Le Meilleur des mondes possibles

Chapitre 10 : Chapitre II — Partie II

2269 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/08/2014 15:01

— Chapitre II —

La Théorie des cordes

« Les hommes, ma chère, sont comme les cerfs-volants : plus on leur tend de corde, plus on les tient. »

— Alexandre Dumas, fils —

Paris — France 12 Mai 2013 02:37 PM

 

Non mais vraiment, quel temps de chien…

 

L’orage venait tout juste de s’arrêter, après avoir frappé le sol parisien avec une intense frénésie pendant plus de trois longues heures. L’eau avait déferlé avec violence pendant un long moment, et les vestiges de ce déluge tombaient encore goutte à goutte des enseignes des boutiques, des gouttières et de tous les autres rebords de bâtiments, en silence.

Paris avait toutefois connu des orages bien plus longs, et aucun dommage particulier n’avait encore été signalé. C’était un simple orage comme il y en avait eu de nombreux autres, et comme il y en aurait des centaines d’autres à l’avenir. Celui-ci n’avait strictement rien de particulier.

 

Il n’empêche que c’est quand même un peu tôt dans la saison. Il a dû faire un peu trop chaud ces derniers temps, il faut croire.

 

Le jeune adolescent, les mains dans les poches et la tête baissée, donna un petit coup de pied morose dans un petit caillou qui traînait sur un bout du trottoir, probablement arrivé là après moult voyages depuis un parc non loin. Il soupira, puis releva lentement un regard lassé vers le ciel encore largement voilé, sortant sa main droite de sa poche pour rajuster une mèche grise un peu trop longue derrière son oreille.

C’était une journée de mai à Paris, habituelle. Rien n’était arrivé, et rien n’était supposé arriver. Alors il aurait au moins pu avoir du beau temps, pour une fois qu’il avait du temps pour flâner.

Mais non. Il fallait croire que c’était de la malchance, qu’un orage se déclenchât justement le jour durant lequel il avait décidé de se promener.

 

Michel abaissa encore son regard pour soupirer une fois de plus, mais il n’en eut cette fois-ci pas l’occasion : sa curiosité fut attisée avant qu’il n’eût le temps d’exprimer son ennui, pour une fois.

 

Trempé.

 

Ce fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. Et en effet, le petit chien blanc au poil court qui venait de se présenter face à lui, marchant lourdement tout en couinant tristement, la tête abattue et la queue entre les jambes, était tout dégoulinant d’une eau bien trop froide pour ses petites pattes frêles et frémissantes. Le pauvre petit bonhomme avait dû errer dans les rues sous l’orage pendant un bout de temps, ne sachant où s’abriter.

 

Mais le jeune homme ne s’arrêta pas à cette première conclusion.

Il était en effet difficile de manquer le foulard écarlate qu’il portait autour du cou, bien noué par son maître. Mais ce fut là qu’il eut un déclic et tressaillit légèrement, sans même en être véritablement conscient.

 

Il connaissait ce chien. Et, plus encore, il connaissait la personne à qui ce chien appartenait.

 

Il s’accroupit face à lui, le dévisageant avec un mélange de curiosité et d’inquiétude. Le petit chien releva lentement la tête vers lui et parut en effet le reconnaître, car il s’approcha et se laissa caresser sans crainte. Mais sans réaction particulière non plus.

 

« Ben alors, mon vieux… murmura-t-il distraitement. T’as pas l’air dans ton assiette, hein…? Qu’est-ce qui a bien pu t’arriver… »

 

Il était bien plus qu’évident qu’en temps normal, Raphaël n’aurait jamais laissé Fondue vagabonder seul dans la rue, encore moins sous un orage.

 

Donc il lui était arrivé quelque chose. Et malheureusement, même s’il était plus que certain que Fondue sût de quoi il s’agissait, il était bien évidemment impossible de lui demander des réponses à ses questions.

Mais il était hors de question de le laisser là, de toute manière. Qu’il eût besoin de lui ou non n’était pas la question. Le pauvre vieux avait eu sa dose, et il n’allait certainement pas le laisser errer dehors sans son maître plus longtemps.

 

Et il n’allait certainement pas laisser Raphaël disparaître ainsi sans chercher de réponses, c’était encore plus évident.

 

« Viens, Fondue. Il faut qu’on parle de ça à la police, ils vont nous aider à retrouver Raphie. Ça te va ? »

 

Il ne s’était pas réellement attendu à une réponse, mais il obtint tout de même un petit couinement désespéré de la part de l’animal. Mais dès qu’il s’était mis à courir en direction du commissariat, le petit chien aboya soudainement et se retourna prestement, le poursuivant aussitôt.

