Love is War

Chapitre 4 : Chapitre 4 ✿

3461 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 01:28

1

 

 

 

Dans le train qui le ramenait chez lui, la moitié des passagers dormaient déjà.

En vérifiant l'heure sur son téléphone portable, Yokozawa fut surpris que l’écran indiquait trois appels en absence qui provenait du cellulaire de Motoki.

Pourquoi l'avait-elle appelé si tard ?

Malgré ses humeurs détestables et son caractère bourru Yokozawa était quelqu'un de très soucieux des gens qu'il appréciait.

Il pensa alors que la jeune femme avait peut-être fait une mauvaise rencontre qui l'avait contraint à lui téléphoner et sans y réfléchir davantage, il décida de l'appeler.

Après une première tonalité, elle décrocha:

— Allô ?

— Motoki ? C'est Yokozawa à l'appareil, tout va bien ? Tu as essayé de me joindre tout à l'heure ?

— Ah oui ! Yokozawa !?

Les bruits de ferraille qui s'entrechoquaient du train en marche obstruaient un peu leur communication. Dans ce vacarme, il avait du mal à discerner les paroles de sa collègue.

— Tu es dans le train, là ? Je t'entends mal... lui demanda la jeune femme.

— Eh bien ... Oui... Je suis en train de rentrer chez moi...

— Senpai... Enfin... Yokozawa... Je t'ai appelé tout à l'heure pour te parler... pour te parler d'hier soir...

Yokozawa remarqua que la voix de Motoki semblait plus douce que d'habitude.

— J'ai trouvé touchante la façon dont tu as réagi lorsque je t'ai demandé pour ta fille... Je n'ai pas arrêté de penser à cet instant... Et...

La jeune femme s'interrompit. Yokozawa pouvait entendre son souffle dans l'écouteur de son mobile. Elle était visiblement nerveuse à l'idée de poursuivre.

— Est-ce que tu aimerais qu'on se voie plus souvent... je veux dire... toi et moi... pour boire un verre comme nous l'avons fait hier soir ?

Ce n'était pas comme si c'était la première fois qu'il entendait ce genre de proposition, mais Yokozawa était terriblement gêné par la situation. Ses interrogations de la veille venaient tout juste d'être certifiées. De plus, il ne voulait pas induire Motoki en erreur plus longtemps.

Même s'il n'avait aucunement l'intention de lui faire du mal, il devait lui faire comprendre qu'il ne voyait en elle qu'une amie et rien d'autre.

Il prit alors une grande inspiration avant de se lancer.

— Heu... Motoki... Qu'est-ce qu'il t'arrive ce soir ? Tu ne devrais pas être en train de dîner avec un chirurgien américain dans un des plus beaux restaurants de la ville à l'heure qu'il est ?

— ... Je ne parle pas bien l'Anglais tu sais... lui répondit-elle en essayant de garder la face.

— Hier, la petite fille sur la photo... ce n'était pas ma fille... mais l'enfant de la personne que je fréquente en ce moment.

— Sans blague...

— Un peu d'ouverture d'esprit, voyons ! Les gens ont le droit de refaire leur vie de nos jours, tu sais...

— Excuse-moi... ce n'était pas ce que je voulais insinuer... merci pour ta franchise...

— Je suis persuadé que si tu claques des doigts, là, tout de suite, il y a un prince qui tombe de ton plafond.

— T'es cruel !!! Arrête de me charrier !! Tu n'es qu'un sale vendeur de shôjo manga de rien du tout !

Le rire de Yokozawa retentit dans tout le wagon, réveillant son voisin en sursaut.

— Tu es une très jolie femme, et tu es également une très belle personne, mais mon cœur appartient déjà à quelqu'un Motoki... quelqu'un avec qui je ne peux pas tricher.

— Je comprends Yokozawa... en tout cas, merci pour tout ce que tu as fait pour moi... sache que je ne l'oublierai jamais.

— Ce que j'ai fait pour toi ? Tu veux parler de mon conseil de l'autre jour ?

— Pas que... mais effectivement, grâce à toi, j'ai pu tourner la page et trouver le courage de passer à autre chose...

Yokozawa ne saisit pas, sur le coup, les propos de la jeune femme.

— Je te laisse Yokozawa... Bonne nuit, rentre bien !

— À demain Motoki ! Bonne nuit à toi aussi.

— Eh Yokozawa, tu devrais dormir cette nuit... tu sais comme on dit, la nuit porte conseil !

— Ah... oui... on dit ça, oui... C'est pas faux.

