La Nuit des Émeraudes

Chapitre 3 : Dans la lueur du matin — Inconnu

5261 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 13/10/2025 14:38

Pendant un moment, il resta là immobile, à demi allongé sur les couvertures poussiéreuses, écoutant le silence de la forêt au dehors, des pas qui avaient disparu et du vent s’infiltrant doucement dans la grotte. Son regard vert encore humide fixait toujours le recoin où avait disparu Knuckles, s’attendant presque à le voir revenir d’un instant à l’autre et s’asseoir quelque part en posture de guet pour le (sur)veiller comme il l’avait déjà fait quand lui ou Tails avait étés malades ; mais rien.

Après plusieurs minutes d’écoute du calme sylvestre et de contemplation d’une paroi restée vide de tout mouvement, l’adolescent compris que son frère était bel et bien parti pour de bon, le laissant seul comme il l’avait demandé, supplié, "forcé" à le faire.

Même si cela lui déchirait le cœur de le voir accéder à sa requête de l’abandonner seul ici.

Et pourtant, tandis qu’il se rallongeait sur les couvertures moisies face au mur, quelque chose tout au fond du hérisson lui donnait l’impression qu’il n’était pas si seul, en fin de compte.

Peut-être était-ce la présence encore palpable de son grand frère ici, venu le chercher à travers la nuit et toute la forêt et la montagne pour le retrouver, à l’instar de leur père qui n’avait pas eu le même succès. Peut-être était-ce ses gestes envers lui, malgré ce qu’il leur avait fait juste quelques heures auparavant. Ou peut-être était-ce tout simplement qu’il n’avait pas été tout seul dans cette grotte, à pleurer ses fautes et lécher ses plaies méritées sans personne pour le soutenir.

Ou bien peut-être que c’était juste un effet secondaire des plantes avec lesquelles l’avait soigné Knuckles ; il devait l’avouer, malgré leurs picotements intempestifs et selon les endroits douloureux, il avait effectivement l’impression que ses blessures lui faisaient moins mal peu à peu. Bon, c’était toujours quasiment une vraie torture de bouger un peu trop ses muscles (surtout près de cette grosse lacération au torse, c’était horrible), mais la douleur s’estompait doucement dans les endroits les plus sensibles.

Comme s’il avait des épines à la place des os, mais supportable.

Bien à l’inverse de l’autre douleur qui refusait de quitter sa poitrine depuis qu’il s’était réveillé en plein combat contre sa propre famille.

Sonic renifla une nouvelle fois, quelques dernières larmes quittant ses yeux humides et fatigués pour tomber sur sa main serrant la vieille couette abandonnée des Wachowski—de Tom et Maddie. Malgré les nouvelles sur l’état de sa famille et le soutien inconditionnel de Knuckles, l’adolescent ne pouvait chasser de son cœur et de son esprit les terribles choses qu’il leur avait faites cette nuit ; même si son grand frère l’avait assuré qu’il n’était pas lui-même lorsque c’était arrivé, ça ne changerait rien à ce qui s’était passé.

Il avait violemment attaqué sa propre famille, et peut-être manqué de faire pire s’il n’avait pas repris ses esprits à temps.

Et même si les souvenirs étaient confus, il savait que cette… chose qu’il était devenu à la nuit tombée risquait de revenir ; et avec elle, toute cette rage et ce désir de destruction qui avait failli emporter la famille Wachowski cette nuit.

Même si ça lui brisait le cœur et probablement le leur aussi, il devait partir loin d’ici.

Mais c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire dans son état, couvert de blessures, épuisé par une nuit de course éperdue et de souffrance pour cause de transformation forcée, et avec une énorme lacération qui avait apparemment tendance à vouloir s’ouvrir à chaque mouvement vu la douleur à son torse. Même si les soins de Knuckles avait quelque peu atténué la douleur, c’était encore trop fort pour qu’il essaye de courir comme d’habitude. Et ne pas pouvoir courir à 100 à l’heure, en plus d’être une vrai torture pour le hérisson plus rapide que l’éclair, c’était là surtout un problème pour s’éloigner d’ici et de sa famille autant que possible.