 

Le trajet ne fut pas très long ; l’attente à cause de la longue queue qui se trouvait à l’accueil de la préfecture de police le fut bien plus. Michel fut particulièrement surpris de voir qu’autant de monde avait des requêtes ou des dépositions à faire, d’autant plus que l’orage venait de se terminer seulement une petite demi-heure plus tôt à peine : lui qui s’était attendu à une file d’attente presque vide à cause de la pluie qui aurait découragé la plupart des gens à sortir de chez eux, il fut déçu de voir qu’il s’était trompé. Quelques dizaines de personnes se trouvaient devant lui, toutes plus inquiètes les unes que les autres… Et même si la plupart des visiteurs venaient en réalité par groupes, la durée de l’entretien était généralement plutôt longue. Bien qu’elle commençât à se raccourcir de plus en plus, au fur et à mesure que la file avançait… Il fallait croire que le policier chargé de l’accueil perdait patience lui-même.

 

« Laissez-moi deviner… C’est encore une disparition, pas vrai ? »

 

Le jeune adolescent sursauta légèrement une fois son tour venu. Apparemment, l’agent avait frappé dans le mille.

 

« Oui, mais… Comment pouvez-vous…

- C’est pareil pour tous les autres. Quelqu’un que vous connaissez a disparu juste sous vos yeux, c’est ça ? »

 

Il cligna des yeux deux fois de suite, éberlué.

 

« Comment ça, “juste sous vos yeux” ?

- Ah, tiens, pas vous. Mais c’est une disparition quand même, donc.

- S’il vous plaît, expliquez-moi. Qu’est-ce qui se passe, au juste ? »

 

Il était difficile de savoir si c’était parce qu’il s’était montré un peu brusque et ferme dans sa dernière phrase ou si c’était dû à tout autre chose, mais l’agent avait relevé un regard froid, frappant au-dessus de ses lunettes.

 

« On ne sait pas si c’est une nouvelle sorte d’OVNI ou si c’est un simple canular, mais il semblerait que des personnes se sont mises à disparaître dans des éclairs lumineux pendant l’orage, toutes dans le Champ de Mars. »

 

Bien que le canular parût de loin la solution la plus logique, le ton qu’avait employé l’agent semblait montrer que contre toute attente, cette affaire était réellement prise au sérieux.

Après tout, avec tant de personnes impliquées et racontant toutes la même chose, le canular prenait une tout autre envergure…

 

« Mais en revenant à votre cas, donc. Est-ce une disparition de ce type ?

- J’en sais rien. Je suis pas témoin de la situation, je sais juste qu’il lui est forcément arrivé quelque chose pendant qu’il était dans la rue. »

 

Le jeune homme parut réfléchir un instant, puis ajouta :

 

« Je l’ai vu ce matin, avec une amie. Ils devaient aller au conservatoire pour ce midi.

- Et ils ne sont pas rentrés, déduisit automatiquement l’agent.

- C’est ça. Vous pouvez mener des recherches pour voir s’il aurait pu leur arriver quelque chose ? »

 

Encore ce regard froid et insupportable qui reflétait un semblant de professionnalisme arrogant. Cette expression qu’arboraient ceux qui pensaient tout connaître de leur métier et qui se permettaient donc de mépriser ceux qui les remettaient en question ou les défiaient d’une quelconque manière.

 

« Si nous n’avons pas plus d’indices que ça, nous n’allons pas pouvoir faire grand-chose. Et ce n’est pas comme si vous étiez le seul à avoir perdu quelqu’un. Il semblerait que toutes ces affaires de disparitions ont un lien de près ou de loin au Champ de Mars, mais l’enquête n’en est encore qu’à ses débuts. Pour le moment, nous ne pouvons rien faire, alors je n’essaierais pas d’aller trop vite à votre place. »

 

Michel plissa deux yeux résignés, puis acquiesça silencieusement. Il salua distraitement l’agent avant de sortir, suivi de près par le petit chien toujours aussi trempé. Tous deux se dirigèrent vers l’appartement du jeune homme, dans lequel ce dernier s’occupa de sécher son petit compagnon, puis il lui prépara dans une assiette un petit casse-croûte de fortune, composé de quelques restes trainant dans son réfrigérateur. Il était malheureusement très loin de s’imaginer jusqu’alors qu’il venait d’adopter temporairement un véritable ventre à pattes…

 

« Allez, viens Fondue. »

 

Le petit chien releva une tête curieuse vers son nouveau maître et lança un petit couinement intrigué ; Michel avait continué de le caresser, mais c’était la première fois depuis une bonne dizaine de minutes qu’il avait repris la parole.

L’adolescent esquissa alors un petit sourire énigmatique qui refléta dans un coin de sa bouche un léger rayon de soleil qui venait de percer finalement les nuages ainsi que le cadre de sa fenêtre.

 

« La police ne va rien faire pour le moment, alors… On va enquêter tous les deux ! Qu’est-ce que tu dis de ça, hein pépère ? »

 

Aussi étrange que cela pût paraître, il s’était réellement attendu à une réponse de la part de son camarade, probablement trop enfoui dans ses pensées pour réellement se rendre compte qu’il venait de demander l’opinion d’un animal de compagnie ; il obtint toutefois réellement une réponse de sa part qui fut immédiate :

 

« Wouf ! »

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