— À demain ! Bye !

La jeune femme raccrocha, et le train poursuivit sa route à travers la ville, plongée dans une nuit d'encre.

 

 

 

2

 

 

 

Le lendemain, Yokozawa était très en retard au bureau.

Toutes les émotions de la veille avaient eu raison de son insomnie et son réveil avait eu beau sonner à maintes et maintes reprises, il n'avait pas su sortir le commercial de son sommeil.

 

La cravate dénouée, les cheveux en bataille il débarqua dans son bureau dans un fracas retentissant. Il en fouilla tous les recoins pour retrouver le dossier bleu, qui rassemblait les documents dont il devait impérativement se munir pour la réunion à laquelle il avait été convié ce matin et dont il avait probablement manqué une bonne partie déjà.

— Cet abruti d'Henmi a dû, à coup sûr, le balancer à la poubelle ! pensa-t-il alors.

Il parvint à gagner la salle de réunion du dernier étage, non loin du siège du grand patron, Izaka-san.

Alors qu'il ouvrit la porte, le bruit fut tel que toutes les personnes présentes, comme un seul homme, tournèrent leurs têtes en sa direction.

Izaka-san, le président des Éditions Marukawa présidait l'assemblée.

— Ah ! Yokozawa san, il ne manquait plus que toi ! Pour une fois que je ne suis pas le dernier à arriver. Ça ne te ressemble pas d'arriver en retard !

— Toutes mes excuses pour ce retard...

La réunion d'aujourd'hui traitait du lancement du prochain volume relié du manga phare de la maison d'édition, Za Kan.

En bout-de-table, parmi d'autres intervenants, se trouvait Kirishima, l'éditeur en charge d'Ijuin-sensei, le dessinateur du manga.

Bien évidemment, Yokozawa remarqua que la seule place assise d'encore disponible autour de la table se trouvait à côté de lui.

C'est non sans gêne qu'il gagnât enfin son siège.

Alors que la directrice de marketing poursuivait la lecture de son rapport, Kirishima fit glisser discrètement à Yokozawa un dossier bleu.

— Je suppose que c'est à toi ? chuchota-t-il au commercial.

Yokozawa n'en croyait pas ses yeux. C'était le dossier qu'il cherchait et qu'il pensait à l'heure qu'il était à la poubelle.

Il réalisa alors qu'il avait dû l'oublier la veille chez l'éditeur.

— Merci de me l'avoir rapporté. Je l'ai cherché partout, lui confia-t-il à voix basse.

— Pas de quoi...

 

La réunion était à présent terminée. Izaka avait pris congé rapidement après l'appel de son secrétaire.

Les employés partageaient alors leurs impressions autour de la machine à café.

La présence de Kirishima au côté de Yokozawa était une véritable torture pour ce dernier. Lorsqu'il croisait le regard de l'éditeur, il ne pouvait s'empêcher de détourner son visage. Quand Kirishima prenait la parole, le son de sa voix le rendait nerveux.

Il avait chaud, ses mains étaient moites, il épiait discrètement ses attitudes, profitant des instants où il inclinait son visage au-dessus de son gobelet de café.

Il pouvait presque sentir le souffle s'échapper de ses lèvres, alors qu'il soufflait sur le liquide brûlant. Il avait cette envie irréductible de le toucher. Simplement de poser une main sur son épaule. Mais il ne pouvait pas, il n'en avait pas le droit. Rien n'est plus pire que cette frustration de ne pas pouvoir s'approcher d'un Être qui vous a tant souvent serré dans ses bras.

Kirishima finit par poser son regard sur le commercial qui, le teint livide, regardait maintenant ses chaussures.

Alors que les autres poursuivaient leur débat, Kirishima s'approcha de Yokozawa.

— Tu es sûr que ça va ? Tu as une tronche... on dirait que tu es mort !

— Merci... c'est le genre de compliment qui fait toujours plaisir à entendre... lui rétorqua le commercial sarcastique.

— Mais de rien ! Si je peux te rendre service... Ah, au fait, en parlant de ça ! Merci d'être passé voir Hiyo hier soir. C'est la première chose dont elle m'a parlé ce matin à son réveil.

— Désolé... j'aurai dû t'appeler avant de passer...

— Bah, c'est pas comme si tu n'étais pas le bienvenu à la maison... et je suppose que tu ne te souvenais plus que c'était la veille du bouclage du magazine après tout...

