Elle eut soudain envie de pleurer mais ses yeux demeurèrent secs.

— Je t'ai demandé tout à l'heure de m'attaquer. Essaie encore et tu pourras rentrer.

Pour toute réponse, elle recula. Le regard de DeathMask se fit ouvertement méprisant.

— Je m'en doutais... Pas fichue de se remuer même quand on lui en donne l'occasion. Tu parles d'une ratée ! Une larve, voilà ce que tu es !

Peut-être était-ce la fatigue, l'énervement, à moins que ce ne fut les insultes. Toujours est-il que quelque chose se brisa en Cinnamon. Tout à coup, sans même réfléchir à ce qu'elle faisait, elle se mit à hurler et se précipita sur le Chevalier, le poing levé.

Comme précédemment, celui-ci n'eut aucun mal à lui attraper le poignet et lui tordit le bras, la faisant pivoter pour la plaquer dos à lui. Cette fois, cependant, il la garda serrée contre lui et dit doucement :

— Et ben voilà, c'était pas si compliqué...

Tous deux disparurent dans un éclair doré.

MAISON DES POISSONS

Tout en sifflotant, DeathMask descendait les marches qui menaient au douzième Temple lorsque Aphrodite sortit de derrière un pilier.

— Cinnamon n'est pas venue me rendre visite aujourd'hui, commença-t-il. D'après le Grand Pope, une méchante migraine l'a obligée à garder la chambre.

Le Cancer se contenta de sourire.

— Ça a commencé, n'est-ce pas, poursuivit Aphrodite.

Ce n'était pas une question.

— Première leçon, acquiesça DeathMask après s'être assuré que personne ne les entendait.

— Alors ?

Le Cancer soupira.

— Alors... il y a du boulot.

Le Poisson secoua la tête.

— Je ne comprends toujours pas ce qui peut vous intéresser chez elle. Elle n'a même pas le potentiel pour devenir ne serait-ce qu'un Chevalier de Bronze, c'est évident.

— C'est pas le but et, crois-moi, on a nos raisons.

— De toute façon, si c'est un ordre du Pope... Mais dis-moi, où l'as-tu emmenée ?

Devant le sourire de son vis-à-vis, Aphrodite comprit.

— Tu as osé l'emmener là-bas ! J'avais cru comprendre que Yomotsu était l'antichambre de la mort, pas un terrain d'entrainement. Vraiment j'ai du mal à imaginer une civile comme elle dans un endroit aussi infâme.

DeathMask jugea préférable de ne pas avouer qu'il avait oublié la civile en question dans cet endroit infâme pendant près de onze heures...

— Justement, c'est le lieu d'entrainement idéal. Personne ne risque de nous déranger. Et c'est moi qui suis responsable de la gamine maintenant.

— Je ne crois pas que le Pope serait très content s'il lui arrivait un accident.

— Si elle meurt, c'est qu'elle n'était pas digne de notre attention.

— Je vois, fit le Poisson. C'est marche ou crève, avec toi.

Le Cancer haussa les épaules.

— Personnellement j'aurais plutôt dit ça passe ou ça casse mais... ouais.

PALAIS DU GRAND-POPE – 22 h 50

Cinnamon était allongée sur son lit, le visage enfoui dans l'oreiller. Malgré son jeûne forcé elle n'avait avalé que quelques gorgées d'eau. Elle était encore trop nouée pour pouvoir absorber de la nourriture solide. Cependant, au-delà de la confusion où l'avaient conduite l'angoisse, l'incompréhension et l'attente interminable, une nouvelle émotion était née en elle.

Cela n'avait duré qu'un très bref instant mais lorsqu'elle avait attaqué DeathMask pour la deuxième fois, elle avait ressenti un énorme soulagement. Comme si quelque chose en elle s'était libéré. Pendant une poignée de secondes, elle s'était totalement lâchée. Elle avait... osé.

Elle n'avait toujours pas saisi où le Chevalier du Cancer voulait en venir, ni pourquoi il s'était subitement intéressé à elle. Ou plutôt elle refusait de comprendre. Mais ce qu'il l'avait obligée à faire, ce geste insensé qu'il l'avait poussé à accomplir...

Ce n'était pas si désagréable.

Ce même soir, au Japon, Ikki du Phénix pénétrait dans le Colliséum et dérobait l'armure d'or du Sagittaire.

 

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