…Mais devait-il vraiment partir tout de suite ?

Il venait juste de retrouver sa forme normale au lever du jour, et ça n’avait pas été très agréable ; ça et ses blessures encore fraîches lui donnait pas très envie malgré l’urgence de partir à toutes jambes. Et Knuckles avait dit qu’il reviendrait le voir plus tard, et le connaissant il n’allait pas lui lâcher les baskets s’il essayait de partir en douce avant qu’il se pointe ; il serait bien capable d’aller le pister jusqu’à l’autre bout de la galaxie s’il le voulait. Enfin c’était un peu compliqué d’aller à l’autre bout de la galaxie maintenant sans ses anneaux, en fait, mais passons.

Il valait peut-être mieux rester tranquille et éviter de pousser un guerrier échidné à reprendre sa traque interplanétaire (pour des raisons probablement moins hostiles que la dernière fois, mais autant pas s’y essayer) à cause d’un frangin en fuite. Et puis, il avait promis de revenir, et un échidné n’a qu’une parole ; il serait de retour tôt ou tard, sans doute prêt à soigner son petit frère s’il en avait besoin.

C’était peut-être mieux de rester ici, au moins le temps qu’il revienne et l’aide avant son départ imminent pour ne pas qu’il le course à travers toute la forêt. Et puis, il était bien ici, la douleur dans ses muscles se dissipant doucement grâce aux plantes de son grand frère, à l’abri dans son ancienne grotte sur une couette qui l’avait souvent réconforté l’hiver, à reprendre doucement des forces…

L’oreille qui n’était pas appuyée contre la couverture se redressa, percevant un bruit lointain qui attirait son attention et le tirant de la somnolence qui le prenait doucement. Sonic redressa la tête, l’autre oreille baissée en confusion tandis que le son se faisait plus clair au loin ; apparemment pour Knuckles, "revenir plus tard" voulait dire "maintenant", au vu des pas qui approchaient de plus en plus.

Le hérisson retint un soupir, et comptait lancer un "Je t’avais dis de me laisser tranquille, Knux’" sans même se retourner vers lui quand son oreille dressée s’arrêta net, en même temps que son cœur.

Ce n’étaient pas les pas de Knuckles.

L’adolescent s’arrêta de respirer, une sueur froide lui coulant soudain dans le dos ; il ne reconnaissait pas le son qui provoquait l’écho se rapprochant, mais il étaient plus lourds, plus prudents, plus maladroits que ceux de son grand frère. Ce n’était pas son frère qui faisait ces pas.

C’était ceux de quelqu’un d’autre.

Figé, Sonic se tourna lentement vers l’entrée terrestre de son refuge découvert ; le chemin de l’ouverture était toujours vide, mais l’écho grandissait, se faisait plus proche d’instant en instant.

Quelqu’un était là.

Quelqu’un se rapprochait.

L’écho résonnait toujours plus dans la grotte, sonnant comme un bourdonnement oppressant aux tympans du hérisson qui tremblait de tout ses membres, incapable de bouger, les yeux rivés sur l’entrée d’où il apercevait maintenant une petite ombre se profiler sur le mur opposé et devenir de plus en plus grande…

Dans un sursaut de protection, Sonic retrouva ses esprits et se rua derrière des rochers dans le coin le plus obscur de la grotte, se mordant la lèvre pour retenir le gémissement qui vint en même temps que la douleur de ses blessures lui brûlant la peau. Se recroquevillant pour se faire le plus petit possible et tentant surtout de retenir les éclairs qui trahissaient sa position, l’adolescent se colla tout contre la roche, une main sur la bouche pour s’empêcher de crier ou de pleurer, son ouïe et son odorat aux aguets de l’intrus qui s’approchait, s’approchait…

Un écho plus clair que le reste se fit, signe que leur provenance était arrivée à l’entrée, et les pas hésitants se ralentirent puis se turent. L’intrus était dans la salle principale. L’intrus était , à juste quelques mètres de sa cachette désespérée.

L’intrus était tout près.