Kirishima affichait son petit sourire sarcastique habituel. Les deux hommes ne se regardaient pas, ils avaient tous deux le nez plongé dans leurs tasses de café respectives.

— Dis Yokozawa... ?

— Quoi ?

— Tu n'aurais pas une cigarette ?

Une sonnerie de téléphone retentit. Les employés qui poursuivaient leur conversation n'y prêtèrent pas attention.

— Arf... Ce foutu téléphone qui ne fait que sonner depuis ce matin ! Ça commence à me soûler ! râla Kirishima agacé.

— Tu devrais répondre une bonne fois pour toutes, ce n'est jamais bon signe un téléphone qui n'arrête pas de sonner, lui rétorqua le commercial.

— Mouais...

Kirishima répondit alors à l'appel en s'éloignant du petit groupe. Yokozawa, inquiet, gardait un œil sur lui. Malgré la distance entre Kirishima et le reste du groupe, il parvint à distinguer quelques mots sa conversation téléphonique.

— Comment ça, la cheville... ? Mais comment est-ce arrivé... ? Oui – j'entends bien... à l'hôpital, bien...

Yokozawa avait bien entendu le mot hôpital, il tressaillit.

— Oi ! Kirishima-san ! Quel est le problème ?

L'éditeur, le combiné à l'oreille lui fit un mystérieux signe de la main.

Son expression semblait confuse. Yokozawa le rejoignit au pas de course alors qu'il mettait fin à sa conversation téléphonique.

— C'est Hiyo ? demanda Yokozawa, persuadé qu'il était arrivé malheur à la fillette.

— Elle a fait une mauvaise chute en cours d'éducation physique. Son professeur pense qu'elle s'est fait une entorse à la cheville, il faut aller la chercher à l'école et l'emmener à l'hôpital.

— Et sinon, elle va bien, elle est bien consciente !?

— Si un jour j'oublie que tu es anxieux, tu seras gentil de me le rappeler ! Mais bien sûr qu'elle est consciente ! On ne tombe pas dans le coma quand on se foule la cheville ! Arrête de flipper espèce d’angoissé, tu vas finir par déteindre sur moi !

Un de ses assistants qui avait suivi leur conversation de loin accosta son supérieur.

— Tu dois emmener ta fille à l'hôpital ? Quelle est la marche à suivre avec l'auteur que tu devais recevoir ce matin ? Elle va arriver d'un instant à l'autre.

— Putain... sérieusement... Ce type va croire que je le déteste vraiment pour le coup...

Yokozawa entendit la réflexion de Kirishima, mais n'en saisit pas le sens. Kirishima donna alors des directives à son assistant:

— Tu annules tous mes rendez-vous de l'après-midi et tu vas voir Takano de chez Emerald... tu lui expliques la situation... tu récupéreras les manuscrits que j'ai envoyés à la correction hier... Ensuite...

Yokozawa qui réalisa l'étendue du problème interrompit Kirishima.

— Je vais y aller moi !

— Quoi ?

— Je vais emmener Hiyo à l'hôpital. Toi, tu vas à ton rendez-vous et tu nous rejoindras plus tard !

— Mais c'est ridicule enfin... toi aussi tu as ---

— Non ! Aucune importance. Je vais demander à Henmi de me dépanner - pour une fois qu'il peut me servir à quelque chose celui-là !

— Yokozawa... sérieusement, tu ferais ça pour moi ?

Alors qu'il s'apprêtait à lui répondre - pour ta fille, idiot - Yokozawa lui rétorqua :

— Oui... c'est le moins que je puisse faire.

Sur ces mots, le commercial dévala à toute allure les cinq étages de l'immeuble et se glissa dans le taxi qui venait justement de déposer le rendez-vous important de Kirishima.

 

 

 

3

 

 

 

Une infirmière conduisait Kirishima vers le service de pédiatrie dans lequel était soignée sa fille.

Une immense fresque représentant toute une famille d'ours était peinte sur les murs de la salle d'attente.

Assis sur un siège bleu-marine, au milieu des mamans qui tenaient leurs bambins dans leurs bras, se trouvait Yokozawa, qui lisait un magazine féminin visiblement destiné aux jeunes mères.

Il semblait dubitatif face à la lecture d'un article traitant des douleurs liées à l'allaitement.

La vue d'une pareille scène ne manquait pas d'amuser Kirishima qui ne tarda pas à le rejoindre.

— Tu fais très couleur locale... avec ces ours sur le mur... tu es venu avec toute ta famille ?

— La ferme --

Les femmes autour de lui furent offusquées par la grossièreté du commercial.