Sonic dû faire un effort surhumain pour ne pas laisser son énergie du chaos s’échapper en étincelles tant le stress était intense ; il se mordit le poing pour ne pas gémir, ignorant le goût salé qui revenait dans sa bouche, tremblant de tout ses membres, n’osant même plus respirer de peur que son souffle ne signale sa présence, le calme de la forêt et l’autre respiration inconnue bourdonnant à ses oreilles comme une alarme sans fin…

- …Youhou ? Euh, il y a quelqu’un ?

La voix qui brisa le silence de la grotte coupa soudain le bruit résonnant dans sa tête. Sonic rouvrit ses yeux verts qu’il avait inconsciemment fermés sous la pression, sentant deux rapides larmes s’en échapper tandis que ses oreilles se tendaient de nouveaux aux aguets.

Ce n’était pas une voix qu’il connaissait, c’était sûr autant que ce n’était pas Knuckles revenu ici ; mais rien dans son timbre n’évoquait un danger direct. La voix était claire, hésitante, au genre indistinct ; mais ses mots avaient été dits avec prévenance, et une certaine curiosité bien audible. S’il osait extrapoler, il dirait même qu’elle était gentille.

Néanmoins, ce n’était pas assez pour le rassurer ; il ignorait qui était là, ni même comment ou pourquoi elle était arrivée ici, et tout cela ne faisait qu’aggraver ses battements de cœur déjà d’ordinaire plus que rapides. Il refusa de baisser sa garde et resta plaqué contre la roche, se recroquevillant toujours plus en continuant d’écouter la respiration de la personne, à l’affût de tout indice sur sa position dans la grotte.

Mais bientôt ce souffle se coupa, alors que la voix résonnait encore à travers l’espace :

- Ééhoooo ? …Je viens pas embêter, juré, c’est juste… En fait, mes marqueurs m’ont amené ici, donc je suis allé voir… J’aurai peut-être dû vérifier ma carte avant de partir en fait… marmonna-t-elle soudain lassée alors que ses pas se faisaient à nouveau entendre.

Sonic l’écouta se déplacer dans la grotte, guettant sa position exacte malgré l’écho et fronçant les sourcils aux mots prononcés, ayant du mal à comprendre ce que la personne voulait dire, ni même si elle s’adressait à lui ou non. Les pas s’arrêtèrent un instant, semblant une seconde tapoter d’impatience sur le sol (et s’il s’était sentit d’humeur à faire des comparaisons Sonic aurait dit qu’ils tapotaient à la manière d’un certain dinosaure vicelard d’un monument des 90's), puis reprirent tandis qu’ils allaient lentement à l’opposé de l’entrée, s’éloignant pour l’instant de sa cachette.

Un soupir se fit entendre, puis à nouveau des mots :

- Enfin bref… je savais pas trop ce que j’allais trouver, j’ai juste suivi la route et… ben vala me voilà !

Une espèce de souffle bref, petit rire gêné, sembla se faire entendre à la fin de ces paroles maladroites, avant que la voix ne reprenne :

- En tout cas, c’est une très jolie grotte ici ! Belle structure d’érosion et de glissements de terrain, je dois dire ; bon, un peu bas de plafond et probablement pas terrible quand y’a la pluie, mais belle !

L’écho de la voix qui devenait disparate semblait indiquer que la personne faisait des tours sur elle-même ou du moins observait l’espace dans tout les sens, alors qu’elle avançait vers le mur opposé. Sonic continua de guetter ses déplacements, reniflant sans pouvoir saisir autre chose que l’air poussiéreux et ne pouvant s’empêcher de hausser une oreille confuse à ces paroles pour le moins décousues.

- Ouais, c’est joli ici… soupira la voix alors que ses pas s’arrêtaient à nouveau. Superbe… J’espère que c’était pas la grotte d’un ours en fait… Oh puis zut Bonjour Monsieur Madame l’Ours ! Si vous êtes là et que je vous dérange je fais que passer ! Je m’en vais, m’attaquez pas sivousplé !

Un silence (que l’adolescent aurait qualifié de gêné s’il avait été en plein conversation avec cet inconnu) se fit entendre un peu trop longuement… avant qu’un cri beaucoup plus fort ne le brise presque aussi vite :

- YOUHOUUU ! …Pas d’ours ? Ouf, pas d’ours, je suis sauvé ! Enfin sauf s’il en a un dans le coin, mais… bon on va pas tergiverser allez-Y’a quelqu’un d’autre qu’un ours ici ? Non ? Rien du tout ? Que des plantes, des tas de poussière et des cailloux ? Même pas de petit lézard non plus ? Noooon ? Et ben… ‘Fin en même temps à quoi je m’attendais à me balader en plein dans la forêt moi… lalala~ et je me reparle toute seule, tout va bien ! Y’a pas d’ours et je suis pas tombée dans un trou, alléluia !

Sonic écouta avec de plus en plus de perplexité les élucubrations aléatoires de cet étrange individu qui allait et venait dans l’espace, incapable de discerner malgré ses paroles s’il l’avait repéré ou s’il était vraiment en train de juste parler à voix haute pour tromper l’ennui et le silence pesant dans la grotte (comme il l’avait fait pendant dix ans d’exil solitaire… mais c’était une toute autre histoire). Il se demandait surtout quand cet intrus allait se décider à quitter les lieux, se sentant en dépit de toutes ces manies qui le rassuraient presque inquiété par sa présence inconnue qu’il n’osait pas épier autrement que par ses oreilles et ses narines.

Soudain, alors que la personne qui arpentait la grotte en allant et venant dangereusement près de sa cachette continuait de chantonner et se parler à demi toute seule, ses pas ralentirent et s’arrêtent un peu brusquement, comme stoppés par quelque chose qui l’avait fait soit trébucher soit revenir en arrière. Le calme de la forêt reprit un instant le dessus sur les sons environnants, avant qu’un « Hummm… » entre la curiosité et l’intérêt, peut-être aussi la surprise ne s’élève de la bouche de l’inconnu. Sonic perçut les pas de l’intrus tourner dans sa direction, sembler s’avancer sans vraiment bouger ; puis la voix s’élever à nouveau, plus doucement cette fois :

- …Je t’avais pas remarqué, toi…

Le sang se figea dans ses oreilles. L’adolescent sentit un frisson lui parcourir l’échine, doublé d’un éclat d’énergie bleue voulant sortir qu’il retint de tout son être ; mais à son horreur, le bruit des pas reprit, allant sans s’arrêter dans sa direction.

S’approchant de lui.

Sonic se recroquevilla tellement qu’il crut presque disparaître derrière son rocher, seule protection entre lui et cet inconnu qui venait droit sur lui ; il se plaqua les mains sur la bouche pour couvrir ses gémissements, ne sentant plus que le goût salé sur sa langue et les tremblements incontrôlables de son corps, les battements frénétiques de son cœur et le bruit des pas qui s’approchaient plus près, plus près, devenant les seuls sons qui parvenaient à ses oreilles plaqués contre son crâne…

Les pas s’arrêtèrent tout près, et l’adolescent sentit les larmes ronger ses yeux comme prêtes à s’échapper en une fontaine de cascades sans fin. Il n’osait plus regarder, plus respirer, plus oser bouger devant la fatalité de sa découverte ; c’était fini, il était repéré, il ne pouvait pas s’échapper, il était pris au piège…

L’intrus bougea, peut-être pour s’agenouiller ; ou plus probablement pour se jeter sur lui.

Sonic ferma les yeux, sentant à peine les larmes s’en déverser dans le flou de suffocation autour de lui.

- …Est-ce toi qui a fais ça ?

Sonic rouvrit les yeux, laissant presque échapper un souffle de surprise.

La voix avait résonné près de lui ; mais pas du tout dans sa direction. En fait, elle semblait plus répercutée sur un mur devant lui, comme si elle avait parlé en y faisant face. Mais pourquoi s’adressait-elle à la paroi ? Et de quoi parlait-elle…?

- C’est un joli dessin. Vraiment.

Et Sonic comprit.