C'est alors plus bas qu'il poursuivit :

— Tu es arrivé plus vite que je ne l'aurai pensé...

— Oui, l'auteure a été très compréhensive étant donné la situation. Et Hiyo ? Où est-elle ?

— Le médecin l’ausculte dans son cabinet. Comme je ne suis pas son père, j'ai préféré la laisser seule avec lui. Elle ne devrait pas tarder à sortir.

— Rien de grave donc ?

— Non, ne t'inquiète pas. Une petite entorse de rien du tout. Pas de quoi paniquer.

— Merci d'être venu, je te revaudrai ça !

— Rien du tout ! Enfin, c'est normal... c'est ta fille après tout !

Kirishima regarda Yokozawa abasourdi après sa dernière réplique.

— Répète ce que tu viens de dire ?

— Quoi... ? Une entorse... ?

— Non... après ça, tu as dit c'est ta fille. Depuis quand Hiyo est ma fille ?

— Mais enfin Kirishima-san ? Tu es sûr que ça va ?

— Dis-moi la vérité, c'est pour elle ou pour moi que tu es ici ?

— Mais te rends-tu compte de la question que tu es en train de me poser !? J'ai jamais entendu une chose aussi débile.

Kirishima affichait un petit sourire en coin. Sa voix était teintée d'une singulière douceur.

— Yokozawa, regarde-nous... plantés au beau milieu de la salle d'attente du pédiatre à attendre le retour d'Hiyo... il n'y a rien qui te saute aux yeux ?

— Oui... cette fresque est flippante !

Kirishima sourit de plus belle. Il se pencha sur le côté, et murmura à l'oreille de Yokozawa:

— Si tu savais comme elles me manquent tes remarques assassines, idiot... Faut-il vraiment que j'attende de me retrouver seul avec toi dans un hôpital pour que tu daignes m'adresser la parole ?

Yokozawa ne parvenait pas à regarder, à cet instant, celui qui était assis à ses côtés. Pourtant, sans avoir besoin de l'observer, il savait bien l'expression que revêtait son visage.

Il était assis si près de lui et il pouvait sentir sa chaleur émaner de son épaule qui touchait la sienne.

— Tu avais rendez-vous avec l'auteur de Takano, n'est-ce pas? demanda Yokozawa.

— Tu ne te trompes pas.

Yokozawa venait de réaliser à quel point Kirishima était un homme bien.

Durant tout ce temps, alors qu'il s'était si bien appliqué à le fuir, l'homme avait conservé un regard bienveillant son égard. Il avait pris la peine d'aller à la rencontre de Takano, afin de l'entretenir du projet de son auteur.

Yokozawa comprenait bien qu'il l'avait fait pour lui.

De plus, Kirishima avait eu raison au sujet de Motoki, pourtant, en retour, la seule chose que Yokozawa avait su faire, c'était de le brocarder, l'accusant d'être fou.

À ces pensées, Yokozawa fut envahi par une grande tristesse et de profonds regrets.

Il sentait la présence de l'homme à ses côtés, visiblement nerveux quant à l'état de santé de sa fille qui comme à son habitude tentait de faire bonne figure.

Les cheveux quelque peu dépeignés, essoufflé et en sueur, sûrement en raison de sa venue au pas de course, Kirishima avait le regard braqué sur la porte close du cabinet de consultation.

Yokozawa ne l'avait jamais vu aussi beau.

La porte finit par s'ouvrir et les deux, dans un même élan spontané se levèrent. La petite Hiyori en sortit en boitant, accompagnée du médecin qui venait de l’ausculter.

— Papounet ! cria Hiyo en tendant ces petits bras vers son père.

Le médecin voulut rassurer sur le champ les deux hommes. L'enfant, qui avait fait une mauvaise chute, s'était simplement foulé la cheville. Il expliqua que la pose d'une simple bande de maintien autour de la petite articulation était amplement suffisante à son rétablissement.

Hiyori n'avait rien de grave. Il fallait simplement éviter qu'elle se déplace durant 24 heures, afin que l'inflammation se résorbe et qu'elle soit attentive à ne pas trop solliciter sa cheville durant les jours à venir.

Yokozawa, qui avait suivi consciencieusement le diagnostic du médecin décida de porter la petite fille dans ses bras pour le trajet du retour. Hiyori était aux anges. C'est comme une petite princesse de conte de fées, dans les bras de son Oniichan de prince charmant et escortée par son papa qu'elle regagna sa maison.

 

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