Il était tout près de la fresque qu’il avait faite le jour de son arrivée ici ; de son arrivée sur Terre, après la… Après sa séparation avec Longclaw. Les yeux encore écarquillés par la surprise, il écouta attentivement la personne contemplant son dessin, presque avide de ses paroles qui lui signalait où elle était :

- C’est simple, mais bon je vais pas critiquer quand j’ai pas un bachelor en dessin hein ; oh, y’a des personnages tout en haut ! J’avais pas vu ! Ha, j’aime bien le petit ébouriffé tout bleu, on dirait qu’il a des piquants partout ! J’aimerai pas m’y frotter, hein—enfin sauf s’il veut bien sans me piquer, bien sûr ! Et on dirait qu’il tient la main de l’autre figure en brun, est-ce que ce sont une maman et enf-Oh ! L’ébouriffé lui donne une fleur, c’est trop chou !

L’adolescent retint un soupir larmoyant aux remarques de l’inconnu qui vraisemblablement fondait devant le vieux dessin ; malgré sa peur, il était touché par les mots de la personne contemplant le seul vrai rappel qu’il avait de sa mentor décédée. Et un peu malgré lui, il huma l’air proche, sentant entre la poussière terreuse et le millepertuis environnant des effluves de sueur légère et d’huile de circuit, un peu comme celle qu’utilisait Tails pour ses inventions… une nouvelle vague de larmes, pleines de remord cette fois, lui piqua à nouveau les yeux alors qu’il pensait à son petit frère qu’il avait failli blessé dans sa rage précédente.

- On dirait un tournesol ; est-ce c’est un tournesol ? commenta alors à nouveau la voix qu’il voyait presque souriante et attendrie, le tirant de ses pensées sombres. Symbolique du soleil, de l’enthousiasme, l’admiration …Ça lui va bien. J’aime bien les tournesols ; pas ma préférée des préférées, mais c’est au top dans le lot ! J’aime surtout ce qu’ils représentent… Ils sont radieux. C’est magnifique.

Sonic blottit son museau maintenant prêt à renifler dans ses genoux, les oreilles toujours aux aguets mais cette fois presque plus pour continuer d’entendre la voix chaude et presque rassurante de la personne qu’épier ses mouvements et guetter sa position par crainte. Pendant un instant, il voulut pointer son nez hors de sa cachette pour regarder, jeter ne serait-ce qu’un œil à cette personne qui s’était arrêtée devant sa fresque et disait tout ces mots si gentils alors qu’elle ne savait même pas si il était là… ou le savait-elle ? Disait-elle cela exprès en sachant qu’il l’entendrait, pour le faire sortir de son trou ? Et pourquoi, si oui ? Le dénicher, l’attraper, le trouver, juste ?

Toutes ces questionnements retinrent le hérisson qui essayait déjà de calmer ses piquants voulant se redresser et ses élans d’énergie du chaos avant qu’ils ne se déchargent involontairement. Alors il se contenta de se recroqueviller encore, ses bras serrant ses genoux à demi couverts de bandages en feuilles et ses oreilles et narines guettant le moindre changement venant de la personne à juste quelques pas à côté de lui.

Pendant un moment, ses sens ne captèrent que la respiration douce et régulière de l’inconnu et les effluves formaldéhyde et humains se mêlant à l’air du matin.

Puis, après un temps qu’aucun des deux n’aurait su vraiment calculer, un léger mouvement se fit de l’autre côté du rocher où s’était caché Sonic, comme si la personne touchait la paroi devant elle ; il l’entendit ensuite clairement se redresser, et se recroquevilla encore par réflexe de peur d’être vu alors qu’elle était si près. Un autre bruit comme un geste de pivot de lourdes chaussures au sol se fit, et à nouveau les pas plus lents et assurés retentirent doucement dans l’écho de la grotte, s’éloignant de la fresque vers l’ouverture terrestre sans toutefois s’y diriger tout droit ; il y eut encore quelques pas hésitants, comme si la personne s’arrêtait ou se retournait tout en marchant, peut-être pour observer l’espace autour d’elle encore une fois, sans vraiment cesser d’avancer.

L’adolescent dressa les oreilles, l’écoutant partir lentement avec une vague de soulagement et aussi peut-être une once de tristesse de se savoir bientôt à nouveau tout seul ici. Mais alors qu’il était quasiment certain qu’elle était arrivée à l’entrée, il l’entendit s’arrêter réellement cette fois, rester en silence quelques instants peut-être comme pour réfléchir, et perçut un très léger mouvement sur ses pieds alors qu’elle déclarait, projetant sa voix dans toute la grotte :

- Bon, je sais pas si tu étais là ou si tu vas repasser, artiste de la grotte ; mais je dois juste te dire que c’était magnifique comme dessin. Et je me remets à parler tout seul à voix haute… hmm, bref. Si tu m’entends bravo, c’est très joli ; et si tu m’entends pas, ben tant pis ! Au moins je saurai que je l’aurai dit à la forêt ! Et PARDON LES OURS JE FAIS QUE PASSER !—Aïe l’écho est vraiment fort par ici… aah… Ahem, bref, j’ai rien dit, pardon le vent… hé hé…

Le hérisson se retint de soupirer devant la tirade un peu bizarre (et surtout brusquement forte) de l’inconnu, et s’affaissa à nouveau en sachant qu’elle partait bientôt ; mais après un court silence, il entendit comme une respiration (une inspiration pour se donner du courage ?) près de l’ouverture, et la voix reprit, parvenant il ne savait comment à l’envoyer presque directement dans sa propre direction à travers l’écho de la caverne :

- Tu sais, j’aurai voulu te rencontrer, artiste de la grotte.

Un silence se fit à nouveau, l’écho de ces mots presque tristes et sincères semblant se frayer une brèche dans le cœur du hérisson tapi derrière son rocher. L’espace d’un instant, une étrange impulsion, la même qui l’avait tenaillée pendant des années avant que Tom ne le découvre en ce jour fatidique dans leur garage, le mû presque à se redresser depuis sa cachette et à jeter un regard curieux vers la personne immobile tournée vers lui malgré la crainte qui immobilisait ses muscles ; mais alors, la voix retentit à nouveau, ses mots tranchant l’espace comme une sentence :

- Je vais devoir rester dans la région, on a besoin de moi pour le travail. Peut-être qu’on pourra se croiser, si je ne suis pas loin… Enfin, tu sauras que tu as un fan au moins ! …À bientôt peut-être, artiste souterrain !

Sonic entendit une espèce de soupir joyeux, percevant presque le sourire s’étirer derrière ces dernières paroles ; puis il y eut un mouvement léger près de l’entrée, comme un hochement de tête, le raclement léger des chaussures qui bougent à nouveau contre la poussière du sol, le son des semelles sur les cailloux, puis enfin le bruit des pas lourds et plus sûrs qui s’éloignent peu à peu et disparaissent dans la forêt, jusqu’à ce qu’il ne reste que le silence de la brise et l’odeur naturelle des pins et de la roche dans la grotte à présent vide.

L’adolescent resta figé, paralysé derrière sa cachette inespérée au fin fond de son refuge découvert. Même après que l’odeur de plastique et le crissement faible des brindilles se soient dissipés complètement dans l’espace, il refusa de bouger, comme persuadé d’être repéré s’il tressautait seulement d’un demi-millimètre.

L’inconnu allait rester.

Il n’avait pas dit qu’il camperait là, mais il avait dit qu’il restait par ici. Et qu’il voulait le voir.

Il allait forcément revenir.

Sans qu’il ne s’en aperçoive, Sonic s’était remis à trembler, et c’était autre que la douleur qui revenait qui en était la cause. Ce mouvement le tira de sa paralysie momentanée et il osa enfin jeter un œil par dessus son rocher le cachant au reste de l’abri.

Pas de silhouette humaine ou animale dans la caverne, ni d’ombre dans l’entrée terrestre ou du plafond, pas même de trace de pas distincte dans la poussière et la végétation au sol.

La grotte était aussi vide qu’avant qu’il ne fasse involontairement sauter toute la côte Est en déchargeant sa douleur (et aussi son énergie chaotique) sur ce terrain de baseball.

L’adolescent lâcha un souffle qu’il avait retenu sans qu’il ne le sache, s’affaissant encore contre la paroi froide et dure. Instinctivement il serra ses bras contre lui-même, recroquevillé dans une posture presque semblable à ses attaques roulées comme si cela le protégerait du monde extérieur.

Il avait faim. Il avait soif. Il était fatigué. Il était blessé. Il avait mal partout. Il avait envie de rentrer chez lui et s’enfouir dans ses couvertures et aussi dans les bras de ses parents et ses frangins. Il avait envie de pleurer, et peut-être aussi de disparaître un petit peu. Mais par dessus tout, il avait peur.

S’il rentrait, cette chose reviendrait bientôt finir le travail qu’elle avait voulu commencer cette nuit. Et ça, il en était pas question ; plutôt disparaître ou courir à tout jamais que de le laisser arriver.

Mais s’il restait, il était certain que la personne qui était venue quelques instants auparavant allait revenir, probablement allait-elle le chercher et le traquer pour le trouver ; pourquoi exactement, il s’en fichait, il ne voulait pas qu’elle le trouve ; et surtout, quelqu’un finirait bien par le trouver, et il serait découvert. Il ne pouvait pas être découvert. Pas comme… pas comme ça.

Comme il l’avait pensé il y a des (une ?) années, il n’y avait qu’une solution à ses problèmes.

Courir. Courir, courir loin d’ici.

Il n’avait pas ses anneaux, mais malgré la douleur il avait encore ses jambes.

Sonic inspira profondément, sa décision prise ; déroulant son corps presque recroquevillé tel son équivalent terrien, il prit appui sur le rocher à côté de lui, se dérobant à sa cachette et aux larmes qu’il faisait semblant de ne pas remarquer sur ses joues. Courageusement, il se redressa, se tenant de toute sa hauteur, prêt à partir aussi loin que possible de cet endroit et de Green Hills…

Et s’effondra à peine un instant plus tard, les jambes tremblantes et le corps crispé de douleurs qui revenaient en force.

Grimaçant mais faisant tout pour retenir ses cris de crainte d’être entendu d’un intrus qui n’était plus là, le hérisson planta ses griffes dans le sol, se tenant le flanc blessé comme si ça retiendrais la douleur à l’intérieur. Rouvrant ses yeux verts en ignorant les nouvelles larmes qui s’en échappaient, il rassembla ses forces et roula sur le ventre, poussant dans ses jambes pour se relever ; mais une deuxième fois ses muscles refusèrent de le maintenir et cédèrent sous son propre poids, le faisant s’écrouler à terre.

Ne voulant pas retenter de raviver la douleur une troisième fois, Sonic se contenta de s’asseoir à demi et recula jusqu’à une paroi de la grotte, trouvant il ne sut comment un coin déjà tapi par une couverture déjà plus confortable que le sol avant de s’y étendre.

Bon, changement temporaire de plan : il se reposait quelques—non, une heure ou deux, et là il détalait le plus vite possible.

Si Knuckles ne se pointait pas pour venir le voir avant. Ou l’inconnu qui avait voulu le rencontrer (enfin, rencontrer l’auteur de la fresque avec Longclaw, mais ça c’était lui même s’il le savait pas) deux secondes auparavant.

Ou toute autre personne qui avait décidé de fouiner dans la forêt et trouvait cette grotte apparemment très accueillante.

Sonic se recroquevilla doucement, la douleur de ses blessures se ravivant bien que calmée par les bandages de son grand frère ; il aimait de moins en moins ce plan, mais il ne pouvait rien faire d’autre.

C’était la seule solution pour protéger sa famille, quoi qu’ils (et quoi qu’il) en pensent.

Sentant encore ses yeux picoter, l’adolescent soupira et clos ses paupières sur ses iris verts, espérant en dépit des doutes s’insinuant dans son esprit être bientôt en état de marcher ; il ravala la boule dans sa gorge et tenta d’ignorer les images qui lui revenaient sans cesse en tête, ne remarquant ni le sommeil qui le prenait peu à peu, ni dans son dos la figure dessinée sur la paroi de la fresque vieille de plus de dix ans, telle une ombre veillant sur lui.

Laisser un commentaire ?